5156. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Potsdam, 25 octobre 1751.

J'ai reçu votre rapport du 23 de ce mois touchant les dépêches du marquis d'Havrincourt et de l'abbé Lemaire que milord Tyrconnell a bien voulu vous communiquer confidemment.

Vous lui répondrez de ma part que, sensible que j'étais à la nouvelle marque de son attention pour tout ce qui saurait avoir du rapport à mes intérêts qu'il m'avait donnée, il pouvait compter que je n'avais rien oublié pour inspirer toujours à la Reine, ma sœur, des sentiments pacifiques et pour l'exhorter de ne se mêler de rien, ni entreprendre quelque chose, pendant la Diète présente, qui saurait avoir le moindre rapport à une augmentation du pouvoir royal ou au despotisme. Qu'aussi, pour la convaincre d'autant plus de la nécessité indispensable qu'il y avait de faire couler tranquillement cette Diète, je lui avais communiqué moi-même l'avis qui m'était venu en dernier lieu de Vienne495-1 — quoique sans lui nommer le canal d'où je l'avais eu — sur la vraie façon de penser des deux cours impériales relativement aux affaires de la Suède, en lui déclarant encore que la Russie ne demandait pas mieux qu'un prétexte pour témoigner au gouvernement présent de Suède toute sa mauvaise volonté, et que la conduite emmiellée de la Russie n'était qu'un piège qu'on lui tendait pour l'endormir dans une profonde sûreté, dans l'espérance que, se croyant assuré de ce côté-là, il pourrait manifester quelques sentiments d'ambition dont on ferait un bruit affreux et dont le premier ministre de Russie se servirait pour justifier sa conduite passée et pour pousser les choses aussi loin que sa haine l'y conviait; et qu'au surplus j'avais ordonné du depuis à mon ministre Rohd495-2 de communiquer à ma sœur, la Reine, ce que nous avions appris depuis peu de la déclaration que la cour danoise doit avoir faite à la France, et combien il y avait à appréhender que cette cour ne changeât totalement des bonnes dispositions où elle avait été pour la bonne cause; ainsi que j'avais rempli de me part tout ce que l'on peut prétendre raisonnablement là-dessus.

Quant au marquis d'Havrincourt, s'il se plaignait de ma sœur, la Reine, que celle-ci se plaignait également de lui, au sujet des partialités qu'il avait fait remarquer ouvertement dans les différends qui s'étaient<496> élevés entre le Roi et le Sénat de Suède; que ce ministre s'était ingéré dans plusieurs affaires qui ne concernaient que des choses purement domestiques, et que cela allait si loin de sa part que ma sœur avait tout lieu de s'en plaindre; que, selon mon sentiment, tout ministre étranger qui pense bien pour une cour à laquelle il est envoyé, ne devait jamais prendre parti, quand il y avait des différends, mais tâcher plutôt de les étouffer et de concilier les différends partis, et qu'en conséquence le marquis d'Havrincourt n'aurait point dû se déclarer ni pour ou contre le Roi, ni Lieven, ni le Sénat, mais s'employer plutôt à les concilier moyennant une conduite parfaitement impartiale.

Que milord Tyrconnell conviendrait, selon la sagesse que je lui connaissais, qu'il saurait être indifférent à la France, à moi et à toute l'Europe que Lieven fût le favori du roi de Suède ou tel autre, tandis qu'il n'inspirait à la cour des choses qui ne convenaient nullement aux circonstances présentes et qui sauraient allumer un feu de guerre dans le Nord.

Que pour ce qui était de mon dit ministre de Rohd, que je ne saurais point le condamner de ce qu'il n'avait pas voulu prendre part, ni se mêler de choses qui ne touchent point un ministre étranger et qui ne regardent que purement et simplement les affaires domestiques d'une cour. Que tout au contraire j'étais obligé d'approuver la conduite que mon ministre avait tenue à cet égard. Que, si M. d'Havrincourt se plaignait de Rohd de ce qu'il n'avait pas travaillé sur un même plan avec lui, il n'y avait point de la faute de celui-ci, parceque naturellement il n'avait pas pu travailler sur un plan que le marquis d'Havrincourt ne lui avait jamais communiqué : quel moyen y a-t-il d'aller de concert sur un plan dont on n'a jamais eu communication?

D'ailleurs il est à observer qu'aucun de mes ministres aux cours étrangères n'est autorisé de prendre sur soi d'adopter quelque plan, sans avoir préalablement mon approbation là- dessus; de façon que, si M. d'Havrincourt eût souhaité que Rohd entrât dans ses mesures, il aurait fallu qu'il nous fît communication de son plan, afin que j'eusse pu donner mes instructions à Rohd.

Que, si la cour de Suède m'envoyait Lieven pour rapporter l'ordre dont feu le roi de Suède avait été revêtu, je ne l'en saurais empêcher; mais que milord Tyrconnell pourrait sûrement compter que je ne donnerais jamais d'autre conseil à la reine de Suède que de ne rien faire ni entreprendre de ce qui pourrait entraîner des troubles dans le Nord; que j'étais aussi intéressé que la cour de France à ce que la tranquillité dans le Nord se conservât, et que mon intérêt était d'autant plus pressant en ceci que, par la situation de mes États, je serais le plus proche pour être enveloppé dans ces troubles, s'il s'en élevait. Qu'ainsi milord Tyrconnell devait être persuadé que j'emploierais tous les moyens possibles pour étouffer tout ce qui pourrait occasionner de la guerre dans ces contrées.

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Quant aux bruits que les mécontents de Suède disseminent, il ne fallait y faire grande attention, vu que dans un pays tel que la Suède, où il y avait toujours des factions et où chacun raisonnait librement ses vues, il n'y avait nul moyen de les empêcher.

Pour ce qui regarde la dépêche de l'abbé Lemaire, j'approuve parfaitement ce que vous avez répondu là-dessus, et vous devez réitérer à milord Tyrconnell que, quoique toutes les complaisances que je pourrais avoir pour le Danemark dans l'affaire en question, n'aboutiraient apparemment qu'à en orgueillir plus encore le baron Bernstorff et à le rendre plus insolent, après qu'il aurait, selon toutes les apparences, déjà pris son parti avec la cour de Russie, néanmoins je m'étais remis à la médiation de la France sur ceci, en lui laissant les soins d'arranger cela, selon qu'elle le trouverait convenable et de façon que je puisse sortir honorablement de cette affaire.

Au reste, je trouve nécessaire que vous instruisiez tout en détail milord Maréchal d'Écosse de ce qui s'est passé entre nous et milord Tyrconnell, tant à l'égard des affaires de Suède que du Danemark, et de la réponse que j'ai donnée, afin qu'il sache s'expliquer envers les ministres de France, quand ceux-ci lui en parleront, au lieu qu'il faut qu'il se taise, quand ces ministres ne lui touchent rien à ces sujets. Sur ce, je prie Dieu etc.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



495-1 Vergl. S. 478. 479.

495-2 Vergl. Nr. 5154.