1500. AU ROI DE FRANCE A DUNKERQUE.

Potsdam, 12 juillet 1744.

Monsieur mon Frère. J'apprends que le prince Charles a pénétré en Alsace; ceci me suffit pour déterminer mes opérations; je serai en marche, à la tête de mon armée, le 13 août, et devant Prague à la fin <208>du même mois. Je passe sur bien des considérations et je m'engage peut-être dans un pas assez périlleux; mais je veux donner à Votre Majesté des marques de l'attachement et de l'amitié que j'ai pour Elle. Je regarde dés ce moment Ses intérêts comme les miens, persuadé qu'Elle en agira de même envers moi, et surtout qu'aucune considération particulière ne pourra L'obliger à m'abandonner dans une guerre que j'entreprends en grande partie pour Ses intérêts et pour Sa gloire.

Dans la situation où je me trouve, je dois plus que jamais parler franchement à Votre Majesté, nos intérêts étant plus liés et plus indissolubles que jamais. Elle sent assurément que tout notre système est fondé sur trois grands coups, qu'il faut frapper, pour ainsi dire, en même temps; dont le premier est l'invasion de la Bohême et de la Moravie, le second la marche des troupes impériales et françaises, le long du Danube, en Bavière, et le troisième, que je regarde comme l'article principal, est l'envoi d'un corps de troupes dans le pays d'Hanovre. Je compte sûrement sur ces deux derniers points, sans quoi je L'avertis d'avance que toute notre besogne est perdue. Je dois représenter encore à Votre Majesté qu'il dépendra en grande partie du choix qu'Elle fera de Ses généraux, du succès qu'auront Ses entreprises. Tous nos alliés sont prévenus en faveur du maréchal de Belle -Isle, et c'est un grand point pour concilier les esprits, s'il recevait le commandement de l'armée de Bavière et qu'on le. fournît à temps de tout ce dont il peut avoir besoin. Je serais persuadé que le service de Votre Majesté en irait mieux, et si le maréchal de Saxe ou quelqu'un des bien déterminés était chargé de l'expédition de Westphalie, cela n'en irait que plus rondement. Je demande pardon à Votre Majesté de la liberté avec laquelle je Lui parle, mais je L'assure que, si j'étais payé pour être assis dans Son conseil, je ne parlerais pas autrement; car, pour dire vrai, il vous faut à la tête de vos armées des généraux capables de soutenir la discipline à la rigueur, et Votre Majesté ne trouvera pas, hors du maréchal de Noailles, des sujets plus propres pour remplir cet objet que ceux que je viens de Lui proposer. Je dois ajouter encore que la plus grande partie des mauvais succès que Ses troupes ont eus en Bavière, sont venus de ce qu'on voulait agir défensivement sur les frontières d'un pays ennemi. Cela engage toujours celui qui se réduit à la défensive d'être attentif à trop d'objets, et laisse le champ libre à son ennemi de former les projets les plus audacieux, et de les exécuter. Il vaut toujours mieux agir offensivement, quand même l'on est inférieur en nombre. Souvent la témérité étonne l'ennemi et donne lieu à remporter des avantages sur lui; c'est ainsi que le grand Condé, M. de Turenne, M. de Luxembourg et M. de Catinat ont agi, et c'est en agissant pour la plupart du temps offensivement, qu'ils ont acquis cette gloire immortelle aux troupes françaises, et pour eux une réputation audessus des temps et de l'envie. Il ne dépendra que de Votre Majesté de remettre les choses sur ce même pied ; Elle nous a donné des échan<209>tillons de ce que peut un prince éclairé et sage à la tête de ses troupes ; qu'EUe ordonne à Ses généraux de battre partout Ses ennemis, et ils seront battus. Mais il me semble que je m'émancipe trop, et que j'entre dans un détail duquel Votre Majesté pourrait me donner des leçons; j'espère qu'Elle excusera mes libertés en faveur de la pureté de mes intentions, et qu'Elle ne doutera point, après les preuves que je vais Lui donner, de l'attachement avec lequel je suis, Monsieur mon Frère, de Votre Majesté le bon frère et allié

Federic R.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.