2160. AU CONSEILLER ANDRIÉ A LONDRES.

Berlin, 26 février 1746.

Le sieur de Villiers étant à la fin arrivé ici, je lui ai donné une audience secrète, où, après de grandes protestations du désir sincère de Sa Majesté Britannique de s'unir avec moi de la manière la plus étroite et de me donner des preuves essentielles de son amitié, en concourant avec cordialité à tout ce qui pouvait avancer mes intérêts, il m'a fait connaître que le Roi son maître, persuadé que je ne pouvais regarder d'un œil indifférent l'exécution des projets que la France semblait avoir formés, soit pour engloutir le reste des Pays-Bas autrichiens et pour écraser la république de Hollande, au cas qu'elle persistât de s'y opposer, soit pour renverser le gouvernement présent de la Grande-Bretagne, ne doutait nullement que je ne fusse très disposé à prendre avec lui les mesures nécessaires pour faire échouer de si vastes et de si dangereux desseins; que pour cet effet, Sa Majesté s'en remettait à mon choix si je voulais m'en tenir aux anciens engagements qui subsistaient déjà entre elle et moi, ou si j'aimais mieux faire un nouveau traité d'alliance, auquel je pouvais compter qu'on apporterait toutes les facilités imaginables, tant de sa part que de celle des États-Généraux; que les Puissances maritimes n'étaient pas éloignées non plus de se servir de mon entremise pour parvenir à une bonne paix avec la France, dès qu'on serait assuré que cette couronne voulût proposer pour cet effet des conditions raisonnables ou du moins s'y prêter, et qu'elles ne feraient nulle difficulté de remettre leurs intérêts entre mes mains, mais qu'en attendant Sa Majesté Britannique me priait et se flattait que je n'hésiterais point de faire des remontrances bien sérieuses à la France pour la détourner de l'entreprise qu'elle paraissait méditer en faveur de la rebellion en Écosse, en lui faisant sentir que je ne pouvais me dispenser d'employer toutes mes forces pour le maintien de la maison régnante en Angleterre et de l'établissement de la succession protestante.

A quoi j'ai répondu que charmé des sentiments que Sa Majesté Britannique me faisait témoigner, je me ferais une étude d'y répondre par toutes sortes d'attentions et de la convaincre de plus en plus de la sincérité et de la réalité de mon amitié; que quant à nos engagements mutuels, il en subsistait à la vérité, mais que depuis nos dernières liaisons il était arrivé tant d'événements capables d'y apporter du changement et de l'incertitude, qu'il paraissait plus convenable, et même nécessaire, de renouveler les traités en question et de les assortir aux circonstances présentes, d'une manière que l'un et l'autre y puisse trou<34>ver ses convenances et ses sûretés; sur quoi, je lui représentai tout ce que je vous ai chargé en dernier lieu de faire entendre à ce sujet au lord Harrington; qu'au surplus l'idée que Sa Majesté Britannique se formait de ma façon d'envisager la situation des affaires aux Pays-Bas et en Angleterre, était très juste, et que je ne pouvais qu'être fort sensible aux dangers et aux embarras où les Puissances maritimes devaient naturellement se trouver à l'un et l'autre égard, ni voir avec indifférence que la succession protestante fût renversée en Angleterre, ou que la république de Hollande fût écrasée; que le moyen le moins équivoque pour s'en tirer et pour en détourner les suites était, à mon avis, de s'appliquer tout de bon à porter les choses à une pacification générale; que je croyais savoir avec certitude que la France n'en était nullement éloignée, et que, si l'on lui en faisait des propositions tant soit peu acceptables, elle y apporterait assez de facilités; que si les Puissances maritimes jugeaient que mon entremise pourrait servir à faire réussir cet important ouvrage, et qu'elles voulussent me communiquer confidemment leurs idées et leurs dernières résolutions à cet égard, je m'en chargerais avec plaisir et m'en acquitterais avec tout le zèle et l'empressement qu'elles peuvent attendre de la part d'un fidèle ami et allié, et qui n'est pas moins attentif à leurs intérêts qu'aux siens; qu'en tout cas, et supposé qu'il n'y eût pas moyen de concilier les prétentions des deux parties, l'Angleterre aussi bien que la Hollande pouvaient compter que j'aurais une attention extrême d'en ménager les avances et les ouvertures et de ne pas mésuser de leur confiance au préjudice de leurs intérêts; que pour ce qui est des représentations qu'on souhaitait que je fisse à la cour de France, pour la détourner de ses projets contre les îles britanniques, elles ne me paraissaient nullement de saison ni propres à faire désister la France de ces desseins, supposé qu'elle les eût formés; qu'elle connaissait assez ma situation pour ne pas ignorer que je ne me trouvais ni en état ni en volonté de me rembarquer dès à présent dans une nouvelle guerre; que par conséquent mes remontrances, quelques sérieuses qu'elles fussent, ne feraient jamais assez d'impression sur son esprit pour la faire changer de mesures, outre que je me sentais une répugnance invincible d'user des menaces, sans les réaliser par des effets prompts et suffisants, dont je me trouvais empêché maintenant par une infinité de considérations et particulièrement par celle des grands préparatifs que la cour de Russie me mettait maintenant en perspective et auxquels, sans les craindre par l'état formidable de défense où je me trouve, Dieu merci, il fallait pourtant être attentif et garder les mains libres.

J'ai trouvé bon de vous faire part de ces particularités, afin que vous sachiez comment vous expliquer sur ces matières dans vos entretiens avec le lord Harrington, si ce ministre vous en parle le premier, posant pour principe de ne pas presser trop la cour d'Angleterre pour prendre de nouveaux engagements avec moi, mais de la voir venir, afin<35> de les obliger à m'accorder des conditions plus avantageuses, où je puisse trouver mes convenances et mes sûretés en toute manière.

Federic.

H. Comte de Podewils. C. W. Borcke.

P. S.

Quoique le sieur de Villiers m'ait fait connaître, et que sa lettre de créance le porte aussi, que, le soin de quelques intérêts domestiques le rappelant en Angleterre, il n'était venu ici que pour exécuter en passant certaines commissions du Roi son maître, je remarque néanmoins qu'il ne serait pas fâché de rester à ma cour, pourvu que la sienne lui fit un établissement convenable.

Comme je serais bien aise de le garder, comme un ministre bien intentionné et dont les manières de penser et d'agir sont tout-à-fait propres de lui gagner ma confiance, vous aurez soin d'insinuer au lord Harrington qu'il me ferait un plaisir sensible de faire en sorte que le sieur de Villiers trouvât son compte à s'arrêter à ma cour, et de seconder pour cet effet les vues de fortune qu'il pouvait avoir en Angleterre, en l'assurant que jamais Sa Majesté Britannique ne pouvait choisir un ministre dont la personne me fût plus agréable et plus propre à entretenir et à cultiver la bonne intelligence et la parfaite harmonie entre les deux cours.

Federic.

H. Comte de Podewils. C. W. Borcke.

Nach der Ausfertigung.