11939. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Freiberg, 22 mars 1760.

J'ai reçu votre rapport du 11 de ce mois, au sujet duquel je veux bien vous dire, quoique pour vous seul et sans que vous en fassiez apercevoir quelque chose aux ministres anglais, que les véritables motifs pourquoi ces derniers refusent toute proposition de l'envoi d'une flotte anglaise dans la Baltique,194-3 et pourquoi Porter à Constantinople agit si mollement en ma faveur auprès de la Porte,194-4 ne sont autres sinon qu'un ménagement outré pour la Russie. Ce qui paraît d'autant plus clair que toutes les raisons que les susdits ministres vous ont alléguées pourquoi ils n'oseraient envoyer dans la Baltique, se réduisent à des frivolités, et que Porter en donne des indices trop clairs par les étroites<195> liaisons où il vit, sans s'en cacher, avec tout ce qui vient de ministres de Russie à la Porte; anecdote dont cependant vous ne laisserez rien transpirer aux ministres anglais, puisqu'ils en écriraient peut-être à Porter, et que tout cela n'aboutirait que de brouiller tout-à-fait le sieur Porter avec l'émissaire que j'ai là.

Je vois ainsi que je n'aurai rien à espérer de ce côté-là de l'Angleterre, et, comme le prince Ferdinand de Brunswick ne veut également rien entendre de ce qui peut en quelque façon contribuer à mon soulagement, ni ne convenir d'aucun concert là-dessus avec moi,195-1 je vois bien qu'il ne me reste que de m'aider si bien que je pourrai, et de mettre mes affaires au hasard, de me tirer moi-même de la situation misérable où je suis, si les évènements me secondent, ou de périr au cas de nouveaux désastres. Mais, si je succombe, il ne faut point douter que les Anglais s'en morderont bien aux doigts et qu'ils regretteront tous leurs ménagements hors de saison, mais trop tard alors.

Il est vrai que dans les guerres passées les Anglais n'ont jamais formé une aussi puissante armée sur le Continent que celle d'à présent; mais vous conviendrez aussi que les circonstances étaient alors bien différentes de ce qu'elles sont présentement, qu'ils n'agissaient alors qu'en auxiliaires et que la France fut obligée de partager ses forces dans les Pays-Bas, au Rhin, en Italie et en Espagne, au lieu qu'ils ont à présent contre eux toutes les forces de la France combinées, qui sûrement seront jointes par celles de l'Autriche et de l'Empire, dès qu'on m'aura écarté.

Quant à ce qui regarde la négociation avec la France relativement à la pacification, je l'envisage autant qu'échouée et dont il ne reviendra rien; car, si la France avait sérieusement désiré la paix, comme l'on s'en est persuadé, elle se serait expliquée tout autrement qu'elle n'a pas fait, et aurait profité des plus belles occasions qu'elle a eues pour le faire et pour entrer en négociation.

Tout ce que dessus ne sera dit qu'entre nous et pour votre seule direction.

Frederic.

Nach dem Concept.



194-3 Vergl. S. 131.

194-4 Vergl. Nr. 11862.

195-1 Vergl. Nr. 11927.