2245. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A DRESDE.

Potsdam, 12 juin 1746.

J'ai tout lieu d'être content des relations que vous m'avez faites le 4 et le 7 de ce mois, puisqu'elles contiennent des faits assez curieux et en même temps fort dignes de mon attention. Aussi devez-vous continuer à être très attentif sur toutes les démarches et menées de la cour où vous êtes.

Quant au plan que les Russes peuvent avoir actuellement, je suis d'opinion, en combinant toutes les circonstances que j'en ai apprises jusqu'ici, qu'il ne se fonde guère à autre chose sinon à la supposition que, nonobstant la paix faite entre moi et la reine de Hongrie, je ne resterai pas tranquille, ni ne verrai avec indifférence les efforts que cette Princesse fait contre la France; que c'est donc pour me brider, que la Russie fait les arrangements d'avance, afin que, le cas supposé existant, celle-ci me puisse tomber en dos avec toutes ses forces, pour aider les Autrichiens et pour leur donner le temps de venir contre moi. Voilà ce que je crois de tous les mouvements que la Russie a faits jusqu'à présent.

Il me semble même que c'est peut-être ce que le Jésuite dont vous me parlez,108-1 a voulu donner à entendre, lorsqu'il lui est échappé de dire que l'armement russien n'était pas directement contre moi; mais comme je tiens ce Jésuite assez instruit des desseins des cours de Pétersbourg et de Dresde sur ce sujet-là, je veux que vous ne deviez épargner ni adresse ni argent pour en tirer encore plus de circonstances, moyennant<109> ceux envers qui ledit Jésuite s'est expliqué jusque là. Ce que vous tâcherez d'obtenir par la troisième ou la quatrième main, sans que ledit Jésuite vous en soupçonne, et je vous tiendrai compte des frais que vous serez obligé d'y faire.

A ce qui me paraît, ni la Russie ni la Saxe ne trouveront convenable de m'entamer cette année-ci; ni la Russie, puisqu'elle ne voudra pas seule se charger de l'affaire, ni la Saxe, parcequ'elle ne se trouve pas arrangée à l'entreprendre. Ce qui me fait la chose d'autant plus vraisemblable, c'est que, si les Saxons couvaient un si grand dessein, ils ne seraient point si imbéciles d'employer 700,000 écus, dans les circonstances où ils sont, pour l'achat du cabinet de Modène, mais qu'ils mettraient plutôt à part cette somme, avec ce qu'ils recevront de subsides de la France et de l'Espagne, pour être en état de m'assaillir. D'ailleurs leur armée n'est

1° Point complète, plusieurs de leurs officiers ayant déjà commencé à congédier de leurs gens;

2° Ils n'ont pas les moindres magasins indispensablement nécessaires à une entreprise pareille;

3° Ils manquent de l'artillerie, ainsi que, pour en pouvoir fournir assez à leurs régiments, ils seraient obligés à faire fondre des canons de campagne;

4° Leurs régiments ne sont fournis ni d'assez de poudre et de plomb, ni des équipages pour faire la campagne : pour ne pas parler de la remonte qu'il faudrait pour leurs régiments de cavalerie, et de cent autres arrangements indispensables pour mettre des troupes en mouvement; ainsi que, tout bien considéré, je ne crois point que j'aie à craindre quelque chose de ces gens-là pendant le cours de cette année; du moins, je vous ai détaillé par tout cela les points sur lesquels vous devez réfléchir, afin de pouvoir juger solidement si les Saxons sont en état d'entreprendre quelque chose ou non.

Sur ce qui est des Autrichiens, je ne les crois pas non plus en état d'entreprendre quelque chose contre moi, par le peu de troupes qu'ils ont actuellement tant sur les frontières de la Bohême qu'en Hongrie.

Quant au comte de Hennicke, le peu de contenance qu'il a tenu, lorsqu'il s'est expliqué avec vous sur les points que vous lui avez dits, me fait assez juger du malin vouloir que le ministère saxon a contre moi et combien il a encore le cœur plein de fiel. Vous ne laisserez cependant pas de dire occasionnellement à ce comte qu'il ne lui sortirait pas si tôt du mémoire ce qui s'est passé avant peu de temps; que j'espérais qu'ils me voudraient bien laisser en repos, mais si, nonobstant de tout cela, l'envie leur prenait de me troubler, je croyais encore qu'eux et leurs alliés auraient assez bonne opinion de moi qu'ils ne nous trouveraient point endormis pour manquer à notre défense.

Federic.

Nach dem Concept.

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108-1 Klinggräffen meldet in seinem Bericht vom 4. Juni, dass er seine Informationen über die Beziehungen zwischen Dresden und Petersburg aus verschiedenen Canälen, directen und indirecten, schöpfe; als einen seiner Gewährsmänner bezeichnet er einen Jesuiten „homme d'esprit et qui peut être fort au fait, étant des intimes du comte de Brühl.“