<467>Vous voulez savoir ce que sont devenus les jésuites chez nous? J'ignorais l'anecdote du régiment levé de cet ordre, et qui probablement aura eu sa part à l'aventure des chèvres;a mais, comme ces animaux sont très-rares en Silésie, je ne crois pas que nos bons pères se soient avilis en fréquentant cette espèce. J'ai conservé cet ordre tant bien que mal,b tout hérétique que je suis, et puis encore incrédule.c En voici les raisons.

On ne trouve dans nos contrées aucun catholique lettré, si ce n'est parmi les jésuites; nous n'avions personne capable de tenir les classes; nous n'avions ni pères de l'Oratoire, ni piaristes; le reste des moines est d'une ignorance crasse : il fallait donc conserver les jésuites, ou laisser périr toutes les écoles. Il fallait donc que l'ordre subsistât pour fournir des professeurs à mesure qu'il venait à en manquer; et la fondation pouvait fournir la dépense à ses frais. Elle n'aurait pas été suffisante pour payer des professeurs laïques. De plus, c'était à l'université des jésuites que se formaient les théologiens destinés à remplir les cures. Si l'ordre avait été supprimé, l'université ne subsisterait plus, et l'on aurait été nécessité d'envoyer les Silésiens étudier la théologie en Bohême; ce qui aurait été contraire aux principes fondamentaux du gouvernement.

Toutes ces raisons valables m'ont fait le paladin de cet ordre; et j'ai si bien combattu pour lui, que je l'ai soutenu, à quelques modifications près, tel qu'il se trouve à présent, sans général, sans troisième vœu, et décoré d'un nouvel uniforme que le pape lui a conféré. Le malheur de cet ordre a influé sur un général qui en avait


a Voyez t. XIV, p. 168.

b En 1761 et en 1762, Frédéric avait l'intention d'abolir l'ordre. Voyez t. XIX, p. 284 et 360. Dans sa lettre à d'Alembert, du 24 mars 1765, il appelle les jésuites une vermine malfaisante; et il dit, dans sa lettre au même, du 5 mai 1767 : « Vivent les philosophes! Voilà les jésuites chassés de l'Espagne. Le trône de la superstition est sapé, et s'écroulera dans le siècle futur. »

c Et pis encore, incrédule. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 360.)