6510. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A FONTAINEBLEAU.

Potsdam, 6 novembre 1754.

La dernière ordinaire m'a apporté les deux dépêches que vous m'avez faites du 20 et du 24 du mois d'octobre passé, et je vous renvoie, quant aux brouilleries arrivées entre les cours de Bonn et de Manheim, à ce que le rescrit du Département vous en marquera. Quant aux affaires de Pologne, je crois recevoir bientôt des nouvelles que la Diète y sera échouée, sans qu'il en résultera des suites de conséquence.

Je ne veux point vous laisser ignorer une chose assez singulière et point du tout attendue qui vient de m'arriver, et dont je crois nécessaire que vous préveniez le sieur de Rouillé, dès que vous trouverez l'occasion convenable de le faire. C'est que mon ministre à Stockholm vient de me marquer que le baron de Hœpken lui avait dit d'avoir reçu des nouvelles du baron de Posse, ministre de Suède à Pétersbourg, qu'un certain baron de Leutrum, qui était colonel au service de Russie, s'était adressé à lui pour lui confier que, dans le voyage qu'il avait fait en Allemagne, il m'avait entretenu à Potsdam ou Sanssouci, et que je l'avais chargé de parler aux sieurs de Woronzow et de Schuwalow pour leur témoigner les sentiments d'estime et d'amitié que j'avais pour l'impératrice de Russie, et le désir que j'avais de voir la bonne intelligence rétablie entre les deux cours, et que j'avais d'ailleurs chargé ce Leutrum de tâcher de parler à l'Impératrice même pour lui faire ces insinuations. Que ce Leutrum avait continué à dire à lui, baron de Posse, qu'il s'était acquitté, après son retour à Pétersbourg, de sa commission auprès des sieurs de Woronzow et de Schuwalow, lesquels avaient bien reçu ce qu'il leur avait dit, et lui avaient promis de<461> le faire parler à l'Impératrice et lui avaient demandé un précis par écrit de ce qui s'était passé dans le prétendu entretien qu'il avait eu avec moi à Sanssouci, lui, Leutrum, avait couché ce précis par écrit et le leur avait remis, mais que depuis on ne lui avait ni fait parler à l'Impératrice, ni lui donné aucune résolution ultérieure.

Quoique je connaisse assez bien la cour de Russie pour ne point faire de pareilles incartades, et qu'il ne soit qu'absolument faux tout ce que ledit Leutrum a débité sur ce sujet, j'appréhende cependant que la cour de Russie ne se serve de ces insinuations faites à mon insu et contre mon aveu pour faire accroire au monde et peut-être à la Porte Ottomane que j'avais fait des démarches pour me rapatrier à elle. Je trouve bon que vous en préveniez le sieur de Rouillé, en lui disant que je n'avais jamais donné des commissions au susdit Leutrum de parler en sorte, ni sur aucune autre chose. Que je m'en serais d'autant plus gardé de lui en donner que je connaissais trop bien ce Leutrum, qui avait été autrefois en mon service et reconnu pour un homme imprudent et de peu de capacité. Qu'il était vrai que cet homme, ayant eu le congé de l'impératrice de Russie pour voyager quelque temps en Allemagne et étant passé par mes États, s'était fait annoncer pour être présenté à moi, que je l'avais vu là-dessus, mais que je ne lui avais parlé que de choses fort vagues et indifférentes; et, comme il lui était échappé de dire qu'il était chargé de la part de sa souveraine d'une commission secrète auprès du ministère de France, j'en avais d'abord fait avertir M. de Contest. Mais, comme celui-ci m'avait fait répondre qu'il connaissait ce personnage pour un vrai escroc qui avait pensé déjà de le tromper, je me suis d'autant moins mêlé avec lui, de sorte que, quand, à son retour, il passa par Berlin et qu'il me fit demander mes ordres pour son voyage, je lui ai fait répondre tout sèchement que je n'avais aucun à lui donner et qu'il n'avait qu'à continuer son chemin — de sorte qu'il m'était inconcevable comment cet homme avait pu s'aviser de tenir effrontément de pareils propos sur mon sujet. Vous ne manquerez pas de me faire votre rapport de ce que le sieur de Rouillé vous aura répondu là-dessus.

Federic.

Nach dem Concept.