13017. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN ET AU SECRÉTAIRE MICHELL A LONDRES.

Kunzendorf, 3 juillet 1761.

La dépêche que vous m'avez faite du 19 de juin, m'a été fidèlement rendue, et je vous sais parfaitement gré du compte exact et fidèle que vous me rendez de ce qui s'est passé depuis votre dernier rapport à l'égard de la négociation du sieur Bussy.506-2

Pour parvenir à ce qui me regarde dans cette négociation, je vous dirai que je n'envie point aux Anglais toutes les conquêtes qu'ils font sur la France, que, tout au contraire, rien n'était mieux fondé en raison que ce qu'ils voudraient tirer des avantages des glorieux succès qu'ils avaient eus sur l'ennemi commun, et que j'en prends infiniment part; mais qu'il ne faudra pas pour cela que j'en payasse les violons, chose à laquelle, comme je vous ai déjà déclaré, je ne me déterminerai jamais, sachant trop ce que je dois à mon État, que pour me prêter à des choses basses et indignes à son grand détriment.

Pour vous mettre, d'ailleurs, au fait de ce que je pense sur ce changement apparent des sentiments des ministres anglais à mon égard, je vous ferai remarquer qu'il me semble que, dans les pourparlers que le sieur de Bussy a eus avec les ministres, il leur a apparemment fait entrevoir quelque perspective vague et peut-être trompeuse, en jetant des propos de plus d'avantages que la France ferait dans l'Amérique ou dans les Indes aux Anglais, pourvu qu'ils abandonnassent mes intérêts, sinon tout-à-fait, mais qu'au moins ils n'y travaillassent avec chaleur et connivassent plutôt qu'on contentât les cours de Vienne et de Varsovie par des cessions et des indemnisations à mes dépens. A quoi peut-être il est accédé cette malheureuse complaisance qu'on a toujours remarquée aux ministres anglais envers la Russie.506-3

Voilà ce que je présume des motifs qui font biaiser ces ministres et qui les font présentement branler au manche. Mais tout cela étant diamétralement contraire à la bonne foi et à l'intention que j'ai eue, quand j'ai conseillé à l'Angleterre de faire sa paix séparée avec la France, qui, tout au contraire, a été que, parceque la France était pressée pour avoir la paix, et que l'Angleterre avait toute la supériorité<507> sur elle, elle en dût retirer tout l'avantage raisonnable pour soi, mais qu'encore, selon le concert pris alors avec les ministres, ils dussent parler également d'un ton énergique aux Français à mon égard, pour leur déclarer rondement que l'Angleterre ne m'abandonnerait jamais, qu'elle ne ferait sa paix avec la France qu'a mon inclusion, ni ne permettrait pas qu'on me prétendît aucune cession de mes États tels que je les avais possédés avant la présente guerre, enfin, que les Anglais dussent prescrire la loi aux Français là-dessus et en convenir avec eux en conséquence. Mais comme cela me semble prendre un tour tout contraire à présent, de sorte qu'il paraît comme si les ministres anglais penchent à se faire donner la loi des Français à mon égard, afin de faire d'autant mieux peut-être leurs propres convenances, vous devez donc redoubler de zèle et d'application pour rectifier les ministres par des représentations douces et modérées, afin de ne pas les heurter absolument de front, en réclamant les traités, les garanties, la bonne foi, la gloire du royaume et de la nation, afin de ne pas préjudicier aux intérêts d'un allié qui avait rempli si religieusement les engagements pris avec la couronne d'Angleterre, et pour ne pas se couvrir eux-mêmes de honte, en me sacrifiant indignement; que l'Angleterre ne perdrait rien pour cela à ses propres intérêts et qu'elle s'attacherait plutôt à jamais un allié dont elle venait d'éprouver la fidélité et le désintéressement; que c'était sur cela que je comptais d'autant plus que ce serait peine perdue à vouloir me disposer à faire des indemnisations et moins encore des cessions à mes ennemis trop redoutables déjà à la cause commune, et qu'au lieu de cela j'attendrais plutôt toutes les extrémités et me consolerais de ce que, sans ma faute, l'incendie de la guerre continuerait et que, pour m'avoir sacrifié honteusement, tout le système de l'Europe et la balance du pouvoir irait s'ébranler et se bouleverser.

Il faut que vous soyez plus vigilants que jamais pour observer ces gens qui, me semble, commencent à gauchir et adopter de nouveaux principes. Les miens seront toujours les mêmes et ne changeront qu'avec la fin des esprits qui m'animent.

Federic.

Nach dem Concept. Der Zusatz eigenhändig auf der im übrigen chiffrirten Ausfertigung.



506-2 Vergl. Nr. 13002.

506-3 Vergl. Bd. XIX, 629.