5174. AU COMTE DE TYRCONNELL, MINISTRE DE FRANCE, A BERLIN.

Potsdam, 4 novembre 1751.

Milord. Vous connaissez trop bien les sentiments d'amitié et d'estime que j'ai pour vous, pour ne pas être parfaitement persuadé de ma reconnaissance de ce que vous avez bien voulu me communiquer confidemment les extraits ci-clos des dépêches que votre courrier dernièrement arrivé vous a apportées,508-1 et de ce qui regarde principalement les affaires présentes de la Suède. Vous êtes trop instruit de ma façon de penser à cet égard pour ne pas convenir que c'est bien à tort et avec injustice qu'on me soupçonne d'être impliqué soit directement ou indirectement dans les dissensions qui se sont élevées entre la cour et le Sénat de Suède.

C'est à mon grand regret que je les ai apprises, et, pour vous convaincre d'autant plus de la droiture de mes intentions, j'ai ordonné à mon ministre de Podewils de vous lire l'extrait des instructions que j'ai données à mon ministre à Stockholm, le sieur de Rohd, pour lui enjoindre précisément de ne pas se mêler ni en noir ni en blanc de toutes ces mésintelligences, mais de tâcher plutôt à les accommoder et à réunir les partis différents par de sages remontrances. D'ailleurs je ne dois point présumer qu'il se soit écarté de ces ordres, vu que tous ses rapports qu'il m'a faits jusqu'à présent, me marquent tout le contraire et me font juger que de son côté il n'a rien oublié pour suivre exactement mes intentions, quoiqu'il se soit pris avec prudence et en sorte de ne marquer aucune partialité.

Il est triste pour moi, et ma situation est fâcheuse en ce que, avec la meilleure volonté du monde, je n'ai pu contenter deux partis à la fois. Mes ordres ont été, et je n'ai nul sujet de douter que le ministre Rohd ne les ait exécutés, d'inspirer à la cour de Suède des sentiments modérés et de contribuer à une union parfaite; mais vous avez, Milord, trop de connaissance des affaires pour ne pas convenir raisonnablement qu'un ministre étranger à une cour, malgré ses instructions et malgré les mouvements qu'il se donne, n'est pas toujours écouté sur ses conseils et qu'il ne peut point répondre des évènements. Si Rohd a exécuté mes ordres, comme je n'ai nul lieu de douter, et que la cour de Suède n'ait pas goûté entièrement ses avis, je ne saurais pas le rendre responsable de l'effet; je dois plutôt attribuer à un motif de retenue, quand il n'a pas remué partout, pour ne point courir le hasard de contrevenir<509> à mes ordres qui lui ont enjoint de ne point se mêler des affaires qui ne touchaient directement son ministère. Par tout cela, je dois conclure que ce que votre cour vous a marqué des insinuations faites contre lui, n'est qu'une répétition de ce que M. d'Havrincourt vous avait déjà marqué sur son sujet,509-1 et que la première n'a fait que suivre les impressions que celui-ci lui avait données.

Au surplus, il y a une considération importante que je vous prie de faire, savoir que, si l'on fait trop apercevoir au roi de Suède qu'on voudrait le gêner trop et même dans les choses de peu de conséquence, il en saurait résulter, et je n'en répondrais pas, qu'il prit un parti qui, étant fait et pris, nous surprendrait tous également et auquel la trop grande vivacité de M. d'Havrincourt et sa partialité un peu trop marquée auraient principalement contribué, et je puis bien vous dire, à vous, Milord, que je ne suis pas tout-à-fait sans appréhension à cet égard, ni ne vous puis exprimer ici ce que je sais là-dessus. Et comme nous sommes déjà assez malheureux que de perdre de jour à autre un de nos alliés, je laisse à votre pénétration s'il ne sera convenable à nos intérêts de ménager tant soit peu ce qui nous reste d'amis.

Nonobstant de tout cela, vous pouvez compter que je réitèrerai précisément mes ordres au sieur de Rohd, quoiqu'en ménageant absolument les avis que votre cour m'a donnés, qu'il ne doive faire aucune démarche qui saurait intriguer le Sénat de Suède, et de travailler tout au contraire au rétablissement de la bonne harmonie et à la concorde entre les partis, en conséquence des instructions qu'il a toujours eues de ma part. Sur ce, je prie Dieu etc.

Federic.

Nach der Ausfertigung im Archiv des Auswärtigen Ministeriums zu Paris.



508-1 D. d. Fontainebleau 19. October.

509-1 Vergl. S. 495.