12825. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN ET AU SECRÉTAIRE MICHELL A LONDRES.

Meissen, 16 avril 1761.

Je viens de recevoir la dépêche que vous m'avez faite du 3 de ce mois et approuve parfaitement l'arrangement que vous avez pris avec M. le comte de Bute339-1 pour remettre chez lui au prince Galizin conjointement les cinq exemplaires de la déclaration339-2 que vous avez signés de ma part et dont il s'est agi.

Sur ce que vous me marquez de différentes conjectures que les ministres anglais font tant sur la déclaration des cinq cours que surtout au sujet de la lettre du duc de Choiseul,339-3 je l'avoue à vous que je perds presque toute patience avec ces ministres de ce qu'ils ont la paix avec la France en mains pour la faire à leur gré et qu'ils puissent voir clair comme le jour, par l'étourderie commise de cet émissaire irlandais dont vous m'avez rendu compte,339-4 que c'est absolument au gré de l'Angleterre de proposer la paix, telle qu'elle la veut, à la France : [que] les susdits ministres s'amusent, nonobstant cela, à de grands riens. Je ne puis même vous dissimuler que je commence d'avoir une petite idée du sieur Pitt, de ce qu'il s'accroche à des choses grammaticales au sujet de la déclaration et de la lettre du duc de Choiseul, au lieu de s'attacher à toute l'étendue des grandes affaires politiques et de prendre la balle au bond.

Si les ministres anglais ne veulent point négocier par des émissaires, mais traiter tout ouvertement au congrès, je leur assure d'avance et leur en réponds qu'il n'en sera rien et au grand jamais de ce congrès. Il faut considérer qu'autant que la France a, dans ce moment-ci, de bonne<340> volonté pour le prompt rétablissement de la paix, autant la cour de Vienne en est éloignée et a de mauvaise volonté. Et pour ce qui est des Russes, je [ne] m'y fie pas tout-à-fait. Vous aurez reçu à présent mes deux grandes dépêches du 11 et du 12 de ce mois,340-1 par lesquelles je vous ai expliqué amplement toutes mes idées et ma façon de penser sur ces affaires. Tâchez par tous les moyens imaginables d'en profiter et d'en faire un bon usage, afin d'éveiller les ministres anglais pour ne pas rester plus longtemps dans une léthargie très nuisible aux grandes affaires, et qui au bout du compte nous fera manquer la paix que nous tenons à présent presque en nos mains.

Réfléchissez, d'ailleurs, s'il n'y a pas moyen que vous sauriez faire sonder adroitement cet Irlandais Thafft sur la façon dont la France pense à mon égard, et si vous ne sachiez entamer avec lui quelque pourparler, afin que le duc de Choiseul nous demande de lui envoyer quelque confident ou autre chose pareille. Si vous trouvez ceci convenable, prenez-vous-y bien délicatement, afin de ne pas heurter contre les ministres anglais, mon intention étant de ne pas agir le moindrement contraire à mes engagements pris avec l'Angleterre, mais de vouloir seulement mettre en train les négociations au plus tôt possible, après que ces ministres vous ont autrefois déjà déclaré qu'ils seraient contents que même je saurais faire des tentatives à la cour de France pour la faire revirer à la paix.340-2 Songez-y bien et ne perdez pas cette mon idée, à moins que vous la trouverez convenable.

J'attends votre réponse à tout ce que dessus avec impatience, et s'il y a quelque motif caché, tel qu'il soit, pourquoi les ministres anglais agissent à présent avec tant d'indifférence sur l'ouvrage de la paix, m'expliquez-le tout naturellement et sans aucune réserve.

Je ne saurais que fort applaudir la démarche que les ministres ont faite pour communiquer aux cours de Hesse et de Brunswick celle qui a été faite de la part de l'Angleterre et de moi à l'occasion des déclarations susdites.

Toute cette négociation me parait terriblement embrouillée encore, et il me semble qu'il y a beaucoup de mésentendus et de fausses idées qui reculent l'ouvrage salutaire de la pacification générale.

Federic.

Nach dem Concept. Der Zusatz eigenhändig auf der im übrigen chiffrirten Ausfertigung.



339-1 Mitchell schreibt, Meissen 14. April, an Bute (private): „I have taken the first opportunity of saying to the King of Prussia what Your Lordship had Said in a much better manner in your letter; and I have the pleasure to acquaint you that the monarch appeared much pleased with what you directed me to say. He added, that your character for learning and abilities rendered you still more respectable than the great office you held, and desired me to make his compliments to you, and to assure Your Lordship that he was very sensible of this early mark of Your Lordship's attention and regard to him.“

339-2 D. h. der englisch-preussischen Contredeclaration.

339-3 Vergl. Nr. 12809.

339-4 Die Gesandten hatten am 3. April berichtet: „II est arrivé ici depuis peu de jours un gentilhomme irlandais nommé Thafft, établi depuis plusieurs années à Paris et que nous savons positivement avoir la confiance du duc de Choiseul et de la marquise de Pompadour, lequel a demandé à différentes reprises et en termes très pressés, mais inutilement, une audience du comte de Bute; .... il s'est confié que le duc de Choiseul voulait la paix coûte que coûte, sachant bien que, si elle ne se faisait pas promptement, il ne saurait se maintenir en place.“

340-1 Nr. 12809 und Kr. 12816.

340-2 Vergl. Bd. XIX, 629. 631.