10001. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Au camp de Prossnitz, 18 mai 1758.

Ma très chère Sœur. Votre lettre m'a fait tout le plaisir imaginable, me servant de preuve de votre meilleure santé. Quant au reste, ma chère sœur, des choses qui se passent il n'y en a aucune qui soit sans remède; ce qui regarde votre précieuse santé, n'en est pas de même : vous êtes si délicate que la moindre chose peut renverser votre tempérament. Je vous conjure de vous conserver et de penser que, sans vous, toutes les prospérités de l'univers me paraîtraient insipides.

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Mon canon commence d'arriver, et dans quelques jours l'on pourra ouvrir la tranchée devant Olmütz. Voilà, ma chère sœur, où nous en sommes. M. de Daun a été à Leutomischl, selon mes dernières nouvelles, et je ne sais quand il reviendra en Moravie. On dit que les Français recommencent à faire des gasconnades, il faudra voir comment ils les soutiendront; ils parlent le même langage que du temps de Louis XIV; mais ils n'ont ni les Turennes ni les Condés, pour appuyer leurs rodomontades :

La montagne en travail enfante une souris.20-1

Enfin, ma chère sœur, il faut prendre encore un peu de patience, pour voir comment tout ceci tournera, et comment la Très-Sainte Fortune en voudra décider.

Je ne vous entretiens pas de bagatelles, ma chère sœur, je ne vous rends pas compte d'un petit avantage que nous avons eu sur l'ennemi dans un combat de cavalerie, et que le général de Ville s'est retiré derrière Brünn : ce sont de ces choses qui peuvent s'écrire, mais qui ne décident pas de la guerre.

Daignez, je vous en conjure, me conserver votre précieuse amitié, et soyez persuadée que rien au monde n'est capable d'altérer les sentiments tendres et reconnaissants avec lesquels j'ai l'honneur d'être, ma très chère sœur, votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



20-1 La Fontaine, Fabeln.V, 10.