2247. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Potsdam, 13 juin 1746.

Ayant fini la dépêche que je vous fais,110-2 je viens de recevoir de mon ministre en France, le baron de Chambrier,110-3 une relation assez importante, dont j'ai cru nécessaire de vous communiquer l'extrait ci-joint, avec celui d'une autre relation que mon ministre à Dresde, le sieur de Klinggræffen,110-4 m'a faite.

Comme ce n'est que pour votre direction seule que je vous communique ces deux pièces, vous en garderez très soigneusement le secret. Ce que je vous conseille pour tout cela, c'est ce que vous devez bien être en garde de ne pas vous laisser amuser ni endormir par des avis et de fausses conjectures que peut-être on tâche à vous prêter là où vous êtes, ni de m'en bercer et endormir par là dans un temps où je devais me tenir prêt à agir. Aussi comprendrez-vous aisément qu'il irait de votre tête, si vous me faisiez faire un faux-pas dans une occasion où il s'agit absolument de la conservation et du bien de tout mon État.

Ainsi donc, si vous deviez voir ou soupçonner avec probabilité que la Russie veut rompre sérieusement avec moi et m'entamer encore pendant le cours de cette année, vous ne devez plus tarder alors d'en empêcher les suites, mais de vous servir plutôt de ces moyens efficaces<111> que vous m'avez propose's dans votre relation du 30 d'avril. Il est vrai que, quant aux Autrichiens, on a lieu de croire qu'ils ne seront pas en état d'entreprendre quelque chose contre moi cette année-ci, n'ayant de troupes réglées en Hongrie que 4,000 hommes à peu près, et le reste des troupes qu'ils ont en Bohême et dans la Moravie étant fort peu de chose. D'ailleurs, je ne crois pas non plus les Saxons en état de me nuire pendant cette année, n'étant point préparés à cela et manquant des fonds, des recrues, des magasins, de remonte, des munitions, de l'artillerie et de tous les autres attirails de guerre qu'il faut avoir pour entreprendre quelque chose de pareil. Mais nonobstant de cela, 60,000 Russiens en guerre contre moi dans mes États me causeraient un dommage furieux et m'incommoderaient extrêmement; ainsi que, tout bien considéré, j'aimerais toujours mieux de cracher au bassin et d'employer plutôt 50,000 roubles pour acheter la paix du Chancelier, que de me voir obligé à me mettre en frais pour agir, ce qui seul me coûterait au moins plus d'un million d'écus. Pour conclusion donc, je vous le répète encore que, si vous êtes certain qu'on voudra tout de bon à moi, il n'y a d'autre moyen que de détourner l'orage par ces gratifications au Chancelier dont je vous ai parlé, n'en dussé-je gagner qu'une année, puisqu'en gagnant du temps, j'ai presque tout gagné.

Enfin, c'est dans cette occasion ici où j'attends tout de votre vigilance, pénétration et savoir-faire, en quoi je me remets uniquement.

Federic.

P. S.

Me souvenant encore que vous m'aviez mandé par un post-scriptum séparé à votre relation du 30 avril que, si je croyais avoir besoin du Grand-Cha„ncelier absolument, et si, par exemple, je souhaitais

1° La garantie du traité avec l'Impératrice-Reine,

2° Qu'il ne mît point d'obstacle, mais favorisât plutôt la négociation du comte de Finckenstein touchant mon alliance avec la Suède,

3° Qu'il fasse cesser les apparences d'une guerre contre moi; à quoi j'ajoute

4° Qu'il ne fasse point prendre à la Russie de liaisons avec la Saxe préjudiciables à mes intérêts —

j'y pourrais réussir et m'attacher le Chancelier pour toujours, en lui promettant qu'à l'instant qu'il l'aurait exécuté, je lui ferais payer 50,000 roubles et lui accorderais une pension annuelle de 10,000 roubles — je veux bien vous dire que, si vous voyez que, pour éviter la guerre, il faut passer par là, alors vous ne deviez absolument plus hésiter à offrir au Chancelier la somme susdite avec la pension annuelle susmentionnée, sauf néanmoins qu'il promette et remplisse fidèlement les conditions énombrées; ainsi que je vous donne plein-pouvoir de contracter de cette façon-là avec lui. Quoique je n'aime point à dépenser comme cela mon argent, j'aime mieux cependant d'acheter par là le repos et<112> la tranquillité de mon État que d'entrer d'abord dans une nouvelle guerre onéreuse et ruineuse en tous égards, s'il n'y a moyen de m'en débarrasser autrement, sans compter les alarmes continuelles dont je me crois dispensé alors; aussi, en fait de politique, c'est une épargne que de savoir dépenser à propos.

Du reste, comme le banquier Splitgerber vient de me mander que selon les nouvelles qu'il avait eues de son comptoir à Pétersbourg, vous n'aviez encore aucunement touché à ces 19,000 roubles qui sont restés là à ma disposition, et que vous m'avez mandé comme si vous aviez pris la plus grande partie, ainsi qu'il n'y restaient qu'à peu près 2,000 roubles, j'attends votre explication là-dessus avec un compte exact de ce que vous en avez pris jusqu'ici. Vous vous arrangerez auparavant avec les gens dudit comptoir et ne manquerez pas de m'en faire alors votre rapport au retour du présent courrier. Vous y ajouterez encore un petit pro-memoria à combien vont précisément les pensions annuelles que je fais payer au comte que vous savez, et au sieur de Brummer.

Federic.

Nach dem Concept.



110-2 Nr. 2244.

110-3 Vergl. Nr. 2248.

110-4 Vergl. Nr. 2245.