6811. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

Potsdam, 26 mai 1755.

J'ai reçu votre rapport du 16 de ce mois. Comme je ne doute nullement que vous ne soyez déjà instruit de la réponse que le ministère anglais a remise, quoique sans signature, au duc de Mirepoix à<165> son dernier mémoire, je veux bien vous dire que, selon mes dernières nouvelles de Londres,165-1 cet ambassadeur continue de se conduire si faiblement que le ministère anglais, à force de l'amadouer et de lui faire des sincérations vagues et qui ne portent à rien, lui fait accroire tout ce qu'il veut, de sorte que, tandis qu'on renforce l'escadre de Boscawen165-2 de sept vaisseaux de ligne, qui sont actuellement partis de Spithead, et qu'on a donné des ordres à cet amiral d'attaquer l'escadre de France, quand il la joindra en deçà du 47e degré de latitude, en leur faisant querelle sous prétexte de pavillon et même sans prétexte, le susdit ambassadeur est si bon qu'il se fait imposer par les ministres anglais, quand ils lui assurent que le sieur Boscawen n'avait pas ordre d'attaquer l'escadre française, à moins que ce ne fût en Amérique, au cas que les établissements anglais fussent attaqués par les Français. Et, comme d'ailleurs le ministère de France se conduit à son tour aussi faiblement que je vous l'ai fait marquer par la dépêche ci-jointe de mes ministres, je crains fort qu'ils ne s'en mordent aux doigts, vu qu'ils n'en rendent celui de l'Angleterre [que] plus roide et plus fier, au point qu'à coup sûr il ne voudra entendre parler sérieusement d'accommodement sans coup férir.

Au reste, vous verrez par l'extrait ci-clos chiffré du chiffre immédiat dernier, dont vous ne vous servez plus, ce qui est arrivé à Stockholm avec l'ambassadeur de France. Comme je me suis donné depuis quelque temps toutes les peines possibles pour raccommoder au possible le marquis d'Havrincourt avec la reine de Suède et que j'avais réussi jusque là qu'ils se sont parlés à quelques reprises,165-3 je suis fâché de voir renversé mes bons desseins par l'évènement dont il s'agit. Vous ne manquerez pas d'en parler modestement à M. de Rouillé, en lui insinuant combien j'aurais souhaité que le marquis d'Havrincourt se fut pris avec un peu plus de politesse à cette occasion, ayant bien pu être présent à la fête du jour de naissance du Roi et se retirer sous quelque prétexte honnête avant le souper.

Federic.

Extrait.

La reine de Suède avait fait dire aux ministres étrangers que ceux qui voudraient venir le 14 de mai à Drottningholm, à cause du jour de la naissance du Roi, en avaient la permission, mais que, comme l'arrangement de la fête que la Reine y voulait donner au Roi, exigeait que Leurs Majestés soupassent dans de petits appartements qui sont dans la maison de la comédie, tous ne pourraient pas être admis à la table du Roi, qu'ainsi il y aurait deux tables, celle du Roi et du prince Gustave, et qu'on tirerait aux billets.

Tous les ministres étrangers ont été à Drottningholm ce jour-là, hormis l'ambassadeur de France, qui s'en est dispensé pour ne pas<166> tirer au sort. Il aurait été à souhaiter que l'Ambassadeur ne se fût pas distingué dans cette occasion où personne n'a manqué de profiter de la permission que la Reine a donnée, d'autant plus que les sénateurs et les ministres étrangers du second ordre ne songeaient à lui disputer le rang, et qu'il n'aurait point commis son caractère en tirant au sort dans une occasion où tout s'est fait sans étiquette. La Reine m'a marqué, quoiqu'avec beaucoup de modération, le mécontentement qu'elle avait de la conduite de l'Ambassadeur. Sa Majesté, en lui faisant savoir par le comte d'Ekeblad qu'il pouvait venir à Drottningholm, lui a fait dire en même temps quel arrangement elle serait obligée de faire à cause du peu de place qu'il y avait dans les appartements où l'on soupait. L'Ambassadeur a fait répondre à la Reine qu'il regardait la permission que Sa Majesté voulait bien lui donner, comme la plus grande grâce qu'il pût recevoir; mais qu'il mettait l'honneur de manger à la table du Roi à un si haut prix qu'il ne pouvait pas le commettre au hasard du sort. La Reine166-1 me dit à ce sujet qu'il lui paraissait que l'Ambassadeur aurait pu venir à Drottningholm à un jour de naissance du Roi et se retirer avant le souper, s'il ne voulait pas tirer au sort; mais que, d'ailleurs, il aurait bien dû se reposer sur elle qu'elle ferait arranger les choses de façon que le sort l'eût placé à la table du Roi.166-2 J'ai été fâché de n'avoir eu rien à répondre à la Reine pour disculper l'Ambassadeur, qui, sachant qu'il y a des gens qui ne demandent pas mieux que de donner à la Reine des impressions peu favorables sur son sujet, aurait dû faire son possible pour ne leur point donner occasion de le blâmer avec raison.


Nach dem Concept.



165-1 Vergl. Nr. 6813.

165-2 Vergl. S. 157.

165-3 Vergl. S. 67. 89.

166-1 In dem Berichte Maltzahn's, Stockholm 16. Mai, lautet das folgende: „La Reine me dit à ce sujet que, de la façon dont l'Ambassadeur agissait, on ne pouvait faire autrement que de le laisser aller; qu'il lui paraissait qu'il aurait pu venir a Drottningholm“ etc.

166-2 In dem Berichte Maltzahn's folgt hier: „La Reine ajouta qu'elle voulait bien me dire, à moi, qu'il y avait de la tromperie dans les billets qu'on tirait, et que, afin que tout le monde fût content, elle avait fait arranger les choses de façon que des sénateurs et des ministres étrangers mariés il y eût ou la femme ou le mari qui soupaient avec le Roi.“