11733. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Quartier de Pretzschendorf, 1er janvier 1760.

Je n'ai point eu de vos nouvelles depuis le 30 du novembre dernier.

Secret et soli, que vous prendrez la peine de déchiffrer vous-même. Comme je crois, vu le grand éloignement où vous êtes, qu'il se pourrait faire que vous n'eussiez pas une idée parfaite de la véritable situation où je [me] trouve, j'ai cru devoir la vous détailler tout au long, au moins pour votre direction seule, et que vous puissiez juger par là combien la paix nous est nécessaire et combien encore il serait à désirer qu'on ne la fît pas venir par grandes menées. Je vous avoue que je comprends tous les obstacles qui pourraient s'y opposer, mais cela n'empêche pas que, si la France et l'Angleterre puissent convenir entre elles de la pacification, que les cours de Vienne et de Russie ne soient obligées de s'y conformer.

Voici donc ce fidèle tableau de la situation où je me trouve. Comme, malgré tous les mouvements et les marches que j'ai faits ici, et les jalousies que j'ai données au maréchal Daun, et nonobstant que du secours que le prince Ferdinand m'a envoyé, je n'ai pu obliger Daun de quitter ses postes à Dresde et à Dippoldiswalde, par leurs situations faites de nature inattaquables, et que je [me] vois obligé de renvoyer au prince Ferdinand le renfort des troupes alliées, par le besoin qu'il en a dans sa situation actuelle, je ne vous dissimulerai point celle dans laquelle je vais tomber incessamment.

Daun3-1 se propose de rester dans sa situation ici tout l'hiver et de faire venir les troupes de l'Empire en Bohême. Il se propose de recommencer ses opérations de bonne heure, ce qui me fait prévoir, à peu près, tout ce qui pourra nous en arriver. De ce que3-2 l'ennemi voudra commencer ses opérations, il fera avancer les troupes d'Empire par Marienberg dans le Voigtland,3-3 ce qui m'obligera incontinent d'abandonner Freiberg et de retirer mes troupes d'ici à Nossen. Il enverra un gros corps par la Lusace du côté de Torgau pour me tourner de ce côté-là, et avec le gros de son armée il n'avancera qu'à pas lent pour me recogner du côté de l'Elbe. Je n'ai qu'en tout ici que 42 ba<4>taillons et environ4-1 70 escadrons, ce qui vous mettra en état de juger si je serai guère en état de faire des détachements et si je puis, en cas que les Russes marchent du côté de la Silésie ou de la Poméranie, leur opposer une armée suffisante.

Ainsi, de quelque façon que la guerre se tourne, si les opérations commencent, je dois m'attendre aux plus horribles catastrophes. Si vous ajoutez à cela qu'étant obligé de resserrer, pendant tout cet hiver, l'armée en cantonnements étroits, je dois m'attendre naturellement à beaucoup de maladies4-2 et de mortalité, que je ne serai peut-être pas en état de réparer; vous verrez par ceci le tableau ébauché de la cruelle situation dans laquelle je me trouve; il n'y a en tout ceci qu'une seule ressource et qui est encore bien casuelle, ce serait que le Ciel inspirât à M. Daun le dessein de m'attaquer, et c'est [ce] que j'ose à peine espérer, vu sa façon circonspecte et timide d'agir. Je me flatte, j'avoue, que la paix pourrait terminer tout ceci; mais il faudrait encore qu'elle se fît promptement, et je crains la quantité des prétentions différentes, la difficulté d'accorder l'Angleterre et la France et, surtout, les artifices de la cour de Vienne pour traverser les négociations et les rendre inutiles. Mais cela n'empêche pas que la France et l'Angleterre puissent convenir d'une pacification et, comme j'ai dit déjà, que les deux cours impériales ne fussent obligées d'y souscrire.

Il y a plus de quatre semaines que nous n'avons pas eu mot de l'Angleterre, à cause que les vents ont été contraires, mais je suppose que les Français et les Russes doivent avoir fait déjà quelques propositions à Londres.4-3

Je laisse à votre prudence et à votre sagesse de faire l'usage que vous croirez convenable à l'intérêt de la Prusse, des choses que je vous ai marquées relativement à ma situation, et je ne doute point que l'on ne s'aperçoive bientôt à Londres jusqu'à quel point l'on pourra fonder ses espérances sur une paix prochaine. Je laisse à votre pénétration encore si, au cas qu'on ne pût pas d'abord conclure la paix, l'on ne pourrait pas parvenir à un armistice, pour procurer aux négociateurs le temps d'achever l'ouvrage. Je sens toutes les difficultés et inconvénients des susdites propositions; mais les choses sont trop sérieuses et la situation des affaires trop violente qu'il faut recourir à tous les moyens qui pourront les rendre supportables.

J'attends le rapport que vous me ferez sur tout ceci.

Federic.

Nach dem Concept.

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3-1 Das folgende bis „rendre inutiles“ (S. 4) fast gleichlautend in dem Schreiben an Prinz Ferdinand (Nr. 11734).

3-2 An Prinz Ferdinand: „Des que“ .

3-3 An Prinz Ferdinand: „par Marienberg à Zschopau“ .

4-1 An Prinz Ferdinand folgt: „avec les hussards“ .

4-2 Die folgende Stelle bis „réparer“ fehlt in dem Schreiben an Prinz Ferdinand.

4-3 Zur Beantwortung der Declaration von Ryswyk. Vergl. Bd. XVIII, 762.