6955. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Camp de Spandau, 28 août 1755.

Je vous adresse ci-clos l'original d'une lettre fort singulière qui m'est parvenue par la poste de l'ordinaire dernier de la part d'un homme qui m'est parfaitement inconnu, et dont je n'ai jamais entendu parler. Comme cependant la singularité de ce que cette lettre comprend, fait que je voudrais voir au fond de tout ce que cet homme propose, pour développer au mieux quelles sont ses intentions, et qui est proprement celui de la part de qui il vient, de même s'il y a, comme je le soupçonne, un dessous de cartes et de mystère d'iniquité de caché, j'ai écrit à quelqu'un à Stolpe pour dire au susdit personnage qu'il n'avait qu'à aller à Berlin et s'y adresser à vous pour s'expliquer. Ma volonté est donc que, quand cet homme vous arrivera, vous deviez l'examiner au mieux et le tourner de tant de différentes façons que vous puissiez développer et pénétrer le mieux ses prétendues commissions et toutes les circonstances qui y ont du rapport; sur quoi vous me ferez ensuite votre rapport, soit pendant mon séjour en Silésie,277-1 soit après mon retour, selon que les circonstances l'exigeront. Il serait superflu de vous faire convenir de la nécessité de me garder le secret le plus impénétrable là-dessus, de sorte que vous ne parlerez à âme qui vive sur ce sujet. Sur ce, je prie Dieu etc.

Federic.

Stolpe, 21 août 1755.

Sire. C'est avec le zèle et le respect le plus soumis que je viens très humblement de part d'une personne des plus éclairées des affaires du cabinet et du gouvernement de l'empire de Russie, qui est à Saint-Pétersbourg depuis peu privée de quelque emploi qu'elle a possédé auparavant, qui aspire de quitter cet empire où le mérite est si peu récompensé, ledit se proposant que, s'il fût si heureux que de pouvoir entrer au service de Votre Très Gracieuse Majesté, mais, suivant les conjonctures présentes, ne peut obtenir un passe-port, quoique cependant pas Russien de nation, n'étant pas en bonne harmonie avec un des principaux seigneurs de cet empire : c'est pourquoi ledit, ayant consulté depuis quelque temps un dessein avec quelque autre personne de confiance qui ménage les affaires les plus secrètes, pour détrôner la présente souveraine E. P.,277-2 moyennant que Votre Majesté le trouve conforme à Ses intérêts, le moyen trouvé est très praticable, et même dans l'espace de cinq mois; le nombre de ceux qui jouissent des grâces de la souveraine, est si petit en comparaison dune infinité qui n'aspire qu'à ce changement de régence pour prendre la place de ceux qui possèdent les plus grandes dignités. Par ce moyen, tout se trouvera en confusion dans le gouvernement pendant un certain temps, ce qui renversera totalement tous les projets de la maison d'Autriche et d'autres puissances; ces conférences si fréquentes d'un ambassadeur et d'une couple d'envoyés seront entièrement évanouies. l'ans ce temps, dépendra, Sire, de Votre Majesté d'agir en conséquence. Cette augmentation de 70,000 hommes d'infanterie qui se sont levés cette année,277-3 sont pour augmenter les régiments et renforcer les troupes de Livonie et du duché de Courlande, nonobstant un ordre qui est sorti le mois de juin, pour la levée de trois régiments de cavalerie, s'entend un grenadiers à cheval, un de dragons, un de hussards. De surplus, la marine est aussi augmentée de 16,000 hommes pour le rétablisse<278>ment de 50 galères et autres navires qui sont à Reval. Il est très sûr que les troupes du côté de l'Orient ne seront point augmentées; au contraire, le Grand-Seigneur ne demande pas mieux que parfaite harmonie, suivant les propositions qu'il a fait faire par son envoyé d'un nouveau traité de commerce sur la Mer Noire. Cet empire278-1 commence à connaître trop ses forces; c'est pourquoi, pour l'intérêt des voisins, c'est de se servir du moyen très possible pour les affaiblir, sans être obligé d'exposer de braves gens au vis-à-vis d'une nation si farouche; que, plus ils sont battus, plus ils prennent de force, soit par les ressources des hommes qu'ils ont, soit qu'ils apprennent de plus en plus la manœuvre de la guerre. Sire, si je pouvais me flatter d'être si heureux que de parvenir au service de Votre Majesté, c'est uniquement la raison, je me [suis] rendu exprès de Saint-Pétersbourg ici dans les États de Votre Majesté, pour être sans risque plus à portée de recevoir les ordres de Votre Majesté à l'égard des propositions que je prends très humblement la liberté [de faire] de la part du secrétaire et historien, qui est la personne ci-dessus mentionnée.

C'est pourquoi ledit secrétaire, ayant depuis longtemps connu la sincérité de mon cœur et le silence avec lequel je me suis toujours comporté, m'a chargé de cette commission. Comme je ne suis d'aucun soupçon dans la Russie, pouvant entrer et sortir, quand le cas le requiert, par ce moyen. Sire, Votre Majesté peut être informée de tout ce qui se passera jusqu'à cet évènement proposé, si Votre Majesté le trouve convenable. Ce n'est point aucun intérêt qui me fait agir, seulement le zèle le plus sincère, l'ambition d'être au service du monarque du monde le plus gracieux et le plus éclairé; c'est dans ces vœux que j'ai l'honneur d'être avec un très profond respect et soumission, Sire, de Votre Majesté le très humble et très obéissant et soumis serviteur

François d'Onzier,
Suisse.

Nach der Ausfertigung.



277-1 Vergl. S. 273.

277-2 Elisabeth Petrowna.

277-3 Vergl. S. 268.

278-1 Russland.