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218. A LA MÊME.

Le 26 juillet 1749.



Ma très-chère sœur,

Vos lettres sont si obligeantes, qu'elles me remplissent de confusion. Je suis un peu surpris de quelques réflexions tristes que j'y ai trouvées sur le sujet de l'amitié, et il me semble, ma chère sœur, que ces héros de l'amitié dont nous parle la Fable ne se trouvent que là. Il y a beaucoup de gens capables d'amitié dans le monde; cependant ce sérail se tromper que d'en exiger d'aussi grandes marques qu'en donnèrent Oreste et Pylade, Nisus et Euryale. Il faut prendre le monde tel qu'il est. S'imaginer que la vertu fait le partage des habitants de la terre, c'est le rêve d'un platonicien; supposer que tous les hommes sont criminels et dignes d'être brûlés à jamais, c'est envisager l'univers en misanthrope. Mais dire que le globe que nous habitons est un mélange de bonnes et de mauvaises choses, et que notre espèce est un composé de vices et de vertus, c'est, ce me semble, voir les choses comme elles sont et en juger raisonnablement. Il faut supporter les défauts de nos semblables en faveur de leurs bonnes qualités, comme nous-mêmes avons aussi besoin de leur support en bien des occasions.a Lorsque l'on pense de cette façon, ma chère sœur, on se rend la vie plus douce que lorsqu'on s'abandonne à des idées tristes qui noircissent toujours avec le temps.

J'avais bien cru que toutes les appréhensions de messieurs les luthériens du Würtemberg étaient des terreurs paniques. Ces bonnes gens ont une aversion si forte contre la prostituée de Babylone, que la moindre chose qui paraît les en approcher les fait tomber en convulsions. Le jeune duc n'est pas dans un âge où l'on persécute; quand


a Voyez, t. IX, p. 37, la fin de la Dissertation sur les raisons d'établir ou d'abroger les lois, du 1er décembre 1749.