7550. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE FINCKENSTEIN A BERLIN.

Stettin, 7 juin 1755.

Je ne doute pas que vous ne soyez déjà informé de ce que le chargé d'affaires à la Haye, de Hellen, nous a rapporté par ses dépêches du 31 de mai et du 1er de ce mois, et ma volonté est que vous devez d'abord prendre occasion d'en parler à M. Mitchell, en lui laissant lire des originaux ce qu'elles comprennent par rapport au nouveau chipotage entre la cour de France et celle de Russie386-1 par l'entremise de l'Autriche. Après ceci fait, vous direz à M. Mitchell de ma part tout exactement ce qui suit, savoir qu'après ce nouvel et dangereux évènement il ne restait à moi et à l'Angleterre que de former incessamment entre nous un concert pour y obvier d'une façon ou d'autre, afin de ne pas y penser, quand il n'y aura plus de temps d'y remédier, quand la besogne de l'autre côté sera toute faite. Que, préalablement, j'assurais Sa Majesté Britannique que, quelque train que les affaires publiques présentes prendraient, je remplirais toujours religieusement mes engagements où j'étais avec elle; qu'en combinant ces nouvelles de la Haye avec les liaisons que les cours de Vienne et de Versailles venaient de prendre ensemble, j'avais tout lieu d'en tirer la conséquence que ces deux cours sont convenues entre elles de tirer la Russie dans leurs concerts, et que ce saurait être la raison pourquoi la cour de Vienne s'est expliquée aussi vaguement et ironiquement envers le sieur Keith,386-2 ne voulant pas rendre publique sa convention faite avec la France, avant que de voir si la Russie s'accordera avec la France.

Parmi ces circonstances, je crois que le premier point principal et très nécessaire sera que l'Angleterre ne perde nul temps — comme le sieur Michell m'a marqué dans ses dernières dépêches que l'Angleterre est déjà intentionnée de le faire386-3 — pour employer tous ses efforts pour voir s'il y a moyen de détourner la Russie d'un pareil engagement et pour la faire rester fermement attachée à l'Angleterre.

Mais, le cas supposé que tous ces efforts seraient faits gratuitement et qu'il n'y eût plus moyen de détourner la Russie des liaisons à prendre avec la France et l'Autriche, il sera d'une nécessité absolue de songer<387> à des arrangements à prendre, pour ne pas succomber contre un parti si formidable et supérieur. Dans le cas donc que la Russie change de parti et abandonne l'Angleterre, mon avis est que celle-ci fasse travailler d'abord par son ministre à Constantinople387-1 pour gagner la Porte Ottomane, afin qu'au cas que la Russie ou l'Autriche commencent à remuer, les Turcs fassent une déclaration énergique et vigoureuse aux Autrichiens et aux Russes ou qu'ils déclarent la guerre à l'une ou à l'autre de ces deux puissances, pour que nous puissions, pour ainsi dire, respirer et faire des diversions à ceux qui veulent nous accabler. D'ailleurs, je crois que, si les nouvelles, d'un concert entre la France et la Russie se confirment, il sera nécessaire que Sa Majesté Britannique augmente ses troupes au nombre de ce qu'elle a fait transporter en Angleterre, pour remplir ce vide.387-2

Comme aussi, en conséquence de ce que le sieur Michell m'a marqué dans ses dernières dépêches,387-3 le ministère britannique demande mon avis sur les princes de l'Empire qu'on saurait s'attacher par des subsides pour fournir des troupes, j'estime qu'il n'y aura rien de plus utile que de s'attacher l'électeur de Cologne,387-4 et comme, de plus, le traité de subsides de la France avec le duc de Brunswick va finir au mois de décembre qui vient,387-5 on saura avoir de celui-ci 4 à 5,000 hommes. Il y a, de plus, le landgrave de Hesse-Cassel, qui, contre une augmentation des subsides,387-6 saurait encore fournir un pareil nombre de troupes, outre celles qu'on en a déjà fait transporter en Angleterre. Pour ce qui regarde la Bavière, je ne sais pas si, vu la situation éloignée et confinante à l'Autriche,387-7 l'électeur de Bavière sera à même d'envoyer à point nommé ses troupes là où Sa Majesté Britannique le trouvera nécessaire. Quant à la Saxe, personne n'ignore presque pas que son premier ministre est autrichien de cœur et d'âme et que par là il y aura tout à risquer; que plutôt que d'en tirer aucun secours, on n'aurait qu'un allié équivoque, qui ne ménagerait pas trop bien le secret de nos concerts; pour ne pas parler ici de ses ménagements à observer envers la France, par rapport à la Dauphine,387-8 et de l'état extrême de faiblesse où la Saxe se trouve,387-9 de sorte qu'on ne saurait pas s'en promettre beaucoup d'assistance. Mais si l'Angleterre veut avoir d'autres princes de l'Empire, il y a les maisons de Gotha387-10 et d'Eisenach avec d'autres princes qui sauront aisément fournir quelques mille hommes.

Enfin, pour récapituler mon sentiment, je dis qu'il faudra qu'en premier lieu et principalement l'Angleterre tâche par tous les moyens convenables de se conserver la Russie, pour la défection de laquelle les Autrichiens emploient leurs efforts; car, en ce cas-là, et si l'Angleterre garde à sa disposition la Russie, nous n'aurons point à appréhender la<388> guerre en Allemagne. En second lieu, et au cas qu'il n'y ait plus moyen d'empêcher la défection de la Russie, de nous rendre incontinent, le roi d'Angleterre de son côté et moi du mien, aussi formidables, par des levées de troupes, par des subsides etc., que les forces et la situation de chacun de nous le permettent, afin que nous soyons en état de nous opposer vigoureusement l'année qui vient aux entreprises de l'ennemi. Et comme d'ailleurs il faudra nécessairement songer à des diversions à faire contre un ennemi qui nous attaquera avec des forcés si grandes et supérieures, dans le cas que la Russie se déclare pour la France et l'Autriche, il n'y aura de reste aucun moyen plus efficace que d'employer les Turcs pour faire la diversion.

Ce sont mes sentiments, que j'abandonne cependant au jugement et à la pénétration du roi d'Angleterre et de son ministère, pour aviser s'il y a d'autres moyens convenables pour prendre un meilleur parti. Mais, supposé qu'il n'y en ait point et qu'il faille recourir à la Porte Ottomane, je crois qu'alors il ne faudra pas tarder de mettre les fers au feu, vu le grand éloignement des deux États et les circonstances qui accompagnent une telle négociation, afin que, dans le cas que la Russie manquât à l'Angleterre, elle sache compter sûrement sur les Turcs.

Il y a encore une chose sur laquelle je souhaiterais que les ministres voulussent me dire nettement et sincèrement leur sentiment; c'est que si, à l'évènement que la Russie prît parti avec la France pour agir contre moi, afin de ne pas pouvoir mettre obstacle aux Français d'envahir l'Hanovre, je pourrais compter alors que l'Angleterre enverrait une flotte dans la Baltique. Sur quoi, je souhaite seulement de savoir leur intention et jusqu'où ils sauraient aller ou non en ceci, afin de pouvoir prendre mon parti là-dessus.

Au surplus, je ne veux point recommander le dernier secret sur tout ceci, tant à M. Mitchell qu'aux ministres d'Angleterre, étant assuré qu'ils me le garderont religieusement pour leurs propres intérêts.

Quant à ce que le ministère anglais demande par rapport aux insinuations à faire de ma part à la république de Hollande,388-1 pour se mettre en état de défense en augmentant ses forces, vous direz à M. Mitchell que, quelque bonne volonté que j'aie pour m'y prêter, je n'avais cependant aucun parti, ni engagement avec ceux qui sont du parti stathoudérien, ni avec ceux qu'on nomme le parti pacifique; mais que, si le ministère croyait être de quelque utilité, quand je donnerais des instructions à mon chargé d'affaires à la Haye, pour aller de concert avec le ministre anglais qui y réside, je le ferais avec bien du plaisir.

Vous ne manquerez pas d'expliquer tout ce que dessus à M. Mitchell, et vous devez même lui laisser lire tout au long cette lettre et lui permettre de s'en faire une note ou extrait, afin d'en informer au plus tôt<389> sa cour, même par un autre courrier, s'il le croit convenable et nécessaire, conformément aux circonstances présentes.

J'attends le rapport que vous me ferez sur l'entretien que vous aurez eu avec ce ministre sur tous ces objets, et, sur ce, je prie Dieu etc.

Federic.

Toute cette affaire roule sur deux points. L'un est de gagner la Russie, c'est ce que le roi d'Angleterre se propose de faire; s'il y réussit, l'Allemagne demeurera tranquille et nous n'aurons rien à craindre. L'autre est — supposant que les nouvelles qui sont venues de la Haye, se confirment, et que l'on persuade à l'impératrice de Russie de renoncer aux engagements qu'elle a pris avec l'Angleterre — de se tourner du côté des Turcs et d'y répandre de l'argent pour s'assurer d'une diversion de leur part, et en même temps de faire de deux côtés, le roi d'Angleterre et moi, toutes les augmentations spécifiées dans le gros de la dépêche, pour nous mettre en état de résister à toutes les entreprises de nos ennemis. Je crois qu'il n'y a pas de temps à perdre pour tout ceci, et que, si on ne prend pas ses mesures d'avance à Constantinople, au cas que nous échouions à Pétersbourg, il nous arrivera de prendre nos mesures trop tard. Le meilleur de tous les partis serait celui de la paix; mais, au cas qu'il n'y ait pas moyen de la faire entre ci et la fin de l'année, il faudra penser de bonne heure aux moyens de se défendre, et ne rien négliger pour notre mutuelle conservation. Dites à M. Mitchell qu'il ne s'agit pas de pommes, mais des intérêts les plus graves de la Prusse et de l'Angleterre, et que la moindre négligence dans nos mesures présentes pourra causer avec le temps notre ruine mutuelle.

Nach der Ausfertigung. Der Zusatz eigenhändig.



386-1 Vergl. über den Inhalt des Hellen'schen Berichtes vom 31. Mai Nr. 7551. Der Bericht vom 1. Juni wiederholt die Nachrichten vom 31. Mai.

386-2 Vergl. S. 362. 363.

386-3 Bericht Michell's, London 28. Mai. Vergl. Nr. 7551.

387-1 Porter.

387-10 Vergl. Bd. XI, 248. 249.

387-2 Vergl. S. 329.

387-3 Bericht Michell's, London 28. Mai. Vergl. Nr. 7551.

387-4 Vergl. S. 329.

387-5 Vergl. Bd. XI, 192.

387-6 Vergl. Bd. XI, 226.

387-7 Vergl. Bd. XI, 434.

387-8 Vergl. S. 19. 159; Bd. XI, 342. 382.

387-9 Vergl. S. 332; Bd. XI, 485.

388-1 Bericht Michell's, London 28. Mai. Vergl. Nr. 7551.