2291. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 22 juillet 1746.

J'ai vu tout ce que vous m'avez mandé par vos dépêches du 8 et du 11 de ce mois, concernant la dernière conférence que vous avez eue avec le marquis d'Argenson, auquel je veux bien que vous deviez dire, à la première occasion qui s'y offrira, et dans des termes polis, que je n'étais nullement éloigné de me rapprocher avec la Saxe, mais que M. d'Argenson savait très bien ce que c'était que le comte de Brühl, et combien celui-ci était attaché à la cour de Vienne par des liens qu'on n'ignorait pas. Que si la France pouvait trouver les moyens pour le gagner d'une manière à pouvoir s'y fier, ce serait un bon coup, et qu'alors j'étais prêt à m'entendre avec le roi de Pologne, à qui je pourrais faire alors des insinuations avec succès; au lieu que, si je lui en faisais présentement, et sans que la France aurait gagné le ministre, il n'en résulterait autre chose, sinon qu'on ne les écouterait point et qu'on les sacrifierait à la cour de Vienne et ses alliés, pour m'en causer de l'embarras et me commettre avec ceux-ci. Mais qu'en général, toute cette affaire ne dépendrait que des moyens que la France pourra mettre en exécution pour se captiver Brühl et pour mettre par là la cour de Saxe dans de meilleures dispositions que ne sont celles où elle est actuellement.

Quant à la pensée que le marquis d'Argenson a eue, que j'aurais du perdre le comte de Brühl, lorsque j'étais à même de le faire, il en a peut-être raison, et moi-même y ai pensé à ce temps-là; mais deux considérations m'en ont empêché. Premièrement, que je croyais alors de pouvoir gagner ces gens-là par ma modération, par douceur et par générosité, croyant que le roi de Pologne, obligé alors de me passer toutes les conditions que je voudrais lui prescrire, quelques dures qu'elles pourraient être, m'aurait plus d'obligation et de reconnaissance, si je ne lui faisais que des conditions modérées, équitables et assez douces, et que je le gagnerais plutôt par là que si je le forçais à chasser son favori. En second lieu, le cas posé que je l'avais forcé à se défaire de son ministre, n'est-il-pas à croire qu'il aurait fait autrement que le roi d'Angleterre a fait par rapport à Carteret, dont nous savons que,<148> quoique le roi d'Angleterre fût obligé de s'en défaire, il n'agit cependant jusqu'à ce temps-ci que suivant les idées et les conseils que celui-ci lui inspire; ainsi donc je n'aurais rien gagné, quand même j'aurais fait chasser le comte Brühl.

Vous dites que vous n'avez rien vu, dans le traité fait avec la Saxe, ni entendu parler de la Pologne, ni rien qui puisse m'intéresser; je le crois, mais je ne suis pas tout-à-fait persuadé qu'on vous ait montré tout le traité dans son entier, et j'ai de grands soupçons qu'il y a encore des articles séparés ou secrets qu'on n'a pas trouvé convenable de vous communiquer.

Quant aux propos que M. d'Argenson vous a tenus, touchant ma médiation pour le rétablissement de la paix générale, vous pouvez bien lui dire que je le priais de réfléchir pour quelques moments avec combien de sincérité et d'ouverture du cœur j'avais offert moi-même à la cour de France ma médiation, il y a six mois, lorsque la prospérité des armes de la France me mettait à même de lui faire avoir de fort bonnes conditions; mais que lui, M. d'Argenson, se souviendrait aussi combien on avait décliné ma proposition : à présent que les affaires de la France sont fort brouillées, pour ne pas dire gâtées, par ces fâcheuses négociations qu'on a entretenues avec la cour de Turin et la Hollande, il serait extrêmement difficile qu'on pût faire goûter aux Puissances maritimes, et encore moins à la cour de Vienne, ma médiation; et quel succès pourrait-on espérer d'une pareille négociation? Car de vouloir me charger d'une médiation armée, voilà ce que les conjonctures présentes ne me permettent point. Que d'ailleurs le marquis d'Argenson considère un peu, si j'ose lui parler de cœur ouvert, combien de cours en Allemagne, et même ailleurs, la France vient de perdre l'une après l'autre, qu'on lui a voulu concilier, uniquement par son épargne un peu trop hors de saison. La cour de Bavière en est encore un exemple tout récent, qui s'est vu obligée de faire un nouveau traité avec celle de Vienne,148-1 faute que la France n'a pas voulu se l'attacher moyennant des sommes fort médiocres; et sans parler d'autres encore, ne pourrais-je pas alléguer moi-même, que la France aurait eu, bien pour bien, plus longtemps, si elle m'avait voulu assister en quelque façon dans ma dernière guerre, et ne pas me conseiller, en termes exprès, à suivre ce que mon esprit et mon expérience me dictaient.148-2

Si le marquis d'Argenson croit ma situation pénible et douteuse pour la Silésie dans de certains événements, je n'en disconviens point, mais aussi ne c'est pas toujours le moyen le plus sûr de commencer une guerre pour éviter une autre. Outre cela, il est bien sûr que l'alliance que la cour de Vienne a conclue avec celle de Pétersbourg, ne me convient guère, et que j'aurais bien souhaité de la pouvoir empêcher; je suis encore persuadé que la conduite que la cour de Russie tient<149> depuis quelque temps, n'ait principalement pour objet que de me tenir en échec, afin que je ne puisse rien faire qui embarrassât la reine de Hongrie pendant qu'elle dégarnit ses provinces héréditaires en Allemagne de troupes. Mais comme je n'y saurais rien changer, je suis pourtant persuadé qu'aussi longtemps que je ne remue pas, je n'aurai rien à appréhender de la part de la Russie.

Du reste, je suis fort satisfait de toutes les réponses que vous avez faites au marquis d'Argenson sur chaque propos qu'il vous a tenu, lesquelles je trouve toutes telles comme si je le vous avais prescrites moimême; aussi continuerez - vous de vous exprimer de la même façon, lorsque vous vous trouverez dans de pareilles occasions.

Federic.

Nach dem Concept.



148-1 Vergl. S. 137.

148-2 Vergl. Bd. IV, 389, Anm. 3.