8353. AU MINISTRE DE LA GRANDE-BRETAGNE MITCHELL A DRESDE.

Dresde, 20 novembre 1756.

Monsieur. Afin de ne pas laisser rien ignorer à votre cour de ce que mes dernières lettres de France m'ont appris de circonstances intéressantes, je vous fais communiquer confidemment encore les notes ci-jointes que j'en ai fait faire, ne doutant pas que vous ne les envoyiez à votre cour, pour qu'elle ne laisse pas d'en être instruite. Et, sur ce, je prie Dieu etc.

Federic.

Voici60-4 encore le projet de campagne qu'en conséquence de ce que le colonel Lentulus60-5 m'a dit, votre cour désire d'avoir de, ma façon, et que vous prendrez la peine de lui faire parvenir bientôt avec tout le secret et toute la sûreté requise.

L'on60-6 persiste toujours dans la résolution de vouloir attaquer Wésel au printemps prochain, et je sais de mes amis qu'on a une secrète joie ici de voir que Sa Majesté Prussienne ne prenne aucunes mesures pour mettre cette place en état de défense, comme l'on prétend en être informé ici. D'où l'on conjecture qu'elle n'est point informée de ce projet, ou bien qu'elle se repose à cet égard sur l'assistance qu'elle attend de la part de la Hollande, des dispositions de laquelle pour le système de la neutralité on croit être assuré ici.

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Il est61-1 arrivé ces jours passés un courrier de Vienne, des dépêches duquel il n'a rien transpiré, quoiqu'elles aient donné lieu à différentes conférences très étendues entre M. Rouillé et le comte Starhemberg. Mais l'on prétend savoir que l'Impératrice-Reine commence enfin à entrer dans les vues de la France par rapport à l'emploi du corps auxiliaire proposé par cette dernière,61-2 quoiqu'avec de certaines modifications sur lesquelles on n'est pas encore d'accord. En attendant, je sais de bon lieu que quelques-unes des pièces justificatives qui sont jointes au mémoire que la cour de Berlin vient de publier,61-3 ont fait beaucoup d'impression sur différents membres du Conseil, qui n'ont pas fait difficulté de blâmer la conduite des cours de Vienne et de Saxe et de s'en expliquer en termes très énergiques. Mais si la publication de cet écrit a dessillé les yeux à une partie du Conseil et lui a inspiré plus de modération qu'il n'en a témoigné jusqu'à présent, il s'en faut de beaucoup que les symptômes de changement se manifestent dans la conduite et le langage du Roi. Il m'est non seulement revenu de plus d'un endroit que ce Prince a été vivement affligé de la démarche à laquelle le roi de Prusse a su réduire l'armée saxonne; mais il m'a été confié aussi que, dans l'audience qu'il a donnée ces jours passés à l'abbé Migazzi, qui vient d'arriver d'Espagne, pour retourner à Vienne,61-4 il a chargé cet ambassadeur d'assurer l'Impératrice-Reine qu'elle pouvait être persuadée que l'amitié qu'il lui avait vouée, serait indissoluble. Il est certain que le comte de Starhemberg ne saurait que s'alarmer de voir que, malgré toute l'adresse dont a usé sa cour pour fasciner les yeux du ministère de France et de la nation, ce bandeau commence à tomber, et qu'il n'y a presque plus personne qui ignore les inconvénients du traité de Versailles et qui n'en parle avec le plus grand mépris. Mais la prévention opiniâtre du roi de France en faveur des nouvelles liaisons qu'il a formées, et l'aigreur personnelle qu'il a conçue contre le roi de Prusse, seront peut-être les plus grands obstacles qu'on aura à combattre en pareil cas. Ce qui concerne, au reste, les différends qui viennent de s'élever entre le roi de Danemark et les cours de Vienne et de Pétersbourg,61-5 il y a plusieurs semaines qu'on en est instruit ici, et qu'on craint que cette tracasserie qu'on accuse le roi de Prusse de fomenter, ne dégénère en une rupture ouverte. M. de Wedell-Friis, qui est chargé ici des affaires de la cour de Danemark, dit même sans déguisement que le Roi son maître ne souffrira jamais qu'on fasse aucune démarche qui puisse tendre à invalider ou à anéantir l'élection du Prince son fils en qualité de coadjuteur à l'évêché de Lübeck, mais qu'il s'y opposera de toutes ses forces.

Les dernières lettres61-6 qu'on a reçues devienne, portent que l'Imperatnce-Reine ne désapprouvait à la vérité pas le projet de diversion<62> qu'on avait formé ici contre le duché de Clèves,62-1 mais que, comme la saison présente ne permettait pas qu'on pût entreprendre tout à l'heure le siège de Wésel, et que la capitulation de l'armée saxonne ouvrait au roi de Prusse l'entrée de la Bohême et pourrait peut-être le mettre à portée de prendre ses quartiers d'hiver dans cette province, la cour de Vienne espérait que Sa Majesté Très Chrétienne voudrait bien marcher à son secours le plus promptement qu'il serait possible, en lui envoyant les 24,000 hommes stipulés par le traité de Versailles, sauf à se concerter ensuite sur les opérations par lesquelles il conviendrait de faire l'ouverture de la prochaine campagne. L'on prétend que M. Rouillé a eu ordre de répondre à cette proposition du comte Starhemberg que, supposé que les suites qui pourraient résulter de la capitulation ci-dessus indiquée, rendissent le secours des 24,000 hommes absolument nécessaire pour couvrir les États de l'Impératrice-Reine, Sa Majesté Très Chrétienne ne refuserait pas en pareil cas de les faire marcher sur-le-champ; mais qu'il lui semblait qu'auparavant d'aller en avant et de rien décider à cet égard, il faudrait attendre que le comte d'Estrées se fût concerté avec le ministère autrichien sur les différents objets qu'il était chargé de lui communiquer; qu'en attendant on ferait toutes les dispositions nécessaires pour la marche du corps auxiliaire, et que, si l'Impératrice-Reine continuait à persister dans la même résolution, on pourrait, par les arrangements qu'on allait prendre, commencer à le faire défiler à la fin de ce mois ou au commencement du mois prochain. On a effectivement tenu depuis ce temps différents comités militaires, et le maréchal de Belle-Isle, qui dirige tous les arrangements qu'on prend dans ces assemblées, a insinué à différents colonels dont les régiments font partie du corps auxiliaire, qu'il pourrait bien arriver qu'ils reçussent ordre de marcher à la fin de ce mois. L'emploi du corps auxiliaire est donc jusqu'à présent tout aussi indécis que l'est le temps de sa marche, et on ne sera éclairci à ce sujet d'une manière positive que lors de l'arrivée des premières dépêches du comte d'Estrées qu'on attend ici avec la plus grande impatience. En même temps, malgré l'incident dont on vient de rendre compte, l'on continue à s'occuper très sérieusement du projet de diversion qu'on a proposé dans le Conseil, concernant le pays de Clèves et l'électorat d'Hanovre, et on discute ces deux objets avec le plus grand soin, quoiqu'on n'ait fait jusqu'à présent aucunes dispositions militaires qui puissent regarder leur exécution. Différents officiers généraux ont promesse du comte d'Argenson et de la Marquise d'être employés, au cas que le corps auxiliaire soit renforcé et porté au delà du nombre stipulé par le traité de Versailles.

Malgré tous ces préparatifs, il est certain que la nation commence à revenir des préjugés dans lesquels elle se trouvait à l'égard du traité de Versailles et de l'entrée du roi de Prusse en Saxe, et qu'on blâme<63> le premier avec autant de chaleur qu'on parle avec modération de cette dernière. Aussi la faction autrichienne qui s'aperçoit que l'esprit de vertige qui s'était emparé de la nation, commence à se dissiper, et que le nouveau système qu'on a adopté, ne se soutient presque plus que par l'animosité que le roi de France paraît avoir contre le roi de Prusse, fait tout ce qu'elle peut, pour fortifier ce sentiment. Il m'est même revenu qu'elle a eu l'impudence de supposer des lettres où l'on prétend que le roi de Prusse aurait dit entre autres choses qu'il irait prendre des quartiers d'hiver en Alsace et se serait servi d'expressions méprisantes en parlant du secours des 24,000 hommes, comme de les appeler demi-hommes, et d'autres calomnies de la même espèce qu'on a fait passer jusqu'à la personne du Roi, qui en a parlé publiquement, comme d'une chose dont il était certain. Ces mauvais propos qui ont percé à la cour et se sont répandus dans le public, ont donné lieu à une infinité d'autres fictions qui sont de nouvelles armes dont on se sert pour irriter le Roi et la nation contre le roi de Prusse, et qui, si elles ne sont contredites promptement, prendront crédit et passeront pour des faits constants.63-1

Nach der Ausfertigung im British Museum zu London.



60-4 Nr. 8354.

60-5 Vergl. S. 56.

60-6 Aus dem Immediatbericht Knyphausen's, d. d. Paris 1. November.

61-1 Aus dem Immediatbericht Knyphausen's, d. d. Paris 5. November.

61-2 Vergl. S. 39.

61-3 Vergl. Bd. XIII, 510.

61-4 Vergl. Bd. XIII, 50.

61-5 Vergl. S. 59.

61-6 Aus dem Immediatbericht Knyphausen's, d. d. Paris 8. November.

62-1 Vergl. S. 39. 60.

63-1 Vergl. 8356 S. 66—68.