5134. A LA REINE DE SUÈDE A STOCKHOLM.

Potsdam, 16 octobre 1751.

Ma très chère Sœur. J'ai reçu des nouvelles assez intéressantes de Vienne. C'est une conversation que le comte Ulfeld a tenue avec quelqu'un dont sûrement il ne s'est pas défié.478-2 Vous verrez par là, ma chère sœur, la véritable façon de penser de sa cour et de celle de Pétersbourg, et je suis sûr que vous ne me condamnerez point de vous avoir si souvent recommandé de couler doucement votre première Diète. La conduite emmiellée de la Russie n'est qu'un piège qu'elle vous tend, pour vous endormir dans une profonde sécurité, dans l'espérance que, vous croyant assurée de ce côté-là, vous pourriez peut-être manifester quelque sentiment d'ambition dont on ferait un bruit affreux et dont ce perfide ministre se servirait pour justifier sa conduite passée et pour pousser les choses aussi loin que sa haine l'y convie.

Je souhaite de tout mon cœur d'apprendre de bonnes nouvelles de Stockholm, et que tout tourne à votre contentement. Vous êtes encore jeune, ma chère sœur, un projet différé n'est pas rompu; le temps et les évènements vous serviront, quand vous vous y attendrez le moins. Le prince d'Orange, persécuté par les Régents de la République, exclu de toutes les charges, éloigné de la Haye, est parvenu tout d'un coup<479> à son but, et la fortune l'a si bien secondé qu'il a plus d'autorité qu'aucun de ses prédécesseurs n'en a eu. La même chose peut vous arriver, il n'y a qu'à voir venir.

Je vous demande pardon de cette ennuyeuse lettre, ce n'est pas la première que vous avez reçue de moi dans ce genre-là, et je crains fort que ce ne soit pas la dernière. Conservez-moi votre précieuse amitié et soyez bien persuadée de la tendresse et de tous les sentiments de la plus haute estime avec laquelle je suis, ma très chère sœur, votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

Extrait.

Je puis rendre compte de bon lieu et de fraîche date comment la cour de Vienne pense sur les affaires du Nord. C'est de l'entretien d'un homme d'esprit et non suspect, qu'il a tenu au comte Ulfeld. Il a donc demandé à celui-ci comment les affaires du Nord en tourneraient à la Diète; à quoi le dernier a répondu qu'il craignait plus que jamais qu'il n'en résultât de nouveaux troubles; qu'à la vérité la Suède, selon toutes les apparences, ne changerait pas la forme présente du gouvernement par le rétablissement de la souveraineté, mais que les États pourraient donner plus de pouvoir au roi de Suède qu'il n'a actuellement, ce que la Russie ne pourrait pas souffrir. A quoi notre homme l'a prié de vouloir bien l'éclaircir [sur] toutes ces affaires, puisqu'il n'avait qu'une connaissance superficielle sur la Suède, savoir si la Russie avait droit sur elle, ou bien si cette dernière était une puissance indépendante.

Le comte Ulfeld lui a fait connaître que la Suède était sans doute indépendante et qu'il n'entrait point ici de droit réel de la Russie, mais qu'elle en avait sûrement un de convenance, trop intéressant pour ne pas s'opposer vivement au moindre changement de la souveraineté. Notre homme a poussé plus loin, pour savoir si un changement pareil était important. Sûrement, a répliqué le comte Ulfeld; l'histoire nous apprend combien les rois de Suède souverains ont été redoutables; la nation suédoise est brave, le sort des armes incertain, et la Russie, quoique puissante, pourrait par malheur de guerre devenir inutile à ses alliés. C'est tout, ajouta-t-il, comme si par exemple la Pologne s'avisait de changer sa forme présente de gouvernement : ni la Russie, ni la cour de Vienne ne le permettrait jamais.

Je prie Votre Majesté avec instance de me vouloir bien garder un secret absolu sur tout ce que dessus.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei. Der Extrait nach dem Concept.

<480>

478-2 Vergl. S. 480 Anm. 1.