11777. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Freiberg, 24 janvier 1760.

Après que j'avais dépêché mon courrier avec la lettre que je vous [ai] écrite hier,42-1 on vient de me faire communication d'une lettre écrite de M. de Choiseul, ministre de France à la cour de Vienne, qui a été interceptée à son passage en France, et dont l'on a pris copie pour me l'envoyer.42-2 Cette lettre m'a paru aussi intéressante, par toutes les circonstances qu'elle comprend, que je n'ai pu m'empêcher de vous la faire communiquer toute au long et mot à mot, insérée ici.

de Vienne, le 3 janvier 1760.

Il est arrivé quelques fois deux courriers par jour de l'année du maréchal Daun. Selon les derniers avis reçus de ce général, ses dispositions sont si bien prises qu'il lui semble impossible que le roi de Prusse l'attaque, de sorte qu'il pourrait se soutenir tout l'hiver dans sa position, si les vivres et les fourrages s'y trouvaient en abondance. Mais, malgré toutes les précautions qu'on prend, M. Daun a été obligé de diminuer les rations de pain et de fourrage, et, si malheureusement les choses restaient encore quinze jours ou trois semaines dans cet état d'indécision, M. Daun serait obligé de rentrer en Bohême et d'abandonner la Saxe. Les voitures n'osent presque plus s'exposer, à moins de forts détachements, dans la crainte d'être arrêtées par les ennemis, dont différents partis rôdent de tous côtés. On a longtemps délibéré dans le conseil si on n'enverrait pas ordre à M. Daun de se retirer; mais, après de longues délibérations, il a été enfin arrêté d'envoyer à peu près 2500 hommes, tirés en partie de la garnison de Prague, sur la frontière de la Bohême, pour arrêter<43> les incursions des Prussiens. Mais, malgré toutes ces précautions, il n'est pas possible de résister longtemps dans cette dangereuse position.

L'impératrice de Russie fait toujours de flatteuses promesses sur les reproches que l'Impératrice-Reine lui a fait faire au sujet du refus des 20000 hommes qu'elle avait promis. Sa Majesté Czarienne les a adroitement éludés, promettant de faire agir efficacement au mois de mars prochain une armée de 80000 hommes. La cour se repose sur ces promesses, et c'est en partie ce qui l'empêchera de consentir à la tenue d'un congrès offert par l'Angleterre et la Prusse. Il paraît que notre cour est déterminée à suivre les impressions de celle-ci; mais je crois qu'elle fait une grande sottise dans ce cas, comme je l'ai écrit au duc de Choiseul.43-1

Vous verrez au moins par là confirmé tout ce que je vous avais marqué par mes lettres antérieures par rapport à ma situation scabreuse ici, qui ne sera pas meilleure, quand le corps des troupes alliées aux ordres du prince héréditaire de Brunswick, arrivé depuis peu, marchera de retour, comme il est sur le point de le faire, parceque le prince Ferdinand en a besoin lui-même, et combien j'ai lieu de redouter les suites de la campagne qui vient, à moins qu'il n'arrive quelque évènement favorable pour me soulager du grand nombre qui me tomberont alors sur le corps.

La lettre ci-dessus accusée vous confirmera, d'ailleurs, ce que je vous ai mandé43-2 de la grande envie où tout ce qu'il y a des gens les plus sensés en France, sont pour que la France fasse sa paix particulière. Il conviendra, à ce que je crois, que vous en tiriez une copie pour en communiquer et la faire lire à M. Pitt, que vous accompagnerez de vos réflexions, autant que vous le trouverez convenable pour convaincre ce ministre de toute l'apparence qu'il y a qu'à moins que l'Angleterre ne mette à un prix trop haut sa paix avec la France, les choses seraient bien à y conduire que la paix se fasse encore vers le temps du printemps qui vient, d'une façon glorieuse et honorable pour nous.

Au reste, je suis obligé de vous avertir que le landgrave de Hesse-Cassel est à l'extrémité et si mal qu'on [n'] a attendu, au départ de l'estafette qui nous a apporté la nouvelle, que sa mort. Évènement encore fâcheux, et qui vient bien mal à propos dans ces circonstances, parceque je crois avoir lieu de ne pas me fier tout-à-fait à la droiture des sentiments du Prince héréditaire, connu pour être très changeant. Ce que vous tâcherez convenablement et avec habileté de faire valoir envers M. Pitt, comme un argument qui nous rende la paix nécessaire et désirable.

Federic.

Vous voyez à présent de quoi il s'agit. Si vous pouvez contribuer à mener les choses au point désiré, vous rendez le plus grand service que puisse rendre à l'État tout homme qui ne peut ni écraser l'Autriche ni abîmer la Russie.

Nach dem Concept. Der Zusatz eigenhändig auf der im übrigen chiffiirten Ausfertigung.

<44>

42-1 Vergl. Nr. 11774.

42-2 Vergl. Nr. 11776.

43-1 Der französische Premierminister.

43-2 Vergl, Nr. 11774.