11845. A MONSIEUR I„E BAILLI DE FROULLAY A PARIS.

[Freiberg, 17 février 1760.]108-1

Ne vous en prenez, Monsieur, qu'à votre caractère respectable qui vous attire ma confiance. Je vous crois le plus propre de tous les Français à vous faire ces ouvertures, parceque votre qualité d'ambassadeur s'y prête mieux, et parceque je vous crois aussi attaché à votre patrie qu'à votre ordre. Il s'agit de la paix. Je vous en parle sans autre préambule, et comme je crois pouvoir donner quelques notions sur ce sujet au roi de France et à son ministère, je n'ai cru pouvoir en charger personne de plus capable que vous pour remplir cet objet. Depuis cette guerre, l'interruption de toute correspondance et les changements si communs à la nation française a rempli Versailles et le ministère de tant de nouveaux personnages qu'il est difficile à quelqu'un qui ne suit pas journellement ces petites révolutions, de savoir à qui s'adresser; vous, qui avez ces objets présents, et qui les connaissez par une longue routine, vous saurez mieux les chemins qu'il faut prendre dans ce dédale, que moi. Le plus naturel est sûrement de s'adresser au ministre chargé des affaires étrangères, le plus court serait de s'adresser au roi de France. Mais comme je ne sais point l'espèce de préjugés qui peut régner à cette cour, et la façon dont les esprits y sont peut-être prévenus, je vous laisse l'arbitre sur le choix du canal dont vous voudrez vous servir pour faire parvenir en son lieu les propositions que je vous prie d'y faire passer.

Vous êtes instruit, sans doute, que le roi d'Angleterre et moi, nous avons fait proposer à nos ennemis la tenue d'un congrès, pour y terminer toutes les dissensions qui ont donné lieu à la guerre. Nous savons que les cours de Vienne et de Pétersbourg s'y sont refusées, et nous sommes au moins dans la persuasion que le roi de France ne pense pas de même, et cette persuasion nous fait croire qu'il ne serait pas impossible de parvenir au but si désirable pour l'humanité. Je ne vous étalerai pas les raisons qui peuvent porter le roi de France à y donner les mains. Je ne vous dirai pas que la Martinique serait perdue, Pondichéry et le Canada de même, tout le commerce de la nation ruiné. Je ne vous peindrai pas ce que vous sentez mieux que moi, que, la guerre continuant, la France n'y jouerait que le rôle d'auxiliaire — qui ne lui conviendrait guère d'une manière subalterne —, et qu'elle serait peut-être par la suite entraînée par ces deux puissances dans des mesures que la force des conjonctures l'obligerait d'adopter, et qui se trouveraient diamétralement en opposition avec ses intérêts. Je vous fais grâce de tous les raisonnements probables que l'on peut se permettre, en examinant les évènements futurs et les suites où ils doivent mener, persuadé, Monsieur, qu'ils se présentent d'eux-mêmes à votre esprit, et j'en viens au fait sans autre paralogisme.

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Il s'agit donc de savoir si on a chez vous le désir sincère de rétablir la paix que l'on vous suppose, et, en ce cas, je vous propose le moyen le plus sûr, le plus efficace et le plus avantageux d'y parvenir, et qui mettra la France à même de donner la loi, au lieu qu'elle serait obligée de la recevoir, si la guerre continuait. La France peut se tirer avec honneur et avantage de la situation fâcheuse où elle se trouve, si elle veut faire une paix séparée avec nous, l'Angleterre et nos alliés. Si la France consent à maintenir l'équilibre de l'Allemagne et à obliger ses alliés d'y souscrire, en faisant cause commune avec l'Angleterre, elle pourra s'attendre d'obtenir des conditions beaucoup plus favorables qu'elle n'en pourra avoir en tout autre cas. Je vous prie de savoir si ces idées pourraient trouver faveur dans le pays où vous vivez, et quelle est la façon de penser du Roi et de son ministère. Pour moi, je fais le volontaire, je cours faire le coup de pistolet pour savoir ce qui en résultera; car vous et les Anglais, vous avez envie de parler, et personne ne veut être le premier. Eh bien! mon cher Chevalier, soyons les enfants perdus de la politique, travaillons à la concorde et voyons s'il n'y aura pas moyen par quelque trait de plume de terminer une discorde si funeste à toute l'Europe, à mettre fin aux massacres, à la cupidité, à la voracité et à la cruauté des hommes, qui, malheureusement emportés par leurs penchants pervers, quand ils sont livrés à euxmêmes, ressemblent plus à des bêtes farouches qu'à des hommes sensibles et humains, comme ils devraient l'être.

Ces propositions, à la vérité, sont vagues; mais qu'on s'explique; elles pourront servir de canevas à des préliminaires. La première chose est de se parler, la principale de s'accorder, et la paix en sera une suite naturelle. La personne qui vous rendra cette lettre, est instruite des objets qui y sont annoncés. Vous aurez la bonté de demander un passe-port, pour qu'elle puisse me faire tenir votre réponse. Je sens, Monsieur, que je vous charge d'une commission à laquelle vous ne vous attendrez point, mais j'ai reconnu tant de candeur, tant de probité et tant de vertu dans votre âme que c'est plutôt un hommage que je lui rends qu'une commission dont je vous charge. En qualité de bon Français, je ne crois pas que vous agirez en mauvais citoyen, en employant vos soins à lui procurer la paix, et, en qualité de preux chevalier, vous devez en assister un qui a combattu à outrance contre les barbares et les nations qui prétendent des dénominations plus polies etc. etc. etc. etc.109-1

[Federic]

P. S.

J'espère, mon cher Bailli, que cette commission ne vous déplaira pas. Vous en sentez l'importance, l'utilité foncière pour toutes les parties belligérantes. La paix est le cri de l'Europe, mais l'ambition<110> est moins délicate: elle ne compte ni le sang répandu ni les malheurs de l'humanité, il n'y a qu'elle qui puisse s'opposer à nos vues salutaires. Je me flatte que vous ne la rencontrerez qu'indirectement dans votre chemin, et que le roi de France, dont les sentiments sont si connus, inspire des sentiments dignes des siens à ses alliés. Adieu, mon cher Bailli, je vous embrasse.

Das Hauptschreiben nach dem eigenhändigen Concept. Das P. S. (in der Ausfertigung vermuthlich als eigenhändiger Zusatz) nach einer Abschrift.



108-1 Das Datum von Eichel zugesetzt.

109-1 In der Ausfertigung vor der Unterschrift, nach den üblichen Höflichkeitsformeln: „votre très affectionné ami“ .