1925. MANIFESTE.223-1

Depuis que le roi de Prusse a donné des troupes auxiliaires au défunt empereur Charles VII, et que le roi de Pologne, électeur de Saxe, en a fourni, presque en même temps, à la reine de Hongrie — sous prétexte de coopérer à la défense de la Bohême — les personnes sensées ont appréhendé, d'abord, que ces Princes ne tarderaient pas à mêler dans la querelle de leurs alliés leurs démêlés particuliers.

L'acte simple en soi-même de fournir des troupes saxonnes auxiliaires à la reine de Hongrie, contre les armées du Roi, aurait autorisé Sa Majesté, selon les usages de la cour de Vienne, d'agir hostilement contre les États de la Saxe.

C'est selon ce principe que les troupes de la reine de Hongrie ont désolé le Haut-Palatinat, et qu'elles ont tiré des contributions énormes des duchés de Juliers et de Bergue, quoiqu'en effet la conduite de l'Électeur palatin envers la reine de Hongrie ne différât point de celle de l'électeur de Saxe envers le Roi. Ce même prétexte a fait tenter à la reine de Hongrie, par deux reprises différentes, des invasions infructueuses en Silésie, et c'est encore par ce même esprit que les troupes hessoises ont été désarmées en Souabe, après l'accord que l'électeur de Bavière venait de signer.

Ces faits font foi qu'à Vienne on ne fait aucune distinction entre auxiliaire et partie belligérante. Ce qui s'est pratiqué à Vienne, peut être pratiqué, par la même loi, à Berlin, et, par une juste rétribution, le Roi aurait été en droit de prendre les mêmes mesures contre les Saxons, alliés de la reine de Hongrie, que cette Princesse s'était crue en droit de prendre contre les Palatins, les Prussiens, et les Hessois, alliés de l'Empereur défunt.

Mais le Roi a senti une répugnance extrême à prendre ce parti violent. B n'a point voulu se rendre complice des injustices de la cour de Vienne, étant de l'opinion que, si l'honnêteté était bannie de la terre, ce serait auprès des grands princes qu'on devrait la retrouver.<224> Bien loin de donner des marques de ressentiment, mêlées d'aigreur et d'animosité, le Roi fit faire, immédiatement après la mort du dernier Empereur, des propositions amiables au roi de Pologne, dans l'intention de trouver un terme de réconciliation; on voyait dans ces propositions un désintéressement parfait de la Prusse, et des avantages considérables et des agrandissements pour la maison de Saxe.

Ces démarches pacifiques furent infructueuses. La cour de Dresde, enorgueillie par la frivole idée que ces troupes avaient eu une part considérable à la marche rétrogradive que firent les Prussiens, à la fin de l'année passée, pour se poster sur les frontières de la Silésie: l'espérance chimérique qu'elle conçut de grandes conquêtes, fondant ses vœux ambitieux sur les iniquités du traité de Varsovie : la jalousie d'un voisin dont cette cour avait vu l'agrandissement avec une envie chagrine: en un mot, une fermentation de passions, et peut-être des intérêts particuliers des ministres, lui firent fermer l'oreille aux véritables intérêts de la Saxe, et, en même temps, à la voix de la justice et de l'équité.

Ce traité de Varsovie224-1 engageait le roi de Pologne à fournir un corps de 30,000 auxiliaires à la reine de Hongrie, dans l'intention de faire la conquête de la Silésie. On sait qu'il y est stipulé, de plus, qu'en reconnaissance de ce secours, la reine de Hongrie céderait au roi de Pologne ses droits sur les principautés de Glogau, Jauer, Wohlau, et sur les villes commerçantes des montagnes; que le roi d'Angleterre promet de payer une somme assez considérable à la Saxe, pour que le Roi soit mis en état d'entretenir un corps de troupes en Pologne et de rendre ce royaume héréditaire dans sa maison.

En conséquence de ce traité, les Saxons entrèrent le 26 de mai en Silésie, avec les Autrichiens, et s'avancèrent jusqu'à Friedberg, lorsqu'on fit partir de Dresde, presqu'en même temps, un train d'artillerie, et des pontons, pour prendre la route de Glogau, que les Saxons avaient intention d'assiéger. Mais la Providence, qui gouverne les empires par sa puissance et qui veille sur les choses humaines par sa sagesse, elle qui se plaît à confondre le conseil des superbes et de ceux qui se fient en leur propre force, en avait décidé autrement. L'on sait quelle gloire immortelle les troupes prussiennes s'acquirent le 4 de juin, et que les suites de cette victoire achevèrent de détruire les desseins que les ennemis avaient formés contre la gloire et la puissance du Roi. Le monde entier est informé des cruautés inouïes que ces ennemis ont exercées en Silésie;224-2 leur mémoire y est en horreur et en abomination, et il faut avouer qu'il est honteux à des peuples chrétiens et policés de faire une guerre dont les barbares mêmes auraient lieu de rougir.

Pendant que tant d'horreurs se commettaient en Silésie, et que le Ciel, juste vengeur des crimes, se plaisait à les punir d'une façon si<225> éclatante, si palpable, et si sévère, l'on soutenait froidement à Dresde que la Saxe n'était point en guerre avec la Prusse, que le duc de Weissenfels et les troupes qui se trouvaient sous ses ordres n'avaient point attaqué les États héréditaires du roi de Prusse, mais seulement ses nouvelles acquisitions, et le ministère se berçait avec ces sortes de raisonnements spécieux, comme si de petites distinctions scholastiques et des subtilités puériles des grammairiens étaient des motifs assez puissants pour autoriser l'illégalité et l'injustice de son procédé.

Rien de plus facile que de réfuter d'aussi faibles arguments. Les deux couronnes vivaient en paix avant que les troupes auxiliaires de l'Empereur entrassent en Bohême; le court trajet de ces troupes, pour traverser la Saxe, a fait beaucoup crier les ministres du roi de Pologne, mais injustement.

Suivons la conduite du roi de Prusse dans cette marche. Les réquisitoriaux de l'Empereur avaient précédé l'arrivée de l'armée; les troupes n'ont presque fait aucun séjour dans leur passage, et. elles ont payé dans leur marche, aux fourrages près, tout ce qui leur a été fourni pour leur subsistance; les engagements du Roi, les conjonctures pressantes, et la situation locale du pays ôtaient à Sa Majesté la liberté d'opter entre les chemins qu'Elle pouvait choisir. Si le Roi avait eu des desseins pernicieux sur la Saxe, qui l'aurait pu empêcher, à la tête d'une armée de 60,000 hommes, de désarmer cette poignée de Saxons qui gardaient leur pays, et à s'en rendre le maître? Mais est-ce aux Saxons d'accuser le Roi d'aussi noirs projets? Et se peut-il que cette nation ingrate ait déjà perdu la mémoire de la bataille de Czaslau, où le Roi risqua tous les hasards d'une affaire générale, pour garantir leurs frontières contre les incursions que les Autrichiens pouvaient y faire, après que les Saxons mêmes, ayant abandonné le Roi en Moravie, se retirèrent dans le cercle de Saatz, et laissèrent cette partie de leurs frontières qui est située à la rive droite de l'Elbe, sans défense.

Indépendamment du passage des troupes prussiennes par la Saxe, la bonne harmonie subsistait encore entre les deux rois, du moins en apparence, et les ministres continuèrent sans altération leurs résidences dans les deux cours respectives également.

B n'y avait donc que des sentiments d'envie et de jalousie et une ambition injuste et effrénée qui pût faire contracter au roi de Pologne les engagements qu'il a pris au traité de Varsovie.

La Silésie était regardée par toute l'Europe, depuis la paix de Breslau, comme une province incorporée aux autres États qui sont sous la domination du Roi; c'est un héritage de ses ancêtres qu'il a répété et conquis, depuis l'extinction mâle de la maison d'Autriche; d s'ensuit donc de là que la Silésie est autant annexée aux États du Roi que les pays de Zeitz et de Mersebourg le peuvent être à la Saxe. Ce sont des héritages également, de part et d'autre, et il<226> est à croire qu'à Dresde tout le monde s'inscrirait en faux contre un sophiste qui aurait la démence de soutenir que les pays de Mersebourg et de Zeitz pourraient être attaqués impunément, et que ce ne serait point faire la guerre au roi de Pologne, électeur de Saxe, que de lui envahir ces deux duchés. Mais il y a une grande différence entre le langage des passions et celui de l'équité.

Il est donc évident que le roi de Pologne, après avoir attaqué le roi de Prusse dans une de ses possessions, soit en Silésie, ou ailleurs, lui fait, dès ce moment-là, une guerre ouverte et offensive: quel est l'imbécile qui ne se croie en droit de se défendre, s'il se sent blessé dans quelque membre par l'épée d'un homme armé? Et quel serait l'homme assez stupide de se contenter de cette défaite frivole que son ennemi n'en veut pas à son corps, mais seulement à son bras? Pour ôter toute excuse aux Saxons, accordons, pour un moment, que l'invasion dans la Silésie ne peut point être regardée du Roi comme une hostilité : qu'auront-ils à répliquer sur les incursions que leurs troupes nouvellement levées ont faites dans la Nouvelle-Marche ? Faudra-t-il exempter encore cette province, comme la Silésie, du nombre de celles où les hostilités ne sont pas permises? Ce sera donc le libre caprice des Saxons qui mettra des bornes à la protection que le Roi doit à ses sujets, et des corps de troupes entiers qui s'assemblent sur diverses frontières et qui y font des incursions, seront considérés comme une milice amie qui cultive soigneusement les devoirs d'un bon voisinage! Pour ne point arrêter le lecteur trop longtemps sur ce sujet, je le renvoie aux notes226-1 où l'on rapporte le procès verbal de cette incursion. Je passe, de même, légèrement sur une infinité d'autres insultes que les Saxons ont fait au Roi en différentes reprises, comme violation de territoire par le passage de troupes sans réquisitoriaux, arrêt de recrues et de soldats prussiens qui, revenant de l'Empire, repassaient par la Saxe, intrigues, machinations noires et ruses illicites pour commettre le Roi avec ses bons voisins et alliés, les Polonais, dont la liberté est, pour ainsi dire, attachée à la fortune du Roi et à la conservation de la Silésie.

Il paraît que ce soit enfin ici le terme de la patience et de la modération du Roi. Mais Sa Majesté, ayant compassion d'un peuple voisin et malheureux, qui est innocent des offenses qu'elle a reçues, et connaissant les malheurs inévitables et les désolations qui suivent la guerre, a suspendu encore pour un temps les justes effets de son ressentiment, pour faire de nouvelles tentatives d'accommodement à la cour de Dresde. Il y a lieu de présumer, après ces nouveaux et derniers refus, que la religion du roi de Pologne a été surprise par l'indigne perfidie de ses ministres. Les représentations les plus pathétiques et les négociations les plus avantageuses ont été des soins pris à pure perte.

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Il paraît donc par cet aveuglement étrange que la mesure est parvenue à son comble, et qu'après avoir tenté toutes les voies de réconciliation, il ne reste plus à Sa Majesté d'autre parti à prendre que de repousser la force par la force, de donner une protection efficace à ses sujets, contre lesquels le roi de Pologne, électeur de Saxe, a exercé tant de violences et d'inhumanités, de prévenir les pernicieux desseins de ce Prince, que sa persévérance rend irréconciliable, et de faire éprouver à ses sujets de Saxe les mêmes maux qu'il a cru pouvoir faire sentir impunément aux États du Roi, sur lesquels il paraît avoir formé de nouveau des desseins de conquête.

L'intention du Roi est d'obliger un Prince ambitieux et irréconciliable à prendre des sentimens modérés, et quelques avantages que les armées de Sa Majesté pourront avoir dans les opérations qu'elles sont à la veille de commencer en Saxe, Elle sera toujours prête à recevoir les propositions qu'on pourra lui faire, pourvu qu'elles soient équitables, et compatibles avec sa gloire; et en donnant des marques de fermeté et de vigueur d'un côté, le roi de Prusse n'est pas moins porté d'en donner de sa générosité et de sa clémence, dans toutes les occasions.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei. Das eigenhändige Concept ist nicht erhalten.227-1



223-1 Die Veröffentlichung erfolgte am 25. August mit einigen Aenderungen, vergl. Preussische Staatsschriften I, 692.

224-1 8. Januar 1745. Vergl. S. 83.

224-2 Vergl. S. 191.

226-1 „Note sur les hostilités commises par les troupes irrégulières“ etc. ; Preussische Staatsschriften I, 697. Vergl. oben S. 205.

227-1 Vergl. S. 229 Anm. 4.