5771. AU PRINCE DE PRUSSE A BERLIN.

[Potsdam], 15 [février 1753].

Mon très cher Frère. Je serais fort embarrassé de vous mander des nouvelles d'ici; nous n'en avons que de Dresde, d'où l'on marque que les chameaux, les éléphants et les dromadaires ont parfaitement joué leur rôle à l'opéra de Soliman. L'hiver prochain, il ne leur reste plus que la lanterne magique à y mettre, sans quoi tout sera épuisé. Soliman a fait une réduction dans l'armée saxonne de dix cavaliers par compagnie et de tous les grenadiers, hors ceux de Rutowski. Pour moi, j'aurais chassé Didon et Sylla même, si par complaissance pour eux il eût fallu réformer un prévôt de l'armée : il y a des choses innocentes quand elles sont des amusements, qui deviennent criminelles lorsqu'on en fait son objet principal.

Je crois, mon cher frère, que vous trouverez plus d'ennui et de pédanterie dans Puiségur340-1 que d'instructions; cet homme avait l'esprit trop étroit 'pour concevoir l'art de la guerre dans toute sa sublimité, c'est un maître d'école qui veut faire l'orateur et qui ne se comprend pas bien lui-même. Il faut avoir bien vu et avoir agi soi-même dans différentes occasions pour donner des règles; il faut avec cela avoir lu beaucoup, surtout avec discernement, et il me paraît que Puiségur n'était pas un génie d'une trempe à bien raisonner et discuter sa matière.

Je vous embrasse de tout mon cœur, en vous priant de me croire avec une tendre amitié, mon très cher frère, votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



340-1 Les mémoires de Messire Jacques de Chastenet, seigneur de Puységur. Avec des instructions militaires. Paris 1690.