3475. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 15 février 1749.

J'ai reçu votre dépêche du 31 du janvier dernier. Si le marquis de Puyzieulx croit que, par les raisons qu'il vous a alléguées, le pouvoir despotique dans un roi de Suède pourrait me convenir, vous lui insinuerez que jamais une souveraineté en Suède ne me conviendrait tant que la conservation de la tranquillité du Nord; qu'en conséquence de ce la j'avais fait faire les insinuations les plus énergiques en Suède, pour qu'on ne change rien à la forme du gouvernement présent, quand le cas de mort du roi de Suède arrivera, et qu'on devait éviter soigneusement tout ce qui pouvait commettre la Suède avec ses voisins; mais que, si malgré tout cela la Suède étrait entamée par la Russie, je priais M. de Puyzieulx de penser si c'était par ma faute, et si ce cas-là n'était pas bien différent de ce que même mes ennemis prenaient à tâche de m'imputer, quoique frivolement, comme si je ne cherchais qu'à brouiller les cartes de nouveau.

Il est vrai que mes dernières lettres de Russie disent que, selon les apparences, les vues du chancelier Bestushew relativement à la Suède ne tendaient qu'à empêcher l'établissement de la souveraineté dans ce royaume, et que de tous ses autres projets celui d'éloigner le Grand-Duc du trône de Russie était le principal objet où aboutissaient toutes ses manœuvres; qu'outre cela un de mes amis là assurait que la con<378>vention sur l'entretien d'un corps de 30,000 hommes troupes russiennes en Livonie n'était point encore renouvelée, et qu'il doutait fort que les puissances intéressées eussent envie de renouveler à cet égard leurs engagements, d'autant plus qu'elles étaient trop aises de se voir déchargées du fardeau de ces conditions onéreuses, pour vouloir sans aucune nécessité apparente l'endosser de nouveau, et que le ministre de Hollande en Russie, qui avait débité cette nouvelle, avait voulu apparemment en imposer. D'ailleurs je vous fais communiquer par une dépêche d'aujourd'hui du département des affaires étrangères la déclaration que la cour de Russie a fait faire par son ministre à Stockholm au ministère de Suède, démarche qui me rassure en quelque façon des ombrages où j'ai été, comme si la cour de Russie voulait changer la succession établie en Suède. Mais quand je considère d'un autre côté que la Russie peut avoir un autre but dans tout ceci, quand je combine ce que je vous fais communiquer, encore, par le département des affaires étrangères par rapport aux arrangements que la cour de Vienne fait actuellement avec beaucoup de chaleur par rapport à son militaire, et à la peine que l'Empereur et l'Impératrice se donnent pour faire argent de tout, de même que touchant ses autres arrangements, qui indiquent tous qu'il y a de grands desseins sur le tapis; quand il est vrai encore, ce que mes lettres de Hollande m'apprennent, qu'il y a une triple alliance conclue entre les cours de Londres, de Pétersbourg et de Vienne, et que le traité en est signé — j'avoue qu'il y a une complcation de circonstances que je ne sais point démêler encore, et qui, en attendant, ne laissent pas de donner bien des soupçons. Avec tout cela, je crois que, si la cour de Londres abandonne une fois ses vues ambitieuses, la Russie et le reste de ses alliés ne voudront point commencer le branle, et que, si l'intention du roi d'Angleterre n'est point de placer son fils, le duc de Cumberland, au trône de la Suède, il n'y aura point de guerre à craindre dans le Nord; mais que, si au contraire le roi d'Angleterre couche cet établissement pour son fils, alors la guerre sera inévitable, qui mettra toute l'Europe en combustion.

Vous ne laisserez pas de communiquer convenablement ces considérations au marquis de Puyzieulx, en ajoutant par manière de confidence que, si malheureusement une guerre devait commencer entre la Suède et la Russie, mes affaires n'étaient point encore arrangées de façon que je puisse y prendre part d'abord, et qu'il me faudrait, au moins, une année de temps encore avant que je sois à même de faire des démonstrations de diversion aux ennemis de la Suède.

A cette occasion, je veux bien vous dire, quoique dans le dernier secret et uniquement pour votre direction, que je fais faire ces insinuations-là au marquis de Puyzieulx pour le prévenir, afin qu'au cas d'une rupture entre la' Suède et la Russie la France ne me demande point de m'en mêler d'abord ni de me jeter en avant, et vous pouvez compter que, si cette guerre funeste devait avoir lieu, je me tiendrai<379> hors du jeu autant qu'il me le sera possible; d'ailleurs j'aimerais mieux alors de me faire solliciter par la France pour m'en mêler, que d'y entrer gratuitement et de gaîté de cœur, ce que mes circonstances ne voudraient point permettre autrement.

Au reste, quant au malheureux Lestocq, on vient de m'apprendre que ni lui ni sa femme n'étaient plus à la forteresse de Pétersbourg, et qu'on le croyait ou transporté, ou mort de toutes les souffrances et tourments dont on l'avait fait passer, et dont à la fin il était expiré. Quant aux motifs de l'arrêt de cet infortuné, on croyait qu'il eût été en correspondance avec le Prince - Successeur ou avec quelque autre personne en Suède, et que l'on avait intercepté de ses lettres, puisqu'on ne parlait que de lettres interceptées.

Federic.

P. S.

Comme je n'ai pas pu savoir précisément jusqu'ici à quelle somme montent les capitaux et les intérêts que la reine de Hongrie doit payer à la république de Gênes en conformité du dernier traité de paix,379-1 je serais bien aise si vous pouviez vous en informer auprès du marquis de Puyzieulx, pour m'en faire alors votre rapport de manière que j'y pourrais tabler.

Nach dem Concept.



379-1 Vergl. S. 361.