9865. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

[Grüssau,] 25 mars 1758.

Mon cher Frère. Je n'ai pu vous écrire de quelques jours, à cause d'une terrible colique accompagnée de fièvre, qui m'avait mis sur le grabat. Ce délai m'a procuré des lettres du prince Ferdinand, qui m'ont donné des éclaircissements sur bien des choses, s'entend il me marque que les Français ont abandonné Hameln et Rinteln,327-2 d'où je tire la conséquence certaine qu'ils seront obligés d'abandonner le pays de Hesse, et à présent je peux supposer sans témérité que tous ces brigands passeront le Rhin, ne trouvant plus rien à piller en Allemagne.

J'en viens à présent à ce qui vous regarde, mon chère frère, et pour ne vous rien laisser à désirer sur mes idées, je vais vous les expliquer de mon mieux. Selon ce qui est parvenu à ma connaissance, vous n'aurez vis-à-vis de vous, que les troupes de l'Empire et le vieux Wenzel Wallis, qui est un vieux coïon. Si, de mon côté, je parviens à gagner deux marches sur l'ennemi, je me trouve avant l'armée de Daun vers Olmtitz.327-3 Ceci, comme je l'espère, l'engagera à une bataille, où, comme je l'espère, il sera battu. En ce cas, vous jugez bien qu'ils rassembleront toutes les forces qu'ils pourront en Moravie, pour couvrir<328> Vienne, et voilà le moment dont vous pourrez profiter pour talonner ces gens, qui ni plus ni moins seront obligés d'aller en Moravie. Si avec cela les Cercles ne reçoivent qu'une chiquenaude, ils s'enfuiront tous, et de toute l'année il n'en sera plus question. Si personne ne vous empêche de pousser en avant, vous pouvez alors marcher droit sur Prague, faire venir votre artillerie par l'Elbe jusqu'à Leitmeritz, faire l'investiture d'un des côtés de la ville avec de la cavalerie, et de l'autre, où vous jugerez à propos, d'ouvrir la tranchée avec de l'infanterie. Dans le cas que je suppose, l'ennemi n'y aura pas une forte garnison, et la prise de la ville ne sera qu'une affaire de 8 jours de tranchée. Si, contre toutes les apparences, Soubise revenait dans ces entrefaites — de quoi cependant je doute beaucoup —, il faudrait vous tourner du côté de Leipzig, parcequ'il y a cent à parier contre un que les ennemis n'attaqueront pas Dresde, qu'ils se verraient forcés de ruiner, pour nous le prendre. Voilà, mon cher frère, tout ce que je peux vous dire sur des choses incertaines; souvenez-vous toujours qu'au cas que le nombre de nos ennemis surpasse de beaucoup vos forces, qu'il faut défendre l'Elbe et par conséquent en éloigner l'ennemi le plus qu'il est possible. Pour ce qui regarde ici nos opérations, nous préparons tout pour le siège de Schweidnitz. Mes messieurs me lanternent un peu, cependant j'ai envoyé Fouqué avec un détachement dans le comté; il a surpris le 21 ce redoutable Jahnus à Habelschwerdt,328-1 lui a pris 200 pandours et tout son équipage. Cette petite affaire aurait été plus décisive, si des chemins, dont vous ne sauriez vous faire des idées, n'avaient empêché nos troupes de profiter de leurs avantages. Ce petit succès a forcé les Autrichiens d'abandonner Braunau et toute la lisière de ce côté-là. Il faudra voir s'ils voudront encore entreprendre de faire lever le siège de Schweidnitz; je ne les crains point, et j'attends que les chemins deviennent praticables, non point pour les attaquer, mais pour éprouver leur contenance et leur donner un petit camouflet qui me les éloigne davantage de mon voisinage. Adieu, mon cher frère, je vous embrasse de tout mon cœur, vous assurant de la tendre amitié, avec laquelle je suis, mon cher frère, votre fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



327-2 Vergl. Nr. 9864.

327-3 Vergl. S. 304.

328-1 Vergl. S. 325.