1821. AU ROI DE FRANCE A VERSAILLES.

Quartier de Camenz, 2 mai 1745.

Monsieur mon Frère. Depuis que je suis arrivé dans cette province, je n'ai discontinué de faire des arrangements pour la campagne prochaine; tout était déjà réglé, il y a un mois, lorsque la déclaration les Saxons a tout changé. Votre Majesté sera sans doute informée de a façon indécente dont le comte Brühl s'est expliqué envers M. de Saint-Séverin sur mon sujet, et que je dois regarder la rupture de la saxe comme une chose infaillible. Dans ces circonstances, ce n'est pas à moi à faire des avances à des gens, certainement, que je ne crains :n aucune façon, et que je me flatte à réduire au point de regretter a démarche inconsidéree qu'ils ont faite. On est en France dans l'opinion que l'on pourra empêcher le Grand-Duc de parvenir à la couronne mpériale; M. de Loss a adroitement profité de cette disposition, et, par un certain enchantement, il peint aux yeux des Français sa cour avec des couleurs tout opposées à celle de la vérité. De là vient cette prédilection pour le roi de Pologne qui me veut faire la guerre, en haine le l'assistance que j'ai donnée à l'Empereur défunt et à la France, et qui se serait déjà déclaré contre cette dernière, si mon voisinage ne l'avait etenu dans les bornes d'une modération involontaire. Il s'agit de savoir à présent, à la veille d'une nouvelle guerre, si Votre Majesté Se déclarera jour un prince qui donne des auxiliaires aux ennemis de la France, ou jour celui dont la diversion dégagea l'Alsace; si Votre Majesté préfère es ruses d'un ennemi artificieux et caché à la candeur d'un ami sincère, lui a tiré sur lui tout le fardeau de la guerre, et dont les provinces ne sont ravagées actuellement que pour procurer les douceurs de la tranquillité aux sujets qui vivent sous la domination française; si, enfin, a justice, la foi et la générosité de Votre Majesté pourraient consentir à<143> me laisser manquer des secours réels auxquels les traités L'engagent, contre un prince qui a détrôné le beau-père de Votre Majesté,143-1 contre un prince qui est vendu aux ennemis de la France, et qui n'attend que le moment favorable pour faire éclater contre cette puissance sa haine et son animosité.

Il s'agit d'examiner à présent s'il y a apparence ou non d'empêcher l'élection du Grand-Duc dans la diète de l'Empire. Deux électeurs ecclésiastiques, celui d'Hanovre et celui de Saxe, joints à la voix de Bohême, donnaient la pluralité des voix au Grand-Duc. A cet heureux commencement vient de se joindre le bouleversement total des affaires en Bavière, qui a obligé cet Électeur à faire à tout prix sa paix avec la reine de Hongrie. Votre Majesté sera sans doute déjà informée qu'une des conditions principales de cette paix oblige l'Électeur à reconnaître la voix de Bohême et à donner son suffrage au Grand-Duc; il y a beaucoup d'apparence que la cour palatine suivra l'exemple de la Bavière : ainsi, voilà le Grand-Duc empereur, malgré tout ce que l'on y pourrait opposer. L'unique remède que j'entrevois et que l'on puisse humainement employer contre ce mal, est de faire pénétrer un fort détachement de l'armée du prince de Conty jusqu'au cœur du pays d'Hanovre: c'est l'émétique qu'il faut employer dans cette agonie. Si le roi d'Angleterre s'éveille aux cris de ses sujets désolés, si la voix de la patrie se fait entendre à son âme, tandis que son cœur souffrira tout ce que la crainte de perdre ses trésors pourra lui faire sentir : si, dis-je, toutes ces impressions se font à la fois, il est à croire qu'il changera de sentiment et qu'il pourra bien chanter la palinodie, et, avec lui, tous ceux que les guinées anglaises ont rendu ses mercenaires.

Je propose simplement le moyen, sans entrer dans le détail de 1 exécution ni des raisons qui pourraient peut-être y apporter de l'empêchement. On ne sait point si les troupes autrichiennes qui ont servi en Bavière refluent vers la Bohême, si elles défilent pour l'Italie, ou si elles détachent du côté de la Souabe. Il est sûr que leur destination influera beaucoup dans le projet de campagne de cette année, et que c' est un poids de plus à porter pour qui les aura vis-à-vis de lui.

Je ne sais point si le Grand-Turc est assez honnête homme pour faire une diversion dans cette conjoncture critique et épineuse; il me semble que, si le Divan était bien instruit du dégarnissement entier de la Hongrie, il saisirait l'occasion la plus propre de toutes pour enlever tout ce royaume à la Reine. Je me prépare cependant de mon côté, et sans compter sur des évènements incertains, à faire, cette campagne, tous les efforts qui dépendront de moi, étant à jamais, avec les sentiments de la plus haute estime, Monsieur mon Frère, de Votre Majesté le bon frère

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

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143-1 Stanislaus Leszczinski.