1575. AU FELD-MARÉCHAL COMTE DE SCHMETTAU A METZ.

Camp devant Prague, 10 septembre 1744.

Toutes les dépêches que vous m'avez faites en date des 25, 26, 28 et 30 du mois d'août passé, m'ont été bien rendues, et si je ne vous ai point fait de réponse sur chacune à part, ce n'a été que pour les marches <274>un peu fortes que j'ai été obligé de faire pour arriver ici, et pour avoir été occupé à faire les arrangements nécessaires pour faire le siége de Prague. Préalablement et en général, il faut que je vous dise que j'ai été très satisfait de tous les mouvements que vous vous êtes donnés pour pousser bien fort à la roue, afin qu'on ne s'amollisse pas de la part de la France et qu'on fasse tous les efforts pour remplir tous les engagements, soit du côté de l'argent, ou des opérations qu'on a promis de faire, et je ne vous désavouerai jamais sur les fortes représentations que vous avez faites à ces sujets ; aussi vous ne discontinuerez point de pousser bien à la roue, pour qu'on n'agisse pas mollement et à la façon de Broglie, mais qu'on remplisse avec vigueur tout à quoi on s'est obligé.

Quant au projet que vous et le sieur de Chambrier m'avez envoyé par rapport aux affaires de Russie, je me suis expliqué là-dessus dans la dépêche d'aujourd'hui que j'ai faite au sieur de Chambrier, à qui j'ai adressé aussi une lettre au roi de France,274-1 dont il ne manquera pas de vous communiquer le contenu, touchant le sieur de Bernstorff. J'ai adressé tout exprès ladite lettre au sieur de Chambrier, pour que vous ne soyez nullement commis avec le maréchal de Belle-Isle274-2 sur ce sujet. Vous savez ce que je pense sur la manière d'agir du maréchal de Noailles lorsque les Autrichiens ont repassé le Rhin, mais, comme la faute est faite et qu'il la faut boire, j'espère que vous n'aurez point' manqué d'insister fortement qu'on l'ait redressée par une poursuite vigoureuse de l'armée autrichienne vers la Bavière, surquoi n'ayant eu point de nouvelles jusqu'ici, j'en attends les vôtres avec bien de l'impatience. Si du Mesnil arrive ici, je le saurai recevoir comme il le mérite. Je souhaiterais fort que le cardinal Tencin, à qui je vous adresse la lettre ci-close,274-3 puisse prendre pied, et, homme de tête et de cœur qu'il est, je m'en promettrais beaucoup de bien pour la cause commune, surtout si le sieur de Chavigny était mis alors au poste de secrétaire d'État, ce dont je ne puis pas me mêler pourtant, pour ne pas donner des soupçons au roi de France comme si je voulais me mêler à régler son domestique.

Sur ce que vous me mandez dans votre lettre du 30 d'août passé, sur la manière dont j'aurais à régler nos opérations en Bohême, tout ce que vous y dites est bon, mais comme les affaires se représentent bien autrement, lorsqu'on est éloigné, que quand on est sur les lieux, je ne saurais vous cacher qu'il n'est pas possible d'aller si vitement comme vous paraissez le croire, et qu'on trouve mille difficultés à surmonter, qu'on ne peut voir quand on n'est pas sur les lieux.

Il y a, par exemple, le transport de la grosse artillerie, qui, après mille difficultés que j'ai eues pour faire nettoyer l'Elbe des arbres et des vaisseaux que les Autrichiens y avaient enfoncés, et après d'autres <275>empêchements, n'a pu arriver au camp qu'aujourd'hui, ce qui m'a empêché de ne pouvoir ouvrir les tranchées devant Prague qu'aujourd'hui. J'espère pourtant de finir avec cette ville dans six jours, et alors j'irai par degré et solidement, pour faire mes établissements en Bohême. Je regarde la prise de Prague comme le coup de parti qu'il nous faut faire, et après cela je passerai plus outre, selon les circonstances qui se présenteront; quant au prince Charles, je crois qu'il nous viendra par Pilsen.

J'ai trouvé excellent le plan qu'on a réglé tant du reste de la campagne que pour l'année prochaine, que vous m'avez envoyé en date ■du 30 d'août; aussi en fais-je un compliment au maréchal de Belle-Isle dans la lettre ci-jointe; il n'y a que l'article de la prise d'Ulm qui m'embarrasse, par les cris qu'on en fera, et parcequ'une prise de force d'une ville neutre de l'Empire fera fort révolter les autres États de l'Empire bien intentionnés; aussi souhaité-je fort qu'on puisse trouver d'autres expédients et qu'on ménage au possible les villes et les États de l'Empire neutres, pour ne pas nous faire objecter d'avoir fait la même chose qu'on a reprochée si fort à la reine de Hongrie. Du reste, vous devez tout faire pour qu'on ne s'amuse pas uniquement à faire des projets, et surtout qu'on ne change pas à tout moment les plans qu'on a faits, mais qu'on les soutienne plutôt avec vigueur et fermeté, sans biaiser ni fluctuer.

Pour ce que vous me mandez, que l'argent promis de la France à l'Empereur est déjà payé, néanmoins mon ministre à Francfort, Klinggræffen, m'écrit que cet article va fort mal et qu'il n'y a rien de réglé. Il sera donc fort nécessaire que la cour de France fasse sans la moindre perte de temps les arrangements nécessaires sur cet article, et qu'on le règle solidement, Il se peut que les sommes que la France a fournies à l'Empereur, n'aient pas été bien administrées ; pour obvier donc à ce mal, il serait bon que la cour de France nommât un commissaire, homme intègre et entendu, à qui on payât les sommes qu'on fournit à l'Empereur, et qui aurait soin qu'elles ne soient employées à d'autres fins qu'à leur destination, ce que vous ne manquerez pas d'insinuer là où il le faut, et de vous concerter là-dessus avec Klinggræffen.

Il faut que je vous fasse encore ressouvenir ici de la nécessité qu'il y a que la cour de France fasse partir incessamment le sieur de Saint-Séverin vers la cour de Pologne, et son envoyé vers la cour de Russie, car, sur le moindre retardement qu'on en fera, les cours de Vienne et de Londres auront gagné le dessus, et ce ne sera que moutarde après dîner lorsque les envoyés de France arriveront aux cours susdites.

Tout ce que je puis vous recommander outre cela, c'est de pousser bien à la roue, afin que les opérations tant des Français que des Impériaux se fassent avec toute la vivacité imaginable, et que les efforts se fassent à la fois ; sur quoi, je me remets sur votre zèle, dextérité et savoir-faire.

<276>

Il y a encore l'article des bailliages séquestrés de Montbéliard, que je vous recommande fort, et, comme il s'agit de gagner par là la cour de Wurtemberg et tout le cercle de Souabe, si la France restitue au duc de Wurtemberg ce qu'elle ne saurait plus retenir sans injustice, vous en parlerez au maréchal de Noailles et même au roi de France, pour qu'on finisse promptement cette affaire selon le plan de Chavigny, auquel la cour de Wurtemberg paraît acquiescer, et qu'on ne la renvoie pas aux lenteurs des procès, devant des tribunaux qui ne sont pas même des juges compétents pour en décider; aussi ferez-vous comprendre au Roi de quelle utilité il serait pour ses intérêts, pour ceux de l'Empereur et de tous ses alliés, de gagner le cercle de Souabe par cet acte de justice, sans lequel le duc de Wurtemberg ne donnera jamais lés mains à une accession au recez d'union, quoique l'armée du prince Charles soit rétrogradée. J'attends, le plus souvent qu'il sera possible, vos nouvelles sur le succès que toutes vos négociations auront eu. Et sur cela, je prie Dieu etc.

Federic.

Poussez, poussez ces . . . .276-1 qu'ils fassent du moins quelque chose.

P. S.

Le brigadier et chef des ingénieurs, le sieur du Viviers, de même que le brigadiers des ingénieurs, le sieur de Bœtet, étant bien arrivés ici auprès de moi, j'en ai voulu vous avertir, et vous ne manquerez pas de dire mille remercîments de ma part à M. le maréchal de Belle-Isle de l'amitié et de l'attention qu'il a bien voulu me marquer par l'envoi de ces hommes habiles.

Federic.

Nach der Ausfertigung. Der erste Zusatz eigenhändig.



274-1 Nr. 1565.

274-2 Freund Bernstorff's.

274-3 Wie oben S. 194 Anm. 3.

276-1 Das Wort ist in der Vorlage ausradirt.