9895. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

Grüssau, 5 [avril 1758].

Mon cher Frère. Vous connaissez le penchant des Saxons et surtout de la cour pour les Autrichiens; cela me fait espérer d'en profiter, pour leur mieux cacher mon plan de campagne qui vous est connu.355-5 Dès que vous recevrez la nouvelle que Schweidnitz est pris, ayez la bonté de répandre le bruit sous main, comme si c'était par indiscrétion, que nous exécuterions cette année le même plan de l'année passée.355-6 Si cela ne dérange pas trop vos affaires, tâchez de faire le semblant d'assembler beaucoup de chariots pour le transport des vivres et fourrages en Bohême, pour que cette apparence les séduise et les éloigne d'autant plus de deviner quelle est mon intention.

Mes artilleurs me font donner au diable. Vous ne sauriez croire quelles peines l'on a pour leur faire faire leur devoir, cela est épouvantable. Dieskau se hérisse de difficultés et n'achève rien, tant vaudrait-il être un bouvier que de conduire de pareilles bêtes.355-7

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Vous saurez sans doute que les Français ont abandonné Wésel.356-1 Quels cotons, mon cher frère! Revenez des préjugés favorables que vous aviez pour eux à Erfurt.356-2 Leurs officiers ont un jargon militaire qui en impose; mais ce sont des perroquets qui ont appris à siffler une marche, et qui n'en savent pas davantage. J'espère que vous en conviendrez à présent, et que vous voyez que tous les hommes, quels qu'ils sont, font des sottises, et que ceux qui valent le mieux, font les moins grossières.

Voilà, mon cher frère, le propre de l'humanité. La carrière de la sagesse est plus bornée que l'on pense; la perfection ne se trouve en aucun genre; l'on tourne alentour, on en approche, mais on ne l'atteint jamais. Vous me donnerez au diable avec ma morale; je ne saurais qu'y faire. Ce sont des vérités humiliantes pour l'humanité qui n'en restent pas moins vraies, mais qui n'empêchent pas d'agir comme si nous étions parfaits.

Adieu, mon cher frère, je vous embrasse. Ne m'oubliez pas, aimezmoi un peu, et soyez sûr de la tendresse avec laquelle je suis, mon cher frère, votre fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



355-5 Vergl. S: 304.

355-6 Vergl. Bd. XIV, 555. 556.

355-7 Vergl. Nr. 9898. 9901.

356-1 Vergl. Nr. 9894. Anm. 3.

356-2 Vergl. Bd. XV, 341—380.