2490. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A DRESDE.

Berlin, 10 janvier 1747.

Le marquis d'Argens vient de me rendre la dépêche que vous m'avez faite en date du 6 de ce mois. M'étant expliqué assez amplement dans la réponse que je vous ai faite le 7 de ce mois, touchant la proposition faite au duc de Richelieu par le comte de Brühl, je m'y réfère et ne saurais ajouter autre chose sinon que de vous dire encore que la raison que j'ai eue à vous faire ma réponse sur le pied qu'elle a été, n'est autre que la persuasion où je suis que le comte de Brühl n'est point du tout sérieusement intentionné à établir solidement la bonne intelligence entre moi et le Roi son maître, mais qu'il n'a fait la proposition touchant les miliciens à rendre,286-1 que parcequ'il a cru que je l'accepterai ou non. Dans le premier cas, il aurait tellement grossi le nombre des prisonniers à rendre que cela serait monté peut-être à quinze cents ou deux mille hommes, dans la persuasion que l'affaire tomberait par là de soi-même. Dans le second cas, et si j'avais refusé rondement sa proposition, il en aurait voulu jeter toute la faute sur moi.

Voilà comme j'ai pensé sur l'intention que le comte de Brühl a eue en faisant sa proposition; si je me trompe là-dessus, vous ne manquerez pas de m'en désabuser. Vous remarquerez encore une autre circonstance qui m'est venue dans l'esprit, savoir que, s'il n'est pas possible de détacher la cour de Saxe des intimes liaisons qu'elle a avec celles de Vienne et de Pétersbourg, à quoi me serviront toutes les avances que je dois faire? et ne serait-ce pas tout-à-fait peine perdue? D'ailleurs, si les choses doivent être égales entre nous, il faudra que la cour de Saxe fasse aussi de son côté quelque pas en avant, après que je lui ai fait tant d'avances, et qu'elle s'explique d'une façon moins vague qu'elle n'a fait jusqu'ici, en me promettant de vouloir commencer de nouveau à établir une bonne correspondance et une intimité<287> qu'elle fera de son mieux pour continuer aussi longtemps qu'il lui serait possible. Y a-t-il quelque chose de plus vague que cela? Et ne faudrat-il pas que les choses allassent ric-à-ric entre nous? Voilà ce que vous devez faire remarquer au duc de Richelieu, pour apprendre ses sentiments là-dessus.

Au surplus, le marquis d'Argens venant de me dire que tout le monde était à Dresde dans l'idée comme si je voulais absolument opprimer la Saxe, je vous ordonne que vous ne deviez laisser passer aucune occasion pour en désabuser les gens, en protestant que j'en étais bien éloigné et que je souhaitais plutôt de pouvoir vivre toujours en bonne et ferme amitié avec la cour de Saxe.

Je viens d'être averti encore que le conseiller Siepmann doit avoir insinué mille faussetés et mensonges au comte de Brühl à mon égard. Comme je connais d'ailleurs le caractère malicieux de cet homme, je veux qu'aussitôt que vous apprendriez qu'il voudra faire encore quelque voyage à Berlin, vous en parliez au comte de Brühl et lui insinuiez que j'étais bien informé de tous les mensonges que cet homme avait dits sur mon article, et que, par cette raison, je ne le pouvais jamais plus souffrir à Berlin.

Le comte de Münchow vient de me dire que le comte de Kolowrat, beau-frère de Brühl, lorsqu'il avait été la dernière fois à Breslau, étant un peu pris du vin, lui avait tenu les propos suivants : que, pour gagner son beau-frère, ce serait en vain que de lui offrir des libéralités, mais comme celui-ci craignait toujours quelque revers de fortune par le grand nombre d'ennemis et envieux qu'il avait en Saxe, l'unique moyen pour l'avoir pour moi, était si je pouvais le faire rassurer qu'en cas de malheur il pourrait trouver de l'appui et de l'assistance chez moi, et que, si jamais je pouvais assurer le comte de Brühl là-dessus, lui, Kolowrat, était persuadé que je l'aurais alors tout-à-fait à ma disposition. Je laisse à votre sagesse et à votre discrétion l'usage que vous voudrez faire de ces insinuations-ci, et si peut-être il y a moyen de gagner le comte de Kolowrat par quelque libéralité considérable de ma part, puisqu'il doit avoir un grand ascendant sur sa sœur, la comtesse de Brühl, et que l'on m'a dit d'ailleurs qu'il était à présent très mécontent de la cour de Vienne, parceque celle-ci lui doit avoir refusé d'une manière fort rude un régiment qu'il a demandé, en l'accusant même de lâcheté qu'il doit avoir commise à la bataille de Soor.

Federic.

Je suis fort content de vous, et à la première vacance d'un bon gros canonicat je vous en pourvoirai.

Tâchez de me faire avoir la partitura dell'opera di Semiramide qu'on va représenter à Dresde.

Nach dem Concept. Der Zusatz nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

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286-1 Vergl. Nr. 2488.