<235> royaume et tournerait, selon toutes les apparences, à sa confusion, à cause qu'il n'y a point d'homme dans ce pays-là pour conduire une armée; on peut regarder ces troupes comme un corps robuste sans tête.

L'Angleterre soutiendrait-elle ses alliés, après s'être épuisée pendant la dernière guerre en prodiguant des secours abondants à l'Autriche et des subsides à la Russie? et le pourrait-elle, quand même elle le voudrait? Les impôts que paie cette nation, sont si exorbitants que le gouvernement n'oserait en mettre de plus forts. Le fonds d'amortissement qui s'est formé de la réduction des intérêts, procurerait des ressources pour une année; mais en combinant les finances de l'Angleterre avec sa situation politique qui lui présente une minorité prochaine,1 il n'est ni vraisemblable ni à supposer que l'Angleterre pût soutenir à présent ses alliés.

Il s'en suit donc que, si les Turcs font l'année qui vient la guerre aux deux Impératrices leurs projets ambitieux s'en iront en fumée et que l'exécution de leurs traités — qui produisent souvent des mésintelligences, occasionnant des reproches de part et d'autre — sera le tombeau de leur amitié.

On m'objectera sans doute que les choses peuvent tourner autrement que je le pense, et que cette guerre pourra finir heureusement pour la reine de Hongrie. Je le veux bien; mais voyons les conquêtes qu'elle fera, et je demande si le stérile royaume de Servie et la forteresse rasée de Belgrade méritent d'être achetés au prix de l'épuisement des finances de la Reine et de la ruine de son armée? Et il est sûr que, du jour où même elle fera une paix glorieuse pour ses armes, on pourra compter que de dix ans elle ne se trouvera en état de rien entreprendre. Dès ce jour Votre Majesté et Ses alliés pourront compter sur une paix stable, et la Pologne sur le maintien de sa liberté, sur une paix d'autant plus sûre que les puissances qui seules pourraient la rompre, n'oseront pas y penser.

Dans le moment présent la paix dont jouit l'Europe ne tient qu'à un fil d'araignée : une démarche imprudente du roi de Suède, la mort du roi de Pologne, enfin un évènement qu'on ne prévoit pas à présent, peut allumer en moins de rien le flambeau de la guerre. Nous autres qui désirons de maintenir la paix, nous y contribuons, mais nous ne sommes pas sûrs d'y réussir toujours, au lieu que, par l'expédient que je propose, la paix ne dépendrait que de nous, et c'est assurément la seule façon de l'avoir bonne et durable. Toutes ces considérations me font envisager la guerre des Turcs comme ce qui pourrait arriver de plus avantageux à la France et à la Prusse; cette guerre entraîne entièrement la balance de l'Europe du côté de Votre Majesté et de Ses alliés et La rend maîtresse d'affermir cette paix que Ses victoires et Sa générosité ont cimentées, ou d'imposer des lois à ceux qui seront à jamais les ennemis de la maison de Bourbon et de ses alliés.



1 Vergl. Bd. VIII, 327. 333. 345. 347. 353. 373.