<234> tragiques de ces ministres sur lesquels on comptait, ont fait des impressions à la vérité momentanées, mais extrêmes. A présent qu'on se flatte que par de nouvelles corruptions on se fera de nouveaux amis, on a repris les choses où on les avait laissées.

Ces différentes notions, qui me sont revenues par de bons canaux, m'ont fait venir une idée que je soumets aux lumières de Votre Majesté comme à celles d'un Prince éclairé, sage, judicieux, et d'un allié fidèle.

Je crois qu'il est de la prudence de prévenir ses ennemis et de déranger leurs projets qui nous sont nuisibles, surtout quand cela peut se faire sans nous commettre nous-mêmes. Il me semble que, pour se bien conduire, il faut vouloir tout ce que nos ennemis ne veulent pas. Ils craignent la guerre du Turc, c'est donc à nous de la provoquer, L'esprit de mutinerie et de révolte qui se manifeste chez les Turcs, est une conjoncture qui semble se présenter pour que nous en profitions. Les Janissaires souhaitent la guerre : on peut les encourager à la demander ou faire envisager au Grand-Seigneur qu'il trouvera plus de sûreté pour sa personne en occupant les séditieux à la guerre qu'en les tenant oisifs à Constantinople, libre à lui de tourner ses armes contre lesquels de ses voisins qu'il voudra.

On m'objectera sans doute qu'il n'y a point de nécessité de faire rompre à présent les Turcs avec les Autrichiens ou les Russes et qu'il vaut mieux garder ces barbares en réserve, pour les lâcher lorsqu'il en sera temps. Je réponds qu'il faut profiter de l'occasion qui se présente, parcequ'il paraît probable qu'on déterminera à présent sans peine le Grand-Seigneur à la guerre, que les Russes ni les Autrichiens n'ont eu le temps de faire des corruptions à Constantinople, et que, si on néglige le moment présent, il est très incertain qu'on persuadera, lorsqu'on le voudra, au Grand-Seigneur de déclarer la guerre quand on la trouvera nécessaire. Qu'il attaque d'ailleurs la Russie ou l'Autriche, cela est indifférent; ils sont obligés de se secourir, moyennant leurs traités, et la guerre leur deviendra dans peu commune. De plus, la guerre du Turc une fois déclarée renverse entièrement le système des finances de l'Impératrice-Reine et détruit son armée : deux objets importants sans doute. Cette guerre détruit ses finances, parcequ'elle est trop onéreuse et que pour la soutenir il faudra contracter de nouvelles dettes, ce qui jettera les affaires de l'Impératrice-Reine dans une confusion dont, malgré son grand esprit d'ordre et d'économie, elle ne pourra jamais les tirer. Cette guerre ruinera ses troupes, à cause que l'air de Hongrie est très malsain et que le soldat allemand y périt, sans compter ce que la guerre même enlève. La Russie ne se trouvera pas dans un moindre embarras. Cet empire manque d'argent par la mauvaise administration et les dépenses excessives de la cour; je sais même qu'il arrive souvent que l'Impératrice doit à son boucher et à son boulanger. Quoiqu'on fasse en Russie la guerre à meilleur marché que tout autre part, une dépense extraordinaire de cette nature épuiserait totalement les ressources de ce