1501. AU MARÉCHAL DE FRANCE DUC DE NOAILLES A DUNKERQUE.

Potsdam, 12 juillet 1744.

Monsieur. J'ai écrit une lettre assez détaillée au Roi votre maître sur le grand objet qui doit nous occuper tous ensemble. Vous pouvez compter que le 13 d'août toutes les troupes de mon armée fileront vers la Bohême, et que tout sera arrivé à Prague à la fin du mois.

Si, après le départ du prince Charles, vous ne faites pas d'abord marcher un corps suffisant de vos troupes, joint avec les Impériaux, pour pénétrer en Bavière, nous ne ferons que de l'eau claire, et vous pouvez compter que, si vous n'envoyez pas 20,000 à 25,000 hommes dans le pays d'Hanovre, toute notre affaire est au diable. Je prends les devants, surtout je vous avertis à temps de ce qu'il y a à faire. Si après tout vous ne voulez pas entrer dans ces mesures que je vous propose, vous aurez à vous reprocher d'avoir fait manquer une affaire qui seule peut rendre à la France sa supériorité, qui la met à même de se venger de ses ennemis, et d'établir si bien ses affaires pour l'avenir qu'elle n'aura rien à craindre de personne. Car qui vous attaquera, dès que la reine de Hongrie perd pour toujours la dignité impériale et un de ses plus considérables royaumes? Les Anglais et les Hollandais n'ont pas les reins assez forts pour vous entamer, et, avec l'alliance que nous venons de conclure, vous devez sentir que la reine de Hongrie étant toujours vue à dos, n'ose point, à cause de moi, s'éloigner de son centre et vous attaquer; et si dans cette occasion vous vous y prenez bien, vous terminerez à la fin de l'année 1745 toute cette guerre, au lieu que, si vous agissez avec mollesse, tout le poids m'en tombera sur les épaules, et que, par conséquent, elle pourra durer plus longtemps, et l'issue en peut devenir plus douteuse. Je dois vous avertir, de plus, qu'il faudra dès le mois d'octobre prendre des arrangements pour la campagne future, pour qu'on puisse l'ouvrir de bonne heure, et que tous les efforts se fassent à la fois, car la meilleure économie d'un grand prince est de dépenser l'argent à propos et de ne le point ménager dans les grandes occasions.

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Si le cardinal Fleury en avait agi ainsî, et qu'il n'eût pas voulu, par un esprit d'économie déplacé, ménager les revenus du roi de France, l'année 41 et 42, je ne veux point être honnête homme, ou la reine de Hongrie était perdue; et la durée de la guerre fait qu'il en a coûté à présent le triple et le quadruple au Roi votre maître. J'espère que ce Prince sera satisfait de la façon dont j'en agis envers lui: je passe par l'article de Russie, stipulé dans notre alliance, et il me suffit d'apprendre qu'il soit attaqué dans ses États pour que je me porte à bout pour le dégager. Je me flatte au moins de quelque gratitude de sa part, et qu'il ne voudra pas abandonner, dans les opérations les plus hasardeuses et les plus difficiles, un allié qui combat dans le fond pour sa gloire et pour ses intérêts; car vous pouvez compter que, dès que mes opérations commenceront, la reine de Hongrie et l'Angleterre commenceront à négocier avec la France, en partie pour vous distraire de vos opérations, et en partie pour nous détacher les uns des autres; et si dans cette occasion le roi de France se laissait éblouir par les propositions avantageuses qu'on pourrait lui faire, que deviendrais-je? Car ne croyez point que je sois seul en état de faire tête à la reine de Hongrie, à l'Anglais et aux Saxons; il y va de l'honneur et de l'intérêt de votre maître de remplir ses engagements avec toute l'exactitude possible. Je ne disconviens point qu'il ne pût trouver un intérêt momentané dans une paix séparée, mais ni vous ni moi, si nous connaissons bien nos intérêts, ne nous séparerons; il ne peut avoir aucune jalousie entre nous, et nous pouvons nous être réciproquement très utiles. De plus, mes ennemis sont les vôtres, et, selon toutes les apparences, ils ne changeront de sentiment que lorsqu'ils seront réduits dans l'impossibilité de nous nuire. En un mot, je mets toute ma confiance dans la bonne foi d'un prince éclairé et sage, et qui n'a jamais de sa vie manqué à ce qu'il a promis, et les marques d'attachement que je lui donne à présent, doivent le confirmer plus que jamais dans ces sentiments.

Le malheur de M. de Coigny vient de ce qu'on a voulu qu'il agisse défensivement; mais j'espère que tant d'exemples que vous avez depuis trois ans des mauvais succès qu'ont les guerres défensives, vous feront embrasser le parti d'agir partout offensivement et avec audace; c'est, après tout, l'unique parti pour venir à bout de nos desseins ; il faut que tout soit nerf dans nos opérations, et qu'il n'y ait aucun moment vide ou d'inaction. Je vous prie, Monsieur, de joindre sus ces points vos représentations aux miennes, afin que le Roi votre maître sente bien l'importance de ces objets. J'ai oublié de vous dire qu'il est absolument nécessaire que vous dissimuliez sur le sujet du marquis de La Chétardie avec la Russie. Rien ne se pourrait de mieux, que si le Roi voulait se résoudre d'y envoyer sur-le-champ un autre ministre qui témoignât à l'Impératrice le mécontentement du Roi sur la conduite de La Chétardie, et qui en même temps lui apporte la recognition du titre impérial. Si vous prenez un autre parti, vous donnez pour longtemps cause gagnée <211>à vos ennemis dans ce pays-là, et d'ailleurs, pour le moment présent, vous n'êtes pas en état de vous venger; ainsi, vous ne pouvez rien faire de plus sage et de plus convenable, dans les conjonctures présentes, que, de dissimuler, et de prendre le parti que je vous propose.

Adieu, mon cher Maréchal, ne vous ennuyez pas de mon long bavardage, mais il est important que nous convenions de tout, et cela bien, sans quoi la charrette serait aussi mal attelée que par le passé.

Je suis avec une estime particulière, Monsieur le Maréchal, votre très parfait ami

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.