4197. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 24 mars 1750.

Je viens de recevoir votre dépêche du 13 de ce mois. Depuis la dernière que je vous ai faite, j'ai reçu tant de différentes nouvelles qui me marquent une forte crise dans les affaires de l'Europe et qui réveillent mon attention sur le pli qu'elles sauraient prendre. En conséquence de celles qui me sont parvenues de Russie, l'on doit estimer que le chancelier Bestushew n'est pas encore aussi décidé pour la guerre qu'il le voudrait paraître, qu'il était sûr et constaté qu'il répliquera en termes arrogants et menaçants à la dernière réponse que la Suède a faite au sieur Panin, qu'il continuera ses agaceries à celle-ci et qu'il les appuiera par force de démonstrations, mais que jusqu'ici il n'y avait pas d'apparence qu'il voudrait pousser les affaires à une rupture ouverte avec la Suède et qu'au moins les apparences étaient qu'il commencerait<303> par une nouvelle déclaration à faire à la Suède, avant que de pousser les choses à l'extrémité.

Mais pour ce qui regarde mes nouvelles d'Angleterre, elles sont que la cour de Londres continue à s'expliquer vaguement sur les affaires du Nord, en attendant qu'elle redouble ses démarches pour fortifier son parti par des alliances et nommément dans l'Empire. Que c'est une affaire faite que celle avec l'électeur de Cologne pour 12,000 hommes, à ce qu'on dit, qu'on veut renouveler avec celui de Mayence, qu'on traite actuellement avec le ministre saxon à Londres, et qu'on se flatte d'avoir aussi la Bavière.

De cela je juge que la cour de Londres vise à deux choses, ou de s'assurer du plus de suffrages qu'elle pourra, quand elle voudra mettre sur le tapis l'affaire de l'élection d'un roi des Romains en faveur du jeune archiduc aîné d'Autriche, ou que le ministère anglais croit qu'il y aura inévitablement de la rupture dans le Nord et qu'il voudra rassembler alors des armées, pour les opposer à la France.

Par mes nouvelles de Vienne, j'entrevois que cette cour-là ne serait point fâchée si un feu de guerre s'allumait dans le Nord, pourvu qu'elle saurait rester au moins au commencement spectatrice.

Mais parmi tout cela le changement le plus considérable qui s'est fait dans les affaires, c'est que le ministère anglais a su trouver moyen de réussir dans l'affaire de la réduction des intérêts des capitaux dans les fonds publics,303-1 par où il gagne un fonds de huit millions qu'il pourra négocier là-dessus et duquel je crois qu'on payera les subsides stipulés aux princes de l'Empire; nouvelle qui me paraît si intéressante que vous la devez communiquer à M. de Puyzieulx.

Il ne me reste à présent que de savoir des nouvelles de la Turquie, que j'attends avec impatience, pour savoir ce que l'on en aura à espérer ou non en cas d'une guerre dans le Nord; aussi ne manquerez-vous de m'en instruire, dès qu'il en arrivera en France. J'attends d'un jour à l'autre l'arrivée du comte Tyrconnell, pour voir ce qu'il me proposera en conséquence de ses instructions; en attendant, plus les affaires deviendront critiques, plus je serai sur mes gardes pour ne pas m'avancer trop loin, quoique je tâcherais toujours à remplir religieusement mes engagements.

Federic.

Nach dem Concept.



303-1 Vergl. S. 297.