7267. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

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Knyphausen berichtet, Paris 2. Februar: „J'ai reçu la lettre de Votre Majesté du 17 du mois passe105-2 et me suis rendu aussitôt à Versailles, afin d'informer M. Rouillé de l'insinuation qu'Elle a fait faire au ministère britannique à l'occasion du réquisitoire envoyé en Angleterre par Sa Majesté Très Chrétienne … Je ne saurais dissimuler à Votre Majesté que M. Rouillé n'a été que médiocrement touché de cette communication et qu'après m'avoir dit qu'il en rendrait compte au Roi, il m'a parlé avec beaucoup plus de chaleur que la première fois sur le traité105-3 … en disant qu'il était bien douloureux pour la France de se voir abandonnée dans la conjoncture présente par

Potsdam, 14 février 1756.

La dépêche que vous m'avez faite du 2 de ce mois, m'a été rendue. Après que je vous ai fourni par mes précédentes105-4 tous les arguments et les raisons que vous sauriez opposer à celles des ministres de France touchant les plaintes mal fondées qu'ils font au sujet de ma convention de neutralité d'Allemagne faite avec le roi d'Angleterre, afin de les guérir de leurs soupçons frivoles et de les calmer sur la démarche innocente

celui de ses alliés en qui elle avait eu le plus de confiance, et qu'il était bien plus cruel encore que, par l'effet d'une réticence qui lui paraissait être sans exemple, le même Prince qui venait de faire un traité avec le seul ennemi qu'eût Sa Majesté Très Chrétienne, se fût rendu le dépositaire de ses pensées les plus secrètes et les plus importantes. Qu'il n'avait jamais cru que son ministère servirait d'époque à un évènement aussi affligeant, et qu'après avoir reçu la nouvelle de la conclusion de ce traité, il s'était toujours flatté que Votre Majesté en avertirait au moins le duc de Nivernois et qu'Elle ne recevrait point les participations qu'il était chargé de Lui faire; maïs qu'il venait de voir, par les dépêches qu'il avait reçues de ce dernier, qui étaient du 17 et du 20, que jusqu'à présent Votre Majesté ne lui en avait fait aucune ouverture et que les témoignages particuliers de bonté et de distinction qu'Elle lui avait accordés, avaient même encore augmenté sa sécurité à cet égard. Le sieur de Séchelles, que j'ai vu le même jour, m'a parlé à peu près dans le même sens, en ajoutant cependant qu'il était d'autant plus fâché de la démarche que Votre Majesté venait de faire, que, si le traité qu'Elle avait conclu avec l'Angleterre, n'avait pour objet que la neutralité de l'Allemagne, la cour de France, si on avait agi de concert avec elle, n'aurait vraisemblablement fait aucune difficulté d'y donner son consentement, moyennant de certaines restrictions sur lesquelles il aurait été aisé de s'accorder; mais qu'il me laissait à considérer combien cet évènement devenait affligeant pour sa cour par le mystère qu'on lui en avait fait; quels soupçons il devait naturellement inspirer au Roi, et le ridicule qu'il jetait sur la mission de M. de Nivernois; que, quelque zélé qu'il fût pour la gloire et les intérêts de Votre Majesté,106-1 il n'avait point osé entreprendre de La justifier sur cette démarche et qu'il ne saurait assez m'exprimer combien il était affecté des suites qui pourraient en résulter.“

que j'ai faite, selon que ma situation l'exigeait, j'attendrai tout tranquillement le parti qu'ils voudront prendre, et n'ai besoin que de vos avis exacts sur celui auquel ils se détermineront à la fin. Us seront peut-être de mauvaise humeur, tant qu'ils n'ont que des notices vagues sur cette convention; ils changeront peut-être de ces humeurs, quand ils liront la convention même106-2 et verront par là que je l'ai faite avec tout le ménagement qui a dépendu de moi. Et comme j'ai tout communiqué, et le traité même, au duc de Nivernois,106-3 en lui donnant tous les éclaircissements qui le regardent, qui en a fait son rapport au ministère par le dernier courrier qu'il a dépêché, c'est à présent que vous devez veiller particulièrement d'attention et employer tout votre savoir-faire pour savoir au plus juste de quelle façon les ministres penseront, quand pièces en mains ils auront vu la convention avec toutes les circonstances qui l'ont accompagnée, dont vous me ferez après votre rapport tout naturellement et avec toute la fidélité et l'exactitude requise, afin que je me puisse y diriger.

J'ai usé à l'occasion de ladite convention de tout le ménagement pour la France dont j'ai été capable; il me semble que leur grand objet devait être l'Angleterre, mais, s'ils veulent tourner toute leur rage et leur haine contre moi ou continuer à chipoter avec les Autrichiens,106-4 je veux bien vous communiquer mes idées sur tous les partis qu'ils sauront prendre, afin

 

que vous pénétriez lequel entre tous ils voudront choisir préférablement aux autres, savoir de marier une des dames de France à l'archiduc Joseph,107-1 de promettre à la Reine-Impératrice de ne pas vouloir s'opposer à l'élection d'un roi des Romains et de lui garantir ses États et stipuler d'ailleurs qu'ils ne voudront point se mêler de la guerre, quand la Reine-Impératrice m'en ferait pour reprendre la Silésie. Voilà les propositions sur lesquelles je présume que les conférences que les ministres ont eues avec le comte de Starhemberg, peuvent avoir roulé et sur lesquelles ils pourront avoir instruit le sieur d'Aubeterre à Vienne. Je crois cependant avoir tout lieu de présumer que l'Impératrice-Reine ne refusera pas entièrement ces offres, mais qu'aussi elle ne voudra point entrer d'abord entièrement là-dessus.

Il se peut encore que les ministres de France ont offert une neutralité des Pays-Bas et promis de ne pas les attaquer pendant les troubles présents avec l'Angleterre. Si cette offre est l'unique, je ne comprends pas ce qu'ils en gagneraient, ce qui ne vaudrait la peine, à moins qu'ils n'y eussent ajouté qu'en cas qu'ils stipuleraient cette neutralité et d'autres avantages encore à la Reine-Impératrice, celle-ci s'engagerait de leur laisser la liberté d'attaquer les États d'Hanovre, et de ne point donner en secours au roi d'Angleterre les troupes d'ailleurs stipulées, au contraire de laisser la liberté à ladite Princesse de m'attaquer selon sa convenance, quand je voudrais porter du secours à l'Hanovre. Pour donc bien pénétrer ce que le ministère de France chipote avec la cour de Vienne, vous y mettrez votre plus grande attention, puisque vous sauriez bien croire que c'est à présent la chose qui m'importe extraordinairement pour en être instruit à fond.

Ce que je vois qui pique le plus les ministres de France, c'est que la convention avec l'Angleterre a été signée pendant le temps que le duc de Nivernois a été en chemin pour venir ici. A cela, je réponds que, supposé que j'envoyasse mon frère en France pour y faire des propositions de ma part et qu'en attendant son arrivée la France se vît pressée de faire un traité convenable à ses intérêts les plus essentiels, mais d'ailleurs point préjudiciable aux miens, quelle bonne raison pourrais-je trouver pour en faire le mécontent? et la France, se serait-elle arrêtée de conclure son traité?

D'ailleurs, il faut que vous sachiez que le ministère anglais a négocié sur ma convention avec telle promptitude que tout a été expédié en peu de semaines et de sorte que, par la distance des lieux qui est bien plus courte de Londres à Paris que de Londres à Berlin, la France a pu être plus tôt avertie de la conclusion de la convention que je l'ai été presque moi-même, et que l'intervalle de toute la négociation a été de si peu de durée que je n'ai pas été à même de donner plus tôt part à vous des propositions de l'Angleterre que je l'ai fait effectivement.

 

Pour ce qui regarde les doléances que M. de Rouillé vous a fait marquer sur ce que le duc de Nivernois m'avait fait le dépositaire des pensées les plus secrètes du Roi son maître, vous pouvez bien lui dire que le duc de Nivernois ne m'avait rien communiqué dont je n'avais pas été informé depuis assez de temps, dont, malgré cela, je n'avais fait et ne ferais de ma vie un mauvais usage, et que je me flattais au surplus qu'on ne voudrait pas m'attribuer une façon de penser aussi indigne que celle-là. Dans la rage présente où M. de Rouillé se trouve, je sais bien que tout ceci opèrera peu sur son esprit, cependant il sera toujours bon que vous tâchiez de le calmer.

Au surplus, ce qui peut vous servir de baromètre pour pénétrer au juste les intentions des ministres, c'est que vous observerez si, après que le dernier courrier108-1 du duc de Nivernois est arrivé, ledit ministère continuera toujours dans la même fougue et de s'exprimer avec emportement; car si, après l'arrivée dudit courrier, le calme ne se retrouve pas et que les hauteurs continuent, dans ce cas-là il est très nécessaire que vous notiez tout, afin de m'en instruire bien et à temps, et que même vous me dépêchiez un exprès en courrier, supposé que vous trouviez les choses d'assez d'importance que vous aurez à me mander, afin qu'elles parviennent bientôt à ma notice.

Ce serait un évènement assez singulier pour moi, si les ministres de France voulaient supporter bien patiemment toutes les insultes et affronts que leurs ennemis déclarés leur font, et qu'ils voulussent au contraire s'irriter et s'aigrir sur la démarche la plus innocente que j'ai faite. Au reste, de chercher le consentement des liaisons qu'on prend, c'est que l'on peut bien prétendre de ceux qui nous sont liés en vassaux, mais non pas de souverains.

Federic.

Nach dem Concept.



105-2 Vergl. Nr. 7199 S. 37.

105-3 Vergl. S. 71. 93.

105-4 Vergl. Nr. 7220. 7236. 7258.

106-1 Vergl. Bd. XI, 36. 89.

106-2 Vergl. S, 61.

106-3 Vergl. S. 48.

106-4 Vergl. S. 95. 96.

107-1 Vergl. S. 100. 101.

108-1 Vergl. S. 68.