6918. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A COMPIÈGNE.

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Knyphausen berichtet, Compiègne 24. Juli: „Je sais même à n'en pas pouvoir douter que, quelqu'un des ministres ayant proposé dans le Conseil de faire arrêter sans perte de temps tous les navires marchands appartenant à l'Angleterre qu'on trouverait dans les ports de la France, cet avis a été rejeté. J'ai tâché de pénétrer les motifs de cette

Potsdam, 9 août 1755.

L'ordinaire dernier m'a apporté à la fois les dépêches que vous m'avez faites du 24 et du 27240-4 de juillet passé.

J'ai été extrêmement surpris du parti faible que les ministres

résolution, et voici ceux qui m'ont paru être les plus plausibles, que je rapporterai, parcequ'ils servent à éclaircir les vues que l'on a ici. On veut, d'abord, charger l'Angleterre de toute la haine de cette guerre et l'on ne veut s'en venger que, lorsque l'infraction qu'elle a faite à la paix, sera connue et avouée de toute l'Europe. En second lieu, on espère que cette modération en imposera à l'Angleterre et que, dans l'intervalle, elle ne voudra point se porter à aucun nouvel acte d'hostilité; ce qui est d'autant plus désirable que tous les vaisseaux marchands qu'on attend de l'Amérique et des Indes orientales, sont actuellement en chemin. En troisième lieu, on croit qu'on pourra se servir utilement du temps que l'on consacrera ainsi à ladite simulation, pour exécuter les mesures que l'on a prises pour la défense du royaume, ainsi que pour l'entreprise d'une guerre tant maritime que terrestre et pour se concerter avec les cours alliées … Mais, si on ne veut point attaquer l'Angleterre dans le moment présent, par les raisons que je viens d'exposer, on incline encore moins à entamer ses alliés, et voici comme j'ai lieu de supposer qu'on se comportera à leur égard. Comme toutes les parties contractantes du traité de paix d'Aix-la-Chapelle ont solidairement garanti cette paix, on réclamera leur assistance contre l'infracteur commun; mais hier on n'était point encore décidé sur la forme qu'on donnerait à cette interpellation, et M. Rouillé n'a point su me dire si ce serait un manifeste, une déclaration ou bien des représentations verbales que l'on ferait faire dans les cours qui ont garanti le traité d'Aix-la-Chapelle … La conjecture que j'ai formée dans ma dernière lettre immédiate, vient de se vérifier, et M. Rouillé m'a fait appeler hier pour me notifier que Sa Majesté Très Chrétienne, ne désirant rien avec plus d'ardeur que de donner à Votre Majesté, dans toutes les occasions et particulièrement dans le moment présent, des preuves de sa confiance, avait fait choix du duc de Nivernais pour Lui faire part de ses vues et pour se concerter avec Elle sur les mesures qu'il conviendrait de prendre relative-

de France prennent, et je ne comprends pas le but qu'ils se proposent en voulant ménager encore les Anglais dans une occasion où il me semble que la rupture est si ouverte.

Notre traité, prêt à expirer,241-1 nous engage de défendre les possessions de la France en Europe, mais point du tout celles en Amérique.

La douceur que les ministres de France voudront afficher encore de l'amour de paix, ou, pour mieux dire, qu'ils se conduisent plus faiblement encore que par le passé envers les Anglais, ne déterminera ni la reine de Hongrie ni la Hollande à prendre leur parti contre le roi d'Angleterre; d'ailleurs, ils ne tireront du secours ni du Danemark241-2 ni de la Suède dans cette guerre, et, en continuant cette conduite timide, ils achèveront de perdre totalement la considération que la France a eue en Europe. Mais des pertes pour eux plus importantes encore, ce seront celles du temps et de l'occasion, qu'on ne retrouve jamais, quand on les laisse échapper, ainsi que toute leur conduite de modération ne leur fera ni différer ni éviter la guerre générale que l'Angleterre leur prédestine. Voilà un raisonnement que je fais pour moi, et dont je crois qu'il sera trop tard pour en faire usage envers eux.

En qualité d'allié et d'ami de la France, il est naturel que je m'afflige, quand je vois prendre le ministère d'aussi fausses mesures, surtout quand on apprend que ces

ment à l'acte d'hostilité que l'Angleterre venait de commettre.242-1 Que, comme elle ne voulait cependant rien décider à cet égard, avant qu'elle ne fût instruite si ce choix serait agréable à Votre Majesté, elle me priait de Lui en rendre compte et d'informer le ministère de France de la réponse que je recevrais à cet égard. Que, comme l'on sentait que le chevalier de La Touche pourrait se penser blessé de sa démission, on n'avait point voulu lui en faire part, et que, pour cet effet, et qu'afin qu'on fût informé avec certi-- tude de la façon dont Votre Majesté en-- visageait cette démarche, on s'était décidé à La faire pressentir à ce sujet par mon entremise. Qu'au reste on ne laisserait M. de Nivernois que fort peu de temps à Berlin et simplement pour l'exécution de cette commission, et que, comme il était actuellement plus nécessaire que jamais d'avoir quelqu'un à la cour de Votre Majesté qui Lui fût agréable et en qui Elle eût confiance, on rappellerait incessamment M. de La Touche et le remplacerait par quelqu'un dont Elle eût sujet d'être satisfaite. Ce ministre242-2 m'a même fait entrevoir dans cet entretien qu'on ferait choix du marquis de Valory,242-3 si Elle le désirait, qu'en un mot tous ceux qu'Elle désignerait, seraient agréables au Roi son maître. Le maréchal de Belle- Isle, dont le fils242-4 a épousé la fille du duc de Nivernois, m'a prié le même jour d'appuyer la première de ces deux propositions auprès de Votre Majesté et de L'assurer que M. de Nivernois contribuerait avec le plus grand zèle aux intérêts réciproques des deux cours. Comme j'ignore quelle est à ce sujet la façon de penser de Votre Majesté, je n'ai répondu au maréchal de Belle-Isle, ainsi qu'au sieur Rouillé, que des choses vagues et obligeantes, et j'attends qu'Elle me fasse part de Ses intentions, afin de pouvoir parler plus catégoriquement à ce dernier, tant sur ce point que sur ce qui concerne le marquis de Valory.“'

gens se flattent sur quelques paroles légères et vagues du sieur Robinson, d'autant qu'il vous est connu ce que je vous ai dit à Wésel,242-5 que les Anglais ne faisaient qu'amuser la France et que les propos que les ministres d'Angleterre avaient tenus au duc de Mirepoix, n'étant point autorisés par la nation, n'auraient dû être regardés par ce ministre que comme étant les sentiments particuliers de quelques-uns des ministres anglais, mais non pas de réponse de nation à nation.242-6

Je viens à présent aux alliances que les ministres de France voudront contracter en Allemagne. Il me sera difficile de leur donner conseil sur cet article-là, à cause que je ne vois dans le ministère français ni système ni projet arrêté. Quand même la France prendrait à sa solde les Bavarois, les Hessois, les Saxons et les troupes des ducs de Brunswick et de Würtemberg, je ne vois pas à quoi tout cela leur servira, si elle se détermine de ne faire la guerre à l'Angleterre que par mer et de se tenir, au reste, à la défensive sur ses frontières; d'ailleurs, on ne portera jamais ces princes d'Allemagne d'attaquer les possessions du roi d'Angleterre dans son éïectorat.

L'électeur de Bavière, voisin de la cour de Vienne, aurait trop à risquer, et la France ne gagnera par un traité avec lui que d'avoir 6,000 Bavarois de moins contre elle.

Pour ce qui regarde le duc de Würtemberg;, il faudra qu'il ait un gros corps de troupes pour couvrir ses États, afin de pouvoir retirer des services de ses troupes.

 

Quant à la Hesse, je suis très sûr que son traité est fait et conclu avec l'Angleterre,243-1 et, depuis les propos inconsidérés que le sieur Champeaux à Hambourg a tenus là au prince héréditaire de Cassel,243-2 le Landgrave est si fort animé contre la France que toutes les propositions qu'on saurait lui faire, seraient sans effet.

Quant au duc de Brunswick, je dois lui rendre le témoignage que, malgré toutes les avantages que les Anglais lui ont offerts, même l'établissement de sa fille aînée,243-3 il n'a jamais voulu renoncer au traité qu'il a fait avec nous, de sorte qu'en cas que le mariage de sa fille manquât, je me ferais fort de l'engager de nouveau, mais que je pourrais dire d'avance au ministère de France que ce ne serait qu'en doublant les subsides.243-4

Quant à la Saxe, il faut que je convienne que ce serait un avantage pour la France et pour moi, si l'on pouvait l'engager dans notre alliance; mais nous avons vu par l'expérience que nous ne pourrions jamais compter sur le ministre, le comte Brühl, et que cet homme, vendu aux cours de Russie et de Vienne, ne changera jamais de parti. Il ne faudra point citer ce qui s'est fait l'année 1741,243-5 vu que ce ministre était intimidé alors par nos forces qui étaient en Bohême et en Autriche, et par les avantages que j'avais remportés en Silésie; et dans ce temps même, le comte de Brühl ne put cacher sa mauvaise volonté, au moins est-il constaté que ni la France ni ses alliés n'ont pu tirer alors aucun avantage des troupes saxonnes, et, dès que la sûreté l'a permis à ce ministre, on l'a vu changer de parti. Outre toutes ces considérations, je crois qu'on n'ignorera pas en France que le comte de Flemming, ministre saxon, est allé de Dresde à Hanovre pour y renouveler le traité de subsides entre l'Angleterre et, la Saxe,243-6 et que, par l'empressement qu'on a remarqué depuis peu entre ces deux cours, on en peut conclure, et il y a toute l'apparence, que leur traité a été déjà actuellement conclu. Aussi, le comte de Brühl s'amuserait aux dépens de la France, si on lui faisait des propositions, se jouerait des ministres de France et ne manquerait pas de communiquer toutes les propositions qu'on lui aurait faites, aux cours d'Angleterre, de Vienne et de Russie, de sorte que je laisse penser aux ministres de France s'il leur convient de se laisser balloter par le comte Brühl en entamant une affaire avec lui dont on peut leur prédire d'avance qu'elle échouera; pour moi, il me convient mieux d'avoir un ennemi connu que de l'avoir caché.

Vous pouvez faire usage de tous ces raisonnements vis-à-vis de M. de Rouillé, en adoucissant cependant les termes et en ajoutant le véhicule le plus propre pour lui faire avaler la pilule.

Quant à moi, j'envisage la situation de la France d'une façon toute différente que les ministres de France l'envisagent eux-mêmes, qui

 

auraient dû prendre dès le départ de leur flotte des arrangements et faire, en même temps, la levée des troupes dont ils avaient besoin; il leur faut bien 100,000 hommes pour mettre les troupes sur le pied où elles ont été à la dernière guerre; je crois, d'ailleurs, qu'il leur aurait convenu de se mettre en état de pouvoir agir d'abord et qu'il aurait fallu d'abord demander à la cour de Vienne si elle voulait accomplir la garantie qu'elle avait promise dans le traité d'Aix-la-Chapelle, et, en cas de refus, la France aurait été assez autorisée de faire entrer ses troupes en Flandre.

En faisant en même temps des convenances au roi de Danemark, il y aurait eu grande espérance qu'on le déterminerait à se concerter sur une invasion dans le pays d'Hanovre.244-1 Si alors la France envoyait un corps de 30 ou 40,000 hommes par le pays de l'électorat de Cologne, en le faisant passer toujours par les pays de ses alliés, elle pourrait le porter jusqu'au pays d'Hanovre, ayant toujours derrière soi deux bonnes places de ses alliés, savoir Düsseldorf et Wésel. D'un autre côté, la France trouverait encore la Flandre sans défense et pourrait s'emparer de tout ce pays dans une campagne, sans coup férir. Ce pays servirait en tout temps d'équivalent de Canada, et, d'un autre côté, une armée française et danoise qui entrera dans le pays d'Hanovre, forcerait bientôt le roi d'Angleterre à recourir à tous les expédients imaginables pour accélérer la paix. Par ces moyens-là, la France se soutiendrait par ses propres forces, de sorte que, si même elle venait à manquer de l'Espagne, elle pourrait terminer en peu de temps en Europe tous les démêlés qu'elle a avec les Anglais en Amérique, et faire une si bonne compensation à la paix que l'article de ses avantages surpasserait de beaucoup plus ses pertes.

Pour ce qui regarde moi, vous n'avez qu'à parler toujours aux ministres de France de la bonne volonté que j'avais de leur être utile; mais vous leur montrerez en même temps, d'un côté, toutes les forces de la Reine-Impératrice réunies contre moi dans les pays héréditaires, et, d'ailleurs et de l'autre côté, une formidable armée des Russes qui allait s'assembler en Livonie, de sorte que vous les ferez juger eux-mêmes combien ces conjonctures me mettaient dans une inactivité parfaite, jusqu'au moment qu'on puisse les faire changer. Au surplus, ce serait se faire une illusion à pure perte, si les ministres de France inclinaient à croire que leur modération saurait effectuer peut-être qu'on se prêterait en Angleterre à une réparation proportionnée à l'insulte; au moins, mes lettres de Londres244-2 marquent tout le contraire, portant en propres termes que l'on y continuait à songer de pousser avec toute la vigueur imaginable les armements maritimes contre la France; qu'on y était même surpris que celle-ci tardait à se décider sur une rupture ouverte que sa dignité exigeait dans la situation présente des affaires; qu'on

 

ne voudrait pas, malgré cela, s'endormir à cause de ces délais et qu'on confirmait de toute part que l'escadre de 17 vaisseaux de ligne que l'on venait de mettre en iner, courra tout de suite sur les Français pour leur frapper un coup mortel, avant qu'ils eussent le temps de se reconnaître; qu'il n'y était plus question de ménagement, qu'on sentait l'impossibilité d'éviter la guerre en Europe avec la cour de France et qu'on voulait la pousser à toute outrance; qu'on avait même le dessein que, si la France différait encore quelque temps de rompre avec l'Angleterre, de le faire les premiers, d'abord que le roi d'Angleterre serait de retour à Londres, ce qui serait dans le courant de ce mois, les dernières lettres d'Hanovre ayant marqué qu'il s'était prêté aux désirs des régents et déterminé à revenir incessamment, sans avoir cependant encore fixé le jour de son départ. Qu'en attendant l'on continuait à se flatter que les négociations subsidiaires pour fortifier le parti de l'Angleterre sur le continent de l'Europe, prendraient un tour favorable, qu'on avait fait de grosses remises en argent à Pétersbourg,245-1 que tout cela coûterait de fortes sommes, mais qu'on ne s'en souciait pas; que, si la Hollande persistait à ne pas vouloir augmenter ses troupes et à vider les barrières les plus voisines de la France,245-2 on s'en consolerait et se proposait qu'en cas que la France entamerait la guerre de ce côté-là, de faire venir tout de suite aux Pays-Bas un corps de troupes d'Hanovre et de Hesse-Cassel, joint à un autre corps que la cour de Vienne y enverrait, outre celui qui y est déjà, et qu'on lui paierait de quoi pouvoir tenir la campagne et se défendre, en abandonnant les places les plus exposées aux frontières de la France; que c'était sur cet arrangement qu'on s'était décidé, les autres ne viendraient que lorsque l'on verrait de quelle façon la France débuterait et que les négociations subsidiaires seraient conclues.

Du reste, [vous direz] au sieur de Rouillé que le choix que Sa Majesté Très Chrétienne avait fait du duc de Nivernois, pour me l'envoyer ici pour quelque temps, afin de me faire part de ses vues, m'était tout-à-fait agréable, de sorte que je souhaitais que sa dignité de duc et pair de France n'empêchât pas, comme je le conçois parfaitement, que nous le puissions garder ici plus longtemps. Il m'est revenu cependant la pensée à cette occasion qu'il y aura des précautions à prendre qu'à son passage pour ici, il ne lui arrive le même accident qui malheureusement arriva autrefois à M. de Belle-Isle, quand à son insu il passa le territoire d'Hanovre à Elbingerode.245-3

Federic.

Nach dem Concept.

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240-4 In der Vorlage verschrieben 29.

241-1 Vergl. S. 170. 231.

241-2 Vergl. S. 228.

242-1 Vergl. S. 240.

242-2 Rouillé.

242-3 Vergl. S. 231.

242-4 Graf Gisors.

242-5 Vergl. S. 169.

242-6 Vergl. S. 113.

243-1 Vergl. S. 226. 227.

243-2 Vergl. S. 143.

243-3 Vergl. S. 225.

243-4 Vergl, S. 237.

243-5 Vergl. Bd. I, 471.

243-6 Vergl. S. 167.

244-1 Vergl. S. 228.

244-2 Bericht Michell's, London 29. Juli.

245-1 Vergl. Bd. X, 106.

245-2 Vergl. S. 218.

245-3 Vergl. Bd. IV, 2. 3.