2265. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Oranienburg, 8 juillet 1746.

Mon cher Podewils. Vous verrez par la copie ci-close de quoi il s'agit dans la relation que Mardefeld m'a envoyée par le courrier de Valory. Sans parler des petites anecdotes que Mardefeld m'y mande, je crois qu'il me veut avertir d'un complot fait entre Bestushew et les cours de Vienne [et de Saxe] et du projet qu'ils ont fait pour m'entamer dès que la paix générale entre la France et les autres puissanses belligérantes sera faite. Mais comme cette paix n'est pas si proche que Mardefeld parait le croire, j'espère que nous aurons du temps, et pourvu que je gagne du temps, j'aurai tout gagné“, car de croire que la Russie m'entamera seule avec les forces médiocres qu'elle a actuellement assemblées, sans raison, sans but et sans ressources, voilà ce que je ne saurais pas m'imaginer. D'ailleurs la reine de Hongrie aura de la peine à suffire pour soutenir la guerre qu'elle a sur les bras, et la Saxe est absolument hors d'état de pouvoir fournir quelque chose à ce complot pendant cette année-ci. Et quand les affaires parviendront à une pacification générale, j'espère que celle-ci se fera à mon inclusion, où on pourra mettre tant de conditions et de clausules que tout le projet des malveillants s'en ira en fumée.

Quand Woronzow arrivera à Berlin, et que vous lui parlerez, vous lui ferez un compliment des plus gracieux de ma part, en ajoutant combien j'étais fâché de ce que mon absence à Rheinsberg, où j'étais avec ma famille, me privait de la satisfaction de le voir à Berlin, mais que, si son temps et sa santé voulaient lui permettre de venir m'y voir, il serait là le très bien venu etc. Vous ferez usage alors de tout ce que Mardefeld nous a mandé depuis quelque temps et surtout par sa dernière relation, et y ajouterez qu'il n'y avait pas à douter et que toutes les apparences étaient que Bestushew ne travaillait à autre but que d'indisposer l'Impératrice contre moi, pour que celle-ci, dans l'attente d'être assistée par l'Autriche et par la Saxe, me déclarât la guerre; que je ne connaissais pas la moindre raison qui puisse obliger l'Impératrice à faire une démarche si préjudiciable à ses propres intérêts contre un Prince comme moi, qui n'a fait que de l'obliger par tout ce qui a été en son pouvoir, et qu'ainsi je n'en saurais que croire, sinon que des gens malintentionnés contre l'Impératrice et contre toute sa famille ne voudraient commencer ce jeu que pour pêcher dans l'eau trouble et causer peut-être un préjudice irréparable à l'Impératrice et à toute sa famille; que vous aviez ordre d'assurer, de la manière la plus positive, le comte<124> Woronzow que mon intention n'était pas ni serait jamais de me brouiller avec l'Impératrice, mais de cultiver plutôt l'amitié réciproque, et que je serais bien fâché, si cette amitié devait être altérée; que j'aurais toute l'obligation du monde au comte Woronzow, s'il pouvait empêcher une telle désunion et s'il voulait contribuer de sa part à ce que la bonne intelligence entre moi et sa souveraine se cimentât de plus en plus; mais que, si contre toute mon attente et contre toute espérance l'Impératrice était déjà tant embarquée qu'elle se voyait obligée de rompre avec moi, alors vous aviez ordre de dire à lui, comte de Woronzow, que comme je n'avais rien à me reprocher à l'égard de sa souveraine, je serais obligé, si l'on venait à m'attaquer, de faire tous mes efforts pour me défendre et me soutenir contre elle et contre tous ceux qui m'entameraient, s'il y en avait d'autres encore; que le bon Dieu avait jusqu'ici protégé mes justes armes et qu'ainsi j'aurais lieu d'en espérer que peut-être tous ceux qui souhaitent tant d'induire l'Impératrice à une guerre contre moi, auraient quelque raison de le regretter; mais que je mettais ma confiance en lui, comte Woronzow, qu'il y contribuerait de tout son pouvoir, pour qu'une chose qui serait sans but et sans succès, serait évitée etc. Vous direz tout cela audit comte d'une manière polie, mais avec beaucoup de contenance et avec un esprit tranquille, comme si nous ne nous souciions guère de tout ce qu'on voudra tramer contre nous. Vous ne manquerez pas de me faire votre rapport sur tout ce que le comte Woronzow vous dira là-dessus, et d'instruire en même temps Mardefeld de tout ce que je vous ai ordonné, et de la réponse que vous en avez eue. Sur quoi, je prie Dieu etc.

Federic.

J'ai ordonné ce qu'on doit écrire, dans cette lettre, touchant Woronzow et les affaires de Russie, et comme mes secrétaires n'ont pas eu le temps de le dépêcher avant mon départ, j'ai laissé trois pages en blanc pour qu'ils les remplissent.

Nach der Ausfertigung. Der Zusatz eigenhändig.