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1312. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Berlin, 13 janvier 1744.

La relation que vous m'avez faite en date du 1er de ce mois m'a été bien rendue. Quoique je sois très satisfait de l'habileté avec laquelle vous avez mené à sa fin la négociation touchant l'accession de l'Impératrice au traité de Breslau et de ce que vous me faites espérer que l'affaire de la garantie expresse de la Silésie1 pourrait être bientôt mise sur le tapis et réussir selon que je la souhaite, néanmoins l'aventure qui vient d'arriver au lieutenant nommé Franck,2 avec les autres assassineries qu'on commet à présent si souvent à Pétersbourg, me fait fort soupçonner qu'il y ait quelque feu dangereux sous les cendres, prêt à éclore, et qu'il se trame actuellement quelque conspiration contre l'Impératrice, d'autant plus dangereuse qu'elle est sinon intriguée au moins fomentée de ceux qui sont du gouvernement, et qui ne saurait guère manquer son but, si Sa Majesté Impériale ne prend sans perte de temps les mesures nécessaires pour s'assurer et du trône et de sa liberté et même de sa vie.

Comme je ne saurais vous cacher les angoisses que j'ai là-dessus, et l'embarras infini où je suis sur l'état présent de l'Impératrice et sur le péril dont elle est menacée, il m'est venue une idée que je veux bien vous communiquer, en vous ordonnant de la considérer mûrement et d'en faire alors tel usage que, selon la connaissance de la carte du pays que vous avez, et selon les circonstances qui seront quand vous aurez vu ceci, vous trouverez à propos, de la manière que je vous laisse le maître absolu d'exécuter cette idée au pied de la lettre que je vous la mande, ou d'en retrancher ou ajouter quelque chose.

Cette idée est donc, ou que vous deviez demander vous-même une audience secrète à l'Impératrice ou que vous le lui deviez faire insinuer par des canaux sur qui vous puissiez fermement tabler, pour lui dire en mon nom que je la faisais prier au nom de Dieu de penser sérieuse-



1 Vergl. Bd. II, 451.

2 Mardefeld berichtet 1. Januar: „Ces jours passés, un lieutenant, nommé Franck, vint voir le sieur Lestocq, et lui montra une lettre très bien écrite en allemand, qu'il assurait lui avoir été donnée par un inconnu, près de l'église Isaaki, portant en substance que, comme on le prenait pour un brave et honnête homme, on lui offrait un bon emploi et une riche récompense, s'il voulait bien se prêter à ce qu'on lui proposerait, et coopérer au changement du gouvernement présent, duquel tout le monde en général était dégoûté, et qu'il n'aurait, en cas qu'il goûtât cette proposition, qu'à rendre la réponse à telle et telle heure au même endroit. Lestocq en fit rapport à l'instant à l'Impératrice, laquelle méprisa cet avertissement comme une invention de cet homme pour attraper de l'argent. Cependant, ce Franck fut attaqué hier entre chien et loup, en l'endroit qu'il avait nommé, par quatre assassins, habillés en matelots, qui lui donnèrent tant de coups de couteaux qu'on doute qu'il en puisse revenir; ce qui fait présumer que les auteurs qui lui on fait prendre la lettre susmentionnée, ayant appris qu'il était allé voir le sieur de Lestocq, ont pris la résolution de s'en défaire de crainte d'être découverts, ce dont l'Impératrice est maintenant fort intriguée.“