6967. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

Potsdam, 1er septembre 1755.

Votre dépêche du 22 d'août dernier m'a été fidèlement rendue. S'il arrive, comme je le présume fort, par toutes les raisons que vous m'alléguez, qu'on déplacera M. de Rouillé du département des affaires étrangères, je ne doute guère que ceux qui sont intéressés au changement, ne restent guère là, mais qu'ils continuent à faire sauter encore le comte d'Argenson de sa place. Au surplus, bien que l'abbé de Bernis287-2 soit un fort galant homme, qui a de l'esprit, la conversation agréable et des talents, je doute cependant qu'il ait la tête assez forte pour suffire à un département aussi important que celui des affaires étrangères, surtout dans un temps aussi épineux que celui-ci. Quoi qu'il en soit, vous serez bien attentif sur la suite de ces affaires, afin de m'en avertir bientôt, dès que vous en saurez quelque chose avec précision.

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J'ai appris avec plaisir l'heureuse arrivée du sieur de Dieskau au continent de l'Amérique avec ce qu'il y a mené de troupes, et j'espère que nous saurions bientôt apprendre le succès de sa campagne; mais je ne puis assez bien concilier ce que vous me marquez de l'ordre donné à l'escadre du sieur Dubois de La Mothe de revenir se joindre à celle du comte du Guay, puisque nous savons que l'amiral anglais Boscawen tient bloqué à Louisbourg288-1 une bonne partie des vaisseaux de l'escadre du susdit sieur de La Mothe. Enfin, toutes ces démarches qu'on fait en France pour soutenir la guerre par mer contre les Anglais,288-2 me paraissent d'un succès bien équivoque ou du moins fort éloigné, en attendant que, selon nos lettres de Londres, on continue de fort mauvais propos au sujet de la faiblesse et l'irrésolution de la France, et, ce qui empire le mal, c'est que le ministre d'Espagne à Londres288-3 déclare à chacun qui le veut entendre que le Roi son maître continuera dans ses bonnes dispositions envers l'Angleterre, pour conserver la bonne harmonie avec elle, et ne voudra se mêler aucunement de sa querelle avec la France.288-4

Au reste, je viens d'apprendre288-5 avec surprise que, pendant que la France, en conséquence du post-scriptum de votre dépêche du 19 d'août,288-6 demande mon avis et mes éclaircissements sur la façon dont je pense à l'égard de la Saxe et des engagements à prendre avec celle-ci, elle fait en même temps presser vivement la cour de Dresde de conclure un traité de subsides avec elle et de renoncer aux engagements pris ou à prendre encore avec le roi d'Angleterre. Quoique cette façon d'agir envers moi ne saurait que de me déplaire infiniment, je veux cependant que vous ne deviez pas la relever trop envers les ministres, mais bien leur faire observer, de la manière la plus douce et en des termes bien choisis et les plus propes pour ne choquer en aucune façon la délicatesse desdits ministres, que d'un côté ce serait jeter l'argent en l'eau que d'en donner en subsides à la Saxe, puisqu'elle ne saurait fournir que 6,000 hommes tout au plus, avec lesquels on ne gagnerait pas beaucoup, et que d'autre côté je ne saurais pas être avec les Saxons dans une même alliance.288-7 Vous observez bien cependant que, quant au dernier article surtout, vous vous serviez des mots extrêmement doux et des termes bien ménagés pour le leur faire entendre, en sorte qu'ils en devinent seulement le sens, ou en vous servant d'une bonne tournure, comme si vous faisiez ces propos de vousmême et non pas par ordre, connaissant d'ailleurs ma façon de penser à cet égard. Voilà aussi de quelle manière vous devez procéder dans ce que je vous ai ordonné par ma dépêche précédente sur cet article-là.288-8

Federic.

Nach dem Concept.

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287-2 Vergl. S. 78.

288-1 Vergl. S. 224.

288-2 Vergl. S. 275.

288-3 Abreu.

288-4 Vergl. S. 275.

288-5 Durch Bericht Maltzahn's, Dresden 25. August. Vergl. Nr. 6963.

288-6 Vergl. S. 281. 282.

288-7 Vergl. Bd. VIII, 483.

288-8 Vergl. Nr. 6959.