13018. A MONSIEUR PITT, MINISTRE ET SECRÉTAIRE D'ÉTAT DE SA MAJESTÉ BRITANNIQUE A LONDRES.

[Kunzendorf, 3 juillet 1761.]507-1

Monsieur. Je viens de recevoir une dépêche de mes ministres à Londres507-2 qui m'a fait soupçonner quelque malentendu de leur part. J'ai cru qu'il était à propos de m'expliquer immédiatement avec vous,<508> Monsieur, pour rectifier le faux sens qu'ils ont donné aux déclarations que vous et M. Bute leur ont faites.

Voici les réflexions qui se sont présentées à mon esprit. Comment, me suis-je dit, est-il possible que la nation anglaise me propose de faire des cessions à mes ennemis, elle qui m'a garanti mes possessions par des actes authentiques qui subsistent et qui sont connus de tout le monde! Comment concilier deux choses aussi opposées! Il faut donc de nécessité qu'il y ait de l'erreur de la part dè mes ministres, et il faut la dissiper. Je me suis ensuite rappelé la conduite que la Grande-Bretagne a tenue avec ses alliés, et je n'y ai trouvé aucun exemple d'infidélité à ses engagements. L'Angleterre n'abandonna point la maison d'Autriche par la paix d'Utrecht; la guerre qui la précéda, avait été entreprise pour soutenir la balance de l'Europe et empêcher que ni la maison de Bourbon ni celle d'Autriche devinssent des puissances prépondérantes. La mort de l'empereur Joseph changea le cas de la question; dès lors il était aussi dangereux pour l'Europe que Charles VI réunît la monarchie espagnole aux possessions de la maison d'Autriche et à la dignité de la maison impériale que de voir passer la succession d'Espagne au petit-fils de Louis XIV, et la reine Anne, en faisant sa paix particulière, loin d'abandonner les intérêts de la maison d'Autriche, lui procura la Flandre, le Milanais et le royaume de Naples. Dans la dernière paix, les Anglais ont sacrifié leurs propres intérêts à ceux de la reine de Hongrie, et ils ont rendu le fort Louis aux Français, pour que les Français lui restituassent la Flandre. Dans la guerre que nous faisons, l'état de la question n'a pas changé, et je ne pense pas, Monsieur, qu'un politique en Europe puisse imaginer ou craindre que la Prusse devienne une puissance prépondérante. Vous n'ignorez pas la cause de l'animosité que la France me témoigne, et vous savez, sans doute, Monsieur, qu'elle vient de ce que j'ai préféré votre alliance à la sienne. Si j'ai prévenu les desseins de la reine de Hongrie et de mes ennemis, c'est que j'ai été instruit de ses projets, c'est que j'en avais les pièces authentiques en main, et c'était pour suivre cet axiome connu prævenire quam præveniri. Sans doute tout homme, pour peu raisonnable qu'il soit, ne donnera pas le temps à ses ennemis d'arranger tranquillement tout ce qu'il faut pour l'accabler, et qu'il prendra les devants pour se mettre dans l'avantage.

Je n'ai pas toujours été heureux, et quel homme dans l'univers peut disposer de la Fortune? Cependant, malgré le nombre de mes ennemis, je suis encore en possession d'une partie de la Saxe, et je suis très résolu de ne la céder qu'à condition que les Autrichiens, les Russes et les Français ne m'aient rendu tout ce qu'ils m'ont pris. Je me conduis par deux principes : l'un est l'honneur et l'autre l'intérêt de l'État que le Ciel m'a donné à gouverner. Les lois que ces principes me prescrivent, sont, premièrement, de ne jamais faire d'action dont j'eusse à rougir, si je devais en rendre compte à mon peuple, et le<509> second de sacrifier pour le bien et la gloire de ma patrie la dernière goutte de mon sang. Avec ces maximes, Monsieur, on ne cède jamais à ses ennemis; avec ces maximes Rome se soutint contre Hannibal après la bataille de Cannes; avec ces maximes votre grande reine Elisabeth se soutint contre Philippe II et contre la flotte invincible. Par ces mêmes principes Gustave Wasa, dont le nom mérite d'être cité à côté de celui de la reine Elisabeth, Gustave Wasa, dis-je, rétablit la Suède et chassa le tyran Christiern509-1 du royaume; et c'est par une même magnanimité des princes d'Orange qu'à force de valeur et de persévérance ils fondèrent la république des Provinces Unies. Voilà, Monsieur, les modèles que je me suis proposé de suivre; vous qui avez de la grandeur et de l'élévation dans l'âme, désapprouvez mon choix, si vous le pouvez! Serait-ce donc l'Angleterre, me suis-je dit, qui plaidât la cause de la France et de la reine de Hongrie, de ces Français les éternels ennemis, de cette reine de Hongrie qui l'a payée tant dé fois d'ingratitude? Cela n'est pas possible, donc cela n'est point. C'est sur les commencements des règnes des rois que toute l'Europe a les yeux ouverts; on juge par ces premices quelles en seront les suites, et chacun en tire les conséquences. Le roi d'Angleterre n'a qu'à choisir, il en est le maître; deux partis se présentent à lui: l'un, que dans la négociation de la paix il ne pense qu'aux intérêts de l'Angleterre et oublie ceux de ses alliés, l'autre, qu'en consultant ses engagements, sa bonne foi et sa gloire, il joigne aux soins qu'il prendra des intérêts de sa nation, celui de pourvoir au bien de ses alliés. S'il prend le premier parti, je ne me ressouviendrai pas moins avec reconnaissance que la nation anglaise m'a généreusement assisté pendant cette guerre, quoiqu'il me sera douloureux de penser que j'ai fait des acquisitions étant l'allié de la France, et que, l'étant de l'Angleterre, j'ai été dépouillé par mes ennemis. Si le Roi prend le second parti, j'ajouterai aux obligations que je lui dois, une vive reconnaissance de sa religion et de sa bonne foi à remplir ses engagements et de sa persévérance à soutenir ses fidèles alliés, et la postérité qui juge les rois, le comblera de bénédictions.

Je suis persuadé, Monsieur, que vous pensez comme moi; tout le cours de votre ministère n'a été qu'un enchaînement d'actions nobles et généreuses, et les âmes que le Ciel a faites de cette trempe, ne se démentent pas. C'est en conséquence de ces sentiments que toute l'Europe admire en vous, et dont j'ai eu plus d'une occasion de me louer, que je suis etc.

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei. (Die Ausfertigung war eigenhändig. Vergl. Nr. 13019.)

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507-1 Das Datum ergiebt sich aus Nr. 13019.

507-2 Vergl. Nr. 13017.

509-1 Christian II. von Dänemark.