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306. A LA MÊME.

Ce 23 (novembre 1755).



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché d'apprendre par votre lettre que vous souffrez tantôt des yeux, tantôt d'autres infirmités. Je me flattais que le voyage les aurait en grande partie dissipées. Je suis bien étonné, ma chère sœur, que vous vous êtes ennuyée pendant trois jours à lire mes bavarderies poétiques; j'ai regret au temps que j'ai employé à ces sottises. J'en ai encore tout un fatras; mais, en vérité, il est si mauvais, que je n'ai pas le cœur de vous en ennuyer. J'ai beaucoup de pièces fugitives, mais qui ont besoin de beaucoup de corrections avant de vous être présentées. Je verrai ce que je pourrai faire cet hiver pour vous obliger; il y a, entre autres, un poëme épique dont Valori et Darget sont les sujets;a mais il est si licencieux, et d'ailleurs si mal ourdi, que je n'ai pas le courage de le soumettre à votre examen. Ce sont des pièces faites à la hâte, où je n'ai pensé qu'à mon amusement, et où je n'ai jamais pensé au public. Mon seul objet était de m'occuper pendant quelques moments de loisir, et jamais de me placer sur le Parnasse; je sais assez me rendre justice, et je sens par la même raison que ce qui m'a pu amuser par le charme de la composition n'amusera pas ceux qui connaissent de bons vers, et ne se familiariseraient point avec les accents durs de ma muse tudesque travestie en français. Il est presque impossible à un Allemand habitué aux fins fonds de l'Allemagne de ne pas faire des solécismes fréquents, ni de ne manquer souvent contre les usages d'une langue qui, pour la plupart, est corrompue dans ces contrées-ci. Il ne reste donc à une poésie privée des puretés de la langue que quelques traits d'imagination qui ne font d'effet que celui des figures qu'on entrevoit dans un


a Le Palladion. Voyez t. XI, p. I-VII, et p. 177 et suivantes.