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ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XXVII. PREMIÈRE PARTIE.

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ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XXVII. PREMIÈRE PARTIE. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLVI

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CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC II ROI DE PRUSSE TOME XII. PREMIÈRE PARTIE. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCLVI

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CORRESPONDANCE TOME XII. PREMIÈRE PARTIE.

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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Cette première partie du vingt-septième volume, le douzième et dernier de la série épistolaire, renferme la correspondance de Frédéric avec ses six sœurs; elle se compose de quatre cent trente-cinq lettres, dont trois cent quarante-six du Roi.

I. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR WILHELMINE, MARGRAVE DE BAIREUTH. (1er novembre 1730 - 12 octobre 1758.)

La princesse Frédérique-Sophie-Wilhelmine, fille aînée de Frédéric-Guillaume Ier, naquit à Berlin le 3 juillet 1709. Elle y épousa, le 20 novembre 1781, le prince héréditaire Frédéric de Baireuth, qui, né le 10 mai 1711, succéda à son père le 17 mai 1735, et mourut le 26 février 1763. La margrave Wilhelmine décéda à Baireuth le 14 octobre 1758, jour du désastre de Hochkirch, entre une et deux heures du matin.1_I-a L'unique fruit de son mariage fut la princesse Frédérique, qui naquit le 30 août 1732, et épousa en 1748 le duc Charles de Würtemberg.

<II>La Reine-mère et la margrave de Baireuth étaient les deux personnes de sa famille que Frédéric aimait le mieux, et qu'il regretta le plus. Il faut dire que la princesse Wilhelmine prit, dès la naissance de son frère, la plus vive part à sa bonne et à sa mauvaise fortune.1_II-a Elle commença par être la compagne habituelle de ses jeux, et les beaux-arts ont immortalisé cette communauté de plaisirs. On voit, au château de Charlottenbourg, un excellent tableau d'Antoine Pesne qui représente Frédéric, à l'âge de trois ans, allant à la promenade avec la princesse Wilhelmine. Il joue du tambour d'un air martial, et semble entraîner sa sœur, qui le suit sans résistance. Les deux enfants, richement vêtus à la mode du temps, sont accompagnés d'un nègre qui porte un parasol de la main droite et un perroquet sur le poing gauche.1_II-b - Plus tard, la princesse encourageait son frère au travail, et s'associait à ses études. « Jeune encore, disait, en 1759, Frédéric à son lecteur de Catt, je ne voulais rien faire, j'étais toujours en course. Ma sœur de Baireuth me dit : N'aurez-vous pas de honte de négliger vos talents? Je me mis à la lecture. »1_II-c La Margrave dit dans ses Mémoires, t. I, p. 153 : « Ce cher frère venait (en 1729) passer toutes les après-midis chez moi; nous lisions, écrivions ensemble, et nous nous occupions à nous cultiver l'esprit. » Le mariage de la princesse n'altéra point l'intimité de ses rapports avec son frère. Elle le pria d'être le parrain de sa fille, et il lui écrivit, le 5 septembre 1732 : « Vous ne pouviez choisir personne qui eût plus de respect et d'attachement pour la mère, ni plus d'amitié pour la fille. »1_II-d Cette affection mutuelle dura jusqu'à la mort de la Margrave sans interruption, à la réserve d'un refroidissement passager sur lequel nous entrerons plus bas dans quelques détails. L'amitié du frère et de la sœur fut signalée par une fidélité à toute épreuve et par les attentions les plus variées et les plus délicates de part et d'autre. Frédéric alla plusieurs fois voir sa <III>sœur à Baireuth,1_III-a et il lui témoigna par des fêtes brillantes et de mille autres manières la joie que lui causèrent les visites qu'elle lui fit à Berlin en 1740,1_III-b en 1747,1_III-c en 17501_III-d et au mois d'octobre 1753.1_III-e Il la consola et vint à son aide dans tous les revers qu'elle éprouva. Enfin, il entretint avec elle, pendant trente ans, une correspondance intime et suivie. La princesse, de son côté, s'employa avec le plus grand dévouement pour son frère accablé par les malheurs de la guerre de sept ans, et le chagrin profond, ainsi que les inquiétudes que lui causèrent les vicissitudes de cette terrible lutte, accélérèrent indubitablement sa fin.1_III-f Ses dernières paroles furent des vœux ardents pour la longue et heureuse vie du Roi.1_III-g On peut voir, par les lettres que celui-ci écrivit au prince Henri son frère, le 3 août et le 21 septembre 1768,1_III-h combien sa douleur fut profonde lorsqu'il apprit le danger où se trouvait la Margrave, qu'il avait vue pour la dernière fois le 20 juin 1754,1_III-i à l'Ermitage, château de plaisance près de Baireuth.1_III-k

M. de Catt donne dans ses Mémoires (inédits) de précieux détails sur ses conversations avec son maître au sujet de la mort de la Margrave. Voici ce qu'il écrit dans son journal, à la date du 17 octobre 1758 : « Je le trouvai ce matin<IV> triste et les larmes aux yeux. Voyez, cette lettre. On m'annonce que ma sœur de Baireuth est très-mal. Sûrement elle est morte. Hélas! tous les malheurs veulent-ils donc tomber sur moi? » - Il ajoute plus bas : « En effet, peu après, il apprit la nouvelle de la mort de cette princesse. Jamais je ne vis tant d'affliction : volets fermés, un peu de jour éclairant sa chambre, des lectures sérieuses : Bossuet, Oraisons funèbres, Fléchier, Mascaron, un volume d'Young, qu'il me demanda. »1_IV-a Le Roi revient à tout propos, et longtemps après l'événement, sur la douleur qui l'accablait. Le 4 novembre 1758, il écrit à son beau-frère de Baireuth : « Après cette affreuse perte, la vie m'est plus odieuse que jamais, et il n'y aura pour moi de moment heureux que celui qui me rejoindra à celle qui ne voit plus la lumière. »1_IV-b Au marquis d'Argens, le 22 décembre suivant : « J'ai perdu tout ce que j'ai aimé et respecté dans le monde. » Au même, le 18 septembre 1760 : « Ma gaieté et ma bonne humeur sont ensevelies avec les personnes chères et respectables auxquelles mon cœur s'était attaché. »1_IV-c Voici comme il s'exprime sur le même sujet dans son Épître sur la méchanceté des hommes, du 11 novembre 1761 :

Pour moi, qui dans le monde ai de tout éprouvé,
Dans ces divers états mon cœur vide a trouvé
Qu'au milieu de ces maux le seul bien véritable,
Aux grandeurs, à la gloire, aux plaisirs préférable,
Seul bien étroitement à la vertu lié,
C'est de pouvoir en paix jouir de l'amitié.
Ah! je l'ai possédée une fois dans ma vie,
Dans le sein d'une sœur que la mort m'a ravie;
Amitié, don du ciel, seul et souverain bien,
Tu n'es plus qu'un vain nom, son tombeau fut le tien.1_IV-d

Il dit enfin dans le Stoïcien, du 15 novembre de la même année :

Où sont les compagnons de mon adolescence?
Où sont ces chers parents, auteurs de ma naissance,

<V>

Ce frère qui n'est plus, et vous, ô tendre sœur!
Vous, qui ne respirez que dans ce triste cœur?1_V-a

On pourrait aisément multiplier les citations analogues, qui prouveraient que la douleur de Frédéric fut aussi durable que sincère et profonde. Il ne se contenta pas d'honorer lui-même la mémoire de sa sœur bien-aimée; il engagea Voltaire à la célébrer dans une poésie digne d'elle.1_V-b C'est un sujet qui reparaît souvent dans sa correspondance avec le poète français. En toute occasion et en tout temps, il chercha à soulager sa douleur par les témoignages de son affection pour l'amie qu'il avait perdue. Il y avait dix ans qu'elle n'était plus lorsqu'il fit élever en son honneur le temple de l'Amitié qu'on voit encore aujourd'hui dans le parc de Sans-Souci.1_V-c Enfin le souvenir de la princesse Wilhelmine se retrouve continuellement dans les conversations, dans les lettres et dans les poésies du Roi. Mais c'est dans son Histoire de la guerre de sept ans (t. IV, p. 252 et 253) et dans l'Épître à Mylord Marischal sur la mort du maréchal Keith (t. XII, p. 111-113) que le monarque a exprimé avec le plus de naturel et de force la douleur que lui faisait éprouver la perte de la Margrave. Ces pages honorent la sensibilité de celui qui les a écrites, autant que les qualités de celle qui les a inspirées. Pour compléter ces citations, nous recommandons au lecteur de consulter encore les endroits suivants : t. X, p. 185; t. XI, p. 39; t. XII, p. 40, 86, 101, 108-116; t. XIV, p. 114 et 181; et t. XVI, p. 31, 34, 41, 73, 81, 82, 83, 84 et 86.

Frédéric et la Margrave s'écrivaient toujours en français. Il ne nous manque presque aucune de leurs lettres, parce que chacun des deux illustres correspondants conservait soigneusement celles qu'il recevait de l'autre. La première des lettres de Frédéric est datée de Dresde, 26 janvier 1728, et signée : Frédéric le Philosophe. Il y parle des amusements que lui offrait la capitale de la Saxe, et des personnes qu'il y voyait Le ton en est amical et naturel, ainsi que celui<VI> des lettres subséquentes. Cette correspondance traite les sujets les plus variés, nouvelles du jour, affaires de famille, petites cabales des cours de Berlin et de Baireuth, jouissances dues à la littérature, à la musique et au théâtre, plaisirs goûtés, soit à Rheinsberg, soit à Sans-Souci, soit à l'Ermitage, chagrins causés par les maladies de la Margrave et par les revers de la guerre de sept ans, enfin résolution prise en même temps de ne pas survivre à la ruine de la patrie. En un mot, les lettres du Roi et de sa sœur font mention de tout ce qui peut les intéresser l'un et l'autre, deux seuls points exceptés : Frédéric ne parle point de sa vie conjugale; la Margrave, de son côté, ne dit rien des chagrins que lui causait l'amour de son mari pour l'aînée des demoiselles de Marwitz. A cela près, la confiance et l'abandon sont entiers, et l'amitié la plus tendre anime cette correspondance, toujours affectueuse, sauf dans les années 1744-1746. Nous ferons voir que la Margrave ne put accuser qu'elle seule de ce refroidissement.

Les lettres de Frédéric et de sa sœur sont presque toutes autographes. Le Roi n'en a fait écrire qu'un fort petit nombre par son secrétaire, et la Margrave a écrit toutes les siennes, hormis celle du 10 mai 1707, lettre inédite, en chiffre, que cette princesse s'excuse, dans un post-scriptum de sa main,1_VI-a de n'avoir pu écrire elle-même, faute de temps; elle dut également dicter les nos 342 et 346, à cause de l'état de faiblesse qui précéda sa mort. La partie de cette correspondance qui renferme les lettres de Frédéric se compose de onze volumes in-4, soigneusement reliés en veau; les lettres de la princesse, qui souvent n'ont pas de date, forment un plus grand nombre de volumes, brochés sans beaucoup de soin.

Cet immense recueil nous a prouvé une fois de plus la différence notable qui existe entre les diverses correspondances de Frédéric, particulièrement entre celles qu'il entretient avec ses amis, et les lettres qu'il échange avec sa famille. Les premières se restreignent ordinairement aux sujets les plus importants. Frédéric n'en envoie guère de pareilles que quand il a quelque chose à dire. Il écrit, au contraire, deux ou trois fois par semaine aux membres de sa famille, et, si l'on en excepte les époques où il était préoccupé des affaires militaires ou politiques,<VII> il leur parle de bagatelles, s'il n'a rien de plus intéressant à leur dire les jours de courrier. Il leur écrit donc pour écrire, et en quelque sorte pour s'acquitter d'un devoir. La Margrave, entre autres, le contraint par ses instances à répondre à ses lettres continuelles,1_VII-a Celles que le Roi adresse à ses amis sont plus spontanées. Même quand il n'y traite que des sujets futiles, ce sont ses sentiments, ses idées qu'il y expose, au lieu que dans ses correspondances avec sa famille, il prend souvent au hasard le premier sujet venu, uniquement pour dire quelque chose. Nous avons donc cru devoir omettre une quantité de lettres échangées par Frédéric et la Margrave, surtout pendant leur jeunesse, parce qu'elles ne font fréquemment que répéter des choses insignifiantes, et ne contribuent en rien à faire connaître le cœur ou l'esprit des correspondants, ni les détails de leur vie, ni l'histoire générale ou les mœurs de l'époque. Nous avons également laissé de côté quelques dissertations philosophiques de l'année 1736, entre autres, celle où Frédéric fait à sa sœur des extraits de la Métaphysique de Wolff, dont il cherche à justifier les idées sur l'origine du péché, par exemple, tandis que la princesse prend le parti de Des Cartes.1_VII-b Nous avons fait ces suppressions avec d'autant moins de scrupule, que nous avons déjà donné nombre de dissertations semblables, mais beaucoup plus mûries, dans les correspondances de Frédéric avec Voltaire, avec l'électrice Marie-Antonie de Saxe, et avec d'Alembert1_VII-c Néanmoins notre recueil, qui renferme trois cent quarante-sept lettres, dont trois cent deux de Frédéric, est bien assez riche pour mettre parfaitement le lecteur au fait des relations qui existaient entre le Roi et sa sœur favorite; et nous sommes heureux de pouvoir dire que, grâce à l'obligeance de la direction des Archives royales, il ne nous manque aucune pièce intéressante ou caractéristique. Nous devons trois cent quarante et une de nos lettres aux Archives de la maison royale (années 1730-1755) et à celles de l'État (années 1756 à 1758). Quant aux six autres, nous tirons le no 264 du Berliner Kalender für 1846, p. 73; les nos 336, 337 et 338, de la correspondance manuscrite de Frédéric<VIII> avec le prince Henri, conservée aux Archives de l'Etat; le no 344 provient des Beiträge zur neueren Geschichie, par Frédéric de Raumer, t. II, p. 464 et 465; le no 347, enfin, des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, nouvelle édition. Neufchâtel, 1760, t. IV, p. 201-204.1_VIII-a

La margrave de Baireuth a inséré dans ses Mémoires une de ses lettres et sept de Frédéric. L'autographe de la première de celles-ci, qu'elle donne dans son premier volume, p. 259 et 260, se trouve dans le tome Ier du manuscrit du Prince royal. C'est notre no 1; cette lettre est datée de Cüstrin, 1er novembre 1730. La seconde (Mémoires, t. II, p. 25 et 26) n'est autre chose, selon nous, que notre no 6, de Ruppin, 5 septembre 1732, refait de souvenir par la Margrave. La troisième (ibid., t. II, p. 249 et 250) est la principale partie de notre no 39, du 2 juillet 1736. La quatrième (ibid., t. II, p. 290) est un fragment de notre no 68, du 30 septembre 1739. L'autographe de la lettre de la Margrave (ibid., t. II, p. 294) ne s'est pas retrouvé. La sixième pièce, prétendue réponse du Roi à la précédente, a été composée par la princesse Wilhelmine d'après l'original de notre no 77, du 10 avril 1740, qu'elle a totalement défiguré. Enfin, le tome Ier des Mémoires présente, p. 193, une lettre de Frédéric, de 1730, et, p. 329 et 330, le sommaire d'une autre lettre du même, dont nous n'avons pu retrouver les originaux. Nous donnons sous notre texte, imprimé exactement d'après les autographes, les variantes des Mémoires, ou plutôt les altérations que la Margrave s'est souvent permis de faire subir aux lettres qu'elle a insérées. Il faut remarquer que l'édition de Brunswic de ces Mémoires a fidèlement reproduit le manuscrit de leur auteur; la seule lettre où celui-ci ait éprouvé quelques changements est celle de l'année 1736; le plus important de ces changements consiste dans la substitution du mot espère au mot pourra, t. II, p. 249, ligne 3 du bas.

Dans les premières années de ce commerce épistolaire, les lettres de Frédéric trahissent une grande inexpérience, soit pour le fond, soit relativement au style. Mais l'étude, à laquelle il se livrait avec ardeur, ses relations avec M. de Suhm, 1_VIII-b avec M. Jordan,1_VIII-c et surtout les correspondances suivies qu'il entretenait avec plu<IX>sieurs hommes distingués, particulièrement avec Voltaire, lui firent faire de rapides progrès. Aussi remarque-t-on dans ses lettres, à partir de 1736, un notable changement à son avantage. Elles sont plus solides, plus nourries et beaucoup mieux écrites, de manière qu'elles intéressent vivement le lecteur capable d'apprécier ces différences.

Quant au caractère moral de cette correspondance, il faut observer qu'il n'en est aucune, si l'on en excepte celle avec le général Fouqué, où Frédéric exprime avec tant d'abondance et de naturel les sentiments affectueux dont son cœur était plein. Ses lettres à Suhm, à Jordan et à d'Argens, quoique dictées par une confiance que n'altérait ni la bonne ni la mauvaise fortune, ne sont pas caractérisées par l'abandon absolu qui règne dans ses correspondances avec sa sœur favorite et avec son vieux compagnon d'armes. Les lettres de la Margrave sont dignes d'une femme de tant d'esprit et de goût. Enfin, si, parmi les diverses correspondances de Frédéric avec ses parents, celle avec le prince Henri est la plus intéressante au point de vue historique, celle qu'il a entretenue avec sa sœur mérite le même éloge au point de vue psychologique.1_IX-a

Nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots des Mémoires de la margrave de Baireuth, que nous avons déjà mentionnés plusieurs fois, et qui sont le complément indispensable de la correspondance. La Bibliothèque royale de Berlin en conserve le manuscrit original, le plus complet des textes connus. L'authenticité en est constatée par l'écriture, absolument pareille à celle des nombreuses lettres autographes adressées par la Margrave à Frédéric et à sa mère, et conservées aux Archives royales de Berlin.1_IX-b D'ailleurs, le lecteur bien informé et capable de sentir et de juger une pareille composition n'aura pas de doutes sur ce point. L'autographe de la Bibliothèque royale, que l'auteur a intitulé de sa main : Les Mémoires de ma vie, est relié en un volume, composé de trois parties distinctes. La première constitue les Mémoires proprement dits, qui embrassent la période de 1706 à 1742. La seconde, portant la date de 174. (sic), renferme trois fragments sur mademoiselle Caroline de Marwitz,<X> la cadette des trois sœurs de ce nom, qui épousa le grand écuyer comte de Schönbourg, sur mademoiselle de Wacknitz et M. de Creutz, et sur l'officier suédois Cron.1_X-a personnes dont la Margrave parle aussi dans le corps même de ses Mémoires.1_X-b La troisième partie du manuscrit est intitulée Voyage d'Italie, et commence par les mots : « Je partis le 10 octobre 1754 de Baireuth. » Ce journal de voyage s'arrête au 26 juillet 1755; la Margrave était de retour à Baireuth le 10 août suivant.

La princesse Wilhelmine confia son manuscrit1_X-c à M. de Superville,1_X-d qui y fit un grand nombre de légères corrections de style, de grammaire et d'orthographe, mais sans dénaturer les faits. Il mourut à Brunswic en 1776, sans avoir publié ces manuscrits, et ceux-ci furent acquis par le colonel d'Osten, qui les fit paraître, sous le voile de l'anonyme et le titre de : Mémoires de Frédérique-Sophie-Wilhelmine, margrave de Baireuth, sœur de Frédéric le Grand, depuis l'année 1706 jusqu'à 1742. Écrits de sa main. Brunswic, 1810, chez Frédéric Vieweg, deux volumes in-8 de trois cent soixante-quatre et de trois cent vingt-six pages. L'éditeur a ajouté à cet ouvrage un Avant-propos de deux pages, assez insignifiant, sur l'histoire du manuscrit. Les Mémoires de la Margrave, traduits en allemand, ont paru à Tubingue, chez Cotta, 1810 et 1811, en deux volumes in-8.1_X-e Le premier de ces deux volumes, qui avait été publié quelque temps avant l'édition française, est la traduction d'un autre manuscrit, plus modéré d'esprit et de ton que celui de la Bibliothèque de Berlin. L'original du second est le tome II de l'édition de Brunswic, p. 94-326. Les trois fragments qui forment la seconde partie du manuscrit, et le Voyage d'Italie, sont encore inédits. Ils n'ont pas d'importance réelle.

Il est facile de voir, en lisant les Mémoires et la correspondance que nous imprimons ci-dessous, que la Margrave, qui, dès sa jeunesse, avait aimé l'étude1_X-f<XI> et s'était exercée à la composition littéraire,1_XI-a a écrit son célèbre ouvrage de souvenir, en s'aidant du journal de sa vie, de ses correspondances et des récits d'autres personnes. Comme nous renvoyons, sous le texte des lettres, aux passages des Mémoires qui se rapportent à des objets traités dans les écrits des deux genres, le lecteur pourra facilement juger du degré de croyance qu'il peut accorder aux assertions de la princesse. Nous devons à la vérité de déclarer dès à présent que cette croyance ne peut être entière, et nous le prouverons. Mais nous pensons en même temps que les inexactitudes dont la Margrave s'est rendue coupable paraîtront excusables, si l'on songe à l'irritabilité de son caractère,1_XI-b aigri par les peines de tout genre qu'elle avait éprouvées dans la maison paternelle, à sa santé toujours délicate, à ses chagrins domestiques du mois de septembre 1739,1_XI-c enfin, à sa brouillerie de deux ans avec son frère.1_XI-d La princesse semble appuyer elle-même notre opinion par l'important passage1_XI-e où elle exprime sa crainte que son mari ne soit obligé de faire la campagne de 1734 avec le Roi son père. « C'était là, dit-elle, le sujet de mes inquiétudes. J'étais si accoutumée à en avoir, que je m'alarmais de tout. J'étais plongée dans une noire mélancolie. Tous les chagrins que j'avais eus à Berlin1_XI-f m'avaient si fort abattu l'esprit, que j'eus bien de la peine à reprendre mon humeur enjouée. Ma santé était toujours la même, et tout le monde me croyait étique. Je m'attendais bien moi-même à ne pas réchapper de cette maladie, et j'attendais la mort avec fermeté. La seule récréation que j'eusse était l'étude. Je m'occupais tout le jour à lire et à écrire. »

En effet, l'humeur naturellement gaie de la Margrave était continuellement assombrie par des agitations morales auxquelles elle cherchait à échapper par l'étude et surtout par la composition littéraire. Mais comme il y a eu dans sa vie<XII> plusieurs périodes de grands chagrins, pendant lesquelles elle avait besoin de semblables distractions, il se présente ici une question fort difficile à résoudre. Quel est précisément le temps où elle a cherché le remède à ses peines dans la rédaction de ses Mémoires? Est-ce pendant la courte campagne que fit son mari en 1734?1_XII-a Est-ce en 1739, lorsqu'elle eut découvert l'inclinai ion du Margrave pour mademoiselle de Marwitz? Est-ce enfin pendant sa grande querelle avec le Roi son frère, de 1744 à 1746? Comme toutes les données positives nous manquent, nous sommes réduit à avoir recours à des hypothèses, et voici celle à laquelle nous nous arrêtons. Il est probable que la Margrave a commencé à écrire ses Mémoires pendant la campagne de son mari, alors qu'elle se trouvait seule à Baireuth. Après ce premier jet, elle a sans doute continué, augmenté, corrigé son ouvrage avec le plus grand soin, non pas de suite, mais par intervalles, suivant qu'elle éprouvait le besoin d'écrire, ou qu'il survenait quelque nouveau fait ou quelque souvenir propre à y être introduit, quelque événement de nature à modifier ses premières assertions. Elle a dû travailler ainsi à cet ouvrage jusqu'à l'an 1746. Mais c'est dans les années 1744-1740 qu'elle doit en avoir écrit la partie la plus essentielle, et c'est à cette période que se rapporte certainement tout le mal qu'elle y dit du Roi. On peut citer à l'appui de notre hypothèse le t I, p. 46 et 47 des Mémoires, où, parlant de M. Duhan de Jandun, elle le nomme « ce pauvre garçon. » Or elle ne peut s'être exprimée sur ce ton de commisération qu'à l'époque de l'exil de Duhan, qu'elle voulait accueillir à Baireuth en 1735;1_XII-b car après l'avènement de Frédéric, son vieux précepteur vécut à Berlin dans la position la plus douce et la plus honorable.1_XII-c De plus, le commencement des Mémoires doit avoir été écrit avant la mort de Grumbkow, qui arriva en 1739; en effet, la princesse y parle de cet officier général comme d'une personne vivante.1_XII-d Le passage relatif au baron de Pöllnitz, « fameux par ses Mémoires1_XII-e et ses incartades, » t. II, p. 312 (1742), nous autorise à penser que la Mar<XIII>grave ne se souvenait plus d'avoir parlé de lui en détail. J. c., p. 224 (1735),1_XIII-a où elle dit qu'il était « l'auteur des Mémoires qui ont paru sous son nom, » et d'en avoir reparlé à la page 263 (1737). Cela prouve que les Mémoires ont été écrits à diverses reprises. D'un autre côté, la note du t. II, p. 4, et un passage du même volume, p. 227 et 228, se rapportent évidemment aux tristes suites du mariage de mademoiselle de Marwitz avec le comte de Burghauss, mariage qui fut célébré le 8 avril 1744. Enfin, les mots « mon frère de Prusse, » I. II, p. 301, ne peuvent avoir été écrits qu'après le 30 juin 1744, jour où le prince Guillaume reçut ce, titre. Les trois derniers endroits cités s'accordent avec ceux du t. II, p. 255 et 258, où la Margrave dit qu'elle rédige ses Mémoires à l'Ermitage, en 1744. Il est clair qu'elle y a encore travaillé plus tard, c'est-à-dire à l'époque de la seconde guerre de Silésie et de la paix de Dresde, car elle donne, t. I, p. 309, de grands éloges à l'armée formée par Frédéric-Guillaume Ier, qui, par la merveilleuse discipline qu'il y avait introduite, avait, dit-elle, jeté les fondements de la grandeur de sa maison; et à la page 301 du second volume, elle nomme son frère « ce grand prince, » épithète qui ne peut lui avoir été inspirée que par les brillants succès de la guerre de 1744 à 1745.1_XIII-b Ce qui milite encore en faveur de notre opinion, ce sont précisément les récits équivoques, les jugements injustes et les assertions absolument fausses que la Margrave se permet relativement à Frédéric.1_XIII-c Or on voit, par sa correspondance, que jusqu'à 1744 cette princesse avait eu pour son frère une tendresse passionnée et même jalouse, et que, à partir de l'an 1746, elle le révéra et en quelque sorte l'adora comme le plus grand homme de son siècle. Tout cela bien considéré, nous n'hésitons pas à attribuer à la querelle de<XIV> 1744 à 1746 les choses désobligeantes que les Mémoires de la Margrave renferment en grand nombre sur le compte du Roi. Cette querelle, la princesse l'avait amenée, comme elle l'avoue elle-même,1_XIV-a en mariant clandestinement la fille d'un général prussien distingué, et cela contre la volonté de celui-ci et du Roi, avec un officier du régiment impérial dont le Margrave était propriétaire;1_XIV-b de plus, elle laissait voir des sympathies pour l'Autriche et une prédilection marquée pour la reine de Hongrie, ce que Frédéric lui reproche amèrement dans plusieurs lettres,1_XIV-c comme il lui reproche sa conduite offensante envers lui1_XIV-d et les attaques incessantes de la Gazette d'Erlangen, qui s'imprimait presque sous les yeux de la Margrave, et dans laquelle le Roi et la nation prussienne étaient tournés en ridicule pendant la seconde guerre de Silésie.1_XIV-e

La Margrave semble n'avoir vu que le mauvais côté des choses; elle fait, pour ainsi dire, la caricature de la société, car dans le tableau qu'elle en trace, on ne distingue aucune image calme et sereine. Ses Mémoires ne donnent pas un doux souvenir aux amis ni aux guides de son enfance. Le sort des habitants du margraviat de Baireuth, leurs sentiments pour sa maison, n'y occupent aucune place.1_XIV-f Sa fille même, l'éducation de cette unique enfant, ses relations avec elle, n'y sont jamais mentionnées. A peine en dit-elle un mot à de rares intervalles, et c'est toujours en parlant de choses indifférentes,1_XIV-g excepté lorsqu'elle déclare vouloir lui donner ses Mémoires.1_XIV-h Mais ce présent ne peut guère passer pour un témoignage d'affection, vu le scandale que l'ouvrage devait causer, et le jour désavantageux<XV> qu'il répand sur les familles de Prusse et de Baireuth, ainsi que sur l'auteur même. Les Mémoires de la Margrave ont donc un caractère satirique bien prononcé, et l'on n'y trouve pas le sentiment et la modération qu'on serait en droit d'attendre d'une femme de son rang.

Il faut attribuer un grand nombre des traits mordants des Mémoires au tour d'esprit naturellement caustique de la princesse, et à l'habitude qu'elle avait prise dès sa jeunesse de ne pas épargner le prochain, comme elle l'avoue elle-même.1_XV-a Elle n'en professe pas moins l'attachement le plus vif pour les personnes qu'elle déchire,1_XV-b et affecte volontiers l'impartialité de l'historien. Ainsi elle prie ses lecteurs futurs1_XV-c de suspendre leur jugement sur le caractère de Frédéric, qu'elle avait amèrement critiqué, jusqu'à ce qu'elle l'ait développé; elle dit expressément, t. II, p. 307 : « Je me pique d'être véridique. » Il ne faut pourtant pas se fier à ces apparences. Au fond, la Margrave vise à satisfaire son amour-propre et à amuser le lecteur,1_XV-d soit par des tableaux comiques, des portraits chargés et des anecdotes singulières, soit par le récit des intrigues et des cabales des princes, des courtisans et même des domestiques. Elle ne recule pas devant les histoires scabreuses, comme celles de la cour de Dresde et de l'amour du roi Frédéric-Guillaume Ier pour mademoiselle de Pannwitz;1_XV-e elle critique ou tourne en ridicule ses sœurs Frédérique1_XV-f et Charlotte,1_XV-g son beau-père le margrave de Baireuth,1_XV-h la duchesse de Würtemberg, mère de son gendre,1_XV-i sa grand' tante la duchesse de Saxe-Meiningen, fille du Grand Electeur,1_XV-k enfin toutes les personnes qu'elle fait figurer dans son ouvrage, et tous ses parents, si nous en exceptons<XVI> la margrave Philippe de Schwedt1_XVI-a et le prince Albert de Culmbach.1_XVI-b qui jouissaient de son estime. En racontant même la tentative d'évasion de son frère, en 1730, et en faisant connaître combien son père fut dur envers elle à celle occasion, elle n'hésite pas à dire : « Il m'accusait d'être complice de l'entreprise du Prince royal, qu'il traitait de crime de lèse-majesté, et d'avoir une intrigue amoureuse avec Katte, duquel, disait-il, j'avais eu plusieurs enfants. Ma gouvernante, ne pouvant plus se modérer à ces insultes, eut le courage de lui répondre : Cela n'est pas vrai, et quiconque a dit pareille chose à Votre Majesté en a menti. Le Roi ne lui répliqua rien et recommença ses invectives. »1_XVI-c La Margrave va jusqu'à dénigrer sans ménagement, le caractère de sa mère,1_XVI-d qu'elle prétend néanmoins aimer jusqu'à l'adoration;1_XVI-e enfin, elle se permet de rapporter tout au long l'impertinent portrait que M. de Superville, envoyé chez elle par Frédéric, avait eu la hardiesse de lui tracer de ce prince.1_XVI-f Cependant le tout est si bien arrangé et si spirituellement raconté, que les Mémoires offrent tout l'intérêt d'un roman, avec lequel ils ont du reste plus d'un rapport. Mais la prétendue véracité de la Margrave et l'impartialité historique qu'elle affecte ne méritent pas plus de confiance que ses protestations d'attachement à ses proches; car elle défigure souvent les faits de telle sorte, qu'il n'est pas possible de croire à une erreur involontaire de sa part. Ainsi, par exemple, elle dit, t. Il, p. 297, en parlant de l'avènement de Frédéric : « Je lui écrivais toutes les postes, et toujours avec effusion de cœur. Six semaines se passèrent sans que je reçusse de réponse. La première qui me parvint au bout de ce temps-là n'était que signée du Roi et fort froide. » Nous nous contentons d'engager le lecteur à comparer ce passage avec nos nos 80, 83, 84, 85, 86, 87, 88, écrits du 1er juin au 14 juillet 1740;<XVII> nous les avons fidèlement copiés sur les autographes de Frédéric. La Margrave ne respecte pas davantage la vérité lorsqu'elle parle du traité conclu par son mari avec l'empereur Charles VII, et rompu peu de temps après.1_XVII-a « Depuis ce moment, dit-elle, la guerre fut déclarée; je ne reçus que des lettres très-dures du Roi, et j'appris même qu'il parlait de moi d'une manière fort offensante, et me tournait publiquement en ridicule. »1_XVII-b Ce passage est réfuté par les nos 117 et suivants de notre recueil. En réalité, ce n'est pas l'insignifiant traité de 1742 qui fut cause de la brouillerie de la princesse avec son auguste frère, brouillerie qui dura du 6 avril 1744 au 29 mars 1746. La vraie raison, la voici. La Margrave, voulant se débarrasser de mademoiselle de Marwitz sa rivale et autrefois son amie, l'avait mariée, ainsi que nous l'avons dit, à un officier autrichien. Comme elle avait toujours fait mystère au Roi de ses chagrins domestiques, il se sentit offensé par un acte dont il ne pouvait s'expliquer les motifs, et qui constituait une véritable violation des lois de la Prusse. De là naquirent des récriminations assez amères, et un long refroidissement. En cherchant à donner le change au lecteur de ses Mémoires sur la véritable cause de sa brouillerie avec Frédéric, la Margrave s'est privée de la faculté d'écrire la suite de cet ouvrage, qu'elle a annoncée quatre fois.1_XVII-c En effet, elle aurait dû commencer cette continuation par une rétractation de ce qu'elle avait dit de « la guerre déclarée en 1742. » Les Mémoires sont d'ailleurs contredits sur ce point par la correspondance de la Margrave avec son frère, tout aussi cordiale dans la période de 1742 au 6 avril 1744 qu'elle l'avait été auparavant,1_XVII-d

Tout ce que nous venons d'exposer montre donc, d'un côté, qu'une partie essentielle des Mémoires de la Margrave fut composée entre les années 1744 et 1746, temps où cette princesse cherchait à se distraire ainsi de ses chagrins domestiques, et où elle était aigrie contre son frère; de l'autre, qu'on ne peut, par cette dernière raison, accorder qu'une confiance limitée à un ouvrage dont l'auteur a, comme nous l'avons vu, altéré la vérité sur des faits importants.

<XVIII>Il existe un Éloge historique de la margrave de Baireuth (manuscrit), par le marquis d'Adhémar, grand maître de la maison de la princesse. Un exemplaire de cet ouvrage, qui appartient à présent à Sa Majesté le Roi, fut envoyé par l'auteur à Frédéric le 15 mars 1759. On y lit le passage suivant, écrit dans le sens des Mémoires, mais absolument réfuté par la correspondance : « Les circonstances où se trouva la cour de Baireuth pendant la guerre de 1742 avaient aliéné le cœur du Roi son frère. Il crut que sa sœur ne l'aimait plus. Qu'il est triste pour la tendre amitié de se croire en droit de faire des reproches! Qu'il est douloureux pour l'amitié sensible de les éprouver! Celle de Son Altesse Royale se crut outragée, parce qu'elle se trouvait innocente, et au lieu de rechercher un éclaircissement qui eût tout raccommodé, elle resta dans le silence, parce qu'elle était fière. Des esprits turbulents l'affermirent encore dans cette malheureuse idée, car ces esprits régnent dans le trouble; mais heureusement la sincère amitié a des ressources supérieures à toutes les menées des méchants. Pour être abandonnée, celle de S. A. R. était trop connue. Monseigneur le Prince de Prusse surtout lui fit toujours la justice de penser qu'elle ne pouvait manquer à ce qu'elle avait de plus cher au monde, à l'amitié et à la gloire. Madame la Margrave ne se souvenait jamais qu'avec une vive reconnaissance de toute celle qu'elle devait à ce prince. Des personnes sages, venant à l'appui d'une prévention si bien méritée, conseillèrent à S. A. R. les démarches qu'elle voulait faire; et, dans un voyage qu'elle fit à Berlin en 1747, elle eut la consolation de penser que l'on ne pouvait plus douter de son cœur. »

Il est facile de voir, en lisant la correspondance, que l'auteur de l'Éloge, qui ne vécut à la cour de Baireuth que depuis 1762, n'a pas été exactement informé des faits, ou qu'il passe à dessein sous silence toute la période de 1744 à 1746. Nous devons ajouter qu'en 1748, tourmentée par les intrigues de la comtesse de Burghauss, et réconciliée depuis deux ans avec le Roi, la Margrave invoqua son secours contre cette femme, et reconnut formellement les torts qu'elle avait eus envers son frère.1_XVIII-a « Combien de fois, écrit-elle à Frédéric le 21 février 1748, combien de fois ne me suis-je pas reproché l'irrégularité de ma façon d'agir envers vous! Ma dernière maladie, une mort prochaine, ont augmenté mes réflexions.<XIX> Un mûr examen sur moi-même m'a convaincue que dans tout le cours de ma vie je n'avais été coupable qu'à l'égard d'un frère que mille raisons devaient me rendre cher, et auquel mon cœur avait été lié depuis ma tendre jeunesse par l'amitié la plus parfaite et la plus indissoluble. Votre générosité vous a fait oublier mes fautes passées, mais ne m'empêche pas d'y penser à toutes les heures du jour. » La réponse de Frédéric (notre no 202) est un vrai monument de sa générosité. On voit que le franc aveu de la princesse suffit pour effacer de l'âme du monarque les dernières traces qu'un juste mécontentement y avait laissées; et la correspondance montre que, à partir de l'époque où cette lettre fut écrite, rien ne vint plus troubler les bons rapports entre la Margrave et son auguste frère, auquel elle témoigna dès lors un attachement à toute épreuve. Cependant elle conserva son ouvrage, même après l'éclatant exemple de piété filiale que Frédéric lui avait donné en publiant, en 1751, ses Mémoires de Brandebourg, où il parle de son père avec tout le respect et toute l'affection imaginables.

La princesse avait bien pressenti le scandale que causerait son livre, s'il voyait le jour. Elle dit, t. II, p. 268 : « J'écris pour me divertir, et ne compte pas que ces Mémoires seront jamais imprimés; peut-être même que j'en ferai un jour un sacrifice à Vulcain; peut-être les donnerai-je à ma fille; enfin je suis pyrrhonienne là-dessus. Je le répète encore, je n'écris que pour m'amuser, et je me fais un plaisir de ne rien cacher de tout ce qui m'est arrivé, pas même mes plus secrètes pensées. » Nous présumons que la Margrave, après avoir confié son ouvrage à M. de Superville, le perdit entièrement de vue. Il semble aussi qu'elle n'en ait fait aucune mention dans sa disposition testamentaire. En effet, on lit dans l'Éloge historique du marquis d'Adhémar que, après avoir reçu la nouvelle de la mort du Prince de Prusse, vers la mi-juin 1768, la Margrave scella son testament en présence de son mari, de sa fille, et de quelques autres témoins.1_XIX-a Si elle avait encore eu les Mémoires en sa possession, ou qu'ils eussent été présents à son souvenir, elle en aurait sans doute disposé plus convenablement, ou le Margrave, dont les intrigues galantes y sont exposées en détail, aurait mis l'ouvrage aux Archives secrètes de sa maison, ou pris quelque autre mesure pour empêcher qu'il ne fût publié. Le marquis<XX> d'Adhémar, un des témoins de l'acte dont nous venons de parler, ne fait également aucune mention des Mémoires, qui probablement étaient dès longtemps, et avant son arrivée à Baireuth, entre les mains de M. de Superville, envoyé du margrave de Baireuth à la Haye depuis 1748, et établi à Brunswic, depuis 1780, comme médecin ordinaire du Duc.1_XX-a Les soucis de la guerre de sept ans et les souffrances de la princesse dans sa dernière maladie expliquent suffisamment comment elle avait pu oublier l'existence de ses Mémoires.

Cet ouvrage est donc une ombre au tableau que présente la vie de la Margrave. On y voit souvent percer le ressentiment qu'elle éprouva contre son frère dans la période de 1744 à 1746, ressentiment qui se reflète également dans la correspondance de ces années, et explique les jugements injustes que l'auteur porte sur le Roi dans ses Mémoires. Nous nous hâtons de passer sur celte époque fâcheuse pour faire observer que, depuis la réconciliation, la sympathie était de nouveau complète, que Frédéric avait rendu à sa sœur toute sa tendresse, et qu'il trouva toute naturelle la résolution prise par elle de partager son sort, quelque funeste qu'il fût.1_XX-b Si donc l'histoire impartiale doit blâmer les nombreuses injustices de la princesse envers son frère, le même tribunal doit absoudre, en faveur de son affection désintéressée et de son dévouement, la sœur qui réalisa pour Frédéric l'idéal de l'amitié, et auprès de laquelle il trouva le plus pur bonheur de sa vie. L'effet pénible produit par les torts de la Margrave envers son frère est d'ailleurs adouci par la lecture de la correspondance de ces deux augustes personnes, qui, selon l'expression du Roi lui-même, n'étaient qu'une âme en deux corps,1_XX-c expression mémorable, impérissable monument élevé à la gloire de la margrave Wilhelmine de Baireuth.

<XXI>

II. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR FRÉDÉRIQUE, MARGRAVE D'ANSBACH. (7 juin 17440-22 décembre 1745.)

La princesse Frédérique-Louise, seconde fille de Frédéric-Guillaume Ier, naquit dans la nuit du 28 au 29 septembre 1714, et épousa, le 30 mai 1729, le margrave Charles-Guillaume-Frédéric d'Ansbach. Veuve depuis le 3 août 1757, elle mourut le 4 février 1784.

Les Archives de la maison royale conservent une grande quantité de lettres écrites par cette princesse à son frère, du 28 mars 1732 au 2 mars 1768; elles sont toutes autographes, en français, et très-insignifiantes. Quant aux réponses de Frédéric, nous n'en avons trouvé que quelques minutes et copies, insérées à leur rang de date dans le recueil des lettres de la princesse. Parmi les douze lettres que nous avons choisies, il y en a neuf du Roi. Celle du 22 décembre 1745, notre no 12, a été écrite en deux exemplaires, envoyés, l'un à la margrave d'Ansbach, l'autre à la margrave de Schwedt. La princesse Frédérique signe toutes ses lettres Friderique; la margrave de Baireuth (Mémoires, t. I, p. 52 et 99) et le Roi (Œuvres, t. I, p. 200) l'appellent également de ce nom. C'est donc par erreur que David Fassmann, l'auteur anonyme de l'ouvrage, Leben und Thaten des Königs von Preussen Friderici Wilhelmi, la fait nommer Louise par son père dans un court entretien entre ce monarque et la princesse, rapporté t. I, p. 394.

La margrave Frédérique est citée t. VI, p. 245 et 250, art. 7, et t. X, p. 172 de notre édition, ainsi que dans les Mémoires de la margrave de Baireuth, t. I, p. 97, et t. II, p. 71, 72 et 298, où l'auteur parle de la beauté angélique, de l'esprit borné et des caprices de cette sœur. Elle dit aussi que la princesse Frédérique fut très-malheureuse dans son mariage, que le Roi ne l'aimait pas, et qu'elle n'avait pas d'affection pour lui. Toutefois, dans une lettre à la margrave de Baireuth elle-même, du 29 avril 1753, Frédéric dit, en parlant de la visite de sa sœur d'Ansbach : « Jugez du plaisir que j'ai ressenti en embrassant une amie de <XXII>mon enfance, une sœur que j'aime tendrement, et que je n'ai vue de neuf ans. Il n'y a eu que le congé de triste dans tout cela. »1_XXII-a Il écrit à la même, le 20 juin suivant : « Je ne doute point que notre neveu (d'Ansbach) ne soit fort aimable, puisqu'il a votre approbation; il doit venir ici vers le mois de septembre; je l'aime d'avance, parce qu'il appartient à une sœur que j'aime tendrement. »1_XXII-a Voici enfin comme il s'exprime dans sa lettre au prince Henri, du 8 février 1784 : « Mon très-cher frère, c'est le cœur navré de douleur que je vous écris aujourd'hui. Je viens d'apprendre la mort de notre pauvre et malheureuse sœur d'Ansbach; cela en revient, mon cher frère, à ce que je vous mandais dernièrement, que ce qui reste de notre famille branle au manche. J'ai toujours médité d'aller à Ansbach voir encore une fois ma pauvre sœur; je n'en ai jamais pu trouver le moment. C'était une bien bonne et honnête personne, dont le cœur était la probité même. Je vous avoue, mon cher frère, que cela m'afflige si fort, que je remettrai à un autre jour à vous répondre, étant, etc. »1_XXII-b

III. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR CHARLOTTE, DUCHESSE DE BRUNSWIC. (18 janvier 1733 - 10 août 1786.)

La princesse Philippine-Charlotte, troisième fille de Frédéric-Guillaume Ier, naquit à Berlin le 13 mars 1716. Le 2 juillet 1733, elle épousa le prince héréditaire Charles de Brunswic, beau-frère de Frédéric, et duc régnant depuis le 3 septembre 1735. La duchesse Charlotte, veuve depuis le 26 mars 1780, mourut à Brunswic le 16 février 1801. Frédéric avait pour elle beaucoup d'attachement et d'estime. Il écrit à Voltaire en 1743 : « J'ai bien cru que vous seriez content de ma sœur de Brunswic. Elle a reçu cet heureux don du ciel, ce feu d'esprit, cette vivacité par où elle vous ressemble, et dont malheureusement la nature est trop <XXIII>chiche envers la plupart des humains. »1_XXIII-a Frédéric avait souvent la satisfaction de voir la Duchesse, soit chez lui, soit à Brunswic.1_XXIII-b Il lui a adressé deux poésies : l'Ode à ma sœur de Brunswic sur la mort d'un fils tué en 1761 (t. XII, p. 33), et l'Épître à ma sœur de Brunswic. Qu'il est des plaisirs pour tout âge, du 15 février 1765(t. XIII, p. I).

Outre le prince Henri, tué en 1761, la Duchesse eut la douleur de perdre deux fils, tous deux généraux-majors au service de la Prusse; le prince Guillaume mourut en Bessarabie, en 1770,1_XXIII-c et le prince Léopold périt, en 1785, à Francfort, dans une inondation de l'Oder, en voulant sauver des hommes qui se noyaient.1_XXIII-d Ces deux princes, et leurs frères aînés le Prince héréditaire et le prince Frédéric-Auguste, étaient fort aimés et appréciés de leur oncle; leur sœur, la princesse Elisabeth, femme du Prince de Prusse, dut divorcer d'avec son mari.1_XXIII-e

Il existe aux Archives de la maison royale un grand nombre de lettres de la duchesse de Brunswic à Frédéric, mais aucune de celui-ci à sa sœur. Le recueil que nous présentons au lecteur se compose de treize pièces, dont quatre (les nos 4, 7, 12 et 13) du Roi. Nous devons les nos 1, 2, 3, 5, 6 et 8 aux Archives de la maison royale; le no 4 nous a été fourni par les Archives de Brunswic; le no 7 est tiré du Supplément aux Œuvres posthumes de Frédéric II, t. III, p. 77; quant aux trois lettres nos 9, 10 et 11, nous en devons les copies à l'obligeance de feu madame la comtesse Henriette d'Itzenplitz-Friedland; mais les textes en sont très-incorrects, et renferment même souvent des phrases inintelligibles; enfin, les nos 12 et 13 sont tirés des Anekdoten von König Friedrich II von Preussen, herausgegeben von Friedrich Nicolai, cahier I, p. 4 et 6.

<XXIV>

IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR SOPHIE, MARGRAVE DE SCHWEDT. (11 juillet 1742 - 23 septembre 1765.)

La princesse Sophie-Dorothée-Marie était la quatrième fille de Frédéric-Guillaume Ier; elle naquit le 25 janvier 1719, et épousa à Potsdam, le 10 novembre 1734, le margrave Frédéric-Guillaume de Brandebourg-Schwedt. Elle mourut à Schwedt le 13 novembre 1765. Frédéric parle de cette sœur, entre autres, t. I, p. 200; t. X, p. 173; t XVIII, p. 181; t. XXVI, p. 315, 317, 32 et 630-632, nos 26, 27 et 28; ci-dessous, p. 16. Il en est fait mention dans le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 146. La margrave de Baireuth, enfin, s'exprime ainsi dans ses Mémoires, t. II, p. 207, à propos de la maladie dont son père fut atteint en 1734 : « Son mal augmentant à vue d'œil, il résolut de faire les noces de ma sœur Sophie avec le margrave de Schwedt. La bénédiction de leur mariage se donna le 7 de janvier 1735, devant son lit. » Cette date est inexacte.

Les Archives de la maison royale conservent beaucoup de lettres de la margrave Sophie à son frère, toutes autographes, et quelques minutes ou copies de lettres de Frédéric à sa sœur, dont aucune n'est de sa main. On voit au dos de plusieurs des lettres de la Margrave des notes que les conseillers de Cabinet y ont faites au crayon ou à l'encre, et qui contiennent la substance de la réponse du Roi; par exemple : Compliment, ou Compliment obligeant; Compliment bien obligeant; Compliment de félicitation au nouvel an, etc. Il semble que Frédéric ait rarement écrit de sa main à sa sœur Sophie, ainsi qu'à la margrave d'Ansbach.

Le recueil que nous donnons de la correspondance avec la margrave Sophie comprend quinze lettres, dont neuf de Frédéric; elles sont toutes tirées des Archives de la maison royale.

<XXV>

V. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR ULRIQUE, REINE DE SUÈDE. (3 novembre 1743-27 septembre 1772.)

La princesse Louise-Ulrique, cinquième fille de Frédéric-Guillaume 1er, naquit à Berlin le 24 juillet 1720. Vers la fin de l'année 1743, l'impératrice Elisabeth se proposant de marier le grand-duc son neveu, son penchant la portait à donner la préférence à la princesse Ulrique;1_XXV-a mais Frédéric aima mieux recommander la princesse de Zerbst.1_XXV-b Au mois de mai 1744, le comte de Tessin vint à Berlin, en qualité d'ambassadeur de Suède, demander la main de la princesse Ulrique pour le prince Adolphe-Frédéric de Holstein, héritier présomptif du trône de Suède. Les noces furent célébrées à Berlin le 17 juillet. Le Prince de Prusse, frère du Roi, épousa la princesse par procuration de l'auguste fiancé, qui parvint à la couronne le 6 avril 1751. La reine Ulrique, veuve depuis le 12 février 1771, mourut à Stockholm le 16 juillet 1782.

Frédéric lui a adressé quatre poésies : les Vers du 4 juin 1743, l'Épître à ma sœur de Suède, du 25 décembre 1749, et les deux Épîtres des années 1771 et 1772. Voyez t. XIV, p. 102, t. X, p. 167, et t. XIII, p. 86 et 91. Voyez aussi t. III, p. 45, t. VI, p. 250, et, t. IX, p. x, 206 et 207, le Discours prononce à l'assemblée extraordinaire et publique de l'Académie des sciences et belles-lettres de Prusse, en présence de Sa Majesté la reine douairière de Suède, le lundi 27 janvier 1772. Enfin, voyez t, XIII, p. 103.

Le Roi fait mention de sa sœur de Suède, alors en visite chez lui, dans ses lettres à l'électrice Marie-Antonie de Saxe, du 24 décembre 1771 et du mois de février 1772, et au comte de Hoditz, du 29 décembre 1771, ainsi que dans celles à Voltaire et à d'Alembert, du 12 janvier et du 30 juin 1772. Il a exprimé dans sa lettre à ce dernier, du 8 septembre 1782, la douleur que lui causait la perte de cette princesse. Voyez t. XX, p. 262 et 263; t. XXIV, p. 255 et 260; t. XXIII, <XXVI>p. 236; t. XXIV, p. 631; t. XXV, p. 263 et 264. Voyez aussi t. XXVI, p. 361, 367, 368, et 647-649.

Il y a aux Archives de la maison royale une volumineuse collection de lettres de la reine Ulrique, toutes autographes et écrites du 4 septembre 1737 au 31 décembre 1747. Nous n'avons trouvé dans le nombre qu'une seule copie d'une lettre de Frédéric, du 7 juin 1747. La reine de Suède, encouragée par son frère, écrivait par tous les courriers et sur toutes les affaires de sa maison et de sa nouvelle patrie; plusieurs de ses lettres sont en chiffre. Elle signe presque toujours Ulrique, très-rarement Louise-Ulrique. On n'a rien trouvé de la main de Frédéric parmi les papiers qu'elle a laissés, et qui sont conservés à Drotningholm.

Notre recueil renferme quinze lettres, dont cinq du Roi. Nous devons les nos 1-11 aux Archives de la maison royale; les nos 12 et 13 sont tires de l'ouvrage de M. Frédéric de Raumer, Beiträge zur neueren Geschichte. Leipzig, 1839, t. III, p. 212, 213, 224 et 225; enfin nous avons copié les nos 14 et 15 dans la Correspondance inédite relative à l'histoire de Suède 1772-1780, publiée à Stockholm, en 1843, par M. le baron de Manderström, membre de l'Académie suédoise. Au verso du titre se trouvent les mots : Édition tirée à 40 exemplaires numérotés. L'exemplaire que nous devons à la bienveillance de l'éditeur porte le no 18, de sa main.

VI. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR AMÉLIE, ABBESSE DE QUEDLINBOURG. (24 avril 1738-9 août 1775.)

La princesse Anne-Amélie, fille cadette de Frédéric-Guillaume Ier, naquit à Berlin le 9 novembre 1723. Elle fut installée abbesse de Quedlinbourg le 11 avril 1756, et mourut à Berlin le 30 mars 1787.

Cette princesse, qui avait beaucoup de goût et de talent pour la musique, vivait ordinairement à Berlin, en hiver sous les Tilleuls (no 7, hôtel actuel de la <XXVII>légation russe), en été rue Guillaume, dans le palais qui appartient aujourd'hui à Son Altesse Royale le prince Albert. Ce séjour habituel dans la capitale lui procurait l'avantage de jouir souvent de la société du Roi son frère, qui aimait sa conversation, et qui même, pendant la guerre de sept ans, l'invita quelquefois à venir le voir. Les correspondances et les poésies de Frédéric donnent un agréable témoignage de la cordiale intimité qui régnait entre lui et sa sœur Amélie.

Les sept poésies adressées à cette princesse par le Roi se trouvent t. XII, p. 48, 64, 161 et 169, et t. XIII, p. 22, 37 et 89.

Notre recueil renferme trente-trois lettres, dont dix-sept de Frédéric. Nous lirons vingt-trois de ces pièces des Archives de la maison royale, et les nos 6, 9 et 12-15 des Archives de Darmstadt, qui en conservent des copies faites pour la landgrave Caroline. Quant aux nos 27-30, nous les devons à feu madame la comtesse Henriette d'Itzenplitz-Friedland. Nous avons omis, comme n'offrant pas les caractères de l'authenticité, la lettre de Frédéric, de l'année 1778, qui se trouve dans le Göttingisches Historisches Magazin von C. Meiners und L. T. Spittler, Hanovre, 1788, t. III, p. 453. D'ailleurs, les éditeurs de ce recueil ont tiré la pièce dont il s'agit d'une source fort suspecte, les Lettres historiques, politiques et critiques sur les événements qui se sont passés depuis 1778 jusqu'à présent (par le chevalier Metternich, de Cologne), Londres (Cologne), 1788, t. I, p. 116. On sait que Frédéric Nicolaï, dans les Anekdoten von Kônig Friedrich II, 1792, cahier VI, p. 208, a déclaré supposées les pièces contenues dans les neuf ou dix volumes de ces Lettres historiques qui avaient paru jusqu'alors.

Berlin, 3 avril 1855.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.

<1>

I. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SOEUR WILHELMINE, MARGRAVE DE BAIREUTH. (1er NOVEMBRE 1730 - 12 OCTOBRE 1758.)[Titelblatt]

<2><3>

1. A LA PRINCESSE WILHELMINE.

Cüstrin, 1er novembre 1730.1_3-a



Ma très-chère sœur,

L'on va m'hérétiser après le conseil de guerre qui va se tenir à présent; car il n'en faut pas davantage pour passer pour hérésiarque que de n'être pas conforme en toutes choses au sentiment du maître. Vous pouvez donc juger sans peine de la jolie façon dont on m'accommodera. Pour moi, je ne m'embarrasse guère des anathèmes qui seront prononcés contre moi, pourvu que je sache que mon aimable sœur s'inscrive en faux là contre. Quel plaisir pour moi que ni verrous ni grilles ne peuvent m'empêcher de vous témoigner ma parfaite amitié! Oui, ma chère sœur, il se trouve encore d'honnêtes gens, dans ce siècle quasi entièrement corrompu, qui me prêtent les moyens nécessaires pour vous témoigner mes soumissions. Oui, ma chère sœur, pourvu que je sache que vous soyez heureuse, la prison me deviendra un séjour de félicité et de contentement. Chi ha tempo ha vita;1_3-b consolons-nous avec cela. Je souhaiterais du fond de mon cœur n'avoir pas besoin d'interprète pour vous parler, et que nous revissions ces heureux jours où votre principe et ma principessa se<4> baiseront,1_4-a ou, pour parler plus net, où j'aurai le plaisir de vous entretenir moi-même, et de vous assurer que rien au monde ne peut diminuer mon amitié pour vous. Adieu.



Le Prisonnier.

2. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Berlin, 6 mars 1732.



Ma très-chère sœur,

Lundi prochain seront mes promesses, qui se feront tout comme les vôtres. La personne n'est ni belle ni laide, ne manquant pas d'esprit, mais fort mal élevée, timide, et manquant beaucoup aux manières du savoir-vivre : voilà le portrait naturel de cette princesse. Vous pouvez juger par là, ma très-chère sœur, si je la trouve à mon gré, ou non. Le plus grand mérite qu'elle a, c'est qu'elle m'a procuré la liberté de vous écrire, qui m'est l'unique soulagement que j'aie dans votre absence. Vous ne pouvez jamais croire, mon adorable sœur, combien de vœux je fais pour votre bonheur; tous mes souhaits y aboutissent, et tous les moments de ma vie je forme de ces souhaits. Vous pouvez voir par là que je vous conserve toujours cette amitié sincère dont nos cœurs ont été liés depuis leur plus tendre jeunesse;<5> du moins reconnaissez, ma chère sœur, que vous m'avez fait un sensible tort en m'accusant de légèreté envers vous, et en croyant de faux rapports que l'on vous avait faits de ma crédulité, moi qui n'aime que vous, et que ni absence ni faux rapports ne pourraient faire changer. Du moins ne croyez plus rien de tel sur mon sujet, et ne vous méfiez pas plus tôt de moi que vous n'ayez eu des preuves éclatantes, auparavant, que le bon Dieu m'ait abandonné et que la tête me tourne; et étant persuadé que de tels malheurs ne viendront pas m'accabler, je vous réitère ici combien je vous aime, et avec quel respect et vénération sincère je suis et serai jusqu'au tombeau,



Ma très-chère sœur,

Votre très-humble et très-fidèle
frère et valet,
Frideric.

3. A LA MÊME.

(Berlin) 24 (mars) 1732.



Ma très-chère sœur,

L'est, avec beaucoup de plaisir, ma très-chère sœur, que j'ai appris que vous vous portez mieux. Dieu soit loué! car personne ne vous peut aimer plus tendrement que je le fais. La Reine m'a ordonné de vous répondre, touchant la princesse de Bevern, que vous ne lui donniez point l'altesse, et que vous pouviez lui écrire tout comme à une autre princesse indifférente. Pour ce qui s'agit du baisemain, je vous assure que je ne les lui ai pas baisées, ni ne les lui baiserai, car elles ne sont pas assez belles pour être appétissantes. Dieu vous<6> conserve longtemps en parfaite santé! Et vous, conservez-moi toujours l'honneur de vos bonnes grâces, et croyez, ma charmante sœur, que jamais frère au monde n'aima avec tant de tendresse une sœur si charmante que la mienne; enfin croyez, chère sœur, que sans compliments et au pied de la lettre je suis tout à vous.

Frideric.

Nous avons eu avant-hier musique, et l'on a bien pensé à vous.

4. A LA MÊME.

Potsdam, 26 août 1732.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu la satisfaction de recevoir deux de vos chères lettres en même temps; mais comme elles m'ont cherché à Ruppin, je ne les ai pu recevoir qu'hier. Mon aimable sœur, permettez que je vous en rende mille grâces, comme de toutes les bontés que vous me témoignez, et que je suis incapable de mériter. Je suis venu ici pour aller à la sainte Cène avec le Roi;1_6-a il m'a parlé mille biens de vous, et dans des termes bien tendres, auxquels mon cœur a applaudi de concert avec tout le genre humain, dont vous faites l'admiration. A présent je suis sur le point de mon départ, mais après-demain j'aurai la satisfaction de m'entretenir plus longtemps avec l'unique sœur que j'adore et que je respecte de tout mon cœur. J'espère que, en attendant, votre santé se remettra de jour en jour, et que j'aurai bientôt la satisfac<7>tion de vous assurer de vive voix comme j'ai l'honneur d'être avec toute l'amitié imaginable, jointe avec un dévouement entier et une parfaite vénération,

Ma très-chère sœur,
Votre très-humble, très-obéissant et très-dévoué serviteur et frère,
Frederic.

5. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 28 août 1732.

Comme j'envoie M. de Voit à Berlin pour y porter la nouvelle de ma délivrance, je ne veux pas manquer cette occasion de vous témoigner, mon très-cher frère, à quel point je vous aime et vous suis attachée. Ces sentiments pour vous ne finiront qu'avec le dernier soupir de ma vie, qui vous sera toujours dévouée. J'espère que vous voudrez bien nous faire la grâce, au prince et à moi, d'être parrain de l'enfant futur;1_7-a je le doue d'avance de vos belles qualités, et il ne pourra qu'être heureux, ayant un tel parrain. Je vous prie, mandez-moi naturellement par cette voie, qui est très-sûre, l'état de vos affaires. Je vous recommande aussi le porteur de cette lettre, qui est un homme de mérite, et qui m'est tout attaché. Adieu, mon<8> très-cher frère; soyez persuadé de la tendresse sans égale que j'ai pour vous, avec laquelle je serai jusqu'au tombeau.



Mon très-cher frère,

Votre très-humble et fidèle
sœur et servante,
Wilhelmine.

6. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ruppin, 5 septembre 1732.



Ma très-chère sœur,

J'aurais bien de la peine de vous décrire la vive joie que j'ai eue en apprenant la nouvelle de votre heureuse délivrance, ma très-chère sœur; j'ai craint, sans rien dire, ce terme, qui devait décider du bonheur ou du malheur de ma vie. Le bon Dieu soit loué à jamais qu'il vous a tirée si heureusement d'un tel pas, et qu'il me rend la vie en vous la rendant! Je suis trop content, et ne saurais assez vous marquer ma reconnaissance de ce que vous me faites la grâce de me choisir pour parrain de ma chère petite nièce. Vous ne pouviez choisir personne qui eût plus de respect et d'attachement pour la mère, ni plus d'amitié pour la fille, tout m'étant précieux ce qui vient de vous, et ce qui vous appartient. Vous pouvez compter, ma très-chère sœur, que j'ai souffert tout ce que l'on peut souffrir au monde pendant quinze jours, vivant toujours entre la crainte et l'espérance de perdre ou de conserver tout ce que j'aime le plus tendrement au monde, et<9> pour qui je laisserais ma vie et mon sang. Vous m'ordonnez, ma très-chère sœur, de vous informer de l'état de mes affaires; et comme je n'ai aucun meilleur ami que vous au monde, vous pouvez compter que je vous ouvre mon cœur comme devant Dieu. Le Roi me persécute touchant mon mariage. Je n'aime point la princesse; au contraire, j'ai plutôt de la répugnance pour elle, et notre mariage ne vaudra pas grand' chose, ne pouvant y avoir ni amitié ni union entre nous. Sans cela, le Roi ne me maltraite pas, mais il se défie de moi, et ce maudit mariage est l'unique cause de mon chagrin. Je suis fort bien avec la Reine, laquelle vous aime bien tendrement. Je vis ici en paix et en repos auprès de mon régiment, et je me trouverais heureux, ayant le bonheur de vous voir tous les jours et de ne me marier jamais.1_9-a Voilà tout ce qui me manque à me rendre pleinement heureux. Le Roi parle mille biens de vous, et il vous aime bien tendrement. Grumbkow et Seckendorff sont fort bien avec moi, et, jusqu'au mariage près, ils me font du bien. Derschau et Hacke sont mes intimes; mais je nage sans m'y fier. Je suis fort rarement à Berlin, Potsdam et Wusterhausen.1_9-b Le Roi y va dimanche. Il veut me forcer à aimer ma belle, et je crains fort qu'il n'y réussira pas; mon cœur ne se laisse point forcer; quand il aime, il aime sincèrement, et quand il n'aime pas, il ne se saurait contraindre. C'est pourquoi je ne le saurais empêcher, mon adorable sœur, de vous donner des marques de son sincère attachement, car je ne vis que pour vous, et j'attends avec la plus grande impatience du monde l'heureux moment où, après presque trois ans d'absence, j'aurai la félicité et la joie de vous revoir,1_9-c de me mettre à vos pieds, et de vous réitérer que jamais personne ne peut être avec plus de<10> respect, de vénération et de tendre attachement que j'ai l'honneur d'être,



Ma très-chère sœur,

Votre très-humble, très-obéissant et très-fidèle
frère et serviteur,
Frederic.

7. A LA MÊME.

(Salzdalum) à douze heures, 12 juin 1733.



Ma très-chère sœur,

Justement à présent, ma très-chère sœur, toute la cérémonie1_10-a vient de se finir, et Dieu soit loué que tout soit passé! J'espère que vous le prendrez comme une marque de mon amitié que je vous en donne la première nouvelle. J'espère que j'aurai l'honneur de vous revoir bientôt, et de vous assurer, ma très-chère sœur, que je suis tout à vous. J'écris fort vite, ce qui me fait passer par-dessus le cérémonial. Adieu.

<11>

8. A LA MÊME.

Ruppin, 9 octobre 1733.



Ma très-chère sœur,

Vous me rendez la vie, ma très-chère sœur, en m'apprenant vous-même que vous vous portez mieux, et que vos incommodités vous abandonnent. A présent, je suis encore une fois aussi tranquille que j'ai été, et je commence à être quitte des cruelles angoisses dans lesquelles je me suis trouvé sur votre sujet. Je ne désespère pas non plus d'avoir le bonheur de vous revoir bientôt, ma très-chère sœur, et les mêmes Français qui ont passé le Rhin m'en fourniront l'occasion, car je prétends faire la guerre et montrer à messieurs les Français qu'il y a dans le fond de l'Allemagne de jeunes aigrefins assez insolents qui se présenteront devant la face de toutes leurs armées sans trembler. Avant que de partir, je ferai tondre la Montbail;1_11-a de la peau de sa tête je ferai une tête de Méduse que j'attacherai sur mon bouclier; du cuir de son beau corps blanc je me ferai faire un buffle où je crois que les boulets de canon auront honte d'entrer; et d'une de ses longues dents taillée en pointe je me ferai faire une lance avec laquelle j'exterminerai la France. Dans ce noble équipage, je viendrai me présenter devant vous, ma très-chère sœur; ainsi je vous en fais d'avance la description, de crainte que nous puissiez me méconnaître. J'attends avec beaucoup d'impatience l'heureux moment où mon cœur pourra vous réitérer tout ce qu'il sent, ma très-chère sœur, sur votre sujet; car je vous assure qu'il est tout rempli<12> de vous, et que personne au monde n'est plus que je le suis avec un parfait attachement, etc.

Je vous prie, n'oubliez pas la bonne Sonsine.1_12-a

9. A LA MÊME.

Ruppin, 29 octobre 1733.



Ma très-chère sœur,

Il n'y eut jamais qu'un Cicéron au monde, ni qu'une personne comme vous, ma très-chère sœur, qui est capable de donner de l'esprit à des gens qui n'en ont point, car vous commencerez à me faire croire aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, que j'ai de l'esprit; car jamais je ne pourrais m'imaginer sans vous que des lettres aussi insipides que les miennes pussent être capables de divertir quelqu'un, au moins à présent, ma très-chère sœur. Je m'en vais redoubler mon verbiage, et au lieu que vous en étiez quitte autrefois pour deux pages,

Vous allez être assaillie
De grands cahiers tous remplis
De sérieux et de comique,
Où la plus grande politique
Sera de vous divertir.
Mais si je ne puis réussir,

<13>

Va, Parque, coupe ma fusée,
Et que mon âme trépassée
Parmi tous les mauvais auteurs,
Pour la punir de ses erreurs,
Soit en son rang d'oignon placée.

A présent me voilà poëte, ma très-chère sœur, et je crois que vous me rendriez cordonnier, si c'était le moyen de vous divertir.

Pour en venir aux nouvelles, celles qu'on a du Rhin sont que les braves Français l'ont passé à la barbe de Sa Majesté Impériale ....

10. A LA MÊME.

Ruppin, lundi 9 novembre 1733.



Ma très-chère sœur,

Ma lenteur à vous répondre, ma très-chère sœur, serait inexcusable, si je n'avais de très-légitimes raisons pour m'exculper, ayant attendu le Roi ici depuis samedi. Vous savez, ma très-chère sœur, que la réception d'un pareil Gast ne cause pas peu d'embarras. Enfin, il ne s'est résolu à venir que jeudi. A vous dire la franche vérité, j'ai la tête si remplie de la façon dont je veux préparer tout pour son arrivée, que je ne sais pas moi-même ce que j'écris. Je serai une bête jusqu'à samedi, que je compte aller avec lui à Berlin. C'est de là où j'espère que je pourrai vous écrire une lettre raisonnable, et vous assurer, ma très-chère sœur, que je vous aime plus que ma vie, ne cessant d'être, etc.

<14>Le Roi vient ici pour me donner une terre qui vaut sept mille écus, et qui est bien belle.1_14-a

11. A LA MÊME.

Berlin, 28 juin 1734.



Ma très-chère sœur,

Je pars enfin demain au soir infailliblement d'ici, ma très-chère sœur, et comme je n'ai pu obtenir la permission d'aller à Baireuth, j'ai voulu vous prier d'aller, si votre santé le permet, à Bamberg; je m'y rendrai de Schweinfurt, et nous pourrons pourtant avoir le plaisir de nous voir. Si vous pouvez y aller, et que votre précieuse santé le permette, ayez la bonté d'envoyer un exprès à Schweinfurt. Comme je pars demain au soir, j'espère d'être vendredi matin à Schweinfurt, où je partirai d'abord pour Bamberg, où j'aurai l'honneur de vous faire ma cour. Si vous craignez qu'il y vienne trop de monde, il n'y a qu'à garder l'incognito, et pour moi, je ne prends pas un chat que Bredow1_14-b avec moi. Vous aurez la grâce de prendre la précaution de dire à l'exprès que vous m'envoyez qu'il commande sept chevaux à chaque relais, afin que je fasse ce trajet d'autant plus vite. Adieu, mon adorable sœur; je vous envoie ceci par une estafette, pour que vous en soyez avertie d'autant plus vite. Je me<15> recommande dans l'honneur de vos bonnes grâces, et je crois que je mourrai de joie, si je puis avoir l'honneur de vous assurer de vive voix que, ma très-chère sœur, que je vive ou que je meure, je serai toujours, etc.

12. A LA MÊME.

Hoff, 2 juillet 1734.



Ma très-chère sœur,

Enfin, me voilà arrivé à six lieues d'une chère sœur que j'aime, j'estime et j'honore plus que tout au monde; mais malgré le plaisir que j'ai de l'approcher de si près, j'ai le sensible chagrin de ne pouvoir peut-être pas seulement la voir, le Roi pressant notre départ plus que tout au monde, et ne voulant absolument pas que nous nous arrêtions. Pour cet effet, il a défendu expressément de ne passer ni Baireuth, ni Ansbach; cependant il m'a promis sûrement qu'à mon retour je passerais par Baireuth pour m'y arrêter quelque temps. Je n'ai jamais tant déploré le malheur de ne dépendre pas de soi-même qu'à présent, et quoique je risquerais le tout pour le tout quand il s'agit de vous rendre mes respects, néanmoins je ne le suis pas en état cette fois-ci, le Roi n'étant que fort aigre-doux sur mon sujet, que je n'oserais hasarder la moindre chose, d'autant plus que de lundi qui vient en huit il sera à l'armée, où vous pouvez vous imaginer que je serais joliment traité, si je contrevenais à ses ordres. C'est donc avec le plus grand désespoir du monde que je suis obligé de côtoyer les endroits qui me deviennent précieux par rapport que vous y êtes. La Reine m'ordonne de vous faire mille amitiés de sa part. Elle a paru fort attendrie sur votre maladie, mais du reste il<16> me serait impossible de vous garantir si cela est sincère ou non, car elle est totalement changée, et je n'y connais plus rien. Cela va si loin, qu'elle m'a nui autant qu'elle l'a pu chez le Roi; cependant elle est aussi raccommodée. Pour Sophie, elle n'est aussi plus la même, car elle approuve tout ce que la Reine dit et fait, et elle est charmée de son grand nigaud.1_16-a Le Roi est plus difficile que jamais; il n'est content de rien, jusqu'à avoir perdu tout ce qui se peut appeler reconnaissance pour les plaisirs qu'on lui peut faire. Pour sa santé, elle va un jour mieux, et l'autre plus mal; mais pour les jambes, elles lui sont toujours enflées. Jugez dans quelle joie je dois être de sortir de cette turpitude, car le Roi ne restera que quinze jours tout au plus au camp. Adieu, mon adorable sœur; je suis si las, que je n'en puis plus, étant parti la nuit du mardi au mercredi, à trois heures, d'un bal de Monbijou, et étant arrivé aujourd'hui vendredi à quatre heures du matin ici. Je me recommande dans l'honneur de votre gracieux souvenir, et pour moi, je suis jusqu'à ma mort, ma très-chère sœur, etc.

13. A LA MÊME.

Münchberg, 2 juillet 1734.



Ma très-chère sœur,

Je suis au désespoir de ne pouvoir satisfaire mon impatience et mon devoir, qui serait de me venir jeter à vos pieds dès que je le pourrais;<17> mais, ma très-chère sœur, j'espère que vous m'excuserez quand je vous dirai que cela ne dépend absolument point de moi, et quoique je le souhaiterais plus que tout au monde, nous autres princes sommes obligés d'attendre ici nos généraux, car nous n'oserions aller sans eux; et comme ils ont cassé une roue à Gera, et que nous n'avons rien entendu parler deux, nous sommes obligés d'attendre absolument ici sur eux. Jugez dans quel chagrin je dois être, et quelle tristesse n'est pas la mienne! Nous avons encore un ordre exprès de ne passer ni par Baireuth, ni par Ansbach; ainsi ayez la grâce de faire que l'on ne me tourmente pas sur des choses qui ne dépendent pas de moi. Me voilà donc encore entre la crainte et l'espérance de vous faire ma cour, et je crois que cela se pourra à Berneck, pourvu que vous fassiez que nous trouvions un chemin qui évite Baireuth, et qui aille de Berneck à côté, car sans cela je n'oserais prendre ce chemin. Le porteur, qui est le capitaine Knobelsdorff,1_17-a pourra vous informer de toutes les particularités. Voilà où j'en suis à présent, et au lieu d'avoir à m'attendre à des agréments du Roi, je n'en ai que du chagrin. Mais ce qui m'est plus sensible que tout, c'est que vous êtes malade. Dieu, dans sa grâce, veuille vous seconder et vous rendre la précieuse santé que je vous souhaite! Je crois que je mourrai de plaisir quand je pourrai me jeter à vos pieds. Adieu donc, mon aimable et chère sœur; je remets jusqu'alors la réitération de mon parfait respect et de la tendresse la plus vive, avec laquelle je serai jusqu'au tombeau, ma très-chère sœur, etc.

<18>

14. A LA MÊME.

Nuremberg, 3 juillet 1734.



Ma très-chère sœur,

Il me serait impossible de partir d'ici sans vous marquer, ma très-chère sœur, la très-vive reconnaissance que je vous ai de toutes les marques de grâce que vous m'avez témoignées au Weiherhaus. La plus grande de toutes celles que vous pouviez me faire était de me procurer la satisfaction de vous faire ma cour.1_18-a Je vous demande millions de pardons de vous avoir incommodée, ma très-chère sœur, comme je l'ai fait; mais, en vérité, je n'en pouvais pas mais, car vous savez suffisamment mes tristes circonstances. J'ai oublié de vous donner la ci-jointe, à cause de la grande joie que j'avais de vous faire ma cour. Je vous supplie de m'écrire souvent des nouvelles de votre santé, et de bien questionner les médecins s'il ne serait pas possible que vous eussiez des vers; sinon, je crois que le lait de chèvre vous ferait grand bien. Adieu, mon incomparable et chère sœur. Je suis toujours le même, et le resterai jusqu'à ma mort, c'est-à-dire que je me dis avec tout le respect imaginable et une tendresse sans bornes, ma très-chère sœur, etc.

J'ai bien bu mille fois à votre chère santé; que Dieu la bénisse!

<19>

15. A LA MÊME.

Camp de Weinsheim, 4 août 1734.1_19-a



Ma très-chère sœur,

Nous venons de passer le Neckar, et nous campons à une heure de Mannheim, pour tenir l'Électeur en respect. Hier j'ai été à Heidelberg, où j'ai vu une ville qui, jadis toute de notre religion, est à présent remplie de séminaires de jésuites et de couvents catholiques. Le cœur m'en a saigné, et j'ai eu plus d'une fois l'envie de saccager ces traîtres qui persécutent des innocents. L'armée française a envoyé un détachement du côté de Brisach, et le reste est auprès de Worms et de Spire, de sorte que nous nous donnons la chasse les uns aux autres, sans nous mordre. Adieu, très-chère sœur; je ne fais que descendre de cheval. Vous me connaissez, et vous ne doutez pas, à ce que j'espère, que mon cœur et ma vie vous sont tendrement dévoués.

16. A LA MÊME.

Fribourg, 10 août 1734.



Ma très-chère sœur,

Ce jour est bien heureux pour moi, ayant eu le bonheur de recevoir deux de vos chères lettres, l'une du 28, et l'autre du 1er. Je suis charmé que vous me marquiez que votre santé va un peu mieux; j'espère de tout mon cœur que les eaux contribueront à la rétablir,<20> car je crois que vous-même n'y pouvez prendre plus de part que j'y prends. Je vous rends millions de grâces du charmant solo que vous me faites la grâce de m'envoyer; dès que le Roi sera parti, ce qui se fera le 13 au matin, j'aurai l'honneur de vous envoyer un solo de ma façon, qui, à la vérité, n'approche de longtemps pas le vôtre, mais qui est la faible production d'un méchant apprenti. Pour le Margrave, il peut venir ici dans la plus grande sûreté du monde,1_20-a car les Français ont détaché dix mille hommes pour l'Italie, marque certaine qu'ils n'entreprendront plus rien cette campagne. Nous nous camperons demain à l'autre côté du Main, et notre aile droite, où je me trouve, n'aura que le Rhin entre elle et Mayence, dont je ferai bon usage dès que le sérénissime sera parti. Comptez là-dessus que vous serez délivrée de sa visite, car il a commandé les chevaux pour Wésel. Nous resterons pour le moins trois ou quatre semaines dans ce camp. J'espère, à mon retour, d'avoir l'honneur de vous faire ma cour et de me mettre à vos pieds; ce n'est pas pour les cuisiniers, mais bien pour embrasser une sœur que j'adore, et qui m'est plus précieuse que toutes les richesses du monde. N'en doutez pas, chère sœur, car ce serait donner le désespoir à celui qui sera jusqu'à la mort avec un respect infini, ma très-chère sœur, etc.

Je suis fort chagrin de ce qui arrive à Ansbach, et je suis brouillé à toute outrance avec le nouveau beau-fils, qui est la bête la plus féroce de tout ce camp.

<21>

17. A LA MÊME.

Heidelberg, 2 septembre 1734.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé de pouvoir continuer à vous apprendre que tout le monde se porte, grâces au ciel, fort bien. Nous restons dans notre inaction ordinaire, et nous divertissons de notre mieux. L'on a reçu un exprès de Wésel, il y a deux jours, pour chercher le docteur Eller, à cause que le Roi se doit trouver très-mal d'un suffoquement de poitrine. L'on donne très-mauvaise opinion de sa santé, tant que le médecin de Hollande qu'il a fait venir le croit hydropique.1_21-a Vendredi nous apprendrons des nouvelles plus fraîches, dont je ne manquerai pas de vous faire part. Le bon Dieu, qui dirige tout dans le monde, et qui est le premier principe des événements qui arrivent, en disposera selon sa sagesse, et selon que sa sainte volonté l'aura résolu; je m'y soumets entièrement, et c'est de lui seul que l'on doit attendre la convalescence du Roi. C'est aussi à cet Être suprême que j'adresse mes vœux pour le rétablissement de votre précieuse santé. Vous savez, ma très-chère sœur, combien elle m'est précieuse, et que je vous suis entièrement dévoué, étant avec tout le respect et l'amitié imaginable, ma très-chère sœur, etc.

Bien mes compliments à la chère Sonsine.

<22>

18. A LA MÊME.

Heidelberg, 2 septembre 1734.



Ma très-chère sœur,

J'ai été bien réjoui hier en recevant votre chère lettre, ayant déjà été en mille inquiétudes pour votre précieuse santé. Pour ce qui nous regarde, ma très-chère sœur, je puis vous assurer que nous sommes tous en très-bonne santé, et toujours immobiles dans notre camp. L'on se prépare déjà pour le cantonnement et pour les quartiers d'hiver, et j'ai été tous ces jours passés pour voir les préparatifs que l'on fait pour cet effet. Un corps de troupes françaises est campé vis-à-vis du Rhin, que nous avons vu camper; l'on pouvait les connaître très-bien, et le chasseur de votre margrave, voulant signaler son courage, tira quelques coups d'arquebuse rayée contre les gardes qui étaient vis-à-vis de nous. Ceux-là, entendant mal cette raillerie, nous saluèrent d'une bonne salve; mais comme l'eau attire les balles, il n'en passa pas au bord. L'on a bien réprimandé le chasseur, qui, par un zèle malentendu, nous pensa attirer une mauvaise affaire.1_22-a

Les nouvelles que nous avons du Roi sont fort mauvaises; il est dans une triste situation, et l'on ne lui pronostique pas une longue vie. Enfin, j'ai pris le parti de me consoler de tout ce qui arrivera; car, au bout du compte, je suis fort persuadé que, pendant qu'il vivra, je n'aurai guère de bon temps, et je crois que je trouverai cent raisons pour une qui vous le feront oublier assez vite, car ce qui vous attendrit envers lui, c'est, ma très-chère sœur, que vous ne l'avez pas vu de longtemps; mais si vous le revoyiez, je crois que vous le laisseriez bien reposer en paix, sans vous chagriner. Consolons-nous donc ensemble, ma très-chère sœur, et faites-moi la grâce de me conserver votre précieuse amitié, comme la chose du monde<23> dont je fais le plus de cas. Je vous assure que je n'en abuserai pas, étant avec trop de considération, d'estime, respect et amitié, ma très-chère sœur, etc.

19. A LA MÊME.

Heidelberg, 24 septembre 1734.



Ma très-chère sœur,

Je ne sais au monde ce que font les postes, car je ne viens que de recevoir aujourd'hui la lettre du 12 de ce mois, ma très-chère sœur, que vous m'avez fait la grâce de m'écrire. Je vous en rends mille grâces, et je n'ai été de longtemps aussi réjoui que je l'ai été par cette lettre-là. Comme je crois que vous serez peut-être curieuse de savoir ce qui se passe à Berlin, je vous dirai franchement que, selon toutes les nouvelles que j'ai reçues, et qui sont toutes égales, le Roi touche à sa fin, et qu'il ne pourra guère passer la fin de cette année, ayant de l'eau dans la poitrine, ni respiration, sommeil, ni appétit, et les jambes enflées au delà du genou et toutes rouges, sans douleur. Il faut s'y préparer, ma très-chère sœur; et quoique mon cœur pâtisse d'une certaine façon, en revanche je suis bien aise de me trouver alors dans un état à pouvoir vous servir et vous donner des témoignages plus réels et plus efficaces de ma bonne volonté et de mon respect. Mais, ma très-chère sœur, permettez-moi de vous dire, malgré tout cela, que mon bonheur et ma vie sont en vos mains. Vous savez que je ne saurais vivre sans vous; permettez-moi donc qu'à genoux je vous demande la grâce que vous veniez, en ce cas, chez moi. Vous y serez chez un frère qui vous aime plus que tout au<24> monde, vous y serez portée sur les mains, et vous pouvez compter que je vous garantirai de tous les chagrins qui pourront vous arriver. Enfin, ma très-chère sœur, si vous me refusez cette prière, comptez que j'en mourrai de chagrin, car vous aurez tout à ordonner chez moi, et vous y serez respectée comme la Reine. Adieu, mon aimable sœur; je suis à vous comme le pape au diable.

Comptez que je viendrai chez vous sûrement, et ne serait-ce que pour vous assurer de vive voix du respect et de l'entière considération que j'ai pour vous, comme la personne qui est la plus chérie de, ma très-chère sœur, votre très-humble, etc.

20. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Baireuth, 29 septembre 1734.



Mon très-cher frère,

Après avoir été tous ces jours dans de cruelles inquiétudes pour votre chère santé, n'ayant reçu de quatre postes aucune de vos chères nouvelles, j'ai été bien réjouie aujourd'hui en recevant vos deux lettres, qui m'ont mise au comble de la joie par l'assurance que vous me donnez de la continuation de vos bonnes grâces, comme aussi de votre parfaite santé. Je puis vous assurer, mon très-cher frère, que rien ne m'est plus précieux que votre personne, et que votre amitié est la seule chose que j'ambitionne dans ce monde; aussi celle que j'ai pour vous n'est fondée sur aucun principe d'intérêt, mais sur des fondements beaucoup plus relevés, c'est-à-dire, de la plus forte inclination, jointe à un discernement pur qui me porte à re<25>connaître que j'ai le frère du monde le plus accompli. C'est avec ces sentiments et ceux de l'attachement le plus sincère que je vivrais et mourrais heureuse, si je pouvais vous en donner autant de preuves que je le voudrais. Ainsi, mon très-cher frère, vous pouvez bien croire que la grâce que vous me faites de vouloir bien permettre que, en cas de changement, je puisse être auprès de vous, ne saurait m'être que fort agréable, car le plus grand bonheur, selon moi, qu'on puisse avoir dans ce monde est de pouvoir être auprès des personnes qu'on aime aussi tendrement que vous l'êtes de moi. Voici encore une lettre pour vous; comme il n'y a point eu d'ordre de l'envoyer par estafette, je la joins ici. L'on me mande, du 20, que le Roi était beaucoup mieux, et qu'on croyait encore pouvoir le tirer d'affaire; mais il m'écrit de main propre, du 21, qu'il était encore fort mal. A dire la vérité, je ne souhaite pas que vous retourniez encore dans ces conjonctures, car j'appréhende fort sa mauvaise humeur, n'envisageant pas encore sa mort si proche, cette maladie m'ayant plutôt un air de langueur que d'une maladie décisive. La Reine doit être au désespoir; ce sera un furieux coup pour elle, quoique, à dire la vérité, elle en serait plus heureuse. Dans ce moment le courrier vient d'arriver. Dieu veuille que la nouvelle que vous me donnez, mon très-cher frère, de votre arrivée ici soit véritable, et qu'on vous y laissât jusqu'à l'arrivée de la grande époque! Je ferais tout au monde pour vous y faire passer le temps agréablement. Votre palais martial doit être des plus magnifiques. Je souhaite de tout mon cœur qu'il soit un présage de l'âge d'or. Le margrave d'Ansbach et ma sœur sont à Carlsbourg, maison de chasse à quatre lieues d'Erlangen. Ritter y est allé en courrier, pour dire au maître de poste qu'on devait leur envoyer une estafette quand vous passeriez par Erlangen. Je ne sais s'ils veulent vous aller voir là ou ici. Ce serait un bonheur pour ma sœur, qui a grand besoin de bons conseils, et cela, d'une personne pour qui elle a de la considération; car ses brouilleries vont toujours<26> leur train, ce qui justifie madame Rohwedell. Dieu merci, nous sommes tranquilles ici; la belle de ces cantons1_26-a ayant envoyé paître le Margrave et son amour, il tâche de décharger son courroux et son désespoir sur les autres pauvres amants, et les cerfs étant de ce nombre, il fait ce qu'il peut pour les exterminer, et nous laisse, en attendant, champ libre de nous divertir, ce que nous faisons de la bonne façon. Mais voilà une terrible lettre, qui, je crains, lassera bien votre patience; par raison je vais donc y mettre fin, en vous réitérant les assurances de la tendresse et de la considération avec laquelle je serai jusqu'à mon dernier soupir, mon très-cher frère, etc.

Le Margrave se met à vos pieds, charmé aussi bien que moi de pouvoir en peu vous faire la cour. Il a été assez mal d'une grosse fièvre, dont il n'est mieux que depuis quelques jours.

21. DE LA MÊME.

Le 10 octobre 1734.



Mon très-cher frère,

Après avoir passé le plus heureux temps que j'aie eu en ma vie, il ne me reste plus à présent, mon très-cher frère, que les regrets de votre absence et de la courte durée de mon bonheur.1_26-b Mais comme il n'y a jamais si grand malheur où l'on ne trouve du moins quelque sujet de consolation, la mienne est présentement le souvenir de<27> toutes les grâces et bontés dont vous m'avez comblée pendant votre séjour ici, dont je conserverai le souvenir jusqu'à mon dernier soupir. Aussi mon cœur en est si rempli de reconnaissance et si vivement touché, que jamais je ne pourrai trouver des expressions assez fortes pour mettre au jour ces sentiments, qui sont remplis de la plus forte et plus sincère tendresse pour vous, mon cher frère. Je n'ai pas discontinué à penser à vous, et vous ai cherché tout le jour, mais, par malheur, inutilement. Enfin les mots de cher frère et du charmant Prince royal sont dans la bouche d'un chacun, et la Grumbkow, malgré sa drôle d'humeur, n'a pu venir à bout jusqu'à présent de me faire rire. Je souhaite de tout mon cœur que vous trouviez tout sur un bon pied, et serai inquiète jusqu'à ce que j'en apprenne des nouvelles. L'infante de Cassubie1_27-a vous assure qu'elle se donne à tous les Herdek Teremtetem,1_27-b si elle n'est pas votre très-humble servante. La gouvernante1_27-c a eu un petit accident hier; le petit tonneau lui a paru si appétissant, qu'il lui a pris envie de le vider. Un chacun a voulu s'émerveiller de le faire à votre santé; mais comme la masse qui y entre était copieuse, la bonne dame en a eu un si furieux Rausch, qu'elle n'a pas quitté le lit d'aujourd'hui. Elle se met à vos pieds. Le Margrave en fait de même, aussi bien que moi et toute la petite société, étant avec toute la tendresse imaginable et la plus forte considération, mon très-cher frère, etc.

<28>

22. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Dessau, 11 octobre 1734.1_28-a



Ma très-chère sœur,

Dans ce moment je viens de recevoir une lettre de la Reine, et de la princesse,1_28-b que voici jointes, dont vous pourrez juger, ma très-chère sœur, quand vous les aurez lues. Je partirai celte nuit à quatre heures d'ici, et je compte arriver demain à midi à Potsdam. De là je ne pourrai peut-être pas vous écrire si naturellement que je le fais à présent, car je ne sais ce qui pourra arriver. En cas qu'il arrive un malheur, vous serez la première qui en serez avertie. Pour moi, je n'ai rien à craindre, et je suis assez en repos. Permettez que je vous rende millions de grâces de tout le bon accueil que vous m'avez fait. Je n'ai pas besoin de vous répéter ma parfaite tendresse; vous savez qu'elle ne changera qu'avec ma vie. Je crois que j'aurai l'honneur de vous revoir plus tôt que je l'ai pensé. Conservez-moi, et pour moi, votre précieuse santé, et soyez bien persuadée du parfait respect avec lequel je serai jusqu'à la mort, etc.

<29>

23. A LA MÊME.

Ruppin, 23 octobre 1734.



Ma très-chère sœur,

Je vous demande mille excuses de ce que je ne vous ai pas répondu plus tôt; mais, ma très-chère sœur, j'ai été si occupé, qu'en vérité je n'ai su ce que je faisais. Imaginez-vous l'invention qui a pris au Roi de m'envoyer ici, tandis qu'il est à l'agonie!1_29-a Tous les médecins ne lui donnent que quinze jours de vie.1_29-b J'y retourne demain, et je tâche à me préparer de tout mon possible à ce funeste événement; car j'en suis touché jusqu'au fond de l'âme. Je ne sais au monde qui vous envoyer pour vous faire part de cette nouvelle. Le Roi a deux aunes et un quart d'enflure à la circonférence du ventre, et les pieds lui sont ouverts. Adieu, ma très-chère sœur. Comme vous m'avez fait paraître d'aimer la porcelaine de Vienne, je prends la liberté de vous en envoyer une caisse. Je vous prie, ne m'oubliez pas, et croyez-moi avec un entier dévouement et respect, etc.

24. A LA MÊME.

Potsdam, 10 janvier 1735.



Ma très-chère sœur,

Vos lettres, ma très-chère sœur, me sont toujours si agréables, que je ne manquerais jamais à l'exactitude que je vous dois à y répondre,<30> s'il n'y avait quelque incident qui m'en empêchât. Pour ce qui regarde le Roi, il faut que je vous marque avec le plus grand étonnement du monde qu'il se remet entièrement, qu'il commence à marcher, et qu'il se porte mieux que moi. J'ai dîné hier avec lui, et je puis vous assurer qu'il mange et boit comme quatre. Il ira dans huit jours à Berlin, et je crois pour sûr que dans quinze il sera à cheval. C'est un miracle aussi extraordinaire qu'il y en a eu;1_30-a car, après avoir eu plus de trois accidents et maladies mortelles à la fois, d'en revenir entièrement, c'est plus qu'humain, et il faut croire que le bon Dieu a de très-bonnes raisons pour lui rendre la vie. Il faut que j'aille à présent de l'autre côté. Adieu, ma très-chère sœur; croyez et soyez bien persuadée que je suis de cœur et d'âme, ma très-chère sœur, etc.

25. A LA MÊME.

Berlin, ce je ne sais quantième de juin 1735.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec plaisir la lettre que vous m'avez fait la grâce de m'écrire, et principalement puisqu'elle me réitère la continuation de votre précieuse santé. J'ai à présent eu le plaisir de recevoir de vos chères lettres, de sorte que j'ai réponse à toutes les miennes. Ma situation n'est pas telle que vous le pensez, ma très-chère sœur. La maladie du Roi n'est que politique; il se porte bien dès qu'il en a l'envie, et se rend plus malade lorsqu'il le trouve à propos. J'y ai été<31> trompé dans le commencement, mais à présent je m'aperçois du mystère. Vous pouvez compter, ma très-chère sœur, que, grâce à Dieu, il a la nature d'un Turc, et qu'il survivra à la postérité future, pour peu qu'il en ait envie et qu'il veuille se ménager. Pour la Reine, vous connaissez son bon cœur, qui ne se dément jamais; et quand même il paraît que les amis officieux à rendre de mauvais services y réussissent pour un temps, sa bonté et la tendresse qu'elle a pour ses enfants la ramènent d'abord. Je n'ai pas raison de me plaindre d'elle; au contraire, si je ne m'en louais pas extrêmement, j'en agirais comme un indigne et un ingrat. Je vous prie de faire bien mes compliments au Margrave; il a trop de bonté de relire ma lettre souvent; peut-être que la morale lui en plaît. Dégoûté du monde de tous les côtés, comme je le suis, je donne extrêmement dans les réflexions, qui me font connaître de plus en plus qu'il n'y a aucun bonheur stable et permanent à trouver ici-bas, et que plus l'on connaît le monde, et plus l'on s'en dégoûte, y trouvant plus de chagrin et de malheur que de sujets de joie et de bonheur. Étant à la veille de ma revue, vous vous imaginerez, ma très-chère sœur, que, indécis sur ce qui arrivera demain, vous croyez que je m'inquiète aujourd'hui; mais je commence à envisager toutes ces choses d'un œil plus indifférent qu'à l'ordinaire. Adieu, ma très-chère sœur; il n'y a que vous qui m'attachiez encore au monde par l'amitié et la tendresse avec laquelle je serai jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

Permettez que je vous envoie ci-joint une petite marque de mon souvenir, à l'occasion de votre jour de naissance.

<32>

26. A LA MÊME.

Berlin. 29 juin 1735.



Ma très-chère sœur,

M. Pöllnitz étant chargé de la part du Roi d'aller à Baireuth pour vous complimenter,1_32-a j'ai pris cette occasion avec beaucoup de joie pour vous assurer, ma très-chère sœur, de ma parfaite tendresse. Ma revue s'est terminée hier heureusement; le Roi a été fort content; j'ai été fait général de bataille,1_32-b et l'on m'a permis de faire la campagne dès que l'armée s'assemblerait, permission assez vague et dubieuse. Je n'ai pas le temps, pour à présent, de vous en dire davantage, ayant ordre de marcher demain avec le régiment. Adieu, ma très-chère sœur; soyez bien persuadée que je suis toujours avec la même estime et vénération, et que je serai jusqu'à ma mort, ma très-chère sœur, etc.

Bien mes excuses au Margrave; je vous prie de lui dire que je n'ai point de moment à moi.

<33>

27. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 25 juin 1735.



Mon très-cher frère,

Vous voyez, par mon exactitude à vous écrire, quel plaisir je trouve à m'entretenir avec vous. Je le ferais volontiers à toutes les heures du jour, si cela m'était possible, et vous assurerais de mon parfait attachement, J'ai eu l'honneur de recevoir hier votre lettre, et suis charmée que votre revue ait été heureuse. J'attends avec impatience le dénoûment de la grande époque; comme vous ne m'en mandez rien, mon très-cher frère, je crois que cela va mieux. Nous passons notre temps assez doucement ici; et comme c'est à présent le siècle de Mars, je me suis avisée de me faire aussi martiale, et, n'ayant d'autre guerre déclarée dans ces cantons, je la fais aux forêts.1_33-a Que direz-vous, mon très-cher frère, quand vous apprendrez que j'ai été assez impitoyable pour tuer trois biches, deux renards et un chat qu'on disait être sorcier, et que j'ai voulu exterminer pour cette raison? Il m'a regardée si tristement, après avoir reçu le coup mortel, et a miaulé de si bonne grâce et d'un ton si mélodieux, que je me suis repentie de ma cruauté, puisque j'aurais pu le faire maître de chapelle de la belle musique que vous avez entendue ici. Mais comme c'est contre la modestie de prôner ses belles actions, je passerai à un autre sujet, de crainte de passer pour glorieuse; ce sera de vous assurer de la tendresse et parfaite considération avec laquelle je suis à jamais, mon très-cher frère, etc.

<34>

28. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ruppin, 4 juillet 1735.



Ma très-chère sœur,

Vous pouvez être bien persuadée de ma reconnaissance de la peine que vous vous donnez de m'écrire; je le regarde véritablement comme une marque de votre cher souvenir, qui m'est plus précieux que tous les royaumes du monde. Je n'ai jamais douté que vous n'excelleriez pas dans tout ce que vous entreprendriez, et que vos coups d'essai seraient des coups de maître.1_34-a Vous voilà donc tout aussi habile que Diane, et chasseuse plus vantée que Nemrod. Permettez-moi de vous dire que j'envie le bonheur des bêtes que vous avez tuées, étant mortes de la mort des plus grands héros. Quel bonheur pour un malheureux renard d'être tué de vos généreuses mains! En vérité, ma très-chère sœur, si je me sentais des dispositions mortuaires, je m'en irais vite me déguiser en daim, et je préférerais l'honneur de mourir de vos mains à une mort vulgaire ou à une vie languissante. Tout le monde n'est pas de mon sentiment; j'en connais qui ont l'âme si fort cramponnée au corps, que ni maladie, ni chagrin, ni rien ne l'en peut arracher, et, malgré la sympathie ou le génie qui a égalisé jusqu'à présent nos destinées, je suis sûr qu'elle se démentira à présent. Le Roi m'a accordé à la fin des fins la permission de faire la campagne. Je compte de partir entre ci et quinze jours. Comme l'on me réglera la route, il m'est impossible de déterminer si je pourrai avoir le bonheur de vous voir en allant. Toutefois je vous prie de croire que mon cœur ne vous quitte jamais, et que je suis avec toute la passion et la tendresse imaginable, ma très-chère sœur, etc.

<35>

29. A LA MÊME.

Ruppin, 11 juillet 1735.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces de la bonté que vous avez de vous souvenir si souvent de moi. J'en suis charmé, et j'ose dire que je le mérite en quelque façon, se passant peu de moments où je ne pense avec beaucoup de plaisir et de regret à Baireuth. Le Roi doit être de retour à Berlin; il se porte mieux que jamais, et confirme par là ce que j'eus l'honneur de vous écrire de Berlin. Pour la Reine, l'on doit la chérir et l'aimer par rapport à ses grandes qualités et à la manière tendre et gracieuse dont elle agit envers tous ses enfants. Elle a le meilleur cœur du monde, et vous lui ferez grand plaisir en lui témoignant beaucoup d'amitié. J'ai même remarqué qu'elle avait envie d'avoir des tables de marbre pour mettre dans les coins d'une chambre. Si vous lui en envoyiez, cela lui serait très-agréable, me disant dernièrement à Monbijou : « Voyez-vous, il manque encore deux tables de marbre dans ces deux coins, que je ne veux avoir d'autres mains que de celles de Wilhelmine. » Vous savez que Monbijou est extrêmement favori; ainsi elle y place tout ce qu'elle aime le plus, et ce qui lui vient des personnes qu'elle aime.

Il ne m'a pas été possible d'avoir Döbert,1_35-a étant brouillé avec son maître. Pour ma sœur, elle vous le ferait avoir volontiers, mais elle est obligée d'avoir beaucoup de ménagements avec son brutal, qui lui empêchent de faire tout ce qu'elle veut. Adieu, ma très-chère sœur; je suis éternellement, avec toute la tendresse imaginable, ma très-chère sœur, etc.

<36>

30. A LA MÈME.

Ruppin, 11 août 1735.



Ma très-chère sœur,

Vous voilà donc au milieu d'une armée russienne,1_36-a et entourée de ce que la terre a fait de plus barbare. Que je vous plains, ma très-chère sœur, et que je comprends l'ennui dans lequel vous serez! Cependant j'espère que vous vous en tirerez bientôt, et que ces messieurs les barbares ne pourront pas se vanter d'avoir possédé longtemps le trésor le plus précieux de l'Allemagne. Les choses changent bien dans le monde; les femmes deviennent amazones, et les hommes restent au logis. Le Roi me trompe, car, après m'avoir promis tout ce que je pouvais souhaiter, il ne me tient justement rien du tout, et cela, avec les manières les plus aisées du monde, car il sait bien que je n'ai pas de quoi l'obliger à tenir sa parole. Il se porte mieux que jamais, et quand vous le reverrez, je suis persuadé que vous direz que de dix ans vous ne l'avez vu dans cet état. Me voilà donc à la veille d'aller à Wusterhausen, et à me retrouver dans une situation la plus gênante, la plus insupportable et la plus triste du monde. Je vous prierai alors de faire des prières pour une âme qui est dans le purgatoire, afin qu'elle en soit retirée bientôt. Il ne me reste plus qu'à vous assurer, ma très-chère sœur, que je suis, malgré tout cela, avec bien de l'estime et de la tendresse, ma très-chère sœur, etc.

Je vous prie de faire mes compliments au Margrave.

<37>

31. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 20 août 1735.



Mon très-cher frère,

Je croirais avoir perdu la semaine, si je ne profitais deux fois à avoir le plaisir de m'entretenir avec vous; triste conversation qui me reste, mais dont je tâche de me dédommager, ne pouvant avoir le bonheur de vous voir cette année. Je vous plains de tout mon cœur, mon très-cher frère, de la belle campagne que vous allez faire à Wusterhausen. Voyez jusqu'où va ma tendresse pour vous, puisque je souhaiterais être à ce charmant endroit pour avoir le plaisir de vous y voir. Je suis ici dans la chasse jusqu'aux oreilles. Les habitants de nos bois en souffrent, et la nuit il faut encore faire la guerre aux cousins, qui sont ici en prodigieuse abondance, pour les chasser. J'ai fait dernièrement une belle étourderie : ayant appris qu'il n'y avait rien de meilleur pour les exterminer que de faire fumer avec de la poudre, j'ai voulu essayer ce remède; par malheur elle a pris feu. Une de mes femmes de chambre a eu la main brûlée jusqu'aux os, le lit a été fort endommagé; mais par bonheur j'en ai été quitte pour la peur, le dommage n'étant pas de grande importance, et j'ai été moquée comme je l'ai mérité. Mais c'est vous arrêter trop longtemps par mes galimatias. Je passe à des choses plus raisonnables, en vous assurant de la tendresse et parfaite considération avec laquelle je serai à jamais, mon très-cher frère, etc.

<38>

32. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ruppin, 24 août 1735.



Ma très-chère sœur,

Il est assez incertain si j'aurai le bonheur de vous voir. L'on commence à dire de nouveau que l'armée se rassemble, en quel cas je pourrais peut-être bien encore y aller, restant paisiblement, en attendant, ici, où je me passe le temps le plus doucement qu'il m'est possible. Je lis et écris comme un forçat, et j'ai musique pour quatre. J'ai avancé dans la composition jusqu'à faire une symphonie. Dès qu'elle sera toute achevée, je prendrai la liberté de vous l'envoyer. Il n'y a pas un chat à fouetter ici, ni de nouvelles qui soient dignes de vous être apprises. Je me mets aussi dans le jardinage, et j'ai commencé à me faire un jardin; la maison de plaisance est en forme de temple, consistant en huit colonnes doriques qui soutiennent un dôme, au-dessus duquel est la statue d'Apollon. Dès qu'il sera achevé, nous y ferons nos sacrifices, et vous comprenez bien, ma très-chère sœur, qu'ils vous auront pour objet, comme protectrice des beaux-arts. Recevez-les, je vous conjure, n'étant que de faibles marques de la tendre amitié et de la haute considération avec laquelle je suis toute ma vie, ma très-chère sœur, etc.

<39>

33. A LA MÊME.

Ruppin, 8 septembre 1735.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec bien du plaisir votre dernière que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire, et j'aurais répondu plus tôt, si je n'avais été très-affligé de ce que le Roi ne veut pas me permettre d'aller en campagne. Je le lui ai demandé quatre fois, et lui ai rappelé la promesse qu'il m'en avait faite; mais point de nouvelle; il m'a dit qu'il avait des raisons très-cachées qui l'en empêchaient. Je le crois, car je suis persuadé qu'il ne les sait pas lui-même. Pour me consoler, il veut m'envoyer faire un voyage en Prusse; c'est un peu plus honnête qu'en Sibérie, mais pas de beaucoup. Voilà où j'en suis, et ce qui me met fort de mauvaise humeur. Je suis comme Saturne, je ne déride plus mon front, et je suis mort pour la joie. Mais je crains de vous communiquer ma tristesse. Laissez-la-moi, ma très-chère sœur, je vous en prie, et soyez bien persuadée que quand même j'aurais toutes les afflictions du monde, je n'en sentirais pas moins la tendre amitié que j'ai pour vous, et le respect avec lequel je suis, ma très-chère sœur, etc.

Mon Dieu, je suis charmé de la conduite du duc de Brunswic; il a eu la politesse de mourir en galant homme, pour faire plaisir à son fils. Je trouve qu'il n'a pas abusé des grandeurs de ce monde.

<40>

34. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 20 décembre 1735.



Mon très-cher frère,

Je profite toujours avec plaisir de toutes les occasions qui me procurent celui de vous assurer de mon parfait attachement, espérant que cette lettre vous trouvera en parfaite santé. Je me suis repentie mille fois, mon très-cher frère, de vous avoir promis mon système touchant l'existence de Dieu; cependant, n'ayant point de sujet digne de remplir ma lettre, je tâcherai du moins de vous divertir par ma philosophie, que je soumets entièrement à votre critique, répétant encore une fois que je me reconnais très-indigne philosophe. Voici donc mes principes. Tout est composé d'atomes, les uns crochus, les autres pointus et de figures différentes. Ces atomes, ayant un mouvement perpétuel, viennent à se rencontrer, et, se poussant les uns les autres, s'accrochent, se réunissent, et c'est ce qui forme les corps. Or, ils ne peuvent avoir le mouvement d'eux-mêmes, n'étant pas des êtres absolus, mais dépendants les uns des autres. Puisqu'ils ne peuvent être immobiles, selon les principes de la philosophie, il s'ensuit donc qu'il faut qu'il y ait un être absolu et indépendant qui leur donne le mouvement, et par conséquent cet être est Dieu; car, dites-moi, d'où vient que ces atomes, venant à se rencontrer, ne forment pas plutôt une personne qu'une fleur? Ce ne peut être le hasard, puisque celui-là aurait pu faire que tout eût été ou fleurs, ou bêtes, et qu'il n'y eût point eu de personnes; ainsi il faut admettre nécessairement un premier principe de toutes choses, qui, par sa pantocratie, dirige les seconds principes pour les employer à ses fins. Voilà mon système, mon très-cher frère. Vous priant d'avoir pitié de ma pauvre philosophie, qui retirera un grand avantage si vous voulez avoir quelquefois la bonté de l'éclairer, je finis tout ce gali<41>matias, en vous assurant de la tendresse et parfaite considération avec laquelle je suis à jamais, etc.

35. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Berlin, 27 décembre 1735.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir deux de vos chères lettres, l'une dans laquelle vous me demandez Duhan, et l'autre où vous me dites votre système touchant l'existence de Dieu. Pour ce qui regarde la première, permettez-moi de vous dire que je crois qu'il vaudrait mieux de laisser Duhan à présent tranquillement à Blankenbourg,1_41-a sans quoi l'on pourrait réveiller toutes les vieilles chicanes passées. Pour votre système de l'existence de Dieu, je le trouve très-bien raisonné; mais je ne suis pas dans l'idée des atomes crochus et carrés. Cela ne se peut, sans quoi il y aurait du vide dans la nature. J'aurai l'honneur, quand j'en aurai le temps, de vous écrire une lettre où je serai plus diffus sur cet article. C'est demain jour d'église; permettez-moi donc, ma très-chère sœur, que par cette raison j'en reste là aujourd'hui. Adieu, ma très-chère sœur; conservez-moi votre précieuse amitié, et croyez-moi toujours avec un attachement et une tendresse singulière, ma très-chère sœur, etc.

<42>

36. A LA MÊME.

Berlin, 12 janvier 1736.



Ma très-chère sœur,

Je profite du départ de Quantz1_42-a pour vous assurer, ma très-chère sœur, de ma parfaite amitié; je lui ai donné ci-joint un concerto de ma composition, comme il m'a paru que vous souhaitiez d'en avoir un. Je souhaiterais que j'eusse pu vous envoyer quelque chose de meilleur, et qui pût vous être plus agréable. Vous trouverez Quantz d'un orgueil plus insupportable qu'il ne fut jamais, et le seul moyen d'en venir à bout est de ne le pas traiter trop en grand seigneur. Je vais demain à Potsdam faire pénitence et mes dévotions. Adieu, ma très-chère sœur; je me recommande à la continuation de vos bonnes grâces, vous priant de me croire avec une tendresse à toute épreuve, ma très-chère sœur, etc.

Je vous supplie de faire mes grands compliments au Margrave.

37. A LA MÊME.

Ruppin, 7 mai 1736.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir, ma très-chère sœur, de vos nouvelles par cet ordinaire, qui m'ont fait beaucoup de plaisir, voyant que vous<43> vous portiez, grâces au ciel, en parfaite santé. Que je suis charmé, ma très-chère sœur, de vous voir occupée à l'Ermitage,1_43-a dont je suis persuadé que vous ferez quelque chose de charmant. Que ne puis-je avoir la satisfaction de vous y rendre mes devoirs!

J'en viens à Wolff, qui n'est point confisqué ici, mais que l'on a tâché à persécuter de nouveau. Sa traduction en français ne s'imprime point; c'est moi qui me le fais traduire,1_43-b et si vous ordonnez d'en avoir une copie, je ne manquerai pas de la faire faire pour quand vous la voudrez. Le philosophe dont vous me parlez, ma très-chère sœur, m'a la mine d'être un grand revendeur de sophismes. La philosophie de Des Cartes a été très-bonne il y a quarante ans; mais à présent que Newton et enfin le célèbre Wolff y ont mis la dernière main, il ne s'agit plus de lui, et sa philosophie est aussi peu perfectionnée que l'est la musique d'Attilio1_43-c envers la composition de Graun.1_43-d Cet homme a du mérite, mais il n'a que celui des découvertes, et les autres celui de perfectionner. Il me serait impossible, ma très-chère sœur, de vous en dire davantage pour cette fois, car nous marchons cette nuit avec le régiment. Je me recommande à la continuation de vos précieuses grâces, étant à jamais, avec un respect et une amitié parfaite, ma très-chère sœur, etc.

<44>

38. A LA MÊME.

Magdebourg, 16 juin 1736.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir deux de vos chères lettres, sans avoir le temps de pouvoir y répondre. Je n'ai pas besoin de vous arrêter avec une plus longue apologie, car vous savez, sans que je vous le répète, ma très-chère sœur, le peu de temps que l'on a à soi dans le temps des revues.

Ayant appris que le margrave de Baireuth était en Holstein, j'ai cru de l'amitié que j'ai pour lui de lui écrire de passer par Berlin à son retour; car cela aurait un air très-disgracieux pour le Roi s'il passait si près de ses États sans lui venir rendre ses devoirs, et tout le monde trouverait très-étrange qu'il traite avec autant d'indifférence le Roi son beau-père, tandis qu'il se presse d'en joindre un autre qui à peine lui est parent. Il dépendra du Margrave d'en agir ensuite comme bon lui semblera; mais pour l'amour de vous et de lui, je me crois obligé de lui donner un conseil que je crois salutaire, et qui fera que personne ne pourra trouver à redire à sa conduite. Adieu, ma très-chère sœur; je suis jusqu'à ma mort, avec un entier attachement, etc.

39. A LA MÊME.

Berlin, 2 juillet 1736.



Ma très-chère sœur,

Permettez-moi qu'à la veille de votre jour de naissance je puisse vous réitérer les vœux et les souhaits que je fais pour votre prospérité.<45> Puisse le ciel vous conserver une longue suite d'années, et vous donner tout ce que votre cœur désire! Puisse-t-il vous combler de ses faveurs les plus flatteuses, et proportionner votre bonheur à vos vertus! Ayez la grâce d'accepter une bagatelle que je prends la liberté de vous offrir, et qui, quoique beaucoup au-dessous de vous être présentée, n'en vient pas d'un cœur qui vous est moins dévoué.

Vous m'ordonnez de vous dire mon sentiment touchant le voyage du Margrave.1_45-a J'ai bien lu votre lettre, ma très-chère sœur; mais, si vous voulez que je vous parle avec ma franchise ordinaire, il m'est impossible d'approuver que le Margrave passe à six ou sept lieues1_45-b d'un endroit où le Roi doit se rendre, sans lui venir faire sa cour. A vous dire la vérité, l'on en parle comme d'une grossièreté, et j'avoue que, à mon regret, je suis obligé d'y souscrire. Le Margrave peut réparer la chose; il n'a qu'à, en s'en retournant, passer par Berlin quand le Roi reviendra de Prusse, car j'avoue que je ne m'étonne nullement que le Roi est fâché de son procédé. Je me ressouviens de tout ce que je vous ai écrit; mais je vous l'ai écrit en cas que le Margrave ne vînt pas à faire un voyage où même il traverse le pays du Roi.1_45-c C'est montrer trop peu de considération pour un roi, et qui en même temps est son beau-père. Je doute fort que, de tous les avantages que le Margrave pourra avoir du roi de Danemark, s'il en aura jamais de pareils qu'il a reçus du Roi, possédant une femme dont dans tout l'univers il ne trouve pas la semblable.1_45-d

J'aurais encore une infinité de choses à ajouter à cette matière, que je passe sous silence, tant par crainte de choquer votre modestie que par appréhension de me rendre importun en me mêlant de choses qui ne sont pas de mon ressort. Je me borne, ma très-chère<46> sœur, à vous faire les assurances de la plus tendre estime avec laquelle on fut jamais, ma très-chère sœur, etc.

Je pars après-demain.

40. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 3 juillet 1736.



Mon très-cher frère,

Quoique à peine je vienne de mettre le nez au monde, ma petite mémoire m'a pourtant d'abord fait souvenir que j'avais un frère qui m'était plus cher que la vie; et je n'ai cru pouvoir mieux commencer mon entrée dans cette région qu'en l'assurant que, quoique enfant (quoique de vingt-sept ans), je ne laisse pas de comprendre dans mon petit cœur plus de tendresse pour lui que tout l'univers ensemble. J'espère donc que cette preuve que je vous donne déjà de mon discernement vous donnera bonne opinion de ma réussite, et m'attirera la continuation du réciproque de votre part. Je vous supplie donc, mon très-cher frère, de me conserver une petite part dans vos bontés, et d'être persuadé que, en quelque âge ou temps où je pourrai me trouver, je serai à jamais, avec toute la tendresse et la considération imaginable, mon très-cher frère, etc.

<47>

41. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Berlin, 9 août 1736.



Ma très-chère sœur,

Je ne saurais assez vous remercier, ma très-chère sœur, de l'exactitude avec laquelle vous voulez bien m'écrire. J'ai eu le plaisir de recevoir trois de vos lettres à mon retour,1_47-a dont je vous fais mes parfaits remercîments. Je vous supplie de remercier le Margrave du plaisir qu'il me fait de penser encore à moi. Ce que je lui ai écrit pendant son séjour à Hambourg n'a été que par pure amitié, et je crois que vous vous serez peut-être aperçue par les lettres du Roi que je n'ai pas tant eu tort. Notre voyage s'est terminé heureusement, dont je rends grâce à Dieu. Mardi qui vient, je m'enfuis à ma terre pour n'en sortir qu'à Noël. J'espère d'y goûter les douceurs de la vie champêtre, et d'y jouir du calme après avoir été si longtemps dans la tempête. De là j'espère d'avoir plus fréquemment le plaisir de vous écrire et de vous assurer de la très-parfaite estime avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

42. A LA MÊME.

Berlin, 13 août 1736.



Ma très-chère sœur,

Vous me donnez des marques si obligeantes de votre souvenir, que je ne saurais assez vous en témoigner ma reconnaissance. Est-il bien<48> possible, ma chère sœur, que vous vous soyez aperçue de mon absence? Et comment peut-on remarquer de soixante lieues un redoublement d'éloignement, à moins que, par l'effet de la plus heureuse sympathie qui fut jamais, votre cœur ne vous parle en nia faveur? Je lui ai bien des obligations, et certes, s'il dépendait de moi, j'irais bien vite à Baireuth pour le remercier de ses bontés.

Vous voilà donc à l'Ermitage, où il me semble que je vous vois occupée à lire et à vous amuser. L'Exposé des prétendues erreurs de Wolff, et sa Justification, que la Reine vous a envoyés,1_48-a font peu d'honneur, comme vous le remarquez très-judicieusement, à nos cagots; il n'y a rien de plus pauvre ni de plus pitoyable que les raisonnements du docteur Lange;1_48-a et, si l'on peut s'exprimer ainsi, son ignorance se manifeste à chaque page de son factum. Il est bien triste de voir quel voile obscur couvre les sciences et les beaux-arts dans ces cantons; c'est le siècle de l'ignorance, et c'est pour ses sectateurs que l'on prépare les lauriers. L'on voudrait interdire l'usage de la raison, et de là rouvrir les portes à la superstition. Il n'y a que la philosophie qui soit l'antidote des préjugés et de la crédulité populaire; ainsi il faut la renverser, et c'est là le principe qui conduit nos dévots, et qui les fait agir avec tant de chaleur contre la philosophie et contre ceux qui la professent.

Je vous rends mille grâces de ce que vous m'avez voulu envoyer la fameuse famille de musiciens qui a été chez vous, et il n'y a rien qui presse à ce sujet. Je vous prie, ma chère sœur, de faire mes hommages à votre Ermitage, et de conserver une cellule voisine de la vôtre vide, afin que mon esprit, qui vous accompagne partout, puisse y loger. Je pars demain pour ma terre, et pour ne revoir ces contrées<49> que vers la fin de décembre. Adieu, ma très-chère sœur; j'espère de chez moi pouvoir vous assurer avec plus de prolixité de la tendre amitié avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

43. A LA MÊME.

Potsdam, 13 septembre 1736.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé de ce que vous vous divertissez si bien à Baireuth, et que jusqu'aux moines vous fournissent des sujets à vous amuser. Je m'imagine que la dispute de vos deux soi-disant philosophes aura été assez impertinente : beaucoup d'ignorance d'un côté, et beaucoup d'obscurité de l'autre; qu'ils se seront disputés pour la barbe du pape, l'un sans beaucoup de raison, et l'autre par un somptueux galimatias de choses qu'il n'entend pas trop lui-même. La philosophie des moines est toujours subordonnée aux principes de leur religion, et par conséquent fort défectueuse; et je considère celle de votre pyrrhonien comme une incertitude de sentiments qui vient faute de connaissances claires et d'idées justes. Je m'imagine voir un homme qui a fort bien étudié les termes de la philosophie, sans autrement savoir leur propre sens, ni le véritable usage que l'on en doit faire. Il me semble que je le vois étaler son opinion avec emphase, soutenir ses thèses avec ostentation, et du reste faire le mieux valoir qu'il peut toutes les graves billevesées dont les scolastiques ont infecté les écoles. Ces sortes de pédants sont les Don Quichottes des savants; ils divertissent par leurs idées, la plupart du temps erronées, et par l'impétueuse vivacité dont ils soutiennent leurs raisonnements; il y<50> entre plus de convulsions dans leur façon d'argumenter que dans les gestes forcenés du Pantalon, et la plupart du temps, après que l'on a disputé deux heures avec ces sortes de gens, l'on n'en sort pas plus instruit, ni eux plus raisonnables qu'ils n'étaient, et c'est précisément la différence qu'il y a d'eux avec les véritables savants. Leur caractère modeste ne dispute jamais; ouvrent-ils la bouche, c'est pour instruire; leurs raisonnements sont appuyés sur des fondements incontestables, et par conséquent l'on ne se sépare jamais d'avec eux que l'on ne se sente forcé de convenir de leurs sentiments. Pardonnez-moi cette digression, ma très-chère sœur; ce n'est pas moi, mais c'est l'occasion qui l'a fait naître.

J'ai suivi le Roi de Ruppin ici1_50-a pour y faire mes dévotions. Le tout s'est passé très-bien. Il part demain pour Wusterhausen, et je m'enfuis à Remusberg.1_50-b Ni la tranquillité de ce lieu, ni les agréments que nous y goûterons, ne m'empêcheront de penser à vous. C'est ce que je vous prie de croire, ma très-chère sœur, étant avec tous les sentiments d'une véritable et sincère tendresse, ma très-chère sœur, etc.

Je vous prie de faire mes compliments au Margrave.

<51>

44. A LA MÊME.

Berlin, 14 décembre 1736.



Ma très-chère sœur,

Il va bientôt quatre semaines que je n'ai pas eu le plaisir de vous écrire, n'ayant point reçu de vos lettres, et ayant fait le voyage pour me rendre ici. Ehms1_51-a m'a assuré que votre santé était bonne, hors un petit rhume de poitrine que vous aviez pris, ma très-chère sœur, et qui, à ce qu'il dit, n'est d'aucune conséquence. Nous espérons de nous en retourner bientôt d'ici, ce qui pourrait bien être vers la mi-janvier.

J'ai trouvé la Reine en fort bonne santé et très-bien disposée sur votre chapitre; le Roi est un peu incommodé, mais ce n'est d'aucune suite. Il n'est pas dans les sentiments de la Reine, et il semble que le voyage du Margrave, de Baireuth à Hambourg, sans passer par ici, lui a fort déplu, de même que les grandes civilités que vous vous efforcez de faire à l'évêque de Bamberg.1_51-b J'avais prévu que cela arriverait, et je crois être obligé par l'amitié que j'ai pour vous de vous en informer.

Ayez la bonté d'accepter la petite bagatelle que je vous envoie. Vous pourrez la placer à l'Ermitage ou à tel lieu qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez avoir la bonté de faire abstraction de son peu de valeur, et de me croire avec toute l'estime et la tendresse imaginable, ma très-chère sœur, etc.

<52>

45. A LA MÊME.

Remusberg, 3 février 1737.



Ma très-chère sœur,

Je m'acquitte enfin de ma promesse en vous envoyant la cantate de Virgile, que vous avez ordonné d'avoir. Il n'y avait que vous, ma très-chère sœur, à qui je l'aurais donnée, et j'espère qu'elle ne sortira pas de vos mains pour se répandre toute paît ailleurs. Il n'y a que la sécheresse de mon imagination qui est cause que vous n'ayez pas encore reçu le concerto que je me suis engagé de composer; j'ai eu beau faire tous mes efforts, je n'ai pu encore trouver une harmonie digne de vous être offerte, et j'attends que mon heureux génie m'en inspire une.

Nous avons assez nombreuse compagnie ici. Quand nous sommes rassemblés, notre table est ordinairement de vingt-deux à vingt-quatre couverts; Brandt, M. Kannenberg avec son épouse, Keyserlingk, le jeune Grumbkow, un certain capitaine Kalnein, quelques officiers de mon régiment, Chasot, et un certain Jordan, qui est un homme d'étude et de savoir, composent notre société. Nous nous divertissons de riens, et n'avons aucun soin des choses de la vie qui la rendent désagréable, et qui jettent du dégoût sur les plaisirs. Nous faisons la tragédie et la comédie, nous avons bal, mascarade et musique à toute sauce. Voilà un abrégé de nos amusements. Avec cela, la philosophie va toujours son train, car c'est la plus solide source où nous puissions puiser notre bonheur.

Je viens dans ce moment de recevoir votre aimable lettre, accompagnée d'une charmante pendule. Je vous en fais mille remercîments. Que ne puis-je vous marquer toute l'étendue de la tendresse que j'ai pour vous! Je n'en reconnais pas moins le prix d'une sœur qui veut m honorer de la plus tendre amitié et de son estime.

<53>Je ne sais par quel endroit je me suis insinué auprès du gazetier de Nuremberg, mais il me fait bien de l'honneur de m'afficher de la sorte, moi qui ne suis qu'un ignorant, et qui n'ai d'autre mérite que de n'être pas aveuglé sur moi-même. Voltaire est en correspondance avec moi, et c'est peut-être sur quoi l'on a jugé qu'il se rendrait ici.1_53-a La vérité est qu'il est en Hollande pour travailler à l'impression de ses œuvres, augmentées de beaucoup, et à étudier sous le fameux professeur s'Gravesande la philosophie de Newton,1_53-b dont il va donner une traduction française. Le commerce dans lequel je suis avec lui me vaut toutes les nouvelles pièces de sa façon, et un recueil des plus complets de tout ce qui est jamais sorti de sa plume. Son poëme de la Pucelle ne paraîtra pas, puisqu'il y a des endroits qu'il n'oserait jamais faire imprimer, à cause de ce qu'il y attaque très-fort les moines. Le ministère de France lui a fait en termes non équivoques une défense très-rigoureuse de laisser échapper aucun fragment de ce nouveau poëme, de façon qu'il y risquerait trop en le hasardant.

L'affaire de M. Wolff, à Brunswic, dont vous me demandez des nouvelles, est traitée avec le dernier secret; nous n'en savons que peu de chose. On dit que Wolff est allé à la cour, et qu'on l'a trouvé muni d'un pistolet de poche; sur quoi il a été arrêté. D'autres disent qu'il a voulu tuer sa femme; d'autres encore qu'il a contrefait la main du Duc, et qu'il avait tiré des sommes assez considérables sur de fausses obligations; d'autres prétendent que la cervelle lui a tourné, et que, ayant honte d'avoir fait tant d'éclat d'une bagatelle, la cour cachait l'affaire par cette raison. Je crois que cette dernière opinion est la plus véritable; toutefois il est sûr que l'oncle n'a point de part à tout ce qui s'y est fait.

Voilà une lettre qui en vaut bien deux. Je vous en demande pardon, ma très-chère sœur, mais je ne l'ai guère pu faire plus courte.

<54>Je vous prie de m'honorer toujours de votre amitié, et de me croire avec des sentiments distingués d'amitié et d'estime, ma très-chère sœur, etc.

46. A LA MÊME.

Ruppin, 2 mars 1737.



Ma très-chère sœur,

Voici donc enfin ce concerto promis et un solo non promis que je prends la liberté de vous envoyer, vous priant de donner le dernier au Margrave, pour qui je l'ai composé. Je souhaite fort qu'ils soient de votre goût, et vous prie de m'en écrire votre sentiment.

Quant à la revue, je n'ai qu'un conseil à vous donner, qui est, ou que le Margrave prenne son congé à présent, ou qu'il vienne ici vers la revue; je ne crois pas, ma très-chère sœur, qu'il y ait d'autre parti à prendre. Quoique je désirasse beaucoup de vous voir, je crois cependant que vous feriez mieux de ne pas venir, à moins qu'on ne vous invite, car vous savez que le Roi n'est pas toujours d'humeur de voir les gens.

Si vous avez là-bas un ministre qui prêche contre la mascarade,1_54-a nous en avons un qui nous prête son habit, sa perruque, manteau et chapeau pour nous masquer. Quel contraste! Il n'y a qu'à mettre ces gens sur un certain pied pour qu'ils y soient. Vous êtes très-mal instruite, ma très-chère sœur, de ce qui se passe ici. Qui peut vous avoir écrit que la Reine est bigote? Je vous prie, pour l'amour de Dieu, ne croyez donc pas ce que l'on vous écrit; il faut que ce soient<55> de méchantes gens qui veulent vous donner mauvaise opinion de nous autres, et qui veulent donner lieu à vous refroidir envers ceux qui vous aiment le plus. Je vous supplie, n'ajoutez plus foi à ce que ces malheureux vous mandent, et donnez commission à d'honnêtes gens de vous écrire ce qu'il y a de nouveau ici.

Je regrette fort le voyage que vous faites à Erlangen, puisqu'il me privera du plaisir de recevoir de vos nouvelles. La satisfaction que vous aurez d'être à Erlangen m'en console. Continuez-moi toujours votre précieuse amitié, et croyez-moi avec un attachement et une estime inviolable, ma très-chère sœur, etc.

47. A LA MÊME.

Ruppin, 1er mai 1737.



MA TRÈS-CHÈRE SœUR,

Vous n'êtes pas la seule, ma très-chère sœur, qui ayez été ennuyée par les sermons de Pâques; j'ai assisté à la prononciation de dix ou douze qui se sont faits à Potsdam. A la vérité, je n'ai pas été aussi attentif que vous, et s'il devait m'en coûter la vie, je ne saurais vous faire le rapport de ce qu'ils ont contenu. Les ministres sont payés pour prêcher le public une heure ou deux tous les dimanches, et dès qu'ils remplissent ce temps, au risque de se rendre pulmoniques, ils croient avoir satisfait à leur devoir. Pour moi, je n'incommode pas autrement ces messieurs; je sais tout ce qu'ils ont à me dire, et je crois qu'on peut être vertueux sans leur assistance.

Nous exerçons ici tous les jours; les revues seront tardives; on dit que nous n'entrerons pas à Berlin avant le 10 du mois prochain.

<56>J'irai passer, en attendant, une couple de jours à Remusberg, pour y profiter du beau temps et des agréments de la compagnie. Ma sœur et le duc de Brunswic viendront infailliblement à la revue de Berlin. Je n'ose encore me flatter de vous y voir; cela me ferait ensuite trop de peine si mon espérance se trouvait trompée. Soyez toujours persuadée, ma très-chère sœur, que l'absence ne diminue en rien la véritable tendresse et l'estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être, ma très-chère sœur, etc.

Voudriez-vous bien assurer le Margrave de ma parfaite amitié?1_56-a

48. A LA MÊME.

Ruppin, 15 mai 1737.



Ma très-chère sœur,

Je participe, quoique absent, à la joie que vous avez eue de voir ma sœur d'Ansbach. Tout le bien que vous me dites d'elle me charme. Je voudrais seulement qu'elle n'eût pas si fort à cœur de faire avoir l'ordre du Roi à son fils, car sûrement il ne l'aura pas, et cela, par la raison que le Roi est outré de la mauvaise et impertinente conduite du margrave d'Ansbach, et qu'il veut lui faire la mortification de traiter son fils avec moins de distinction que celui du duc de Brunswic, ce duc s'étant toujours très-bien conduit envers le Roi. Que le margrave d'Ansbach se mette à la raison, et je vous assure<57> que l'ordre et tout viendra. Le Roi aime ma sœur véritablement, et il aime la moitié qu'elle a faite de l'enfant; mais pour l'autre, point de nouvelle. Mon crédit ne va pas, ma chère sœur, jusqu'à pouvoir faire réussir de ces sortes de prières auprès du Roi; il a refusé la Reine par trois reprises; que voulez-vous de plus? Quand est-ce que vous aurez donc besoin d'ordres? Je vous prie, ma très-chère sœur, mettez-moi donc bien vite dans le cas d'en solliciter pour votre progéniture; vous reconnaîtrez mon zèle en toute occasion, étant avec un tendre attachement, ma très-chère sœur, etc.

49. A LA MÊME.

Remusberg, 20 septembre 1737.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir votre lettre, par laquelle je vous vois tout aussi occupée à vos bâtiments que je le suis aux miens. C'est un grand plaisir, qui n'a d'autres désagréments que d'être cher et onéreux.

Je fais à présent travailler à mon jardin, et comme il est assez grand, vous pouvez bien juger que je ne fais pas beaucoup de progrès.

Nous attendons tous les jours M. et madame de Kannenberg, qui feront l'ornement de notre compagnie, et qui sont nés pour la société. Nous représentons à présent Œdipe,1_57-a qui nous divertit beaucoup, et dans lequel il y a des traits de versification magnifiques et des coups de théâtre frappants.

Je vous prie, ma très-chère sœur, ne m'oubliez point, et soyez<58> sûre de l'estime et de la tendresse avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

50. A LA MÊME.

Remusberg, 8 octobre 1737.



Ma très-chère sœur,

Vous ne devez attribuer mon silence qu'au défaut de nouvelles. Nous menons une vie trop unie pour que nous vous puissions apprendre grand' chose de ces cantons, et j'ai lieu de croire que si j'écrivais tous les jours : Ma chère sœur, je vous aime, ou : Je vous aime, ma chère sœur, de semblables lettres vous ennuieraient beaucoup. Ne souhaitez donc pas, ma très-chère sœur, eu égard à moi, de vous métamorphoser en pierre; vous y perdriez trop, et cet esprit que j'aime et que tout le monde admire est si bien logé dans votre corps, que ce serait un péché de l'en faire sortir. Ne mesurez jamais l'amitié à l'aune, et croyez-moi, ma très-chère sœur, je vous en prie, avec toute la tendresse, tout l'attachement et toute l'estime possible, ma très-chère sœur, etc.

<59>

51. A LA MÊME.

Ruppin, 12 novembre 1737.



Ma très-chère sœur,

Votre lettre m'a causé une joie inexprimable, et je ne saurais vous marquer combien je suis aise de n'avoir pas su le danger dans lequel vous avez été. En vérité, ma chère sœur, vous devriez ménager votre santé, et ne pas traiter ce qui la regarde si fort en bagatelle. Pensez un peu à l'amitié que j'ai pour vous, et daignez m'épargner les inquiétudes et les alarmes que les nouvelles de vos indispositions ne manquent jamais de me causer. C'est la seule reconnaissance que je vous demande de l'attachement et de la tendresse que j'ai pour vous.

Il faut que la Hongrie1_59-a soit fatale aux jolies gens qui y sont allés, puisqu'il y en a une infinité qui ont payé le tribut à la nature. Le pauvre Natzmer1_59-b est de ce nombre; encore n'a-t-il pas eu l'avantage d'être blessé par l'ennemi, mais par un certain Diemar. L'abbesse1_59-c sera inconsolable, à ce que je crois, de la mort de son neveu; ce jeune garçon promettait beaucoup. C'est bien dommage de lui. J'ai fait cette campagne dans mon cabinet, et au lieu de m'attacher à la seule Hongrie, j'ai expédié les guerres puniques, les guerres des Perses contre les Grecs, et une infinité d'autres, toutefois sans qu'il y eût de sang répandu dans toutes mes campagnes.

Je vous prie, ma très-chère sœur, de me donner de bonnes nouvelles de votre santé, et de me croire avec un attachement inviolable, ma très-chère sœur, etc.

<60>

52. A LA MÊME.

Berlin, 10 janvier 1738.



Ma très-chère sœur,

Vos occupations sont charmantes, ma très-chère sœur; je suis persuadé qu'il n'y a rien de plus joli que Baireuth, depuis que vous y régnez. Vous savez si bien distribuer votre temps, qu'il ne se rencontre jamais de vide, et vous partagez entre l'utile et l'agréable, de façon qu'aucun des deux n'a lieu de se plaindre. Le Roi est parti hier pour Potsdam; tout le monde se met ici en dévotion. Je ne sais ce qu'ils ont fait; mais ils m'ont dit qu'ils veulent se repentir dimanche de tous leurs péchés. On m'a annoncé que j'en devais faire autant dans huit jours.1_60-a Pour moi, qui suis assez bon garçon, je consens à tout, quoique je ne me sente guère contrit. La belle Schulenbourg vient de se marier;1_60-b je sens bien que son idée règne plus dans mon esprit que le dogme que l'école enseigne de la transsubstantiation. En voilà suffisamment pour vous amuser, pourvu qu'il n'y ait pas de quoi vous scandaliser. Pardonnez-moi mes petites libertés en faveur de la parfaite estime avec laquelle je fais profession d'être à jamais, ma très-chère sœur, etc.

<61>

53. A LA MÊME.

Remusberg, 2 février 1738.



Ma très-chère sœur,

Vous avez bien de la bonté de vouloir me communiquer ce que le Roi vous a écrit sur mon sujet. Voulez-vous que je vous explique le mystère de ma faveur? Ce n'est pas flatter mon amour-propre, mais c'est dire vrai que de vous assurer que je n'y ai aucune part, comme vous le verrez. Le Roi avait écrit au margrave de Schwedt de se rendre à Berlin en compagnie de ma sœur, ce que le Margrave a refusé de faire; et ce qui a plus irrité le Roi contre lui, c'est qu'il a écrit au Roi une lettre très-impertinente. Nous sommes venus sur ces entrefaites, et pour punir l'autre de sa désobéissance, on nous a caressés pour le dépiter. Telles sont les choses de ce monde, ma très-chère sœur, que les apparences trompent, et. font paraître les objets sous des formes différentes de celles qu'elles ont naturellement. Voyez un bois au lointain, les feuilles vous sembleront bleuâtres. Voyez les hommes du haut d'une tour, ils vous paraîtront bien petits; mais descendez, et considérez-les de près, alors vous serez en état de juger de leur taille. Enfin, pour être bien instruit des causes qui ont contribué à la mort d'une personne, il faut l'ouvrir et examiner ses parties, sans quoi le plus habile médecin est sujet à se tromper; tant il est vrai que l'illusion de l'apparence nous séduit souvent, et nous fait porter des jugements aussi frivoles que faux.

La Reine a été indisposée d'un rhumatisme; mais grâces à Dieu, elle est entièrement remise. Quant à nous, je ne saurais que vous en dire, sinon que, pour ma personne, j'ai toute la journée le nez sur les livres; les autres jouent, badinent, dorment, dansent, et se divertissent, chacun à leur manière. M. de Brandt vient d'arriver; il est<62> de notre bande, de façon que, moyennant son secours, nous pourrons recommencer des tragédies nouvelles.

Je suis avec une très-parfaite estime et une tendresse qui n'y cède en aucune manière, ma très-chère sœur, etc.

54. A LA MÊME.

Remusberg, 22 mars 1738.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé de ce que votre indisposition n'a point eu de mauvaises suites, et que vous en avez été quitte pour un jour. Nous nous préparons à célébrer le jour de naissance de la Reine, la semaine qui vient. Pour à présent, nous nous divertissons avec l'Enfant prodigue.1_62-a Cette pièce nous a fort bien réussi; il ne nous manquait que vous, ma chère sœur, dans notre auditoire. Je n'ai pour cette fois aucunes nouvelles qui puissent ni vous amuser, ni vous divertir. Comptez toujours sur ma tendresse, ma très-chère sœur, et croyez-moi avec toute l'estime et l'amitié imaginable, etc.

<63>

55. A LA MÊME.

Ruppin, 31 mars 1738.



Ma très-chère sœur,

Pour cette fois, vous vous trompez, ma chère sœur; ce n'est point avec des auteurs morts ni pourris que je m'entretiens, c'est avec un auteur bien vivant; je lis à présent quelqu'un des nouveaux ouvrages de Voltaire, rempli de feu et de beautés. Je le quitte ce moment pour vous joindre et pour avoir le plaisir de m'entretenir avec vous. L'histoire du jour dont je pourrais vous amuser ne contient pas grand' chose, sinon une nouvelle fort intéressante pour les coiffeuses : c'est que le Roi a inventé une nouvelle forme de coiffure, qui consiste dans un grand pli qui vient s'appuyer sur le front, dont il fait comme la corniche. Celte mode de nouvelle date ne m'est connue que par ce qu'on m'en écrit de Berlin. On croirait que le Roi est bien désœuvré pour s'amuser à de pareilles bagatelles; cependant il n'en est rien, et il travaille à ses affaires aussi assidûment qu'auparavant. Ce qu'il y a de plus nouveau après cette mode, c'est le voyage que je ferai à Potsdam pour les dévotions de cour.1_63-a Je compte de m'expédier dans peu : deux jours pour le bon Dieu et quelques jours pour le Roi, et les soirées pour la Reine. Je n'en sais, ma foi, pas davantage. Je vous laisse dans votre belle bibliothèque, où vous trouverez des amusements qui vaudront mille fois mes lettres; et quoique je vous quitte à regret, la raison me presse et m'oblige de ne point importuner une personne que j'estime trop pour vouloir lui être désagréable. Souffrez du moins que je vous réitère en peu de paroles les assurances de la parfaite tendresse et du sincère attachement avec lequel je suis, ma très-chère sœur, etc.

<64>

56. A LA MÊME.

Ruppin, 30 avril 1738.



Ma très-chère sœur,

Vous avez trop de bonté de vouloir bien vous souvenir de moi d'une manière si obligeante. Ce n'est pas pour moi que je vous ai priée de mettre les dates à vos lettres, c'est pour la Reine, qui me paraissait trouver à redire que vous ne le faisiez pas. Je suis charmé de ce que la santé du Margrave s'est tout à fait rétablie. Je vous connais, ma chère sœur, vous vous serez bien angoissée pendant ce temps-là, et vous vous serez rendue malade vous-même. J'ai parlé avec un habile médecin de votre maladie; il s'appelle Superville;1_64-a mademoiselle de Grumbkow doit le connaître. Il m'a assuré qu'il vous guérirait, si vous le faisiez venir. Je vous prie, écrivez au Roi qu'il lui donne permission pour vous aller trouver; car je suis presque sûr qu'il vous rétablira tout à fait. J'espère que vous aurez assez d'amitié pour moi pour avoir égard à la prière que je vous fais. L'amitié que j'ai pour vous, et la véritable tendresse que vous m'avez toujours connue, s'intéresse trop à votre conservation pour négliger des avis que je vous crois salutaires.1_64-b

Votre M. Beust1_64-c et ses quatre enfants ne sont guère des morceaux friands pour la pauvre infante de Cassubie.1_64-d J'y aurais pensé plus<65> d'une fois, si j'avais été dans sa place. Je ne crois pas que ses camarades porteront envie à son destin. Le général Truchs est mort; le colonel Wartensleben a eu son régiment, qui porte le nom de carabiniers du Roi. Voilà toutes mes nouvelles; faute de mieux, je me recommande à l'honneur de votre souvenir, vous assurant encore de tous les sentiments avec lesquels je suis inviolablement, ma très-chère sœur, etc.

57. A LA MÊME.

Remusberg, 19 novembre 1738.



Ma très-chère sœur,

Vous vous portez bien, autant qu'il me le paraît par votre lettre, et me voilà content. Votre souvenir, et la manière obligeante dont vous daignez m'assurer de votre tendresse, me font un plaisir infini. Je vous assure que, quant aux sentiments de tendresse, vous me trouverez toujours tel que vous pouvez le désirer, c'est-à-dire, invariable. Quant à vos petites dissensions domestiques, je connais assez par expérience ce qu'en vaut l'aune. Pour peu qu'un artisan soit habile, l'orgueil et l'impertinence s'associent à son savoir, et les indignes compagnons de son mérite font ordinairement souffrir le maître qu'il sert. Les prétentions augmentent à mesure que leurs fantaisies se croient autorisées par leur habileté, et leur cupidité ne trouve point de bornes. Avec ces belles qualités se mêle un grain de basse jalousie qu'ils honorent du titre de généreuse émulation. Cette généreuse émulation rend ordinairement ennemis jurés les rivaux de<66> gloire, et voilà la guerre allumée.1_66-a On apaise ce feu pour un temps, mais on ne peut l'éteindre, et tôt ou tard il en faut venir à la séparation. Pour moi, je suis soigneux de les prévenir, et j'aime toujours plutôt les chasser que de dépendre de leurs caprices. M. Benda,1_66-b des enfants d'Apollon, est assez sage à présent, et je dois louer leur bonne conduite, quoique je sois sûr qu'elle ne sera pas de durée. Quantz part la semaine qui vient, et dans peu il sera à Baireuth. Que j'envie son sort! On est bien heureux, ma très-chère sœur, lorsqu'on peut vous voir, et on ne l'est qu'imparfaitement quand on ne peut que vous écrire.

Je suis avec tous les sentiments que vous m'inspirez si justement, ma très-chère sœur, etc.

58. A LA MÊME.

Remusberg, 23 novembre 1738.



Ma très-chère sœur,

Il m'est impossible de laisser partir Quantz sans vous assurer de mon tendre attachement. J'aurais bien envié le bonheur qu'il aura de vous rendre ses devoirs, si je ne me flattais encore de je ne sais quelle espérance vague et peut-être chimérique de vous revoir. Je voudrais que la flûte de Quantz, qui parle infiniment mieux que lui, puisse<67> vous dire par ses sons les plus sonores, les plus touchants, par les adagios les plus pathétiques, tout ce que mon cœur pense et me suggère sur votre sujet. Si vous vous sentez toucher par ces sons vainqueurs de nos sens, songez un peu à toute l'étendue de la tendresse et à tout ce que je vous dirais sur ce sujet, si j'étais assez heureux que de vous entretenir. Le feu de ces allégros est le vif emblème de la joie que me causera le moment où je pourrai vous posséder. Mais sans pousser l'allégorie plus loin, j'espère que vous serez convaincue de tous les sentiments avec lesquels je suis inviolablement, ma très-chère sœur, etc.

Oserais-je vous prier de faire mes compliments au Margrave et à tous ceux d'entre votre train qui tiennent à la vieille roche?

59. A LA MÊME.

Remusberg, 26 novembre 1738.



Ma très-chère sœur,

Vous prenez une part trop obligeante à ce qui me regarde, pour que je n'en sois pas sensiblement touché; ma santé ne vaut pas assurément, ma très-chère sœur, les soins que vous avez pour sa conservation. J'ai été obligé de me faire saigner par une réplétion de sang assez violente, et qui m'aurait pu être fatale. J'avais lieu d'appréhender quelques suffocations; mais ce qui m'incommodait le plus, c'étaient des insomnies et des battements de cœur insupportables. La saignée m'a fait assez de bien, mais, plus qu'elle, le régime d'eaux auquel je me suis mis. Voilà, ma très-chère sœur, pour ma santé, puisque vous<68> m'en demandez compte; je vous prie de ne vous en plus embarrasser, mais d'avoir plus de soin de la vôtre, qui m'est beaucoup plus précieuse.

Quantz est parti la semaine passée; je l'ai chargé d'une lettre pour vous, ma très-chère sœur; mais comme il s'arrêtera à Dresde, je crains que cette lettre ne vous parviendra pas sitôt.

Je plains, ma chère sœur, que la révolte s'est mise dans votre musique; cette race de gens est très-difficile à conduire; cela demande quelquefois plus de prudence que la conduite des États. Je sais ce qu'en vaut l'aune, et je m'attends dans peu à quelque nouvelle sédition parmi mes enfants d'Euterpe. J'ai lu, pour m'y préparer, la retraite du peuple romain sur le Mont Sacré, et j'étudie l'apologue de Ménénius Agrippa,1_68-a pour m'en servir, si l'occasion le requiert.

Nous comptons de partir dans peu pour Berlin. Dès que j'aurai pris langue, je vous mettrai au fait de tout, trop heureux de pouvoir vous rendre quelques services, tout petits qu'ils sont. Je suis avec un attachement parfait et une tendresse infinie, ma très-chère sœur, etc.

60. A LA MÊME.

Berlin, 20 janvier 1739.



Ma très-chère sœur,

La part que vous prenez aux chagrins que j'ai soufferts m'en console tout à fait. J'ai été pendant six semaines l'objet des plaisanteries amères du Roi et le souffre-douleur de sa colère. Il est bien inhu<69>main de s'en prendre à des gens à qui la crainte et le respect ôtent la liberté de se défendre et de se plaindre. De tels discours sont empoisonnés par la dignité de celui qui parle, et par la maligne et flatteuse approbation de ceux qui écoutent, toujours plus empressés à faire les courtisans en condescendant au sentiment du maître qu'attachés à la franchise et à la vérité en défendant l'innocence faussement accusée. Un conflit de raisons différentes a causé l'irritation violente dans laquelle le Roi a été contre moi; j'ai parlé ferme à quelques personnes, j'ai écrit des vérités à d'autres, j'ai menacé celles que j'ai connues capables de timidité, et j'ai, sinon éteint, du moins amorti l'embrasement qui allait s'allumer.

La nouvelle qu'on vous marque au sujet de mon frère n'est point du tout fondée; c'est un bruit de ville, qui doit sa naissance à la tête vide de nos politiqueurs de café. La réconciliation avec l'Angleterre peut y avoir donné lieu; l'imagination a inventé le reste. Mon frère a le meilleur caractère du monde, il a le cœur excellent, l'esprit juste, des sentiments d'honneur et pleins d'humanité; il a la volonté de bien faire, ce qui me fait beaucoup espérer de lui. Sa figure ne dit rien, ses yeux ne savent pas seulement épeler; ses manières sont ingénues plutôt que polies, et dans tout son maintien il y a un certain je ne sais quoi d'embarrassé qui ne prévient pas en sa faveur, mais qui ne trompe point ceux qui préfèrent la solidité du mérite au brillant de l'extérieur. Je l'aime beaucoup, et je ne puis que me louer de l'amitié et de l'attachement qu'il a pour moi. Il me rend tous les petits offices dont il est capable, et me témoigne en toute occasion des sentiments qu'on ne trouve que dans les vrais amis. Vous pouvez compter sur ce que je vous écris de lui; j'écris sans prévention et sans envie ce que tous ceux qui le connaissent particulièrement auront pu remarquer en lui.1_69-a

<70>Parmi les événements extraordinaires que nous a produits la maladie du Roi, il en est un ....

61. A LA MÊME.

Remusberg, 7 avril 1739.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé de ce que votre santé se remet. On m'assure que vous vous remettrez tout à fait. J'ai dit à la Reine tout ce que vous m'avez ordonné de lui dire, car vous n'avez rien à craindre de la Ramm;1_70-a ses armes sont presque usées.

Je suis, en vérité, bien mortifié de ce que le Margrave a écrit au Roi sur le sujet de Juliers et Berg; je me suis déjà expliqué là-dessus dans ma précédente,1_70-b et vous verrez que j'aurai été bon prophète.

Aujourd'hui se feront les obsèques de défunt le maréchal Grumbkow, dont la mémoire est presque généralement en exécration. Je gagne on ne saurait davantage par sa mort, et je me flatte qu'à présent nous respirerons après un long orage.1_70-c

<71>J'ai trouvé le Roi plus mal que je n'ai cru; il n'a point la goutte, mais ce sont des maux tout différents.

Adieu, ma très-chère sœur; conservez-moi votre précieuse amitié, et soyez persuadée de l'estime et de la tendresse avec laquelle je suis inviolablement, ma très-chère sœur, etc.

62. A LA MÊME.

Ruppin, 11 avril 1739.



Ma très-chère sœur,

J e suis très-mortifié de ce que votre santé est encore si languissante. Pour l'amour de Dieu, faites donc résoudre votre margrave d'envoyer ces deux hommes de sa garde au Roi, afin que vous ayez Superville.1_71-a C'est, je vous le jure, le seul moyen de réussir; car personne n'a le crédit de vous secourir, si la médiation des grands hommes ne s'y interpose. On ne doit point perdre de temps; les moments sont précieux, et votre personne inestimable. Suivez mon conseil, je vous en supplie, et ne fondez pas trop d'espérances sur le Danemark, car ces choses sont trompeuses.

Je ne cesserai point encore de vous mander des mortalités : le ministre Viebahn vient de crever, le général Goltz en a fait autant, et l'on croit que le maréchal Borcke le suivra dans peu. Si M. de Grumbkow ne m'avait jamais fait de mal, je pourrais lui faire une épitaphe; mais tout ce que je pourrais en dire sentirait trop la prévention, et d'ailleurs je crois que ce serait trop d'honneur. Mais pour<72> vous obéir il n'est rien que je ne fasse. On pourrait donc dire quelque chose de semblable :

Ci-gît un maréchal, un ministre, et, de plus,
Un grand financier, un ecclésiastique.1_72-1
Passants, qui connaissez sa fourbe politique,
Laissez dans l'oubli confondus
Et ses vices, et ses vertus.1_72-a

J'espère que cet échantillon de mes vers vous fera passer l'envie d'en avoir d'autres. C'est un amusement qui me procure de fort doux moments; mais tout ce que je puis faire ne saurait être comparé à l'ouvrage des grands poëtes; c'est un métier chez eux, ce n'est qu'un amusement pour moi.

Permettez-moi de revenir à votre santé ....

63. A LA MÊME.

Remusberg, 7 mai 1739.

Je souhaite de tout mon cœur que cette pièce vous trouve en bonne santé, et que vous soyez une bonne fois délivrée de vos infirmités. Puisque vous ne vous contentez pas de l'épitaphe de Grumbkow, il a fallu vous obéir. Si je vous ennuie, c'est par vos ordres et par obéissance. Toutefois puis-je vous assurer que ces vers-ci sont plutôt l'ouvrage du cœur que celui de l'esprit.1_72-b

<73>

64. A LA MÊME.

Ruppin, 15 juin 1739.



Ma très-chère sœur,

Les soulagements que Superville vous procure me font augurer avantageusement de l'heureux effet de ses remèdes; je ne doute aucunement que le Roi ne vous le laisse autant que vous en aurez besoin, d'autant plus que le Margrave s'est résolu de faire une galanterie de six pieds au Roi.

Vous avez bien de la bonté de vous être informée si ponctuellement auprès de Superville de Remusberg1_73-a et de mes frivoles occupations; c'est une marque incontestable de la bonté et de la tendresse que vous avez pour moi. Je voudrais, ma chère sœur, que ma personne et mes occupations pussent vous être de quelque utilité; mais rien ne m'est plus insupportable que de ne vous être bon à rien.

Votre cher esprit, qui daigne m'accompagner, est sans doute mon génie heureux, comme l'ont soutenu quelques philosophes, que chacun avait un génie protecteur et un génie envieux de son bonheur.

Oui, je suis protégé par ce puissant génie,
Mes yeux sont éclairés du feu de son esprit;
Plus que par Apollon, Minerve et Uranie,
Dans le sentier du vrai par vous je suis conduit.

Pardon de ces vers, ma chère sœur; ce sont plutôt des enfants de mes sentiments que des fruits de mon esprit.

Je ne souhaite rien avec tant d'ardeur que d'avoir bientôt de bonnes nouvelles de votre santé. J'espère que le ciel ne m'enviera<74> point cette satisfaction-là, et que l'habileté du sieur Superville me rendra salutare meum.1_74-a

Je suis avec toute la tendresse imaginable, et avec ces sentiments qui sont inconnus à tous ceux qui ne savent point aimer, ma très-chère sœur, etc.

65. A LA MÊME.

Berlin, 4 juillet 1739.



Ma très-chère sœur,

Le Margrave nous a surpris le plus agréablement du monde en venant d'une manière inattendue. Le Roi en a été charmé, et j'espère qu'il sera content de sa réception et de la manière dont on en agit envers lui. On lui a accordé tout ce qu'il a souhaité;1_74-b ainsi je me flatte que ce voyage du Margrave ne contribuera pas moins à votre satisfaction qu'à votre santé.

Je vous rends mille grâces de la belle pendule que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je n'ai besoin de rien au monde pour me souvenir de vous; mon cœur me dit plus que toutes les pendules que j'ai une sœur adorable, et qui mérite d'être aimée et chérie. La longueur de votre absence m'en fait d'autant plus sentir le poids, et les attentions et bontés que vous avez pour moi sont autant de tableaux du sentiment que je vous connais et de l'excellence de votre cœur.

On a célébré hier l'anniversaire de votre heureux jour de naissance,

<75>

Ce jour où pour vous la nature
Parut épuiser ses faveurs;
Où de la vertu la plus pure
Minerve composa vos mœurs;
Où les agréments, le génie,
L'esprit et les heureux talents
Répandirent sur votre vie
Leurs plus magnifiques présents.

Ce jour, auquel je prends tant de part, m'a paru plus beau et plus serein que tous les autres; il m'a semblé que les faveurs du ciel, non contentes de vous avoir donnée à notre famille, voudraient encore distinguer ce jour avec tous les plus beaux ornements de la nature, avec un soleil brillant dont les rayons semblent aussi pénétrants que ceux de votre esprit, avec un ciel serein dont la pureté se rapporte à la pureté de votre cœur, avec un air tempéré et doux dont les influences bienfaisantes paraissent vouloir nous retracer la bonté de votre caractère et la grandeur de votre belle âme. Un cœur passionné voit tout un autre univers qu'un cœur qui n'est point sensible. Je rapporte tout à mon objet et relativement à vous, ma très-chère sœur, car j'espère que vous êtes persuadée des sentiments de tendresse, d'estime et d'attachement avec lesquels j'ai l'honneur d'être, ma très-chère sœur, etc.

<76>

66. A LA MÊME.

Camp de Wehlau, 27 juillet 1739.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre très-aimable lettre au milieu de nos courses.1_76-a Je vous aurais répondu volontiers plus tôt, si le peu de repos que j'ai depuis la vie vagabonde que nous menons me l'avait voulu permettre. Nous courons depuis trois semaines un pays aussi vaste que les deux tiers de l'Allemagne, et nous ne sommes pas encore à la fin de nos travaux; je me flatte cependant d'être de retour le 17 du mois prochain. Je suis ravi de savoir par vous-même que le Margrave a été satisfait de son voyage de Berlin. Depuis la mort de Grumbkow, tout y est changé; son décès a rétabli chez nous la paix publique et particulière. Grâces au ciel, je suis à présent le mieux du monde avec le Roi; il a eu la grâce de me donner tous ses haras de Prusse en propre;1_76-b cela me vaudra dix-huit mille écus de revenus avec le temps. Vous pouvez juger par cet échantillon des dispositions du cœur. Je suis persuadé, ma très-chère sœur, que vous participez véritablement à ce qu'il m'arrive de bien, et qu'en toute occasion vous voudrez bien que je puisse vous convaincre de la tendresse et de l'estime sans égale avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

<77>

67. A LA MÊME.

Remusberg, 13 septembre 1739.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec bien du plaisir la lettre que vous m'écrivez d'Erlangen. Nous avons appris ici la maladie du Margrave, et j'ai craint autant pour vous, ma très-chère sœur, que pour lui. Je suis cependant bien aise que mes appréhensions n'aient point été fondées, et que j'aurai encore le plaisir de pouvoir recevoir quelques-unes de vos lettres avant votre départ.

Vous avez fait une chose qui aurait failli de vous donner du chagrin, si je n'avais paré le coup le mieux qu'il m'a été possible; c'est, ma très-chère sœur, d'avoir donné permission à votre Meermann de venir à Berlin.1_77-a Cet ingrat n'en a point agi envers vous comme il devait, et il a tenu des discours qui m'ont bien impatienté. Le Roi commençait à prendre feu; mais j'ai tout raccommodé en disant à la Reine, qui l'a redit au Roi, que Meermann était en disgrâce chez le Margrave et chez vous, à cause de ses airs de suffisance et de ce qu'il n'avait pas mené avec assez d'exactitude ses comptes. Cela a tout redressé, car le Roi attribue à présent au désir de la vengeance ce qui était l'effet de la méchanceté de cet indigne domestique. Je vous prie de ne me point donner un démenti; j'ai fait ce que j'ai cru être convenable à vos intérêts, et je n'avais que ce seul moyen de vous éviter du chagrin.

Voyagez en paix, ma très-chère sœur; il n'en sera ni plus ni moins ici, pourvu que cela n'altère point votre santé si faible et si délicate. Deux ou trois grands hommes envoyés à propos seront des arguments vainqueurs, et qui vous feront recevoir à bras ouverts; mais ne les envoyez, s'il vous plaît, qu'à propos. Je vous écrirai aussi<78> souvent que je le pourrai, tantôt sérieux, tantôt badinage, quelquefois des nouvelles d'ici, et quelquefois pour en apprendre des vôtres.

Je donnerai l'éventail à la princesse,1_78-a qui vous en marquera elle-même sa reconnaissance.

Nous avons ici beaucoup d'étrangers : un prince de Mecklenbourg-Schwerin, un M. Thun, de Nassau-Usingen, un conseiller Cram, de Brunswic. Nous avons aussi Quantz, et nous attendons un chanteur de Dresde.

Voilà, ma très-chère sœur, toutes les nouvelles d'un petit endroit qui ne mérite point vos attentions, si ce n'est par l'attachement des personnes qui l'habitent pour votre personne.

Je suis avec toute la tendresse et toute l'estime imaginable, ma très-chère sœur, etc.

68. A LA MÊME.

Remusberg, 30 septembre 1739.



Ma très-chère sœur,

J'ai été touché de voir avec quelle vivacité vous aviez reçu la nouvelle touchant Meermann. Tranquillisez-vous, je vous supplie, ma très-chère sœur, et, s'il se peut, modérez un peu cette grande sensibilité, qui ne peut qu'être très-préjudiciable à votre santé. Si je voulais me chagriner de pareilles bagatelles, je n'aurais pas un moment de contentement dans le monde. Tout cela n'est rien : Meermann a mal parlé de vous; le Roi, qui aime les rapports, l'a cru. Quand Meermann reviendra, il faut simplement l'éloigner de la cour et lui<79> donner, à Erlangen ou quelque part, un emploi où il soit beaucoup moins bien qu'il ne l'est à présent. Ce serait, en deux mots, ce que je vous conseillerais. Et quant à votre voyage, je ne vois pas la raison pourquoi vous le voulez rompre; laissez parler les sots, et allez, à la garde de Dieu, à Montpellier. Vous ne pourrez pourtant jamais contenter tout le monde; ainsi, qu'il vous suffise de faire ce qui est bien, et d'ailleurs de ne vous embarrasser de qui que ce soit.1_79-a Je vous réponds même que si, à votre retour, vous donnez un grand homme au Roi, il dira que vous avez fort bien fait de voyager. Permettez que j'ajoute encore une considération à celle-ci : c'est qu'on interprétera comme une faiblesse du Margrave s'il ne poursuit pas le voyage qu'il avait projeté. Quoi! un Meermann, une madame Sonsfeld (qui, par parenthèse, crie comme un chat qu'on écorche de ce qu'elle n'est pas du voyage, et qui voudrait animer toute la terre là contre), ne voudront pas que vous alliez à Montpellier;1_79-b quelque imbécile habitant de Baireuth ne le voudra pas non plus; et pour cela il faudra déférer à leurs avis! Non, ma chère sœur, j'ose vous prier de ne vous point détourner si légèrement d'une chose qui doit servir au bien de votre santé, et de poursuivre hardiment le voyage. Je vous avoue que j'abandonnerais celui d'Italie; mais pour celui de Montpellier, j'en prends le hasard sur ma tête. D'ailleurs, ne rendez pas des coquins plus durs qu'ils ne le sont déjà par votre bonté; il faut, à quelque prix que ce soit, que Meermann soit puni. Chassez votre tailleur, et ne poussez pas la bonté jusqu'à l'indolence. Pardonnez-moi, ma très-chère sœur, la liberté que je prends de vous dire si librement mes sentiments. J'ai compris que vous êtes embarrassée, et j'ai cru que vous ne seriez peut-être point fâchée de voir quel<80>qu'un qui vous parle tout à fait sincèrement. Vous suppliant de me croire avec toute la tendresse et l'estime imaginable, ma très-chère sœur, etc.

69. A LA MÊME.

Remusberg, 4 octobre 1739.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché de vous voir encore inquiète sur le sujet de l'indigne Meermann. J'ai à vous prier de trois choses : la première est de vous tranquilliser tout à fait, car j'ai paré presque tout le mal que ce coquin vous a voulu faire, en disant qu'il était piqué de ce que le Margrave ne voulait pas se laisser gouverner par lui; en second lieu, de continuer votre voyage de Montpellier pour le rétablissement de votre santé; il y aurait, si j'ose vous le dire, trop de faiblesse à le rompre si légèrement, et sans que j'en aperçoive une raison valable. Ainsi je vous supplie de le poursuivre; je vous réponds et du Roi, et de la Reine; ce n'est sûrement pas ce qui doit vous arrêter. En troisième lieu, je vous supplie par tout ce qu'il y a de plus sacré, et par notre ancienne amitié, de punir Meermann. Il le faut absolument; vous ne le rendez pas malheureux, mais c'est son infâme caractère, sa maudite calomnie qui lui attirent une juste punition. L'indulgence, en ces cas, est une faiblesse, et j'admire votre bonté de vouloir nourrir cet aspic dans votre sein, qui ne demande pas mieux que de vous donner quelques morsures. II vous faut absolument résoudre à punir ce coquin, et je ne vous laisserai aucun repos avant que vous me l'ayez promis. Avec cela, permettez-moi de vous dire<81> que les lettres de madame Sonsfeld ne sont point écrites d'une manière convenable; je crois qu'elle a plus de part que Meermann à ce que la Reine vous a écrit. Pour Dieu, ma chère sœur, ne poussez donc pas trop loin la complaisance, et comme ce que vous voulez faire est dans l'ordre, faites-le hardiment. Vous avez, à ce qu'il paraît, oublié le train de Berlin; les changements d'un jour à l'autre ne nous sont point des nouveautés. Il ne faut point s'embarrasser de cela. Vous en verrez bien d'autres, si vous venez ici, et je vous supplie, en ce cas, de quitter pour ce temps votre trop grande sensibilité, qui ne pourrait vous être que nuisible.

Je serais trop heureux, si je pouvais vous revoir ici, à Remusberg. Je ne pourrai pas, selon toutes les apparences, avoir ce bonheur à présent; mais je me suis imaginé que si, à votre départ de Berlin, il vous plaisait d'aller à Hambourg ou à Brunswic, je pourrais avoir l'honneur de vous voir ici, puisque c'est le chemin qui mène à ces deux endroits. Permettez-moi du moins de m'amuser avec ce projet, et laissez régner dans mon imagination une idée qui ne peut m'être que très-agréable, puisqu'elle me rappelle le souvenir d'une sœur que j'adore. Je suis avec toute la tendresse et l'attachement imaginable, ma très-chère sœur, etc.

70. A LA MÊME.

Remusberg, 6 octobre 1739.



Ma très-chère sœur,

Je suis fâché de savoir le Margrave encore malade et votre voyage rompu. J'espérais toujours que ces deux choses iraient de pair. Je<82> me flatte encore qu'elles réussiront, et que vous ne donnerez pas la satisfaction à d'indignes envieux de voir réussir leurs desseins. Je vous supplie encore une fois de continuer votre voyage, et de ne vous pas laisser dérouter par le babil irraisonnable de personnes qui ne méritent aucunement que vous fassiez attention à leurs discours.

Nous passons ici notre vie le plus tranquillement du monde, et nous attendons tous les jours l'apparition du marquis de La Chétardie,1_82-a qui vient d'arriver à Berlin.

Quantz se prépare à nous quitter, mais nous attendons dans peu d'autres étrangers ici, et d'autres virtuosi qui pourront le remplacer.

Adieu, ma très-chère sœur; j'espère que je recevrai bientôt de vos nouvelles qui contiendront des choses plus agréables pour vous, et par conséquent pour moi. J'espère que vous m'avertirez bientôt de la continuation de votre voyage. Vous savez combien je m'intéresse à son heureuse issue, étant avec toute la tendresse imaginable et un véritable attachement, ma très-chère sœur, etc.

71. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 10 octobre 1739.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais vous témoigner combien je suis sensible à toutes les bontés dont vous me comblez dans votre dernière lettre. Si je voulais m'arrêter à vous en dépeindre ma reconnaissance, je tomberais dans des redites trop ennuyantes pour vous, et je ne trouverais aucune expression assez forte pour vous la décrire. Ce qui me cha<83>grine est d'être obligée de rester en arrière, ne pouvant vous prouver, comme je le voudrais, combien je vous aime et vous suis attachée. Pardonnez ma petite vivacité de dernièrement; elle n'est pas tout à fait condamnable, n'y ayant rien de plus sensible que de se voir calomnier, et cela, auprès de ses parents. Je n'ai pas voulu cependant faire la moindre démarche sans vous consulter. Je crois que le meilleur parti qu'il y a à prendre est celui que vous conseillez; mais il est dangereux en cela, que cet homme demandera son congé, qu'on ne pourra lui refuser, qu'il s'établira à Berlin, où il continuera à me décrier et à la cour, et en ville. Pour son beau-fils, quoique je sois informée de ses tricheries, je ne puis l'en convaincre, et cela ne fait pas honneur de chasser des domestiques sans savoir quelle raison leur donner. Je crois donc que le meilleur sera de les ranger tous et de les remettre dans leur devoir, de les laisser dans leurs emplois, mais avec de telles restrictions, qu'ils ne soient pas en état de me nuire, ni de se donner des airs. D'ailleurs, la pauvre femme, qui est innocente, me fait pitié, et je ne puis l'abandonner sans me reprocher de l'ingratitude.1_83-a Je vous assure cependant que je ne l'ai jamais considérée que sur le pied d'une vieille et fidèle domestique, ne pouvant se vanter ni de ma confiance, ni de m'avoir gouvernée. La maladie du Margrave a seule rompu notre voyage. Il est vrai que celui de Montpellier aurait pu se faire; mais le moyen de l'entreprendre? Tout le monde y étant averti que nous y viendrions, nous ne pouvions plus garder l'incognito, et pour soutenir notre caractère, surtout en France, où les princes d'Allemagne sont très-peu considérés, la dépense aurait été trop excessive. D'ailleurs, Montpellier est le plus ennuyant endroit du monde, où il n'y a que très-peu de noblesse, et, à ce que nous avons appris depuis peu, les hivers sont souvent très-rudes; au lieu qu'à Naples, il y règne quasi toujours un été perpétuel. Toutes ces considérations nous ont fait remettre notre<84> voyage à l'année prochaine,1_84-a au retour de Berlin. La gouvernante a été fort touchée de me quitter, mais ce n'a pas été elle qui a fait les criailleries; son attachement pour moi lui a fait souhaiter le voyage, dans l'espérance que ma santé se remettrait. La Reine a fait ce qu'elle a pu pour l'animer; j'ai vu les lettres qu'elle lui a écrites. Je souhaiterais seulement, quand elle trouve quelque chose à redire à ma conduite, qu'elle me fît la grâce de me le mander sans tous ces détours. Je ne manquerai jamais au respect que je lui dois, et ne ferai jamais rien qui puisse lui être désagréable.

J'ai vu aujourd'hui le capitaine Schultz,1_84-b de votre régiment; je me réjouis toujours quand je vois quelqu'un qui a le bonheur de vous appartenir. Il ne me paraît pas fort content de ses recrues. Le Margrave, qui vous assure de ses respects, fera tout son possible pour vous en procurer avant votre revue.

Adieu, mon très-cher frère; toute mon étude ne tend qu'à vous convaincre de la tendresse avec laquelle je suis jusqu'au tombeau, mon très-cher frère, etc.

72. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ruppin, 9 novembre 1739.

.... Vous me faites trop de grâce de penser à Remusberg. Tout y est meublé, ma très-chère sœur; il y a deux chambres pleines de ta<85>bleaux; les autres sont en trumeaux de glace et en boiserie dorée ou argentée. La plupart de mes tableaux sont de Watteau ou de Lancret,1_85-a tous deux peintres français de l'école de Brabant. Je prends la liberté de vous envoyer le dessin de Remusberg comme il est à présent; c'est le côté interne, qui donne sur le jardin et sur un lac. Knobelsdorff dessine actuellement l'autre façade.

73. A LA MÊME.

Ruppin, 15 novembre 1739.



Ma très-chère sœur,

Je vous envoie, comme vous me l'ordonnez, de mes faibles productions, ou plutôt de mes amusements. J'aime les vers passionnément, et quoique j'en fasse de mauvais, je ne saurais renoncer d'en faire. C'est être bien incorrigible; mais chacun a ses défauts dans ce monde, et je voudrais bien que ce fût là le plus grand que j'aie. Je sais que vous faisiez autrefois l'honneur à Apollon de paraître dans son temple, non seulement sous la forme d'Euterpe, mais aussi sous la forme de Calliope. Je ne sais ce qui en est à présent; toujours sais-je bien qu'alors vous réussissiez parfaitement.

Nous nous préparons à quitter Remusberg vers la fin de ce mois, et d'aller dans un monde un peu plus turbulent, plus inquiet et plus<86> oisif; je réglerai cependant mes heures de manière que je ne perdrai pas tout, en donnant quelque chose aux respects, à la cohue et à mes amis.

Voudriez-vous bien faire mille amitiés de ma part au Margrave? Vous priant, ma très-chère sœur, de ne jamais douter des sentiments de tendresse, d'estime et de considération avec lesquels je suis, etc.

74. A LA MÊME.

Berlin, 26 février 1740.



Ma très-chère sœur,

J'espère que votre santé se raffermira de jour en jour, et que j'apprendrai sans cesse de meilleures nouvelles de votre part. Je ne puis guère vous en donner de bonnes d'ici, et, selon toutes les apparences, vous ne reverrez jamais le Roi. Ses accidents ont empiré avec tant de rapidité, que je doute qu'il passe la semaine qui vient. Il vous a donné sa bénédiction, et a très-bien parlé de vous. Pour à présent, sa fièvre est si véhémente, qu'il ne peut guère parler, et que nous avons tout lieu de craindre une inflammation dans le bas-ventre. Tenez-vous tranquillement, et ne vous chagrinez pas trop, car aux choses faites il n'y a point de remède. Le meilleur est de prendre son parti lorsqu'on ne saurait faire autrement, et de souffrir ce qu'on ne saurait changer. Nous sommes ici dans une situation qu'il vous est facile de comprendre. Vous jugez bien de nos inquiétudes et de nos angoisses. Préparez-vous donc, ma très-chère sœur, à une nouvelle qui ne tardera guère d'arriver. Vous priant d'avoir soin de votre<87> santé, qui m'est bien précieuse, et d'être persuadée de tous les sentiments de tendresse avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

Ayez la bonté de faire mes compliments au Margrave.

75. A LA MÊME.

Berlin. 21 mars 1740.



Ma très-chère sœur,

Comme le Roi se trouve beaucoup plus mal que par le passé, j'ai cru de mon devoir de vous en avertir. Il a chargé la Reine de vous faire encore mille amitiés de sa part; mais comme elle ne quitte point le Roi, j'ai pris sur moi le soin de vous le marquer. Ne vous faites plus d'espérance de sa guérison, car il a l'inflammation dans les poumons, et il est impossible qu'il en réchappe. Attendez-vous, ma très-chère sœur, à recevoir tous les jours la nouvelle de sa mort, et pensez à conserver votre santé, à laquelle je m'intéresse plus qu'à la mienne; et soyez persuadée que si vous perdez un père qui vous a aimée, il vous reste encore un frère qui vous chérit et vous adore. Je suis avec une tendresse infinie, ma très-chère sœur, etc.

<88>

76. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 28 mars 1740.



Mon très-cher frère,

Vous radoucissez bien les mauvaises nouvelles que vous me donnez de la santé du Roi par toutes les marques d'amitié que vous me donnez dans votre dernière lettre. Je ne saurais vous dire combien j'y suis sensible. Elle a fait de tout temps tout le bonheur de ma vie, et le fait encore, et je défie tout le monde entier de vous être aussi attaché et dévoué que je le suis. Plût à Dieu que je pusse vous le prouver, fût-ce même aux dépens de mes jours! L'état du Roi me fait une peine extrême; la nature parle, et il m'a témoigné mille grâces en dernier lieu. J'aurais bien souhaité de le revoir encore avant sa fin; mais, cela ne se pouvant, il faut me résigner aux décrets de la Providence. C'est une consolation pour moi qu'il se soit ressouvenu de moi dans la triste situation où il se trouve. Je la crois telle, tant par rapport au corps qu'à l'esprit, qui souffrira bien de la dure nécessité de quitter ce monde; et, quoi qu'en disent les philosophes, c'est un pas qui coûte beaucoup. Dieu veuille l'assister et abréger ses souffrances, et soutenir la Reine, qui, malgré sa fermeté, sera bien accablée de cette rude épreuve! Pour moi, je m'accoutume à faire des réflexions sérieuses, et je trouve qu'on peut se vaincre en bien des choses dès qu'on se donne la peine de réfléchir; et si l'on ne peut entièrement vaincre ses passions, on les peut du moins retenir dans de justes bornes. Je me suis fait un système tout particulier là-dessus, que j'espère d'avoir un jour le plaisir de vous expliquer. Celui qui est le plus profondément gravé dans mon cœur est l'attachement sans égal que j'ai pour vous, mon très-cher frère, étant jusqu'au tombeau, avec toute la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

<89>

77. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ruppin, 10 avril 1740.



Ma très-chère sœur,

Je ne conçois pas comme il est possible d'avoir une si vive envie de venir ici dans les circonstances présentes. Le Roi, à la vérité, est très-mal; mais, ma très-chère sœur, c'est à Berlin une vie qui ne vous convient en vérité nullement. Vous en userez selon votre bon plaisir; mais si vous vous en repentez, et que vous en ayez du chagrin, ne vous en prenez pas à moi. Je vous avertis de tout, je ne saurais faire davantage. Il y a huit ans que vous n'avez pas été dans ce pays, et c'est peut-être ce qui vous a effacé l'idée de cent mille bagatelles que deux jours de Berlin vous rafraîchiraient à vos dépens.1_89-a Je dis comme l'Écriture : Heureux sont les absents, ou ceux qui ne savent point ce qui se passe;1_89-b car souvent nous crions : O monts! tombez sur nos têtes; ô rochers! écrasez-nous.1_89-c J'ajoute à ceci une raison qui me paraît seule suffisante pour rompre votre voyage : c'est que la maladie m'a la mine de traîner en longueur, et que si vous avez une si grande envie de venir, vous pourrez toujours vous contenter sur ce point. Je pars après-demain pour retourner à la galère. Ne craignez rien, ni pour la constance de la Reine, ni pour mon stoïcisme; nous ne nous démentirons ni les uns ni les autres, et vous le verrez, si le cas arrive.

Adieu, ma très-chère sœur; aimez-moi toujours. Faites, s'il vous plaît, mes amitiés au Margrave, et soyez persuadée de tous les senti<90>ments de tendresse et d'estime avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.1_90-a

78. A LA MÊME.

Ruppin, 3 mai 1740.



Ma très-chère sœur,

Vous avez trop de bonté de vous intéresser au sort des pauvres Remusbergeois.1_90-b Leur malheur a été grand, mais leurs pertes sont presque toutes réparées, et leurs maisons seront mieux rebâties qu'elles ne l'ont été. Le château a beaucoup périclité pendant l'incendie; cependant il a été heureusement sauvé des flammes.

Je crois, ma très-chère sœur, que vous m'aurez quelque obligation de vous avoir dissuadée de votre voyage dans les circonstances où nous sommes. Je suis sûr que ce voyage aurait de beaucoup abrégé vos jours par le chagrin qu'il vous aurait causé infailliblement. Le Roi est allé, malgré l'état dans lequel il se trouve, à Potsdam; il est plus mal que jamais, les symptômes empirent, et nous ne comptons plus que par mois, ou, pour mieux dire, par semaines. L'exercice m'a tiré de la galère, mais je ne crois pas que ce sera pour longtemps. Je respire la liberté avec goût; peut-être que ce sera pour longtemps qu'il faudra y renoncer. Je vous souhaite cependant toute la satisfaction possible dans votre paisible vie, et tout le diver<91>tissement que peuvent vous procurer la musique et les beaux-arts. Je n'ai guère le temps d'y penser à présent. Vous jugez facilement de ma situation, d'autant plus que vous en connaissez les circonstances. Adieu, ma très-chère sœur; conservez-moi toujours votre précieuse amitié, et ne doutez jamais de tous les sentiments d'estime et de tendresse avec lesquels je suis inviolablement, ma très-chère sœur, etc.

79. A LA MÊME.

Ruppin, 18 mai 1740.



Ma très-chère sœur,

Je ne conçois pas d'où vient que mes lettres ne vous ont point été rendues, car je n'ai laissé passer aucune semaine sans vous écrire. Je crois peut-être que vous les recevrez toutes à la fois; mais vous n'y gagnerez pas grand' chose, ma très-chère sœur, n'y ayant presque rien à vous mander d'ici. La maladie du Roi empire chaque jour, et il faut vous préparer sérieusement à apprendre à l'improviste le dénoûment de la pièce. Nous avons ici nos tragédies comme vous les avez à Baireuth, car le pauvre Wolden1_91-a a été attaqué d'un coup d'apoplexie dans l'antichambre de la Princesse royale, dont il est mort subitement. Vous jugez bien que ces sortes d'aventures ne sont aucunement récréatives, et que, outre le regret de la perte d'un honnête homme, on se serait bien passé de le voir mourir ainsi devant tout le monde. Mais je quitte ce triste sujet pour en passer à de moins désagréables, et pour vous réitérer les assurances de la parfaite ten<92>dresse avec laquelle je suis jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

80. A LA MÊME.

Berlin, 1erjuin 1740.



Ma très-chère sœur,

Le bon Dieu a disposé hier à trois heures de notre cher père. Il est mort avec une fermeté angélique, et sans souffrir beaucoup. Je ne saurais réparer la perte que vous venez de faire en lui que par la parfaite amitié et sincère tendresse avec laquelle je suis toute ma vie

Votre très-fidèle frère,
Federic.

81. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 4 juin 1740.



Sire,

Dans l'accablement et la douleur où m'a jetée la triste nouvelle de la mort du Roi, les assurances que Votre Majesté me donne de la continuation de ses bonnes grâces1_92-a font mon unique consolation. Je ressens bien vivement la perte que je viens de faire; la mort d'un<93> père ne peut qu'être sensible à des enfants qui se sont de tout temps piqués de respect pour leurs parents;1_93-a mais le mal étant sans remède, je tourne toutes mes pensées à faire mille vœux pour la conservation de V. M. et pour la prospérité de son règne. Ces vœux sont d'autant plus sincères, que mon cœur lui a été de tout temps dévoué, et que rien ne m'est plus précieux que ce cher frère. Je vous supplie de me continuer toujours cette amitié, qui a fait jusqu'ici tout le bonheur de ma vie, et de me croire jusqu'au tombeau, avec toute la tendresse et le respect imaginable,



Sire,

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante
sœur et servante,
Wilhelmine.

82. DE LA MÊME.

(Baireuth) 5 juin 1740.



Sire,

Quoique j'aie déjà témoigné hier à Votre Majesté les vœux sincères que je fais pour la prospérité de son règne, mon zèle et mon attachement ne me permettent pas d'en rester là. Je prends donc la liberté de lui envoyer M. Sacetot, pour lui réitérer les sentiments de respect et de tendresse que je conserverai toute ma vie pour un si cher frère, comme aussi pour s'informer de l'état de sa santé et de celle de la<94> Reine ma mère. J'avoue que je suis en mille inquiétudes que les terribles fatigues jointes à l'altération qu'elle aura eue ne nuisent à sa santé. Si j'ai perdu mon cher père, les assurances que V. M. me donne de m'en tenir lieu me servent d'une grande consolation, et je puis l'assurer que la tendresse filiale n'approche point de celle que j'aurai toute ma vie pour elle. Je finis en lui réitérant encore la tendresse et le profond respect avec lequel je serai à jamais, Sire, etc.

83. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ruppin, 7 juin 1740.1_94-a



Ma très-chère sœur,

Vous saurez à présent tout ce de quoi il est question; ainsi j'abrége les répétitions, qui ne sauraient qu'être très-ennuyeuses et tristes. Je suis accablé d'affaires et de travail. Si je ne vous écris point aussi exactement que je le voudrais, je vous supplie de me le pardonner, car ce ne sera, en vérité, jamais par manque d'estime et d'attention que j'ai pour vous. La seule idée de pouvoir peut-être à présent vous être utile ou servir les honnêtes gens me console du fardeau<95> des affaires, qui me paraît assez pesant. Soyez persuadée, ma très-chère sœur, que je me ferai toujours un plaisir et un devoir de vous marquer en toutes les occasions la tendre amitié avec laquelle je suis à jamais votre très-fidèle frère.

84. A LA MÊME.

Ruppin, 10 juin 1740.



Ma très-chère sœur,

Le titre de votre frère m'est plus glorieux que celui de tous les rois très-chrétiens, ou très-catholiques, ou défenseurs de la foi, et votre amitié m'est plus précieuse que tous les respects serviles d'esclaves et les soumissions rampantes des sujets. Je vous prie, ma très-chère sœur, de me regarder toujours comme votre frère, et comme rien de plus. La Reine a fort bien pris son parti; elle se porte, grâces au ciel, très-bien, et elle est tranquille. Je vous enverrai par le premier ordinaire la relation des derniers jours du Roi; l'on n'en a point encore dressé de procès-verbal, mais on tâchera d'amasser là-dessus toutes les circonstances dont on pourra se ressouvenir, pour satisfaire vos désirs. Adieu, ma très-chère sœur. Je suis encore accablé par le nombre d'affaires que ce changement m'attire sur les bras; dans quelques mois, j'aurai l'esprit plus libre, et je pourrai vous ennuyer par de plus longues lettres. Je suis à jamais, avec toute la tendresse imaginable, ma très-chère sœur, etc.

<96>

85. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 21 juin 1740.



Ma très-chère sœur,

Je vous supplie de me traiter en frère, et non en roi; le premier caractère me sera toujours plus glorieux que le second, et vous pouvez compter qu'une démonstration de votre amitié me sera toujours plus sensible qu'une assurance de tout ce qu'il vous plaira. J'ai fait travailler, selon que vous m'avez paru le désirer, un protocole de ce qui s'est passé à la mort du roi défunt. Dès qu'on aura achevé la relation, j'aurai la satisfaction de vous l'envoyer. Demain sera l'enterrement. Je suis surchargé d'affaires, vous l'entendrez bientôt; épargnez-moi pour le coup, ma chère sœur, et soyez persuadée de la tendresse avec laquelle je suis votre très-fidèle frère.

86. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 29 juin 1740.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends très-humbles grâces de toutes les amitiés que vous me témoignez. Vous pouvez être persuadée, ma très-chère sœur, que j'y suis véritablement sensible, et que je reconnais toujours votre bon cœur comme je le dois. Je voudrais pouvoir vous être utile en quelque chose, et je vous assure que je m'en acquitterai toujours volontiers. Je vous envoie la relation de la mort du Roi, telle que vous me l'avez<97> demandée,1_97-a vous priant de me croire avec toute la passion possible, ma très-chère sœur, etc.

87. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 5 juillet 1740.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec beaucoup de plaisir la dernière lettre pleine d'amitié que vous me faites le plaisir de m'écrire. J'ai attendu le départ de votre cavalier pour y répondre, lui ayant d'ailleurs dit de bouche toutes les assurances d'amitié et de tendresse dont je vous prie, ma très-chère sœur, d'être persuadée. Je pars dans quelques jours pour la Prusse, où mon sort m'entraîne; de là j'irai à Wésel, et peut-être encore plus loin. Nous avons à présent beaucoup d'étrangers ici, la ville en est presque toute remplie; mais j'ai tant à faire à présent avec mes affaires, que je n'en profite point du tout. Adieu, ma très-chère sœur. Si je finis, ce n'est pas faute d'amitié ni de matière; mais étant surchargé de choses pressantes avant mon voyage, je cours pour les terminer, vous assurant que je suis de tout mon cœur et bien sincèrement, ma très-chère sœur, etc.

<98>

88. A LA MÊME.

Trakehnen, en Prusse, 14 juillet 1740.



Ma très-chère sœur,

Si j'avais du temps, je m'étendrais plus longtemps que je le fais en vous assurant de ma parfaite tendresse et amitié; mais, ma très-chère sœur, après huit jours de voyage il n'est guère possible d'écrire de longues lettres, d'ailleurs surchargé d'affaires comme je le suis. Nous raisonnons en chemin de philosophie, Algarotti et moi, et nous badinons avec Keyserlingk. J'espère de vous écrire bientôt de longues lettres, lorsque les longs voyages seront achevés. Adieu, ma très-chère sœur; soyez persuadée que je n'ai rien de plus précieux que votre souvenir, et que je suis à jamais, avec une très-parfaite tendresse, votre très-fidèle frère et serviteur.

89. A LA MÊME.

Königsberg, 17 juillet 1740.



Ma très-chère sœur,

Je viens de recevoir vos deux charmantes lettres. Vous avez trop de bonté de vous intéresser tant à mon sort. Ma destinée errante me promène de province en province. Dans huit jours, après l'hommage, je suis de retour à Berlin, et de là je pars, le mois qui vient, pour Wésel. Vous voyez par là, ma très-chère sœur, que pour courir le monde on n'en devient guère meilleur. Votre histoire de Vérone m'a été confirmée par Algarotti; mais il y ajoute la circonstance, qui<99> éclaircit merveilleusement ce phénomène, que les domestiques de la dame italienne la réduisirent dans l'état que rapporte l'histoire. Je ne crois point aux choses extraordinaires; et plus je vois de merveilleux dans une histoire, et moins j'y ajoute foi. Il y a ici un monde infini, et plus de cent quatre-vingts vaisseaux marchands; le port est comme une forêt où les arbres sont couronnés de banderoles au lieu de feuilles. Tout ce monde et toute cette opulence ne me touchent guère; je serais bien plus flatté du plaisir de vous voir et de vous embrasser; mais, errant comme je suis, je ne sais point quand je pourrai avoir cette satisfaction. Ne m'oubliez pas, ma très-chère sœur, et soyez persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

90. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 29 juillet 1740.



Ma très-chère sœur,

Vous avez trop de bonté, ma très-chère sœur, de penser si souvent à moi; ce qui me peut arriver de plus agréable est lorsque j'apprends de bonnes nouvelles de votre part. Je me prépare à présent pour mon voyage de Clèves, et j'espère de partir vers la mi-août. Le duc de Brunswic, qui a levé un régiment pour son frère Ferdinand, que je prends à mon service, arrivera mardi à Berlin, Je tracasse encore beaucoup, et, dans la situation où je suis, je ne saurais guère m'attendre à quelque repos avant l'automne prochain. Nos savants n'arriveront qu'à la fin de l'année,1_99-a et j'espère de recueillir à Berlin tout<100> ce que ce siècle a produit de plus fameux. Il ne manque uniquement que votre chère personne pour couronner l'œuvre, ce qui montre qu'il n'y a rien de parfait dans ce monde. Je vous prie, ma très-chère sœur, de vouloir faire mes compliments au Margrave, et de ne jamais douter des sentiments de tendresse et d'estime avec lesquels je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

Je prends la liberté de vous présenter des hommages prussiens que j'espère que vous voudrez accepter.

91. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 6 août 1740.



Sire,

Je ne saurais assez reconnaître toutes les grâces que Votre Majesté me témoigne dans la dernière lettre que j'ai eu l'honneur de recevoir de sa part. Rien ne m'est plus précieux que sa bienveillance, que je tâcherai de mériter de plus en plus par mon attachement et dévouement pour sa chère personne, étant avec un très-profond respect,



Sire,

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante
sœur et servante,
Wilhelmine.1_100-a

<101>

92. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Rheinsberg, 7 août 1740.1_101-a



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces de la lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire. J'espère que votre santé se conservera toujours bonne, et je vous supplie de vous épargner la duplicité de vos lettres. Écrivez-moi en frère, ma très-chère sœur; ce nom m'est plus cher que tous les titres quelconques, et je vous assure que je serai toujours attentif à remplir les qualités d'un bon et fidèle frère. J ai autant d'impatience de vous revoir qu'en peut avoir un amant du retour de sa maîtresse; mais j'attends que l'occasion et que le temps et la température de l'air me favorisent, car je sais que le froid et l'arrière-saison sont très-contraires à votre santé. Je partirai dans une huitaine de jours pour le pays de Clèves, et peut-être que de là je ferai encore un petit tour. Le duc de Brunswic est ici; il m'a amené son frère, auquel il lève un régiment à mon service.

Pourrais-je vous demander si, sans incommoder le Margrave, il voudrait me faire le plaisir de me lever quelques centaines d'hommes pour l'augmentation de mes troupes, que je lui payerais à raison de dix écus par tête, et les gages courants depuis le jour de leur enrôlement? Mandez-moi, je vous prie, naturellement si c'est une chose faisable ou non, car je suis fort embarrassé de trouver tout le monde qu'il me faut, et le Margrave pourrait me faire un grand plaisir par là. Adieu, ma chère et charmante sœur; ne m'oubliez jamais, et<102> soyez persuadée que je suis avec toute la tendresse possible, ma très-chère sœur, etc.

Bien mes compliments, s'il vous plaît, au Margrave.

93. A LA MÊME.

(19 août 1740.)



Ma très-chère sœur,

Un voyage indispensable pour affaires me conduit à Strasbourg;1_102-a je vous en révèle le secret, vous priant de n'en rien dire. Je ne serai que le 28 à Wésel, d'où j'aurai le plaisir de vous écrire. Je vous remercie encore mille fois de toutes les amitiés et tendresses que vous m'avez témoignées à l'Ermitage,1_102-b et je vous prie de penser quelquefois, à vos heures de loisir, à un frère qui vous aime bien tendrement, et qui vous sera toute sa vie parfaitement dévoué et fidèle.

<103>

94. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 21 août 1740.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais trouver d'expressions assez fortes pour vous témoigner, mon très-cher frère, à quel point je suis pénétrée de toutes les grâces dont vous m'avez comblée ici. Tout me manque depuis votre départ; il me semble que je suis dans un désert, et je ne trouve de plaisir que de me rappeler toutes vos bontés et les heureux moments que j'ai passés avec un si cher frère, dont l'image est profondément gravée dans mon cœur. Personne n'est informé de la route que vous avez prise, et je fais semblant d'en être tout autant intriguée que les autres. Le margrave d'Ansbach est très-content de vous. Il y a eu encore un petit démêlé le lendemain de votre départ; mais ils sont à présent assez bien rapatriés. Pour les cavaliers de cette cour, ils sont fort estomaqués, et ont fort bien compris le sens de ce que vous leur avez dit. Il semble que cela ait fait impression. Ils partent tous demain, malgré ma pauvre sœur, qui a la rage de rester ici. Le Margrave a l'honneur de vous répondre, mon très-cher frère, sur les gracieuses propositions que vous nous avez faites. Nous attendons l'un et l'autre vos ordres, et vous pouvez bien juger de la joie que j'aurai de vous revoir, qui me fera oublier tout le triste état de nos affaires. La seule chose que je crains est de vous être à charge. Le Margrave va régler ses affaires de manière que la personne que vous nous enverrez ne trouve point d'obstacle. Nous cachons tout ceci à tout le monde. Le Margrave est entièrement résolu de s'en remettre à vos bons avis. Nous vous considérons l'un et l'autre comme un père, et vous méritez bien ce titre par vos manières d'agir envers toute la famille. Je souhaite de tout mon cœur que vous finissiez heureusement votre voyage, et j'espère surtout, mon très-cher frère,<104> que vous ménagerez votre santé, qui m'est plus précieuse que tout au monde, étant avec une tendresse sans égale et un profond respect,



Mon très-cher frère,

Votre très-humble et très-obéissante sœur
et servante,
Wilhelmine.

95. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Wésel, 29 (août 1740).



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre lettre avec bien du plaisir. Je n'abuserai certainement pas de la confiance que vous avez eue en moi, et j'espère que je pourrai de beaucoup redresser vos affaires. Mandez-moi s'il vous serait convenable de venir à Berlin le 4 ou le 5 d'octobre. Ayez la bonté de m'écrire aussi naturellement combien il vous faudrait de frais de voyage; j'aurai soin de vous faire remettre la somme à temps. Vous trouverez une table à Berlin, avec le meilleur appartement que je pourrai y trouver, et toute la tendresse et l'amitié imaginable à vous recevoir. Mille compliments au cher Margrave. Adieu, mon adorable sœur; aimez-moi toujours, et soyez persuadée de la sincère et fidèle amitié avec laquelle je suis, etc.

<105>

96. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 29 septembre 1740.



Ma très-chère sœur,

Il n'y a eu que la fièvre qui m'a empêché de vous écrire. Je suis charmé de ce que votre santé vous permettra le voyage. J'ai trouvé noire mère fort charmée de vous revoir, et qui vous recevra à bras ouverts.

Beust, de Weimar, est arrivé. Il m'a assuré qu'il vous avait laissée en bonne santé, ce qui me réjouit beaucoup. Tout sera prêt ici pour votre arrivée, et je me donnerai tous les soins imaginables pour que vous soyez contente.

Adieu, ma très-chère sœur; ma fièvre, qui s'est cependant beaucoup affaiblie, va me prendre au collet. Soyez persuadée de tous les sentiments d'amitié, d'estime et de tendresse avec lesquels je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

Mille amitiés au cher Margrave, lequel je remercie encore de tout mon cœur des deux hommes qu'il vient de m'envoyer.

97. A LA MÊME.

Ruppin, 8 octobre 1740.



Ma très-chère sœur,

Tous les moments qui me rapprochent de vous me font un plaisir sensible; j'attends cet heureux jour avec un empressement extrême,<106> et je ne désire que de vous rendre agréable le séjour de Berlin. S'il vous est commode, ma très-chère sœur, de passer une nuit à Potsdam, j'aurai le plaisir de vous y recevoir. Oserais-je aussi vous prier de donner ordre à votre décorateur de venir à Berlin? Je le prendrai volontiers, et vous en pourrez toujours disposer de même toutes fois et quantes vous l'ordonnerez. J'espère que la chère Frédérique1_106-a se remettra bientôt, et que nous la verrons à Berlin avec toute sa belle humeur.

Vous vous intéressez trop tendrement à ma santé; non, ma chère sœur, je ne prends ni quinquina1_106-b ni fébrifuge; je ne me sers que de remèdes très-innocents, et j'aperçois que la fièvre diminue beaucoup, de sorte que je puis espérer de n'être plus fiévreux en vous recevant. Adieu, ma très-chère sœur; j'espère que vous ne douterez jamais de la tendresse et de l'estime avec laquelle je suis, etc.

Mille amitiés au bon Margrave.

98. A LA MÊME.

Ruppin, 13 octobre 1740.



Ma très-chère sœur,

L'empressement que j'ai d'apprendre de vos nouvelles, et de savoir comment s'est passé votre voyage,1_106-c m'oblige de vous envoyer Mün<107>chow pour m'informer en même temps de l'état de votre précieuse santé. Il dépendra de vous, ma chère sœur, si vous voulez dîner à Potsdam, qui est sur votre chemin, ou si vous voulez aller tout droit à Berlin; tout se réglera selon vos souhaits. Je ne désire rien plus que de vous voir tous deux contents et satisfaits. Faites, je vous prie, mille amitiés de ma part au cher Margrave; assurez-le que je l'aime de tout mon cœur, et que je me ferai un plaisir de lui rendre agréable ce séjour autant qu'il dépendra de moi. Adieu, ma très-chère sœur; j'espère de vous embrasser bientôt, et de vous assurer de vive voix de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.

Mon frère vous fait mille amitiés. Mes compliments à la chère Frédérique.

99. A LA MÊME.

Remusberg, 24 octobre 1740.



Ma très-chère sœur,

Je suis hors d'inquiétude, vous sachant en meilleure santé qu'à mon départ.1_107-a Dieu veuille vous la conserver! J'ajuste ici un tant soit peu les appartements, pour que je puisse vous recevoir, ma très-chère sœur, d'une manière convenable. J'avoue que j'étais un peu embarrassé à Berlin sur ce sujet; mais à présent il ne dépendra que de vos ordres, pourvu que je sache un mot deux jours auparavant, afin qu'Oranienbourg soit préparé pour votre réception. Je me fais une<108> sensible joie du plaisir de vous voir et de vous embrasser. Veuille le ciel que je puisse vous procurer tous les agréments et tous les divertissements possibles! J'ai encore la fièvre; mais cela est plus raisonnable, et je ne souffre de loin près tant qu'autrefois. Vous connaissez, ma très-chère sœur, toute la tendresse et tous les sentiments affectueux avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc.

100. A LA MÊME.

Ruppin, 27 novembre 1740.



Ma très-chère sœur,

Vous possédez l'art de la parole et celui d'écrire; vous amplifiez si obligeamment le peu d'attentions que j'ai eues pour ce qui pouvait vous être agréable, que vous me persuaderiez presque que j'ai rempli les devoirs d'un frère et d'un hôte envers vous. Mais, ma très-chère sœur, permettez-moi de vous dire que je sens bien, malgré votre indulgence, à quoi j'ai manqué. Vous ne devez cependant le mettre que sur le compte de ma maladie, car le cœur n'y a eu aucune part. Je plains beaucoup la pauvre madame d'Arnim,1_108-a que la mort a moissonnée avant le temps; c'est le sort de toutes les bonnes choses d'avoir des charmes et peu de durée. Je m'en aperçois, étant privé du plaisir de votre aimable compagnie, et il me semble que le bonheur de ma vie n'a duré qu'un moment. Je vous embrasse de tout mon cœur, ma très-chère sœur, vous priant d'être persuadée de la tendresse infinie et de l'estime avec laquelle je suis, etc.

<109>Si cette lettre n'arrive pas après le départ du Margrave,1_109-a j'ose vous prier de lui faire mes compliments de tout mon cœur.

101. A LA MÊME.

Herrendorf, proche de Glogau,
23 décembre 1740.



Ma très-chère sœur,

Je suis ravi de vous savoir contente de votre séjour de Berlin. Je ne négligerai jamais rien, de mon côté, de tout ce qui pourra contribuer à votre satisfaction, trop heureux si je puis y réussir et vous donner de faibles marques de l'attachement inviolable que j'ai pour votre personne!

Nous avancerons bientôt vers Breslau; je compte d'y être vers le 10 de janvier. Les portes m'y seront ouvertes, et nous trouvons trop peu de résistance pour oser prétendre à la vraie gloire. Les troupes, et tout ce qui regarde cette expédition, se trouvent dans le meilleur état du monde; et si les montagnes de la Moravie ne nous arrêtaient, je crois que nous pourrions être dans peu devant Vienne.

Que les Maupertuis et les Jordan sont heureux! Ils vous entendent tous les jours, et moi, je ne puis que vous lire. Vous me flattez infiniment, ma très-chère sœur, en m'assurant que j'aurai encore le bonheur de vous retrouver à Berlin. Au nom de Dieu, ne me trompez pas dans la douce espérance que vous venez de me faire naître, et soyez persuadée de tous les sentiments de la plus vive tendresse avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

<110>

102. A LA MÊME.

Neumarkt, 30 décembre 1740.



Ma très-chère sœur,

Je suis au désespoir de vous savoir sur votre départ.1_110-a Je vous souhaite tout le bonheur et tout le contentement imaginable à Baireuth, et je me trouverai toujours trop heureux lorsque vous voudrez me faire le sensible plaisir de me venir voir. Si vous avez été satisfaite à Berlin, c'est que vous avez bien voulu l'être. On n'a pu vous faire tous les plaisirs qu'on aurait souhaité, et je me suis vu obligé de partir1_110-b dans un temps où j'aurais bien voulu n'avoir d'autre occupation que celle de vivre uniquement pour vous. Faites, s'il vous plaît, bien mes compliments au Margrave, et soyez persuadée que, dans quelque pays du monde que je végète, en quelque situation que je me trouve, et dans quelque fortuné qui m'arrive, vous me trouverez toujours les mêmes sentiments de tendresse, d'estime et d'attachement avec lesquels j'ai l'honneur d'être, ma très-chère sœur, etc.

103. A LA MÊME.

Camp de Strehlen, 4 février 1741.



Ma très-chère sœur,

Je saisis l'occasion du départ du major Gleichen pour vous assurer encore une fois, ma très-chère sœur, de ma parfaite tendresse. Je<111> vous prie d'être tranquille sur tout ce qui vous embarrasse pour vos frontières, et d'être persuadée que je vous aviserai à temps s'il y a du danger pour vous, et vous dirai même comment vous pouvez l'éviter. Mais, pour l'amour de Dieu, que le Margrave ne se précipite pas par de fausses démarches, dont il pourrait avoir du chagrin dans la suite. Soyez tranquille, je vous en conjure encore une fois, et ne craignez rien. Mille amitiés au cher Margrave. Je vous prie, chère sœur, de ne jamais douter de l'amitié parfaite et de l'estime infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

Mille compliments à la chère Frédérique.

104. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 17 février 1741.



Mon très-cher frère,

J'ai sujet de vous remercier doublement de la grâce que vous me faites de me donner de vos chères nouvelles dans un temps où vous êtes occupé de tant de choses importantes. Elles me causent toute la joie imaginable, mon très-cher frère, et surtout d'apprendre que tout va selon vos souhaits. Il faut avouer que vous avez merveilleusement bien profité des leçons de Maupertuis. Celui-ci a arrondi la terre, et vous avez arrondi votre pays. On dit que vous calculez plus juste et plus facilement que lui. Oserais-je vous supplier de me communiquer votre méthode, qui ferait un bien sans égal à notre pays, et, en l'aplatissant, me procurerait plus souvent le bonheur de vous faire ma cour? Ce n'est pourtant pas les montagnes qui m'arrêteront; au<112>cun obstacle, quelque rude qu'il soit, ne m'arrêtera, dès qu'il s'agira de voir tout ce que j'ai de plus cher au monde, rien n'égalant la tendresse sans pareille et le profond respect avec lequel je serai à jamais, mon très-cher frère, etc.

105. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Auprès de Brieg, 3 mars 1741.



Ma très-chère sœur,

Dans l'accablement d'affaires où je me trouve, j'espère que vous me pardonnerez d'avoir chargé Boden1_112-a du soin de vos affaires. Ayez la bonté, s'il vous plaît, de l'instruire de quoi il s'agit, pour qu'il puisse vous satisfaire. Adieu, chère sœur; aimez-moi toujours, et soyez bien persuadée du réciproque de mon côté.

106. A LA MÊME.

Schweidnitz, 10 mars 1741.



Ma très-chère sœur,

Sachant l'amitié que vous avez pour moi, je suis persuadé que vous prendrez part au bonheur que nous avons eu d'emporter Glogau<113> d'emblée.1_113-a Nous n'avons perdu qu'un lieutenant et environ trente hommes, et, en revanche, fait deux généraux, vingt-huit officiers, cent bas officiers et douze cents soldats1_113-b prisonniers de guerre. La valeur de nos troupes surpasse tout ce qu'on en peut dire, et je suis dans la persuasion qu'il n'y en a guère eu de pareilles dans l'univers. Enfin, ma très-chère sœur, je ne doute plus que nos affaires n'aillent le mieux du monde, et que je n'aie que d'admirables nouvelles à vous apprendre. Aimez-moi toujours un peu, car je préfère votre amitié à tout le monde entier, et je crois devoir y prétendre, si l'on peut la mériter, par l'entière estime et la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

107. A LA MÊME.

Ohlau, 12 avril 1741.1_113-c



Ma très-chère sœur,

J'ai la satisfaction de vous apprendre que nous venons de battre hier1_113-c totalement les troupes autrichiennes. Elles ont perdu plus de cinq mille hommes, tant morts que blessés et prisonniers. Nous avons perdu le prince Frédéric, frère du prince Charles, le général Schulenbourg, Wartensleben des carabiniers, et beaucoup d'autres officiers. Nos troupes ont fait des merveilles, et le succès en fait foi. C'est une des plus rudes batailles qui se soient données depuis mémoire d'homme. Je suis sûr que vous prendrez part à ce bonheur, et<114> que vous ne douterez point de la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

108. A LA MÊME.

Camp de Neisse, 22 septembre 1741.



Ma très-chère sœur,

J'ai été charmé de recevoir la lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire; mais en même temps j'ai cru tomber de mon haut en voyant, ma très-chère sœur, la lettre que l'Impératrice vous a écrite.1_114-a Leurs affaires sont bien bas, et je ne sais pas à quoi ils pensent de s'imaginer que, dans les circonstances présentes, l'on volera à son secours. Je crois, ma très-chère sœur, que vous ne sauriez mieux faire que de répondre fort obligeamment, mais de vous récrier le plus sur la difficulté des postes, sur l'éloignement des endroits, et sur la différence d'écrire ou de parler aux gens. De cette façon, vous vous disculpez tout à fait, et personne n'a nul reproche à vous faire. Nous sommes ici sur le point de prendre Neisse et de voir partir M. de Neipperg avec son armée. Adieu, ma très-chère sœur; soyez bien persuadée de l'amitié parfaite et de la tendresse sans égale avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<115>

109. A LA MÊME.

Berlin, 20 novembre 1741.



Ma très-chère sœur,

Je vous suis infiniment obligé de la part que vous daignez prendre à ce qui me regarde et à l'heureux succès de mon expédition de Silésie. Dieu merci, les choses sont très-bien réglées de ce côté-là, et j'espère d'apprendre bientôt de bonnes nouvelles de la Bohême. Portez-vous bien, ma très-chère sœur, et divertissez-vous; c'est ce qu'il y a de plus réel dans la vie. La Gasperini, comme vous le dites, est une admirable chanteuse; mais Santarelli est si mauvais, qu'il aura son congé à la clôture de l'Opéra. Nos autres chanteurs sont tous assez passables; pour de bons, il n'y a que la Gasperini.

La Lotte1_115-a est arrivée ici en bonne santé. Adieu, ma très-chère sœur; aimez-moi toujours, et soyez persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

110. A LA MÊME.

Berlin, 26 novembre 1741.



Madame ma sœur,

La tendre amitié qui nous unit m'oblige à vous faire confidence d'un cas qui nous touche également. Votre sœur la margrave d'Ansbach me témoigne l'envie qu'elle a de venir ici sans être accompagnée de<116> son époux, trop occupé de ses affaires d'importance pour pouvoir y vaquer. Cette démarche me paraît un peu équivoque, pouvant lui attirer beaucoup de chagrin, si je ne me trompe, vu sa situation et les interprétations que ses ennemis en pourraient faire. Je vous prie donc d'y vouloir faire quelques réflexions, et de l'assister de vos prudents conseils, si une telle résolution conviendrait à ses intérêts. Quand vous y donnerez les mains, j'y toperai d'abord, étant avec une estime qui ne saurait être égalée que par la tendresse infinie avec laquelle je suis, madame ma sœur, etc.1_116-a

111. A LA MÊME.

Berlin, 5 décembre 1741.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien aise de vous savoir en bonne santé de retour à Baireuth. Nous attendons ici la fin de l'hiver pour recommencer de plus belle, le printemps qui vient, et pour obliger enfin la reine de Hongrie et son royal époux de passer par les conditions qu'on leur a prescrites. Ma sœur de Brunswic est ici, et paraît se divertir à merveille. La belle promise de Guillaume l'accompagne. Nous espérons que ma sœur d'Ansbach viendra faire un tour ici, comme elle-même nous a donné lieu de le présumer. Adieu, ma très-chère sœur; je vous prie de me croire avec toute la tendresse et l'estime imaginable, etc.

<117>

112. A LA MÊME.

Berlin, 16 décembre 1741.



Ma très-chère sœur,

Nous avons reçu la nouvelle que le Margrave a très-joliment accordé à ma sœur la permission de venir ici. Nous l'attendons dans quelques jours avec beaucoup d'impatience. Celle de Brunswic se fait un grand plaisir de la revoir. Les princes de Würtemberg arriveront ici aujourd'hui, je crois, et leur mère les suivra dans peu de temps. Nous avons eu mercredi dernier1_117-a l'opéra de Rodelinde, dont l'exécution a répondu à l'opinion que nous en avions. Cet opéra trouve une approbation universelle, et ne dure que le temps qu'il faut pour divertir, c'est-à-dire, trois heures.

Le duc de Weimar n'est pas seulement fou pour les universités, mais il l'est encore pour les héritages; car il nous fait beaucoup de bruit avec les façons qu'il emploie envers la douairière d'Eisenach,1_117-b que nous attendons ici à Noël.

De Moravie nous avons la nouvelle que les Autrichiens qui s'y sont rendus ont plutôt la mine d'être battus que de s'être retirés. Nous les serrons vivement de ce côté-là, de façon que la paix ne pourra guère tarder de s'ensuivre pour le printemps qui vient.

Adieu, ma très-chère sœur; aimez-moi toujours, et soyez persuadée de la tendresse parfaite avec laquelle je suis, etc.

Mille compliments, je vous prie, au Margrave.

<118>

113. A LA MÊME.

Berlin, 18 décembre 1741.



Ma très-chère sœur,

Les trois princes de Würtemberg, qui sont arrivés, m'ont rendu la lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire. Ils se sont beaucoup loués de leur séjour de Baireuth, ce qui m'a fait grand plaisir, et principalement de la petite princesse, qui leur a, ce me semble, inspiré plus que des sentiments d'estime. Ces trois princes sont d'aimables enfants, très-bien élevés, et d'une conversation supérieure à leur âge.

Nous attendons toujours l'arrivée de ma sœur d'Ansbach. Vous pouvez bien juger quel plaisir cela cause à toute la famille.

Adieu, ma très-chère sœur; je me recommande à votre précieux souvenir, et vous prie de me croire avec toute l'amitié possible, ma très-chère sœur, etc.

114. A LA MÊME.

Berlin, 9 janvier 1741.



Madame ma sœur,

Si je ne vous écris pas cette fois de main propre, ce n'est pas faute d'attention, mais à cause de mes distractions présentes. Cependant je ne saurais me dispenser de vous notifier la consommation du mariage entre notre frère le prince Guillaume et la princesse Louise-Amélie de Brunswic.1_118-a Je m'assure que vous y prendrez beaucoup de<119> part, vu qu'une affaire si sérieuse regarde le bien de notre famille. Vous aurez au reste la bonté de croire qu'il ne se peut rien ajouter aux sentiments de tendresse et de considération avec lesquels je suis, etc.

Je vous demande bien pardon de ne vous avoir pas écrit de main propre; mais je n'en ai pas eu le temps.1_119-a

115. A LA MÊME.

Olmütz, 30 janvier 1742.



Ma très-chère sœur,

Vous serez bien surprise de ce que je vous écris d'Olmütz, lorsque vous me supposez à Remusberg; mais que puis-je vous dire, sinon que ma destinée errante me promène, et ne me laisse pas un moment de repos? Ma sœur d'Ansbach a pris un bien triste congé de moi; je l'ai chargée de bien du tendre pour vous. Adieu, chère sœur; je vous écrirai aussi souvent que mes affaires et les importuns me le permettront. En attendant, je vous prie de me croire avec bien de l'estime, ma très-chère sœur, etc.

Mille amitiés, s'il vous plaît, au Margrave.

<120>

116. A LA MÊME.

Znaym, 4 mars 1742.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien aise de savoir que vous vous soyez bien divertie à Francfort, et que vous ayez trouvé belle la décoration que nous nous tuons à faire mouvoir.1_120-a Je ne puis vous parler de bals, ni de mascarades, mais de fatigues, de mauvais chemins, de fourrages et de hussards. Je serais bien heureux, si je pouvais contribuer en quelque chose à votre contentement ou à ce qui vous est agréable. On me fait bien de l'honneur à Francfort de supposer que je vous ressemble; cette ressemblance me serait fort flatteuse, et je ne pourrais pas manquer d'y profiter. Si les choses prennent le train qu'il paraît, je crois pouvoir faire un tour à Berlin; mais ce voyage est encore fort en l'air. En un mot, je ne suis pas à présent en état de vous rendre compte de ma personne; le temps éclaircira tout. Adieu, ma très-chère sœur; je suis avec toute l'estime et la tendresse imaginable, etc.

117. A LA MÊME.

Chrudim, 29 avril 1742.



Ma très-chère sœur,

J'ai attendu votre réponse touchant le mariage du jeune duc de Würtemberg, pour assurer l'affaire et prendre toutes les mesures convenables pour que vous ne risquiez rien. Dès que cela sera un<121> peu ajusté, vous en serez informée, comme de raison, jusqu'à la moindre bagatelle près. Je m'offre de bon cœur de prendre sur moi la dot de la princesse et les frais de noces. Je regarde, ma très-chère sœur, vos enfants comme les miens, et je me ferai toujours un plaisir et un devoir de contribuer à ce qui peut vous être avantageux. Je vous avoue que je suis fort inquiet sur le traité que le Margrave a fait avec l'Empereur.1_121-a Si j'ose vous dire naturellement mon sentiment, je crains que vous n'ayez du chagrin de cette affaire-là. Vous n'êtes pas au fait, ma très-chère sœur, des ressorts présents que la politique de l'Europe fait mouvoir, ce qui produit que vous pouvez vous tromper dans les conjectures; mais je vous prie d'avoir la confiance en moi de me regarder comme un parent que vous avez dans la compagnie des Indes, et qui, pour puiser les connaissances de source, vous avertit si vous devez vendre ou garder vos actions. Le Margrave est cependant maître de faire ce qu'il jugera à propos; je ne puis que l'avertir du danger auquel il s'expose.

Nous attendons les fourrages et les blés dans les campagnes pour commencer les opérations. Le maréchal de Belle-Isle doit arriver ici au commencement du mois prochain.

Adieu, ma très-chère sœur; je vous prie de ne jamais douter de la tendresse parfaite et de l'estime infinie avec laquelle je suis, etc.

Vous aurez bien la bonté de faire mes compliments au Margrave et à la chère Frédérique.

<122>

118. A LA MÉME.

Camp de Brzezy, 23 mai 1742.



Ma très-chère sœur,

Vous savez que les victoires ne se remportent jamais sans pertes, et que les heureux succès ne sont jamais si complets, qu'ils ne soient mêlés de quelque amertume. C'est ce que me cause la perte de douze cents hommes de mes troupes, que je désire beaucoup de réparer, ayant écrit de tous côtés pour trouver du bon monde. Voudriez-vous bien prier le Margrave de ma part de m'en faire avoir, ne fût-ce qu'une centaine de gens bien conditionnés et de notre taille? Le Margrave ne saurait me faire un plus sensible plaisir, et il remettrait son brave régiment1_122-a par là en état de me rendre encore, par la suite, de bons services. Je vous prie de vous employer pour ce sujet, car j'ai cette affaire extrêmement à cœur. Les Autrichiens fuient encore. Ils vont jusqu'en Moravie, où je crois pourtant qu'ils s'arrêteront. J'espère que vous serez contente de la façon dont j'ai fini cette affaire, qui n'a point été sanglante, et cependant décisive.

Mille amitiés au Margrave. Vous connaissez, ma très-chère sœur, ma tendresse et tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.

<123>

119. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Brand.,1_123-a 9 juin 1742.



Mon très-cher frère,

Votre gracieuse lettre a fait sur moi l'effet ordinaire, et m'a causé toute la joie imaginable, surtout de vous savoir en bonne santé. J'ai donné, ces jours passés, un bal pour célébrer votre heureuse victoire. Nous avons bu à la santé de notre aimable vainqueur, au bruit du canon de notre petite flotte. Il faut vous contenter de ces petites marques d'attachement pour vous, n'en pouvant donner de plus grandes. Le Margrave aura lui-même l'honneur de vous répondre au sujet des recrues que vous souhaitez, mon très-cher frère. Il en a envoyé cent vingt à Halle; mais n'ayant reçu aucune nouvelle s'ils vous avaient été agréables et s'ils avaient été approuvés, il a cessé de recruter. Je suis cependant persuadée qu'il fera tout ce qu'il pourra pour vous faire plaisir et remettre son régiment en ordre. La duchesse de Würtemberg est partie avant-hier à notre grand regret, étant d'une agréable société.1_123-b On dit que l'Empereur sera dans quinze jours à Nuremberg. Nous retournerons vers ce temps à Erlangen, et de là nous irons voir ma sœur d'Ansbach et la Duchesse, qui sera au Wildbad; toute cette année est une demi-campagne pour<124> moi, n'ayant été, de tout ce temps, tout au plus que quinze jours à une place. Je me recommande encore à votre précieux souvenir, et suis avec un très-profond respect, mon très-cher frère, etc.

120. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Camp de Kuttenberg, 22 juin 1742.



Ma très-chère sœur,

Les démonstrations de votre amitié me sont toujours chères; soit qu'elles se manifestent par des coups de canon, ou par des compliments, ou des lettres, tout m'est également agréable, pourvu que cela continue à me donner des preuves de votre bienveillance.

Je ne sais d'où vient que je n'ai pas remercié le Margrave de ces cent vingt recrues qu'il a eu la bonté de m'envoyer. Sans doute que je ne l'ai pas su, ou que l'accablement où m'a mis le prodigieux travail que je fais me l'a fait négliger. Je vous prie de lui en faire mes excuses, et de le remercier en même temps du passé et de l'avenir.

Je suis charmé de vous savoir tranquilles à présent; je vais le devenir à mon tour, ayant conclu la paix avec la reine de Hongrie. J'ai vu tous mes alliés les bras croisés, et, ne pouvant me charger seul du fardeau de la guerre, je leur ai laissé le soin de dévider leur filasse comme ils le pourront. Adieu, ma très-chère sœur; je vous prie de me croire avec toute la tendresse imaginable, etc.

Mille amitiés au Margrave.

<125>

121. A LA MÊME.

Brieg, 2 juillet 1742.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre lettre avec bien du plaisir, et j'ai la satisfaction de vous apprendre que la paix est faite entre la reine de Hongrie et moi. Le peu de bonne volonté des Français, la mauvaise foi des Saxons, et une infinité de raisons de cette nature, m'y ont obligé. C'est pourquoi j'aurais beaucoup souhaité que le Margrave ne fût pas allé si vite avec l'Empereur, puisque malheur pourrait lui en arriver.

Je suis fort fatigué du voyage; vous priant de me conserver dans votre précieux souvenir, et d'être bien persuadée de la tendresse infinie et de l'estime parfaite avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

122. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 31 juillet 1742.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces de la part que vous prenez à ce qui me regarde. Je souhaite que vous passiez agréablement votre temps dans le Würtemberg,1_125-a et que les eaux vous fassent du bien. Nous avons ici d'Argens,1_125-b de retour de la Duchesse, qui est fort amusant. Je suis si accablé d'affaires, que je n'ai le temps que de vous assurer de la<126> parfaite tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

123. A LA MÊME.

Neisse, 26 septembre 1742.



Ma très-chère sœur,

Comme la curiosité et l'importance d'être informé des opérations guerrières qui se font en votre voisinage m'obligent d'envoyer en ces cantons mon major et aide de camp Grumbkow, vous voudrez bien permettre qu'il puisse rester à Baireuth, d'où il peut avoir un œil plus attentif sur ce qui se passe qu'ailleurs. Il est aussi chargé d'une lettre au prince Charles de Lorraine, au cas que les Français soient battus, pour obliger ce prince à garder des ménagements envers votre pays. J'espère que vous reconnaîtrez par cette attention, et dans toutes les occasions qui se présenteront, la tendresse et l'amitié avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

124. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 20 octobre 1742.



Ma très-chère sœur,

Après avoir été privé plus de six semaines de vos nouvelles et des moindres jusqu'aux plus grands détails qui vous regardent, je reçois<127> enfin votre lettre du 8, ce qui me fait croire qu'il y a eu quelque chose d'égaré dans notre correspondance, ou que peut-être quelques petits partis ont rendu les postes peu sûres. Je souhaiterais beaucoup que vous fussiez débarrassée de votre double voisinage, et que le théâtre de la guerre s'éloignât de vos frontières, car les civilités commencent pour les voisins, et les violences finissent le commerce.

Depuis que toutes mes affaires sont terminées, j'ai eu bien des voyages à faire. A présent, il ne me reste qu'à me divertir; c'est à quoi nous pensons, et préparons tout pour cet effet. Nous aurons deux opéras cet hiver, et la comédie française par-dessus le marché. J'ai presque tout de nouveaux chanteurs : la Molteni, admirable voix et grande chanteuse; le Porporino, Leonardi et Paolino sont les trois nouveaux chanteurs; il en vient encore un avec deux jeunes garçons, de façon que l'Opéra sera assez bien fourni.

Je vous demande pardon de ce que je vous entretiens de ces bagatelles; c'est faute d'autres nouvelles. Ayez la bonté de faire bien mes compliments au Margrave, et de ne jamais douter de la tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

125. A LA MÊME.

Berlin, 5 décembre 1742.



Ma très-chère sœur,

Ayant appris que vous aimiez le vin de Hongrie, je prends la liberté de vous en envoyer une épreuve pour sonder votre goût. Je serais bien aise que vous voulussiez me prendre pour votre commissionnaire; je m'en acquitterais du moins le mieux qu'il me serait possible.

<128>Nous aurons l'opéra de César vendredi. J'ai été à l'épreuve, qui m'en fait très-bien augurer; la musique en est superbe et les chœurs pompeux, et les ballets y répondent parfaitement bien. Aujourd'hui nous avons comédie; l'arlequin est aussi bon qu'on en puisse avoir, quelques acteurs sont passables, mais le reste demande encore quelque réforme. Demain nous aurons la première mascarade au château. Voilà toutes les nouvelles que Berlin fournil. Je suis bien aise d'apprendre que ma sœur d'Ansbach se remette de l'accident qui lui est arrivé. Je souhaite de tout mon cœur que sa santé se raffermisse. Adieu, ma très-chère sœur; conservez votre précieuse personne contre toutes les incommodités de la mauvaise saison, et faites-moi la justice de me croire avec une tendresse parfaite, etc.

126. A LA MÊME.

Berlin, 8 décembre 1742.



Ma très-chère sœur,

Vous badinez sur le sujet de nos divertissements; mais c'est tout ce qu'il reste à faire à des personnes désœuvrées comme nous. Pendant que les grands princes de l'Europe se font la guerre véritablement, nous la faisons sur le théâtre, et voyons galamment représenter la fureur des hommes. Nous avons vu et entendu hier l'opéra de César; le public en paraît très-content, et je suis du sentiment qu'il a raison, car je n'ai vu de ma vie un spectacle plus galant et plus magnifique. Nos voix sont fort supérieures à celles de l'année passée, et les danses sont aussi bonnes qu'il y en ait en Europe.

Je crois que vous avez des nouvelles de Prague par les Autrichiens,<129> car les miennes sont toutes différentes; il ne faut jamais croire ce que ces fanfarons disent. La guerre pourra peut-être se finir plus tôt que l'on ne pense, si la France trouve moyen de détacher la cour de Vienne de l'Angleterre. Enfin il est impossible que l'on juge à présent de ce chaos, que le temps seul doit débrouiller.

Adieu, ma très-chère sœur; je vous prie de me croire avec une parfaite tendresse, etc.

127. A LA MÊME.

Potsdam, 22 février 1743.



Ma très-chère sœur,

Grumbkow ne pouvait rien imaginer de mieux pour être bien reçu que de m'apporter, ma très-chère sœur, une lettre de votre part. Je souhaite que votre santé se raffermisse, et que vous puissiez autant profiter de la vie que vous pouvez le désirer vous-même. On dit que vos plaisirs sont brillants; je vous souhaite un petit Pérou pour y fournir, et tous les ans une petite flotille de galions pour les rafraîchir. Les comédies vont toujours leur train à Berlin comme à l'ordinaire, mais l'opéra a cessé. Graun fait à présent celui d'Artaxerxès, qui doit être fort beau, et que l'on jouera, le carnaval prochain, avec celui de Scipion.

Je suis à présent fort occupé à remettre en ordre mes affaires, fort dérangées par la guerre, et je me suis, pour cet effet, enfermé ici, où je travaille toute la journée.

Je finis, faute de nouvelles à vous dire, vous priant de me croire avec bien de l'amitié et de la tendresse, ma très-chère sœur, etc.<130> J'ai oublié de vous dire que l'impératrice de Russie et moi nous sommes donné nos ordres réciproquement.1_130-a

128. A LA MÊME.

Potsdam, 25 février 1743.



Ma très-chère sœur,

Comme la température de l'air nous promet à présent un temps assez doux, j'ai hasardé le départ du vin de Hongrie. Je serais fort flatté s'il était de votre goût; en ce cas, je m'engage de vous en faire la provision tous les ans.

Je passe ici ma vie fort tranquillement, considérant avec assez de sang-froid les orages qui se préparent de tous côtés en Europe, et qui sont prêts à fondre sur l'Allemagne. J'ai offert mon assistance;1_130-b on n'a pas voulu se prêter à tout ce qui était nécessaire; ainsi je m'en lave les mains, et je considérerai d'ici ce qui arrivera, comme les astronomes observent les phénomènes célestes qu'ils avaient calculés et prédits.

Ce sera apparemment aujourd'hui la clôture de votre carnaval. Je souhaite que vous vous y divertissiez beaucoup. Nous n'avons à présent aucuns plaisirs bruyants. J'ai ici musique le soir, et j'ai un chanteur qui deviendra un des premiers virtuosi de l'Europe; il s'appelle<131> Porporino. Sa voix est un soprano. Je lui apprends encore l'adagio; depuis trois mois qu'il est ici, il devient tous les jours meilleur, et apprend avec une grande facilité.

J'ai honte de vous entretenir de ces sornettes; mais je me flatte que vous me le pardonnerez en faveur de l'attachement et de la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

129. A LA MÊME.

Potsdam, 15 mars 1743.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien aise d'apprendre l'orage dont j'ai été menacé, lorsqu'il est passé. Dieu soit loué que vous vous portez mieux! Je souhaite, ma chère sœur, que vous ne fassiez des vers de votre vie, que votre gorge et vos crampes ne vous incommodent plus, et que vous dansiez et sautiez plutôt jusqu'à extinction de chaleur humaine. Je suis bien aise que le vin de Hongrie vous fasse plaisir; je ferai mettre désormais à la tête de la longue kyrielle de mes titres : Federic par la grâce de Dieu commissionnaire de la margrave de Baireuth, etc.1_131-a J'espère que je pourrai être en état de vous fournir des vins de Hongrie quand vous en voudrez, vous priant de me marquer à temps quand la provision tire vers sa fin.

J'ai fait deux cantates pour mon écolier Porporino, et je ferai quelques airs de l'opéra Artaxerxès pour lui. Je compte de partir pour la foire de Breslau dans huit jours; mais mon séjour dans ce<132> pays-là ne sera pas de durée. Adieu, ma très-chère sœur; je vous prie de me croire avec bien de l'amitié et de la tendresse, etc.

130. A LA MÊME.

Hundsfeld, 25 juillet 1743.



Ma très-chère sœur,

Je me flatte que vous aurez reçu ma dernière lettre, et que vous vous trouvez encore en bonne santé. J'ai appris qu'un certain Despars1_132-a et un autre homme que je ne nomme pas, dans le dessein de me brouiller avec la duchesse de Würtemberg, vous avaient fait des insinuations, ma chère sœur, comme si j'avais le dessein de rompre le mariage avec votre fille et le jeune prince de Würtemberg, et ont poussé leur malignité jusqu'à insinuer à la Duchesse qu'il fallait retirer ses enfants de Berlin. Je vous crois trop éclairée, ma chère sœur, pour donner dans un piège si grossier, et je suis persuadé que vous avez plus de confiance en moi qu'en un Despars et un M ... Ainsi je suis persuadé que vous tâcherez de dissuader la Duchesse du dessein de retirer ses enfants d'ici, d'autant plus qu'ils ne peuvent être nulle part mieux pour vos intérêts. Je ne sais si peut-être il vous serait plaisant de faire, cet hiver, un tour à Berlin pour vous divertir, ce qui pourtant dépend entièrement de votre bon plaisir, car vous pouvez être persuadée que je serais au désespoir de vous gêner, vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<133>

131. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 16 août 1743.



Ma très-chère sœur,

Je ne suis de retour de Silésie que depuis hier; ainsi je n'ai pu répondre qu'aujourd'hui à la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire. Sensible autant qu'on peut l'être à ce que vous avez eu la bonté de me dire de choses obligeantes, vous pouvez être entièrement persuadée que ces sentiments sont assurément réciproques de mon côté. Quoique je perde à ne point avoir la satisfaction de vous voir ici, je dois cependant me conformer aux raisons que vous me marquez, et, me renfermant entièrement dans mes désirs, borner mon impatience par l'espérance de vous voir une autre fois. Je suis bien aise de voir que vous me rendez justice sur les sentiments que j'ai pour vous. C'est sans doute moi qui ai fait le mariage de ma nièce et du jeune duc,1_133-a et c'est si bien moi, que j'ai promis une dot à votre fille. Je tiens le jeune duc ici comme un dépôt de la fidélité de sa mère, et peut-être que la mère, tracassière et changeante de son naturel, a voulu vous persuader qu'elle ne voulait tirer ses fils de Berlin que pour vous les donner; mais son véritable but a été de les envoyer à Strasbourg.

Je vous prie, ma très-chère sœur, de croire que les vieux amis sont toujours les meilleurs, et que les nouvelles amitiés ne sauraient jamais les égaler. Vous me ferez alors la justice d'être persuadée de la tendresse et de la sincère amitié avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<134>

132. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 3 septembre 1743.



Ma très-chère sœur,

Je n'entre point dans le détail des reproches que vous me faites touchant notre ancienne amitié; qui se sent innocent n'a pas besoin de faire son apologie, et je suis bien aise de voir que vous commencez au moins à penser mieux de moi à présent que vous n'avez fait, ma chère sœur, par le passé. L'affaire des jeunes princes est toute ajustée : ils resteront ici, et je mettrai tous les fers au feu pour que les promesses de la Duchesse à l'égard du mariage de son fils aîné s'accomplissent. Je n'ai craint que de vous désobliger, ce qui m'aurait été bien sensible. Du reste, je n'étais pas embarrassé de voir réussir cette affaire, qui n'est en soi qu'une grande bagatelle.

Comme je sais que vous aimez le vin de Hongrie, ma chère sœur, je songerai à renouveler votre provision, vous priant de me croire avec toute la tendresse imaginable, ma très-chère sœur, etc.

133. A LA MÊME.

(Ermitage, 16 septembre 1743.)1_134-a

De mes inutiles soupirs
Que votre cœur soit l'interprète;
Ce ne sont point, ma sœur, tous vos brillants plaisirs,
C'est vous seule que je regrette.

<135>

Je m'arrache de vous, et je reste à moitié.
Accomplissez mes vœux, charmant objet que j'aime;
Que ce lieu pour nous deux soit à jamais le même,
Le vrai temple de l'Amitié.

134. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 19 septembre 1743.



Mon très-cher frère,

J'aurais bien de la peine à vous exprimer toutes les passions qui m'agitent; celles de la plus parfaite tendresse, de la plus vive reconnaissance, du regret de votre absence, de l'empressement de vous revoir, se succèdent tour à tour. Je n'aurais jamais1_135-a fini, si je voulais vous les dépeindre, mon très-cher frère; ainsi je me fais violence pour quitter ce sujet et en passer à un autre. Nous avons fait ce que nous avons pu pour calmer la Duchesse, et votre lettre l'a un peu tranquillisée; mais une estafette arrivée hier derechef de la part des princes n'a fait que la confirmer dans ses idées. Elle m'a fait assez remarquer qu'elle serait au désespoir de se brouiller avec vous, et souhaiterait fort que tout se finisse de bonne grâce. J'aurai l'honneur de vous en dire davantage à votre retour ici. Il est bien triste pour vous, mon très-cher frère, que vous ayez toujours à combattre des femmes. Je crains qu'à la fin elles ne vous deviennent odieuses.

Voici une lettre de Voltaire;1_135-b il est de la meilleure humeur du monde, et n'aspire, comme nous, qu'après votre retour. Je me ré<136>serve jusqu'à vous convaincre de vive voix de la tendresse sans égale et du profond respect avec lequel je serai à jamais, etc.

135. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Ansbach) ce 19 (septembre 1743).



Ma très-chère sœur,

J'ai le plaisir de trouver ici de toute part des sœurs que j'aime, et qui ont des bontés pour moi. Je suis affligé lorsque j'en quitte une, et je me réjouis lorsque je vois l'autre. Je pars demain d'ici, et j'aurai samedi à midi le plaisir de vous rendre mes devoirs. Nous conjurerons l'orage avec la duchesse de Würtemberg, et j'espère que tout ira à souhait. J'espère que Voltaire et Porporino vous auront amusée, ma très-chère sœur, pendant mon absence. Vous suppliant de me croire avec la tendresse la plus parfaite, ma très-chère sœur, etc.

136. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 3 octobre 1743.



Ma très-chère sœur,

Chasot m'a rendu la lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire; il m'a rappelé le souvenir touchant de tout ce que j'ai vu à Baireuth, ou, pour mieux dire, il m'a arraché de nouvelles larmes. La Reine<137> douairière, qui est fort sensible à voire souvenir, m'a fait mille questions sur votre sujet, dont la moindre devrait vous être sensible par la part qu'elle prend à ce qui vous regarde. J'ai trouvé que, pour ma satisfaction, j'étais resté d'un siècle trop peu à Baireuth, et que, pour mes affaires, j'y étais resté un siècle de trop, tant peu notre devoir s'accorde avec nos inclinations. J'espère, pour l'amour de votre santé et de votre repos, que vous serez quitte de Médée, et que la tranquillité entière régnera à Baireuth. Nous aurons le 8 opéra, au jour de nom de ma sœur Amélie, et bal masqué dans la salle. Tous ces plaisirs ne remplacent point chez moi les vides de l'amitié. Non, ma chère sœur, rien ne peut égaler l'expression tendre des sentiments avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

Mille amitiés, s'il vous plaît, au cher Margrave.

137. A LA MÊME.

Potsdam, 21 novembre 1743.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien aise que votre université1_137-a vous ait divertie. Je tremble déjà d'avance de tous les savants qui en sortiront, et, s'ils commencent à disputer sur la divisibilité de la matière, quels ne seront point leurs progrès! Cependant vous n'aurez rien fait, ma chère sœur, tant que la duchesse de Würtemberg n'aura point disputé contre votre chancelier et vos professeurs.

<138>Nous avons reçu ici notre nouveau maître de ballets,1_138-a qui a dansé hier pour la première fois à la Comédie, et c'est sans contredit un des grands sujets pour la danse qu'il y ait en Europe; il danse, dans le sérieux comme dans le comique, avec une grâce et une légèreté infinie. Sa sœur est une très-jolie danseuse, qui danse dans le gracieux et avec une précision infinie. Nous attendons pour le second opéra Salimbeni et la Barberina,1_138-b qui compléteront ce qui peut encore manquer à nos divertissements. Ce sera le Ier de décembre que commenceront nos plaisirs. On attend beaucoup d'étrangers pour cet effet, et je crois que nous en aurons plus que nous n'en voudrons. Adieu, ma très-chère sœur; je vous souhaite mille plaisirs et contentements, vous priant de me croire avec une tendresse parfaite, etc.

Mille amitiés au Margrave et à la petite Frédérique, je vous prie.

138. A LA MÊME.

Berlin, 19 janvier 1744.



Ma très-chère sœur,

Je viens de vous envoyer par Pöllnitz le dessin de la maison de l'Opéra, comme vous l'avez souhaité. Ma belle-sœur est, Dieu merci, enceinte de près de quatre mois.1_138-c Dans quinze jours notre carnaval est fini.<139> Le jeune duc de Würtemberg va être déclaré majeur;1_139-a après quoi il retournera dans son pays, et passera, je crois, par Baireuth. Je suis avec une tendresse et estime parfaite, ma très-chère sœur, etc.

Voulez-vous bien faire mes compliments au Margrave?

139. A LA MÊME.

Berlin, 26 janvier (1744).



Ma très-chère sœur,

Vous savez, charmante sœur, combien je suis sensible à votre souvenir; ainsi vous devez juger facilement du plaisir que j'ai senti en recevant votre lettre. Si vous vous intéressez au jour que j'ai reçu la vie, c'est assurément en faveur d'un frère qui vous est bien tendrement attaché, et qui vous aime à la passion. Il ne se passe aucun jour que je ne pense cent fois à vous, et que je ne me flatte de l'espérance de vous revoir. Adieu, charmante sœur; faites-moi, je vous prie, la justice de me croire à jamais avec ces sentiments, etc.

<140>

140. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 22 février 1743 (1744).



Mon très-cher frère,

Le Duc vient dans ce moment de se promettre avec Frédérique.1_140-a Je n'ai pas voulu manquer de vous faire d'abord part de cette bonne nouvelle, d'autant plus que c'est à vous seul, mon cher frère, que je dois rendre grâce de son établissement, et que vos soins et vos bontés ont mené les choses jusqu'à ce point. Le Duc paraît fort amoureux et fort content de son sort, la Duchesse ne se sent pas de joie; elle s'est conduite en femme d'esprit pendant tout ce temps-ci, et a entièrement gagné le cœur de son fils. Tout ceci s'est fait à la hurluberlu, car le jeune amant est fort décontenancé, et n'a pas voulu la moindre formalité, et tout s'est fait sans cérémonie. Pöllnitz est toujours très-mal;1_140-b les médecins disent que si son mal ne change bientôt, il pourrait bien prendre l'hydropisie. Il a une obstruction dans les viscères du bas-ventre et une fièvre quasi continuelle. Je n'ai que le temps de vous rendre encore mille grâces de vos bontés, auxquelles je me recommande toujours, aussi bien que ma progéniture, étant avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

<141>

141. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Breslau, 18 mars 1744.



Ma très-chère sœur,

J e suis bien aise que tout se soit passé à votre satisfaction aux promesses de ma nièce, et je ne doute point que le reste de l'affaire ne se termine de même. Je dois aussi vous donner part que le prince royal de Suède a demandé ma sœur Ulrique en mariage, et que les noces se feront au mois de juillet, après quoi elle partira pour la Suède. Vous voudrez bien faire mes excuses chez la chère Frédérique de ce que je ne lui réponds point; mais j'ai ici beaucoup d'affaires qu'il faut cependant mettre à fin dans le peu de temps que je reste ici. Je vous prie de me croire à jamais, ma très-chère sœur, etc.

Voudriez-vous bien faire mes compliments au Margrave?

142. A LA MÊME.

Potsdam, 2 avril 1744.



Ma chère sœur,

J e suis bien fâché du malheur qui est arrivé à vos hardes. Il n'est pas étonnant que les eaux fassent des dégâts chez vous. Ici c'est quelque chose de prodigieux; toute la ville de Berlin est inondée, et les chemins sont presque impraticables. Nous avons célébré la fête de la Reine-mère aussi bien que nous l'avons pu. Ma sœur Ulrique, qui va se promettre avec le prince royal de Suède, a pris son parti le plus<142> galamment du monde. Elle nous quittera au mois de juillet. On enverra une escadre à sa rencontre pour la recevoir à Stralsund. Les Suédois en sont fous sans la connaître; ainsi je suis persuadé que sa beauté achèvera le reste. Je suis avec toute l'estime imaginable, ma très-chère sœur, etc.

143. A LA MÊME.

Potsdam, 6 avril 1744.



Madame ma très-chère sœur,

C'est avec une extrême surprise que je viens d'apprendre, par une lettre du général de Marwitz,1_142-a que vous travaillez à un mariage entre sa fille aînée et le comte de Burghauss,1_142-b en demandant même le consentement du susdit général. C'est une entreprise qui me frappe d'autant plus d'étonnement, que vous vous souviendrez sans doute de la volonté déclarée du feu roi notre très-cher père, qui, en vous donnant les de Marwitz, voulut expressément qu'elles ne devaient se marier hors du pays, et qu'elles retourneraient ici avec le temps. Ainsi j'espère que votre esprit et l'amitié que vous avez pour moi vous empêchera d'aller plus loin dans cette affaire, et que vous vous opposerez ouvertement à la conclusion de ce mariage, qui me déplaît infiniment, et qui ne saurait jamais être agréé par le général de Marwitz, qui, au lieu d'y souscrire, en souffrira au delà des expressions, jusqu'à risquer sa vie par un mortel chagrin qui suffira de me priver d'un si brave et si digne général. Ce sont les raisons qui me portent<143> à croire que vous aurez trop de bonté de cœur et trop d'affection pour moi pour ne pas vous désister de celte funeste entreprise, que je désavouerai toujours. Au contraire, si la fantaisie de la de Marwitz la pouvait aveugler à un tel point, qu'elle voulût, contre ma volonté déclarée, épouser le comte de Burghauss, elle peut compter que je la ferai déclarer indigne et inhabile à participer à l'héritage considérable de son père, ce qui s'est déjà fait au sujet de la jeune fille de ce général,1_143-a par la même raison. Il est vrai que j'en serais inconsolable, si cette malheureuse affaire occasionnait une brouillerie et disharmonie entre nous, liés si étroitement de sang et de cœur.1_143-b Mais vous prendrez en considération, s'il vous plaît, qu'il me sera impossible de donner les mains à ces mariages étrangers des filles de Marwitz. C'est pourquoi je vous prie de déclarer en mon nom à cette personne qu'elle ne doit absolument pas penser à ce mariage, qui l'exposera à ma disgrâce et à l'exécration de son digne père. En tout cas, vous me ferez plaisir de renvoyer cette dame ici, où j'aurai moi-même soin de son établissement. Je suis avec une très-tendre amitié, madame ma très-chère sœur, etc.1_143-c

<144>

144. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ermitage, 9 avril 1744.



Mon très-cher frère,

L'estafette que vous m'avez dépêchée est arrivée hier au soir ici. Je vois par votre lettre que le général Marwitz vous a informé du mariage que je méditais pour sa fille aînée. Je suis surprise, mon très-cher frère, que vous vouliez me rappeler à présent les volontés du feu roi. Je n'ai point manqué à la parole que je lui avais donnée touchant les Marwitz; elles ne se sont point mariées de son vivant; mais la mort du Roi m'a dégagée de toutes les promesses que je lui avais faites pendant sa vie; ainsi vous ne pouvez rien m'imputer là-dessus.1_144-a Vous ne m'avez jamais écrit ni parlé sur ce sujet; par conséquent je ne suis point coupable envers vous, d'autant plus que, après les fortes instances que je vous avais faites de me laisser l'aînée, qui avait renoncé à se marier, vous ne m'avez pas fait seulement l'honneur de me répondre, quoique ce fût l'unique grâce que je vous avais demandée depuis que vous êtes venu à la régence. Je n'ai pas cru, mon très-cher frère, que vous vous intéressiez tant au sort de cette fille, et comme je sais que ma façon de penser est conforme à la vôtre, et que je me suis défaite de beaucoup de préjugés, et surtout de cette opinion qu'une fille de vingt-sept ans, qui est majeure, doive se rendre malheureuse en épousant des gens qu'elle ne connaît pas, pour contenter les caprices de son père, et que d'ailleurs le courrier que j'avais envoyé tardait à venir, je l'ai persuadée de se marier hier au matin, en présence de peu de témoins et dans l'insu de sa tante, qui a ignoré tout ceci, étant déjà malade depuis huit jours. Votre<145> estafette est arrivée trop tard; la chose était faite. Il ne me reste donc plus qu'à implorer votre clémence pour cette pauvre femme, dont l'attachement pour moi est seul cause du pas qu'elle a fait. Je ne puis m'imaginer que vous ayez le cœur assez dur pour la priver de tout son bien, ni pour vouloir vous fâcher contre une sœur qui vous a donné tant de marques d'attachement et d'amitié. Je vous supplie, ne me mettez pas au désespoir en me privant de votre amitié. Je ne puis m'imaginer qu'elle puisse s'effacer entièrement de votre cœur pour une bagatelle pareille, qui m'aurait cependant privée d'un des plus grands agréments de ma vie. Je m'attends à une réponse favorable de votre part, d'autant plus que, si j'avais su plus tôt vos volontés, tout ceci ne serait pas arrivé, et que vous ne me refuserez pas la seule grâce que je vous aie jamais demandée. Soyez persuadé que je ne suis pas indigne de la mériter, puisque rien au monde n'effacera jamais de mon cœur le respect et la tendresse avec laquelle je serai à jamais, mon très-cher frère, etc.1_145-a

<146>

145. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Potsdam, 9 avril 1744.



Madame ma très-chère sœur,

Après vous avoir dépêché ma précédente au sujet de mon éloignement invincible pour le mariage projeté de l'aînée des Marwitz, je viens de recevoir une seconde lettre de la part du général son digne père, que je n'ai pas pu m'empêcher de vous envoyer en original. Vous y trouverez un fidèle portrait de sa douloureuse et déplorable situation, et une déclaration réitérée de sa volonté paternelle. Ainsi je me flatte que votre cœur bien placé en sera touché au vif, et que vous travaillerez efficacement à finir ses peines en remédiant aux maux que vous lui avez causés. Vous savez que le premier et principal devoir des enfants consiste dans l'obéissance aux ordres et conseils de ceux auxquels ils doivent la vie, et que ceux-ci sont en droit de disposer du sort des premiers. Voyant donc avec combien d'empressement ce brave père souhaite et demande de ravoir ses filles, j'espère que vous ne voudrez point les lui refuser, mais que vous prendrez la généreuse résolution de le tirer du bord du tombeau par le prompt renvoi de ses enfants. C'est ce dont je vous prie très-instamment, en vous conjurant par cette tendresse que vous m'avez jurée, et en vous protestant que celle que j'ai pour vous ne finira qu'avec ma vie, et que je suis de cœur et d'âme, etc.1_146-a

<147>

146. A LA MÊME.

Potsdam, 15 mai 1744.



Ma chère sœur,

Un vieux proverbe dit que c'est par les actions et non par les paroles que l'on juge des personnes; et si cela est, vous devez penser facilement ce que je puis juger de la vôtre. Je n'entre en aucun détail, et tout ce que je puis vous dire, c'est que j'ai l'honneur d'être, ma chère sœur, etc.

Je pars pour les bains,1_147-a d'où il m'est défendu d'écrire.

147. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 16 juin 1744.



Ma chère sœur,

Je vous suis fort obligé de la part que vous prenez à l'acquisition que je viens de faire.1_147-b Ma santé est trop peu de chose pour mériter que vous vous y intéressiez. Vous priant de me croire avec toute l'estime, ma chère sœur, etc.

<148>

148. A LA MÊME.

Potsdam, 1er juillet 1744.



Ma chère sœur,

Je vous suis fort obligé de la part que vous prenez à ma santé. Elle est si peu de chose, qu'elle ne mérite pas votre attention. Vous priant de me croire avec bien de l'estime, ma chère sœur, etc.

149. A LA MÊME.

Potsdam, 11 juillet 1744.



Ma chère sœur,

Je vous suis bien obligé de ce que vous voulez interrompre vos amusements pour vous souvenir de moi. Je souhaite que votre santé soit toujours parfaite, vous priant de me croire à jamais, ma chère sœur, etc.

150. A LA MÊME.

Berlin, 23 juillet 1744.



Ma chère sœur,

Je vous suis fort obligé de la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire. Nous sommes tous affligés de perdre demain ma sœur de<149> Suède, qui part pour se rendre à sa destination.1_149-a Je vous prie de me croire avec beaucoup d'estime, ma chère sœur, etc.

151. A LA MÊME.

Potsdam, 7 août 1744.



Ma chère sœur,

Je vous souhaite beaucoup de santé pour vos voyages continuels. Espérant que ma sœur d'Ansbach sera heureusement arrivée chez vous, comme elle vous aura entretenu de tout ce qui s'est passé ici, je ne veux point tomber en répétition, vous assurant, ma chère sœur, que je suis, etc.

152. A LA MÊME.

Quartier général de Jessen, 16 août 1744.



Ma chère sœur,

La Reine-mère vient de m'envoyer la lettre que vous venez de m'écrire. Quoique j'aie de grands sujets de plainte à vous faire, quoique tout ce qui nous vient des personnes qui nous sont chères nous soit plus sensible que ce qui nous arrive d'étrangers, je veux bien passer l'éponge sur tout ce qui s'est passé, et ne point entrer<150> dans le détail de la manière offensante dont vous m'avez traité, des choses dures que vous avez écrites au général Marwitz, du mariage que vous avez fait de sa fille avec un Autrichien; je veux penser dans cette occasion que je suis frère, et oublier tout le reste, vous priant de me croire avec bien de l'estime, ma chère sœur, etc.

153. A LA MÊME.

Camp de Bechin, 10 octobre 1744.



Ma très-chère sœur,

Je vous suis infiniment obligé de la part que vous prenez à ce qui me regarde. Dieu merci, tout va bien jusqu'à présent, et il ne s'agit que de voir comment nous pourrons joindre le prince Charles pour le déloger de la Bohême.1_150-a Adieu, ma chère sœur; je vous prie de me croire avec des sentiments distingués, etc.

Daignez faire mes compliments au Margrave.

154. A LA MÊME.

Quartier de Bohdanetz, 13 novembre 1744.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre lettre avec bien du plaisir. Je me flatte que votre indisposition n'aura point de mauvaises suites, et que l'art de M. de<151> Superville vous aura entièrement rétablie. M. le gazetier d'Erlangen en parle; il s'est aussi amusé sur mon sujet. Je ne sais point comment j'ai mérité sa disgrâce; mais sais-je bien que je ne permets pas dans mon pays que l'on imprime des impertinences sur le sujet de mes parents. Je suis avec bien de l'estime, ma chère sœur, etc.

155. A LA MÊME.

Berlin, 20 décembre 1744.



Ma très-chère sœur,

J'ai été infiniment charmé de votre chère lettre, remplie des sentiments les plus vifs d'une vraie tendresse, et vous pouvez compter sur la sincérité de celle que j'ai et que j'aurai toute ma vie pour votre personne. Quant au malheureux gazetier d'Erlangen, qui a le front d'offenser impudemment des têtes couronnées, je me réfère à ce que j'ai écrit là-dessus au Margrave votre époux, en date du 4 juillet et du 1er d'août, et je ne veux pas vous entretenir plus amplement sur un article si odieux. Il vaut mieux me recommander à l'honneur de votre tendre souvenir, en vous assurant de la très-parfaite amitié avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.1_151-a

<152>

156. A LA MÊME.

Potsdam, 2 janvier 1745.



Madame ma très-chère sœur,

Je me flatte que le commencement de cette année vous fera sentir les effets de mes tendres vœux, et que le ciel versera sur votre chère personne ses bénédictions les plus précieuses. Cependant le contenu de ma précédente me porte à vous envoyer seulement deux échantillons que votre champion de gazetier a publiés dernièrement. Ils vous mettront un peu au fait de sa façon de penser, et du peu d'égards qu'il a pour ce qui me regarde. Quoi qu'il en soit, je demande excuse de vous avoir entretenu de ces bagatelles, en vous renouvelant les assurances de la très-tendre amitié avec laquelle je suis, madame ma très-chère sœur, etc.1_152-a

157. A LA MÊME.

Berlin, 8 janvier 1745.



Ma très-chère sœur,

Je vous suis infiniment obligé de votre souvenir à l'occasion de la nouvelle année; je vous assure, ma chère sœur, que je fais mille vœux pour votre bonne santé et pour votre contentement, vous priant de me croire à jamais, ma chère sœur, etc.

<153>

158. A LA MÊME.

Berlin, 19 janvier 1745.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir votre lettre sur le sujet du gazetier d'Erlangen. Ma vengeance ne va pas aussi loin que vous le croyez, ma chère sœur; je vous prie de le relâcher, et, pourvu que quelque correcteur veuille bien ne pas souffrir que cet auteur tourne en ridicule la nation dont vous sortez, c'est tout ce que je lui demande.

Ma sœur de Suède est enceinte, celle de Brunswic accouchera bientôt, ma belle-sœur les suivra de près : voilà les nouvelles de Berlin. Ajoutez à cela qu'aujourd'hui c'est jour de ridotto, qu'il fait grand froid, qu'il y a beaucoup de gens enrhumés, qu'on tousse beaucoup dans les églises : voilà tout ce que je puis vous marquer jusqu'à présent, vous priant de me croire avec beaucoup d'estime, ma chère sœur, etc.

Ayez la bonté de faire bien mes compliments au Margrave.

159. A LA MÊME.

Camp de la Mettau, 18 juin 1745.



Ma très-chère sœur,

Je suis si accoutumé à vos injustices, que je ne dois pas trouver étrange que vous me chargiez d'accusations d'oubli.1_153-a Vous savez que<154> j'ai pris congé de vous en partant de Berlin, et, depuis, j'ai été continuellement occupé; et, d'ailleurs, dans trois mois je n'ai pas reçu un mot de Baireuth. Pour moi, je ne vous accuse de rien, et je suis si persuadé que, malgré de petits nuages passagers, vous avez des bontés pour moi, que je me repose avec toute sécurité sur cette confiance. Mes frères se portent fort bien. Nous avons eu des orages et des pluies épouvantables. Je suis avec la plus haute estime, ma très-chère sœur, etc.

160. A LA MÊME.

Camp de Rusek, 8 juillet 1745.



Ma très-chère sœur,

J e vous rends grâce de la part que vous prenez à nos heureux succès. Vous pouvez compter que je m'intéresse tout aussi sincèrement pour ce qui vous regarde. Mes frères se portent parfaitement bien. Nous avons ici douze volontaires suédois qui sont de très-jolies gens. J'espère que votre santé continuera de s'affermir à présent, vous priant de bien faire mes amitiés au Margrave, et d'être persuadée que je suis à jamais, avec toute l'estime imaginable, ma très-chère sœur, etc.

<155>

161. A LA MÊME.

Camp de Chlum, 21 juillet 1745.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre lettre avec bien du plaisir. Je veux plutôt me fier à tout ce qu'il vous plaît de me dire d'obligeant que d'entrer en contestation, aimant mieux me flatter de ce que je désire que de m'en détromper. Vous n'entendrez pas dire à présent grand' chose de nous, car les armées ne font pas grand' chose de part ni d'autre. Je vous prie, ma très-chère sœur, de me croire avec de véritables sentiments d'estime, etc.

162. A LA MÊME.

Soor, 2 octobre 1745.



Ma très-chère sœur,

Nous venons de battre les Autrichiens, ou vos Impériaux, selon qu'il vous plaira de les nommer. Je crois qu'ils en auront tout leur soûl. Mes frères se portent fort bien. Nous pensons à présent à prendre des quartiers d'hiver. Adieu, ma chère sœur; je suis, etc.

<156>

163. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 19 octobre 1745.



Mon très-cher frère,

Je ne puis que vous réitérer ce que j'ai eu l'honneur de vous écrire très-souvent. Mes sentiments sont toujours les mêmes, et je ressens en toutes les occasions la joie la plus vive de tout ce qui peut vous arriver d'heureux. Cette dernière bataille met le comble à votre gloire. Puisse-t-elle augmenter de plus en plus! Personne ne s'y intéressera plus sincèrement que moi, qui vous accompagne sans cesse de mes vœux. Soyez-en persuadé, mon très-cher frère, aussi bien que de la parfaite tendresse et du respect avec lequel je serai jusqu'au tombeau, mon très-cher frère, etc.

164. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Rohnstock, 29 octobre 1745.



Ma très-chère sœur,

Je vous suis très-obligé de la part que vous prenez au succès de mes armes. Toute la famille est engagée à ce que la réputation de la nation se soutienne, et que l'univers entier apprenne que, malgré l'infâme trahison de nos indignes voisins,1_156-a nous avons battu les Autrichiens et les Saxons, et que l'on a eu encore assez de modération et de générosité pour ne point accabler les Saxons, mais qu'on leur<157> laisse le temps de la réflexion pour éviter leur destruction totale. Je suis avec bien de l'estime, ma très-chère sœur, etc.

165. A LA MÊME.

Potsdam, 30 décembre 1745.



Ma chère sœur,

La part que vous prenez à tout ce qui regarde la reine de Hongrie me procure l'occasion de vous apprendre que nous venons de conclure la paix ensemble. Je me flatte, ma chère sœur, que cela vous sera d'autant plus agréable, que votre prédilection pour cette princesse ne se trouvera plus gênée par un reste de vieille amitié que vous me conserviez peut-être. Je profite de la même occasion pour vous souhaiter la nouvelle année avec beaucoup de prospérités, vous priant de me croire avec bien de l'estime, ma chère sœur, etc.

166. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 15 janvier 1746.



Mon très-cher frère,

La paix que vous venez d'accorder à la reine de Hongrie est un événement des plus heureux, et je doute que toutes vos victoires vous fassent plus d'honneur que la modération que vous témoignez dans<158> un temps où vous pouvez donner la loi. Quant à Sa Majesté Hongroise, je n'ai jamais eu de prédilection ni d'attachement particulier pour ses intérêts. Je rends justice à ses mérites, et je crois qu'il est permis d'estimer tous ceux qui en ont. Mon amitié et mon attachement pour vous, mon très-cher frère, n'en sont pas moins réels, et quoique vous me fassiez assez sentir combien vous les désavouez, j'aurai du moins par devers moi cette consolation que j'ai fait loin mon possible pour ne vous rien laisser à désirer là-dessus, ni sur la tendresse et le respect avec lequel je serai à jamais, mon très-cher frère, etc.

167. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Potsdam, 29 mars 1746.



Ma chère sœur,

Je n'ai jamais soupçonné votre cœur d'être le complice de tous les dégoûts que vous m'avez donnés depuis trois années. Je vous connais trop, ma chère sœur, pour m'y tromper, et j'en rejette tout le crime sur des malheureux qui abusent de votre confiance, et se font une joie maligne de vous commettre envers des personnes qui vous ont toujours aimée tendrement. Voilà ce que j'en pense, puisque votre lettre me donne l'occasion de vous le dire. Je vous plains de tout mon cœur d'avoir placé votre amitié si mal. Toute la terre connaît l'indigne caractère de cette créature dont je ne veux pas nommer le nom, de crainte de souiller ma plume. Vous êtes la seule qui êtes aveuglée sur son sujet. Sans comparaison, ma chère sœur, vous me revenez comme les cocus, qui sont toujours les derniers à savoir<159> ce qui se passe dans leur maison, tandis que toute la ville parle de leur aventure. Pardonnez-moi si je vous offense en vous déchargeant mon cœur; mais après la lettre que vous venez de m'écrire, je ne pouvais plus me taire. Vous priant de croire que je n'en suis pas moins avec estime et tendresse, ma chère sœur, etc.

168. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 9 avril 1746.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais vous exprimer, mon très-cher frère, quelle joie m'a causée la dernière lettre que je viens de recevoir de votre part. Vous y rendez justice aux sentiments que j'ai toujours eus pour vous; c'est tout ce que j'ai souhaité, et je ne désire rien avec plus d'ardeur que de vous faire connaître de plus en plus mon caractère, qui est incapable de changement et de légèreté. Vous m'avez été plus cher que la vie, et plus je vous ai chéri et aimé, plus votre refroidissement m'a été sensible. Pardonnez si je vous parle à cœur ouvert; je n'ai plus retrouvé en vous depuis quelques années ce frère si adoré et si tendre pour moi. J'ai cru son amitié entièrement éteinte; j'en ai gémi, j'ai fait inutilement tous mes efforts pour tâcher de regagner son cœur. Mon chagrin m'a peut-être fait commettre des fautes; mais je me suis toujours aperçue, dans mon plus grand dépit, qu'au fond j'étais la même, que je prenais part avec chaleur à tout ce qui vous regardait, et surtout à cette gloire immortelle que vous vous êtes acquise. Je vous excuse, mon très-cher frère, en bien des choses; je suis informée de tous les bruits qui courent sur mon compte et sur celui<160> de notre cour. On me fait beaucoup d'honneur en me traitant comme un enfant qui se laisse gouverner par un chacun, et auquel on fait accroire ce que l'on veut. Il y a longtemps que j'ai pris mon parti sur toutes les calomnies qui se débitent sur mon sujet. Il y a quelques années que Superville dirigeait tout ici, ensuite du Châtelet,1_160-a à présent la Burghauss; et si elle venait à me quitter un jour, ce serait quelque autre. Il faudrait m'exclure du commerce du monde, si je voulais mettre fin à de pareils raisonnements. Comme plusieurs personnes ont été assez de mes amies pour m'avertir de ce qu'on débite des gens qui me sont attachés, il faudrait que j'eusse été et que je fusse encore la plus simple des créatures pour n'avoir pas approfondi la vérité et pour me laisser duper après tant d'avis. Je sais qu'on m'accuse de faiblesse, d'une hauteur insupportable, d'une humeur intrigante, d'un penchant insatiable pour les plaisirs. Ces bruits couraient déjà à Berlin dans le temps que j'y étais, et je ne m'étonne point qu'un si beau portrait vous ait donné de l'éloignement pour moi. Ceux qui me connaissent peuvent juger s'il y a le moindre trait qui me ressemble dans cette belle peinture. Au reste, je veux vous faire un détail de ma façon de vivre et de penser. Je suis dans un âge, à présent, dans lequel on ne se soucie plus guère des plaisirs bruyants; ma santé, qui s'affaiblit journellement, ne me permet pas même d'en jouir beaucoup; je préfère une société de gens d'esprit à ce chaos de divertissements. Les souverains du monde ni les intrigues n'ont aucune part dans nos conversations; elles sont quelquefois enjouées, quelquefois sérieuses. Les sots qui n'y sont pas admis, poussés par la jalousie que leur causent les talents, veulent peut-être s'en venger aux dépens de notre petite société, et y donner des tours malins qu'elle ne mérite pas. Enfin, mon très-cher frère, il faut que moi et ceux qui sont autour de moi se soumettent au qu'en dira-t-on. Il suffit d'être bien en cour pour avoir des ennemis, et il suffit<161> d'avoir des ennemis pour avoir des calomniateurs; c'est le cours du monde. J'espère, mon très-cher frère, que cette lettre vous détrompera entièrement sur mon sujet. Tant que je vivrai, j'en agirai franchement et sincèrement avec vous, et je croirais manquer à ce que je vous dois et à ce que je me dois à moi-même, si j'avais un autre procédé. Regardez tout le passé comme des vivacités qui, dans le fond, sont excusables quand on connaît mon cœur, et soyez persuadé que je ne vous donnerai jamais lieu de douter de la tendresse et du respect avec lequel je serai à jamais, mon très-cher frère, etc.

169. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Potsdam, 16 avril 1746.



Ma chère sœur,

S'il y a eu du refroidissement entre nous, ce n'est assurément pas moi qui ai commencé, et c'est le mariage scandaleux de ces indignes créatures1_161-a qui a le premier jeté la pomme de discorde entre des parents qui se sont toujours tendrement aimés. Depuis, vous avez souffert qu'un faquin de gazetier d'Erlangen me déchirât publiquement deux fois par semaine; au lieu de le punir, on le laissa évader. Depuis, le Margrave eut une partialité marquée pour tout ce qui est autrichien; et enfin, vous avez été vous-même pour faire mille soumissions à ma plus cruelle ennemie, la reine de Hongrie, dans un temps où elle méditait ma perte. Le corps de Grünne1_161-b a passé auprès<162> de Baireuth, et si vous aviez eu encore un reste d'amitié pour une mère respectable et pour votre famille, n'auriez-vous pas écrit un mot d'avertissement sur ce qui se tramait? Mais non, cette créature que je ne puis nommer sans que le sang se tourne dans mon corps, cette Médée fut préférée à tout; et comme elle ne respire que la vengeance, elle vous entraîna dans ses sentiments. Si vous étiez impartiale dans ce moment, vous ne trouveriez point étrange que tant de procédés choquants m'aient refroidi. Tout autre que moi en serait peut-être venu à des éclats; mais je n'ai jamais oublié que vous êtes ma sœur, et que je vous ai tendrement aimée. Je ne me suis plaint de vous à personne. Toute l'Allemagne, qui a été le témoin des injures que vous me faisiez, a été aussi le témoin de la modération dont je ne suis jamais sorti. Ne vous mettez, je vous prie, aucune chimère dans l'esprit sur ce que l'on dit de vous. Ce que je puis vous assurer, c'est que je suis d'une délicatesse extrême là-dessus, et que celui qui voudrait s'expliquer de vous en termes trop peu respectueux serait très-mal reçu.1_162-a Personne ne condamne vos plaisirs; au contraire, on vous en souhaite encore davantage, avec tous les agréments de la vie que vous pouvez désirer. On vous souhaite beaucoup de gens d'esprit et dignes de vous amuser; mais on souhaite en même temps en enfer et à tous les diables de maudites pestes qui vous brouillent avec tous vos parents, et que j'écorcherais sans scrupule, moi qui ne suis point cruel. Enfin, ma chère sœur, on ne vous prend encore ni pour ambitieuse, ni pour intrigante, et ceux qui vous ont donné ces caractères vous les ont prêtés par libéralité; mais à Berlin, personne n'a pensé ainsi. Enfin, après tout, quand vous me poussez à bout, que vous ne me témoignez ni amitié, ni<163> égard, ni la moindre considération, il est bien naturel alors qu'on se refroidisse. On ne peut aimer que ceux qui nous aiment, et les chagrins qui nous viennent de parents chéris sont toujours ceux auxquels nous sommes le plus sensibles. Je ne vous ai point offensée, je n'ai nul reproche à me faire, et malgré tout ce qui s'est passé, je vous aime encore. Je vous prie, ma chère sœur, d'en être persuadée, et qu'il ne tiendra jamais à moi que je ne sois toujours, ma très-chère sœur, etc.

170. A LA MÊME.

Potsdam, 22 avril 1746.



Ma chère sœur,

Je suis bien aise d'apprendre que votre santé se remet. Je me flatte qu'elle deviendra plus raffermie à l'avenir qu'elle ne l'a été, et que le bon tempérament prendra le dessus. Je m'intéresse toujours personnellement à ce qui regarde votre personne, ne confondant jamais des choses étrangères avec l'amitié. Les assurances que vous me donnez de la vôtre, ma chère sœur, me sont trop agréables pour que je ne fasse pas tout mon possible pour devenir crédule. Je fais des efforts pour m'étourdir sur le passé, afin que je puisse me livrer entièrement à mon penchant et vous témoigner dans toutes les occasions comme je suis, ma chère sœur, etc.

<164>

171. A LA MÊME.

Potsdam, 10 mai 1746.



Ma chère sœur,

J'éprouve que l'on est facilement persuadé quand on a envie de l'être, et mon cœur, qui plaide pour vous, vous trouverait innocente, quand même mon esprit vous trouverait coupable. La peine que vous prenez de vous excuser me suffit, et je suis charmé de retrouver une sœur dans la place d'une ennemie. Ce sera la dernière fois que je vous écrirai sur une matière qui m'est si odieuse, que je suis charmé d'en effacer les traces de ma mémoire. Je pars dans quelques jours pour Pyrmont; je passerai par Salzthal, où je m'arrêterai quelques jours auprès de ma sœur, après quoi je commencerai mon carême. A mon retour, la Reine douairière viendra à Charlottenbourg, où je ferai ce que je pourrai pour lui faire passer le temps agréablement. De là nous irons à Oranienbourg, où nous vivrons sur les crochets de mon frère de Prusse, et de là toute la compagnie se rendra à Rheinsberg, chez mon frère Henri.1_164-a Je suis avec bien de l'estime et de l'amitié, ma très-chère sœur, etc.

172. A LA MÊME.

Potsdam, 18 juillet 1746.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien aise de vous voir aux amusements; c'est un signe que votre santé vous permet de jouir des plaisirs. Je n'ai point entendu<165> chanter Hasse, mais je connais son goût, qui est admirable. Carestini est un chanteur passé, et la Faustine aussi. Pour Salimbeni,1_165-a c'est ce qu'il y a presque de meilleur à présent; il chante avec une grâce infinie, un goût et une finesse qui ne se trouvent guère. Nous aurons cet hiver l'opéra de Scipion et de Cajo Fabricio; j'espère que les décorations et les habillements y répondront. La fête de Charlottenbourg a été un peu dérangée;1_165-b mais le mal est tout réparé à présent. Nous avons été à Oranienbourg et à Remusberg, où nous avons fait tout ce que nous avons pu pour amuser la Reine. Je pars dans huit jours pour faire une tournée en Silésie. Vous avez trop de bonté de penser à ma goutte; elle m'a laissé une enflure aux jambes qui me déplaît beaucoup. Quand l'âge s'avance, il ne faut pas s'étonner à la vue des infirmités qui l'accompagnent. Je vous prie, ma chère sœur, de me croire avec toute la tendresse possible, etc.

173. A LA MÊME.

Potsdam, 22 août 1746.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien aise de savoir que vous vous divertissez si bien à Baireuth. Vous faites le mieux du monde en préférant le parti de la gaîté à celui de la tristesse. Pour moi, je suis revenu malade de Silésie, ayant pris les hémorroïdes avec beaucoup de douleurs, et m'étant donné une entorse à la jambe. Hier on m'a fait une bonne incision;<166> mais, malgré tous mes maux, je suis tranquille et gai; c'est le meilleur antidote contre les chagrins et contre les douleurs. Je vous souhaite mille satisfactions, ma chère sœur, vous priant de me croire à jamais, etc.

171. A LA MÊME.

Potsdam, 1er novembre 1746.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien mortifié d'apprendre que vous êtes si souvent incommodée; je me flatte cependant que cela n'aura aucunes mauvaises suites. Vous avez toujours des miracles à Baireuth : tantôt des chiens verts, tantôt des monstres extraordinaires, des bagues qui font tourner des épées, des canons qui seuls font plus que dix autres. Je crois que votre général fera bien de travailler pour l'arsenal de Nuremberg; il ne pourra jamais trouver de meilleurs chalands que les bourgmestres et les syndics de cette bonne ville. Nous sommes ici dans un goût plus simple; nous adoucissons les amertumes de la vie par des divertissements et des plaisirs unis, et sans trop de fracas. Mon frère Ferdinand va à la chasse pour toute la famille; je m'amuse avec l'étude, la musique, l'architecture, le jardinage et toutes sortes d'occupations agréables, et je me prépare à rentrer en ville vers l'hiver, dans un mois d'ici. Nous aurons de bons comédiens qui nous arrivent de Paris, et l'on jouera l'opéra de Cajo Fabricio et d'Arminius.

Je souhaite d'apprendre bientôt de bonnes nouvelles de votre santé, vous priant de me croire avec une parfaite amitié, ma chère sœur, etc.

<167>

175. A LA MÊME.

Potsdam, 16 novembre 1746.



Ma très-chère sœur,

Les assurances de votre amitié me sont toujours chères; que ce soit par un principe de singularité ou par imitation de la mode, peu m'importe; pourvu que vous me vouliez du bien, et que ce soit sincèrement, cela me suffit. Pour moi, suivant les principes de l'ancienne bonhomie allemande, je me sens porté à aimer mes parents, quand même quelquefois je les vois rebéquer. Je crois que vous êtes à présent à Baireuth, dans le centre des arts et des plaisirs; nous en avons quelques-uns ici; mais je suis bien loin de croire que les arts languissent en France; c'est le lieu de l'Europe où ils trouvent le plus d'encouragement. On a composé vingt nouvelles comédies et tragédies, à Paris, pour les noces du Dauphin, tandis que nous n'en avons pas une en Allemagne. Nous sortons de la barbarie, et nous sommes encore au berceau; mais les Fiançais ont déjà fait du chemin, et ils ont surtout plus d'un siècle d'avance en toute sorte de succès. J'ai un habile graveur,1_167-a à Berlin, qui fait de beaux tableaux au pastel; je prendrai la liberté de vous en envoyer un, pour voir s'il vous accommodera. J'attends de Paris des peintres et des sculpteurs pour l'Académie; mais ils ne sont point arrivés encore, et ces peintres ne sont que pour l'histoire. Nous avons reçu un admirable décorateur qui s'appelle Bellavita, et nous attendons encore l'Astrua,1_167-b très-bonne chanteuse. Tout cela sont des étrangers, et s'ils ne forment pas des élèves de notre nation, il en sera comme du temps de François Ier, qui fit venir les arts d'Italie en France, mais qui n'y fructifièrent pas. Ma sœur de Brunswic est heureusement accouchée; celle de Suède s'est<168> mise dans le cas d'imiter son exemple, ce qui nous promet encore un ample népotisme.

On se prépare à de grandes fêtes dans notre voisinage; les Saxons vont marier un prince et deux princesses. Nous en ferons peut-être davantage ce carnaval, mais à coup sûr avec moins de cérémonie. Je vous souhaite la continuation de la bonne santé dont vous paraissez jouir, vous priant de me croire avec une sincère tendresse, ma très-chère sœur, etc.

176. A LA MÊME.

Berlin, 5 décembre 1746.



Ma très-chère sœur,

Je prends la liberté de vous envoyer une étoffe tissue et ourdie à Berlin; comme c'est une des premières qui se soient faites dans cette nouvelle fabrique,1_168-a j'ai cru que sa nouveauté la rendrait moins indigne de vous être présentée. Je souhaite, ma chère sœur, que votre santé se rétablisse promptement, pour que vous puissiez profiter des plaisirs du carnaval, vous priant de me croire avec estime, ma très-chère sœur, etc.

<169>

177. A LA MÊME.

Berlin, 8 décembre 1746.



Ma chère sœur,

Je suis bien aise de savoir votre santé remise à présent. Il faut espérer que la dissipation achèvera de vous guérir. Il a passé par ici un émissaire de Danemark qui va à Dresde, à Baireuth et à Brunswic, pour enrôler des musiciens pour Copenhague. Je vous avertis de son dessein, pour qu'il ne vous enlève pas vos sujets, ma chère sœur. On dit que ce nouveau roi aime le plaisir, et qu'il prend en tout le contre-pied de Christian son père. Je me recommande à la continuation de votre précieuse amitié, vous priant de me croire avec une estime pleine de tendresse, ma chère sœur, etc.

178. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 25 (sic) décembre 1746.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais vous exprimer quelle joie m'ont causée vos deux dernières lettres, aussi bien que la belle pièce d'étoffe que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer. Je regarde l'une et l'autre comme une marque de votre amitié, et j'y suis si sensible, que je puis dire avoir ressenti en cette occasion toute la force de celle que j'ai pour vous. Soyez persuadé, mon très-cher frère, de ma parfaite reconnaissance, et que je m'efforcerai de mériter de plus en plus vos bontés. Elles seules ont fait le bonheur de ma vie pendant un temps; leur perte m'a causé un si violent chagrin, que je m'en ressens encore; mais je<170> vois à présent que vous vous souvenez quelquefois de moi, et vous m'en assurez si obligeamment, que cela seul peut me rendre la vie. Je ne finirais jamais, si je voulais m'étendre sur ce sujet, et j'aime mieux le finir que de m'expliquer trop faiblement. Je suis fort surprise que la manufacture d'étoffes, à Berlin, ait fait en si peu de temps de si grands progrès; c'est un avantage considérable pour le pays, et si elle continue comme elle a commencé, elle aura beaucoup de débit. On a déjà voulu nous débaucher quelques-uns de nos virtuoses en Danemark; mais j'ai eu le temps d'y mettre ordre. Je ne crois pas que ceux de Berlin voudront changer de sort; ils sont si bien, qu'ils feraient très-mal de quitter. Zaghini1_170-a est meilleur que jamais à présent, étant guéri par miracle de plusieurs maux très-dangereux dont l'un aurait suffi pour l'envoyer à l'autre monde, ayant eu un ulcère dans les reins, un commencement d'hydropisie, et la pierre. Stefanio devient aussi excellent; le pauvre diable n'avait jamais appris selon les règles, ce qui était cause qu'il n'avait pas deux tons égaux; j'ai eu la patience de lui faire faire un an de suite le solfége; il chante à présent le contralto, qu'il a plus fort que Zaghini, et tous les tons clairs et égaux. La cour de Danemark est fort changée depuis la mort du Roi. La Reine a perdu toute son autorité, dont à la vérité elle avait abusé; mais le jeune roi l'a maltraitée à un point qui le rend très-condamnable. Elle est reléguée à une maison de plaisance où il ne la voit point, et il en agit fort mal avec ses frères, auxquels il a ôté jusqu'aux présents que le feu roi leur avait faits. J'ai pris la liberté, mon très-cher frère, de vous envoyer, il y a quelques postes, des boudins. S'ils sont de votre goût, je ne manquerai pas de les réitérer. Je me recommande encore à votre précieux souvenir, et suis avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

<171>

179. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Berlin, 23 (sic) décembre 1746.



Ma chère sœur,

Je suis bien aise que l'étoffe que j'ai pris la liberté de vous envoyer vous ait fait plaisir; c'est l'unique but que je me suis proposé. Vous me dites des choses si obligeantes sur votre amitié qui renaît des cendres, qu'elles tirent un voile sur cet intervalle où ce beau feu paraissait éteint. Je souhaite que sa durée ne soit plus altérée par aucun intervalle fâcheux, et que la voix du sang soit plus forte en vous que les illusions d'une aveugle amitié. C'est les vœux que je fais pour ma nouvelle année; pour vous, ma chère sœur, il n'est aucun contentement, aucune prospérité que je ne vous souhaite, avec une santé assez robuste pour en jouir. Je passe ici ma vie fort doucement et fort agréablement : les spectacles, la bonne société et l'étude font entre eux le partage de ma journée. Il y a beaucoup d'étrangers ici, et il en arrive encore tous les jours. Graun a fait l'opéra de Cajo Fabricio, qui est son chef-d'œuvre. Il en fait à présent un pour le jour de naissance de la Reine douairière, qui est traduit du français; ce sont les Fêtes galantes; il y a beaucoup de chœurs, de ballets et de pompe dans ce morceau, ce qui fera un divertissement convenable pour la célébrité du jour auquel on le destine. Je vous demande pardon de vous entretenir de ces billevesées, et je finis, pour ne vous point ennuyer davantage, en vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, ma chère sœur, etc.

<172>

180. A LA MÊME.

Berlin, 31 décembre 1746.



Ma chère sœur,

Je vous ai promis un portrait en pastel de Schmidt. Je m'acquitte de cette dette, et je vous l'envoie. Schmidt se plaint de ce que je l'ai trop pressé. C'est à vous à juger si l'ouvrage est digne de vous être envoyé, ou si vous le trouvez inférieur à sa réputation.

Je ne puis vous mander de nouvelles d'ici, sinon que toute la famille se porte bien, et se divertit de son mieux. Je suis avec beaucoup d'estime, ma très-chère sœur, etc.

181. A LA MÊME.

Berlin, 17 janvier 1747.



Ma très-chère sœur,

Le n'est pas toujours l'affluence du monde qui fait le plus de plaisir dans les fêtes, mais le choix de la bonne compagnie. Je crois que vous êtes bien pourvue de ce côté-là, et que vous pouvez ainsi passer votre carnaval fort agréablement. M. de Bassewitz s'est encore signalé ici avant que de partir. Valori parlait de danse à la cour de la Reine, et disait que la Dubuisson, qu'on avait trouvée assez mauvaise à Berlin, était à Baireuth; sur quoi une petite voix de fausset se fait entendre parmi la foule : « Vous en avez menti, monsieur; tout est admirable à Baireuth. » On cherche le champion, et avec bien de la peine on le trouve monté sur les pointes de ses deux pieds, et prêt à prendre<173> le ministre français par la crinière. Le Don Quichotte mecklenbourgeois eut de la peine à calmer ses emportements, et pour ne plus voir une ville qui lui était devenue odieuse depuis qu'on y avait mal parlé de la Du buisson, il est parti tout de suite. J'attends le portrait que vous avez la bonté de m'envoyer,1_173-a pour l'admirer et pour vous en faire mes remercîments, vous priant de me croire avec une parfaite estime, ma chère sœur, etc.

182. A LA MÊME.

Potsdam, 3 février 1747.



Ma très-chère sœur,

Notre carnaval vient de finir, et nous avons eu plus de monde que nous n'en aurions voulu, si l'on avait eu le choix. Le prince d'Anhalt a honoré les spectacles de beaucoup d'assiduité et de sa rébarbative présence. Nous avons encore le marquis de Paulmi,1_173-b fils de d'Argenson qui vient d'être congédié, beaucoup de comtes et de nobles de l'Empire, du Danemark, de Pologne, et un mylord Dromlardine, et beaucoup d'autres que je n'ai pas été fort curieux de connaître. Nous avons reçu un admirable comédien, nommé Rosembert. Quant à la gentille pucelle que j'attends, on m'assure d'en trouver une à peu près pareille à ce que je demande, et c'est déjà beaucoup. Notre peuple de théâtre s'est augmenté de la sœur de la Barberina, de la sœur et du beau-frère de Lani,1_173-c et nous attendons l'Astrua pour le<174> mois de mars, où je donne une pastorale à la Reine douairière, à son jour de naissance, les Fêtes galantes, traduites du français. Bellavita fait les décorations, et tous nos artistes, musiciens, baladins, comédiens, chapons et poulardes, concourent à rendre ce spectacle brillant. Mon bon et gros voisin prépare, en attendant, des fêtes pour le mariage de ses enfants; il engagera la Saxe chez le juif pour faire une belle dépense. Son jésuite radote, sa femme a des maux de mère, et son petit-maître est à lier. D'ailleurs, ce sont les meilleures gens du monde;1_174-a mais comme ce sont de vilains hérétiques à brûler à tous les diables, comme dit maître François Rabelais, je ne me mêle pas de leurs affaires, et je me contente de vous réitérer les assurances de la parfaite tendresse avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

183. A LA MÊME.

(Potsdam) ce 24 (février 1747).



Ma très-chère sœur,

Vous prenez une part trop obligeante à ce qui me regarde. Je suis bien aise que vous vous intéressiez à ma personne, mais je serais au désespoir si ce souci pouvait altérer votre santé. La mienne va beaucoup mieux, et je ne ressens plus rien de l'accident qui m'est arrivé il y a quatre semaines;1_174-b mais mon corps est attaqué par tant d'enne<175>mis, que je suis toujours obligé de faire quelque sortie sur eux; tantôt c'est la goutte, tantôt les hémorroïdes, et tantôt la gravelle. Vous sentez bien que, entre tant de maux, on n'est guère dans une situation tranquille. Mais c'est vous ennuyer par des détails d'infirmités que je me dois cacher à moi-même pour les oublier. La Reine notre chère mère a été malade d'un rhume de fluxion; mais heureusement ce mal est presque passé. Vous avez beaucoup gagné, ma chère sœur, en différant les noces de ma nièce; il n'y a que du bien à ce délai, et cela donnera le temps à son très-cher époux de tirer sa poudre aux moineaux et de perdre son premier feu.1_175-a Je connais ce Tornaco dont vous me parlez pour le premier fou de l'Europe; c'est le plus grand bavard de toute l'armée autrichienne. Puisse le ciel vous en délivrer! J'ai ici Algarotti, qui enfin fixe son état, et s'engage à mon service. L'acquisition est bonne, et me procure toutes sortes d'agréments pour mon particulier. J'ai honte de vous ennuyer plus longtemps. Je vous prie, ma chère sœur, de me continuer votre précieuse amitié, et d'être persuadée de la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

184. A LA MÊME.

Potsdam, 2 mars 1747.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu le tableau que vous avez eu la bonté de m'envoyer. J'ai été bien fâché de voir que le voyage en avait terni une partie des beau<176>tés; cependant il en reste assez pour voir qu'il est de la main d'un grand peintre. C'en est trop pour vous, ma chère sœur; vous ne devriez pas réunir tant de talents différents sur la même tête. Je crains que cette peinture ne fasse du tort à votre santé; une attitude courbée ne convient guère aux obstructions. Croyez-moi, la santé est tout ce que nous avons de plus précieux dans ce monde. Il y a l'infini entre un homme malade et un autre qui se porte bien; j'en fais la malheureuse expérience. On pense faiblement, on travaille mal, et on agit inférieurement à tout cela, quand un petit viscère se détraque, ou quand une petite soupape refuse de faire son devoir. Nous sommes bien peu de chose, nous ne tenons à la vie que par un cheveu, et, à nous entendre, on dirait que la nature nous a pourvus de corps d'airain. Nous tirons tout le parti de notre machine que nous pouvons, et notre imagination, qui bat la campagne et court se précipiter dans l'avenir, embrasse des siècles entiers, et laisse loin derrière elle un corps languissant qui se traîne et périt. Horace a bien eu raison de dire :1_176-a

O Postume! le temps passe;
Pourquoi dans un si court espace
Renfermer de si longs projets?

Je m'égare un peu dans la morale, et je crains bien que vous direz qu'Horace est un sot dans ma bouche. Pour passer à des objets plus gracieux, je vous dirai que j'ai entendu les airs des Fêtes galantes, qui sont charmants; la Masi y chantera, l'Astrua n'arrivera qu'à la fin d'avril. Il nous arrive un sculpteur de Paris, nommé Adam, qui est un des meilleurs de ce siècle, et j'attends encore un peintre qui ne lui est point inférieur par ses talents. Je passe ainsi ma vie, partageant mon loisir entre les arts, ayant du goût pour tous, et ne donnant l'exclusion à aucun.<177> Je vous prie, ma chère sœur, de me croire avec la plus parfaite amitié, etc.

185. A LA MÊME.

(Potsdam) ce 19 (mars 1747).



Ma très-chère sœur,

Je suis très-fâché que vous souffriez toujours. J'espère à présent sur le printemps, et je me flatte que la bonne saison ramènera votre santé avec les fleurs et les feuilles. La visite de la cour de Würtemberg ne sera pas arrivée à propos, car on n'aime guère le grand monde lorsqu'on souffre, et la duchesse de Würtemberg est elle seule capable de donner la fièvre et de faire venir des transports au cerveau aux personnes les plus saines. Je vous plains de tout mon cœur de vous voir assaillie par cette furie. Il est étonnant que ce monstre féminin ait pu engendrer quelque chose d'aussi passable que ses fils. Quant à l'aîné, je ne me flatte point qu'il filera un amour parfait avec ma nièce, et je crois que tout le temps que vous gagnez par le renvoi de leur noce est autant de temps de pris sur sa constance. Pour ce qui regarde son caractère, il m'est assez connu. J'ai espéré qu'il se changerait peut-être; mais il est devenu son maître dans un âge où proprement commence l'éducation des jeunes gens.1_177-a Il a trouvé toute une cour de flatteurs et de complaisants, séducteurs dangereux et capables de corrompre des cœurs plus affermis dans la vertu que le sien ne pouvait être. Enfin toutes les circonstances ont conspiré ensemble pour contribuer à ses égarements. Je ne sais com<178>ment je retombe toujours dans ces moralités ennuyeuses, et que vous condamnez avec justice. Plus nous faisons des réflexions, plus nous devenons malheureux; la raison et la prévoyance ne sont utiles que pour la société, et les hommes qui en font usage sont comme le phénix,1_178-a qui se blesse pour nourrir ses petits. Les Français font fort bien de s'amuser avec leurs pantins; tout un détachement en est arrivé à Berlin; mais ces frivoles bagatelles n'ont pas encore fait une impression assez vive sur le public, et j'avoue, à la grande confusion de ma patrie, que le goût des belles choses n'y est pas cultivé au point d'accorder aux pantins l'estime qui leur est due. Peut-être parviendrons-nous à ce goût raffiné, à force d'y réfléchir avec toute la profondeur qu'exige la gravité de cette matière.

En vérité, ma chère sœur, je suis confus des pauvretés dont je vous entretiens; je m'égare, en vous écrivant, par le plaisir que j'ai à m'entretenir avec vous, et comme les plus courtes sottises sont les meilleures, je finis ma lettre en vous priant de me croire avec tendresse et estime, ma très-chère sœur, etc.

186. A LA MÊME.

Potsdam, 7 avril 1747.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu la lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire à mon retour de Berlin, où nous avons célébré les vigiles du jour de naissance de la Reine douairière par un opéra qui a eu tout le succès qu'on peut attendre, tant pour la musique, les voix, les ballets, les dan<179>seurs, les décorations, et la comparsa. Je me flatte, ma très-chère sœur, que votre santé ira mieux à présent, et que la petite Vénus, qui va dans sa quatorzième année, n'aura point souffert d'injure à sa beauté par une maladie qui en fane la fleur. Je crois, comme vous dites, que l'envie a un peu mordu sur Algarotti, et que l'on a grossi ou falsifié des choses qu'il peut avoir dites très-innocemment. Il s'est engagé ici sur le pied de chambellan,1_179-a et j'en suis très-content, car, quant à l'esprit, j'aurais peine, dans toute l'Europe, de trouver mieux que lui. Nous avons aussi fait l'acquisition d'un grand peintre, dont vous connaissez le nom sans doute : c'est Charles Vanloo, qui vient ici pour notre Académie de peinture. Je connais la Naissance de Clinquant1_179-b dont vous avez la bonté de me parler; on attribue cet ouvrage à un jeune avocat dont j'ai oublié le nom. Je ne voudrais point jouir de la santé, si je devais l'acquérir à vos dépens; cette guérison de mon corps se ferait aux dépens du repos de ma vie, et je me soumets avec docilité à ce que le sort ordonne de moi. Cependant cela va mieux à présent, et j'espère d'être tiré d'affaire en grande partie pour cette fois-ci. M. de Ginkel1_179-c est à l'extrémité, et l'on dit qu'il ne saurait en revenir. Ce sera un bon et honnête homme de moins dans le monde. Conserve-moi votre amitié, ma très-chère sœur; soyez persuadée que j'en sens tout le prix, que j'en fais tout le cas imaginable, et que vous éprouverez en moi un retour bien réciproque des sentiments tendres et pleins d'estime avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

<180>

187. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 10 mai 1747.



Mon très-cher frère,

Je n'ai pu me résoudre de partir sans vous assurer encore, mon très-cher frère, de mon tendre attachement. J'espère que le silence que je serai obligée de garder pendant ma cure ne vous empêchera pas de penser quelquefois à une sœur qui vous est entièrement dévouée. Je prends la liberté de vous adresser une nouvelle façon d'écritoire, sortie de l'imagination de quelques petits-maîtres français. Quoi qu'il en soit, c'est la mode à présent de n'écrire que sur du papier bigarré, et avec les encres qui y appartiennent. Je souhaite que cette bagatelle vous amuse quelques moments, étant avec toute la tendresse et le respect imaginable, mon très-cher frère, etc.

188. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Potsdam, 20 juin 1747.



Ma très-chère sœur,

Vous voyez par le papier de ma lettre1_180-a que j'ai reçu la galanterie que vous m'avez faite, et que j'emploie ce même papier à vous en témoigner ma reconnaissance. Tout ce qui me vient de votre part, ma très-chère sœur, me fait un plaisir sensible; c'est une marque de votre souvenir, c'est une attention, c'est enfin un reste d'une vieille amitié qui fit les délices de ma vie. L'écritoire se ressent de la gentillesse<181> des Français, qui donnent un air de galanterie et de certaines grâces aux choses qui, chez d'autres nations, ne seraient que ridicules. Je suis fort fâché de vous savoir au Carlsbad à cause de maladie. Je voudrais que ce ne fût que pour vous divertir. Je ne demande aucune réponse à ma lettre; je souhaite que les eaux vous fassent mille biens, et que Finette1_181-a vous fasse souvenir de Berlin. Je viens de finir ma course militaire à Magdebourg; j'en ai encore une à faire à Stettin; après quoi j'inviterai la Reine douairière à Charlottenbourg, où je lui donnerai quelques fêtes, et où l'Astrua remplira son coin. Cette chanteuse est réellement surprenante; elle fait des arpeggios comme les violons, elle chante tout ce que la flûte joue avec une agilité et une vitesse infinie. Jamais la nature, depuis qu'elle se mêle de fabriquer des gosiers, n'en a fait de pareil. Cette femme, avec tous ses talents et sa belle voix, a encore le mérite d'être très-raisonnable, bonne et sage; il est bien rare de trouver tant de perfections ensemble. A présent, on est dans l'ivresse des fêtes à Dresde. Ce sont de doubles noces qui demandent une double dépense; mais je ne troquerais pas ma vie simple et ma solitude de Sans-Souci contre l'ennuyeux tumulte et le frivole clinquant de leurs magnifiques banquets. Ce n'est pas dans la cohue qu'on trouve la bonne compagnie, ni on ne trouve le plaisir quand on court après; ce libertin vient s'offrir lui-même, mais il échappe à qui le poursuit. Ce plaisir est pour ceux qui ont le bonheur de vous approcher, de vous voir et de vous entendre. Pour nous, qui en sommes exclus, il ne nous reste qu'à vous faire souvenir que nous sommes encore au monde, et, en mon particulier, à vous assurer combien je vous estime, je vous aime, et je suis, ma très-chère sœur, etc.

<182>

189. A LA MÊME.

Sans-Souci,1_182-a 26 juillet 1747.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé d'apprendre par vous-même que les eaux de Carlsbad vous ont fait du bien. C'est ce qui m'intéresse principalement, par la part que je prends à tout ce qui vous regarde. J'espérais que ma lettre précédente vous aurait encore trouvée aux bains, et que peut-être l'envie vous aurait pris de pousser outre et de venir jusqu'ici. Je me représente parfaitement les originaux de toute espèce qui ont été aux bains. Pour ces femmes à plusieurs maris, ce sont, ne vous déplaise, les plus prudentes du sexe; elles se pourvoient de bonne heure, pour ne point être exposées à la viduité après la mort de celui de leurs maris dont elles portent le nom. Vous autres dragons de vertu, à peine pouvez-vous soutenir l'idée de coucher avec un mari; mais ces femmes aguerries étendent la sphère de leur activité, et elles servent à beaucoup, au lieu que vous ne vous fixez scrupuleusement qu'à une seule personne. Ces dames ont encore un avantage comme philosophes : elles veulent s'assurer de la connaissance de la nature par plusieurs expériences faites sur divers sujets, et c'est, sans contredit, la bonne manière pour s'instruire; au lieu que, se bornant à une simple expérience, on n'ose décider sur aucun cas. C'est un crépuscule entre l'ignorance et le savoir, un état non décidé, et je m'étonne comment cette espèce de vertu a pu pénétrer de la zone glaciale jusqu'en la zone tempérée où nous vivons. Je vous demande pardon, ma chère sœur, de soutenir un sentiment aussi contraire au vôtre; je prêche la morale d'Épicure, et vous pra<183>tiquez celle de Zénon. J'attends avec impatience le retour de Finette; elle sera bien questionnée, je vous en réponds, m'intéressant toujours tendrement à ce qui vous regarde, et étant avec une parfaite estime, ma très-chère sœur, etc.

190. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 4 août 1747.



Mon très-cher frère,

Si je ne suivais que mon empressement et ce penchant secret qui m'attire vers vous, il y aurait déjà longtemps, mon très-cher frère, que j'aurais contenté le désir que j'ai de vous revoir et de vous réitérer toute l'étendue de ma tendresse. Je voudrais que ma santé délabrée se prêtât tant soit peu aux instigations de mon cœur; je volerais sur-le-champ pour accomplir mes vœux. Mes infirmités opiniâtres ne me permettent pas de me flatter d'un si grand bonheur.1_183-a Je craindrais même de vous être à charge. Quelle satisfaction pourrait vous causer un squelette ambulant, tourmenté de mille maux, qui ne se trouve bien que quand il souffre moins. Un souffle, une goutte de rosée dérange en un instant tout ce que l'art a pu opérer dans un long espace. Voilà mon portrait en deux mots. Vous voyez, mon très-cher frère, combien il est peu aimable. A ce qu'il me paraît, le détail que j'ai eu l'honneur de vous faire des femelles du Carlsbad a donné matière à votre morale épicurienne. Je ne puis tirer grande gloire de ma vertu. Je suis d'opinion que cette qualité ne consiste qu'à résister aux tentations. Comme je n'y suis point exposée, et que<184> je possède l'attribut de n'y point être susceptible, je ne puis tirer vanité d'un mérite inné avec moi. Rien ne me fait plus de plaisir qu'un bel opéra; mes oreilles communiquent les doux accents de la voix jusqu'au fond de mon cœur. Un beau jardin, de magnifiques bâtiments charment mes yeux. Mais si de pareils plaisirs pouvaient faire tort à mon honneur, je m'en priverais. Je conclus de là que, pouvant jouir de tant de sortes de satisfactions innocentes, on peut fort bien se passer de celles qui nous sont défendues, ou du moins vaincre des passions auxquelles on attache une espèce d'infamie quand on les satisfait. Pour moi, je me pique de constance, et rien ne sera jamais capable d'étouffer dans mon cœur les sentiments d'amitié et de tendresse que j'ai pour un si cher frère, qui sont aussi innés en moi que mon insensibilité peu platonicienne, étant avec tout le respect imaginable, mon très-cher frère, etc.

191. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Charlottenbourg, 5 août 1747.



Ma très-chère sœur,

Votre lettre m'a fait beaucoup de plaisir par les sentiments d'amitié que vous m'y témoignez, et auxquels je suis sensible, je vous assure, on ne saurait davantage. Je ne suis pas aussi satisfait de ce qui regarde votre santé, et je voudrais, ma très-chère sœur, que, après avoir éprouvé de tant de remèdes, vous en trouvassiez un, à la fin, qui vous soulageât. Je me suis servi l'année passée des eaux de Pyrmont; mais elles ont pensé me devenir funestes, et elles ont fait des<185> effets contraires à la plupart des personnes qui s'en sont servies en même temps que moi.

La Reine est ici depuis mercredi. Je fais ce que je puis pour l'amuser. Finette n'est pas encore de retour; on l'attend cependant tous les jours. Elle ne manquera pas d'être bien interrogée sur votre sujet, et vous pouvez compter, ma très-chère sœur, que ce ne sera pas par une curiosité indifférente, mais par la part et l'amitié que toute la famille a pour vous, parmi lesquels vous voudrez me compter des premiers quant aux sentiments de tendresse et d'estime avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

192. A LA MÊME.

Potsdam, 17 septembre 1747.



Ma très-chère sœur,

Je prends une véritable part à l'entrevue que vous avez eue avec ma sœur de Brunswic. Je me représente la joie qu'elle aura ressentie par celle que j'ai eue en vous voyant. Je souhaiterais que vous eussiez pu trouver quelque amusement à Halle;1_185-a mais je crains que c'aura été un séjour stérile en plaisirs. Vous êtes la maîtresse, ma très-chère sœur, de vous choisir des gouvernantes où et comme vous le voudrez. Je suis encore extrêmement fatigué de mon voyage, qui a été rude et vif. Je me rappelle ici les agréables moments que j'ai passés dans votre compagnie. Je regrette le passé, et j'espère sur l'avenir. Je prends la liberté de vous envoyer des ananas de Silésie, ayant remarqué que vous les aimez, et j'espère de vous en pouvoir fournir<186> un plus grand nombre, vous priant de me conserver votre amitié, qui m'est d'un prix inestimable, et que je compte mériter par les sentiments distingués d'estime et de tendresse avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

193. A LA MÊME.

Sans-Souci, 22 septembre 1747.



Ma très-chère sœur,

Tout ce que j'ai désiré de plus en vous voyant chez nous, c'était de vous faire passer le temps de façon que vous n'eussiez aucun regret à la charmante surprise que vous nous avez faite. Je suis trop heureux, si je puis me flatter d'y avoir réussi. Vous vous intéressez trop obligeamment à ma santé; il est sûr que vous perdriez en moi un frère qui vous aime bien tendrement; mais, ma chère sœur, ce sont de ces choses dont il faut s'en remettre à la Providence, en cas qu'elle se mêle de ce monde. Du reste, on n'y saurait faire grand' chose; les hommes naissent pour faire des extravagances dans leur jeunesse, quelque bien dans l'âge mûr, pour se reproduire, pour jouir de quelques plaisirs entremêlés d'amertumes, et pour se dissoudre à la fin. C'est là le train des jours de cette espèce qui raisonne sur ce qu'elle sait et ne sait pas, qui marche sur deux pieds, et qui n'a point de plumes. Je vous demande pardon des balivernes dont je vous entretiens; je pourrais les grossir en vous annonçant l'arrivée de deux jeunes princes de Cobourg, du général Schulenbourg, des Sardois, et de quelques autres étrangers encore; mais vous avez tant d'originaux dans votre voisinage, que ce serait une œuvre suréro<187>gatoire de vous entretenir de ceux-ci. Je fais des vœux sincères pour votre santé, pour qu'elle ne se ressente point des fatigues du voyage, qui ne laisse pas que d'être rude pour une personne délicate, vous priant de me croire avec les sentiments de la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.

191. A LA MÊME.

Potsdam, 5 octobre 1747.



Ma très-chère sœur,

Je souhaite que vous vous divertissiez bien à la maison de chasse où vous êtes à présent; mais je tremble que l'arrière-saison n'y dérange votre santé précieuse. Nous avons ici depuis quelques jours des pluies et des brouillards qui nous pronostiquent la chute prochaine des feuilles. J'aimerais mieux que Folichon1_187-a vous amusât au coin de votre cheminée qu'à courir les lapins; car dans le fond vous m'avouerez, ma chère sœur, que vous n'aimez cette chasse que par complaisance pour votre chien. Nous avons eu ici une désertion épouvantable dans nos ballets : Lani, Noverre,1_187-b Josset, sont allés au diable. Je vais faire maison neuve; c'est toujours à recommencer avec cette ca....... Mes frères sont tous trois ici; je les amuse tantôt avec la chasse aux alouettes, aux canards sauvages, au renard, ou avec la promenade et avec les fruits de mon jardin. Je me recommande à l'honneur de votre précieux souvenir, vous priant de me croire avec<188> les sentiments les plus vrais d'estime et de tendresse, ma très-chère sœur, etc.

195. A LA MÊME.

Potsdam, 26 octobre 1747.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché de vous savoir si souvent incommodée; je crois, ma chère sœur, que vous vous fatiguez trop. Vous me dites des choses si obligeantes, que vous me réduisez au silence. Je pense tout ce que je dois sur votre sujet; mais comme la matière est au-dessus des expressions, mon cœur, tout plein de choses, trouve une langue muette pour les exprimer.

Je plains le pauvre du Châtelet; je crains fort que le général de Borcke ne prenne une fin pareille. C'est peu de chose que l'homme; je ne sais comment la vanité lui peut faire illusion, et je ne comprends pas comme il peut présumer si bien de son être, et sur quoi il fonde ses chimériques prétentions sur l'avenir. L'histoire de l'humanité est un tissu de biens et de maux; exposés à des milliers de maladies, à un nombre innombrable d'accidents et de malheurs qui nous menacent, il est encore surprenant que nous en soyons quittes à si bon compte. Mais un moment de plaisir, une vapeur de gaîté nous sert à passer l'éponge sur le mal qui nous est arrivé; notre inconstance et notre légèreté font notre bonheur. Nous sommes des créatures telles qu'il a plu à l'auteur de la nature de nous former. La politique de notre bonheur demande que nous soyons contents de notre état, et que nous jouissions du présent sans trop creuser<189> dans l'avenir, d'autant plus que notre chagrin ne porte aucun remède à nos maux, et que l'impossibilité de les changer nous doit inspirer de la patience et de la résignation. Nous devons nous féliciter de tous les malheurs qui ne nous arrivent pas, mais surtout jouir du bien qui nous arrive, et ne point permettre à l'hypocondrie et aux réflexions tristes de répandre de l'amertume sur nos plaisirs. Montaigne dit que chaque chose a deux anses, une bonne et une mauvaise;1_189-a il faut prendre les choses du bon côté et retenir l'esprit de la tristesse, parce que c'est un mal qui gagne, et qui empoisonne la plus belle vie. Voyez, je vous prie, jusqu'où du Châtelet m'égare. Je ne sais pas si tout ce que je dis n'est pas aussi fou qu'était la vie du défunt, et peut-être après ma mort me trouvera-t-on également quelque bouton sur la tunique interne du cerveau. Ma première folie est celle de vous ennuyer, ma chère sœur; elle est impardonnable; je vous en demande mille pardons, vous priant de me conserver quelque part dans votre souvenir, comme étant avec dévouement, tendresse et estime, ma très-chère sœur, etc.

196. A LA MÊME.

(Potsdam) 30 octobre 1747.



Ma très-chère sœur,

J'ai été réjoui en apprenant par votre lettre la continuation de votre bonne santé. Le coureur a délivré le chien entre les mains de la Reine, et j'ai ouï qu'il lui a fait grand plaisir. J'admire la duchesse de Würtemberg; je suis bien aise qu'elle soit partie de Stuttgart, car,<190> en vérité, ses extravagances méritaient qu'on l'enfermât pour jamais. Je prends, ma chère sœur, la liberté de vous envoyer de mes ananas et quelques raisins de Sans-Souci; je n'ose pas multiplier la dose, pour ne pas abîmer votre coureur. Salimbeni vient d'arriver de Hambourg, se portant fort bien, et chantant comme un ange. Je suis fâché que vous ne l'ayez pas entendu, croyant que sa voix vous aurait donné quelque agrément pendant que vous avez eu la complaisance d'être chez nous. Je vous prie, ma chère sœur, de me conserver votre précieuse amitié, et d'être persuadée de la tendresse parfaite avec laquelle je serai jusqu'au tombeau, ma très-chère sœur, etc.

197. A LA MÊME.

Potsdam, 20 novembre 1747.



Ma très-chère sœur,

Votre lettre vient fort à propos pour me tirer de peine. Je suis enfin tranquille sur votre santé. Vous ne sauriez croire, ma chère sœur, quelles nouvelles s'ébruitent et parviennent ici; à tout moment vous êtes à l'agonie ou morte. Je ne conçois pas quelle maligne joie des gens peuvent trouver à semer de pareilles nouvelles dans le monde, qui ne peuvent qu'inquiéter beaucoup ceux qui vous sont attachés comme je le suis. Voilà la vieille duchesse de Blankenbourg trépassée tout de bon.1_190-a Je crois que tout le monde s'en console à Brunswic; les uns étaient las de lui payer sa pension, les autres d'attendre son héritage, et d'autres encore de la voir. On devient isolé dans le<191> monde lorsqu'on y reste le dernier de son siècle; on ne contracte guère de nouvelles liaisons, et la mort tranche les anciennes; c'est pourquoi c'est prudence de quitter le monde avant qu'il nous quitte. L'espèce humaine s'ennuie trop aisément de la même physionomie; le désir de la nouveauté l'entraîne toujours vers de nouveaux objets; il est bon de prévenir le public, et de ne lui pas donner le temps de s'ennuyer. Ma morale ne plaira pas aux gens en place; mais j'y suis moi-même, et, de plus, tout résigné à ce qui arrivera de moi. Divertissez-vous, en attendant, ma chère sœur; quand nous serons morts, personne ne nous saura gré de notre abstinence et de notre ennui. Nous sommes maîtres du moment présent; peut-être ne le serons-nous pas du lendemain. Cueillons les fleurs qui naissent sous nos pas, et ne nous embarrassons point du chemin que nous avons à faire. Je suis avec tendresse et estime, ma très-chère sœur, etc.

198. A LA MÊME.

Berlin, 15 décembre 1747.



Ma très-chère sœur,

Lorsque j'apprends des nouvelles de votre bonne santé, je vous en passe bien d'autres; qu'on devienne fou à Baireuth, qu'on égratigne, qu'on boude, qu'on se noie ou se pende, peu m'importe, pourvu que vous vous portiez bien, et l'on enchaînera madame Meyer sans que cela m'altère. Ici, un bon et gros bourgeois s'est pendu de regret d'avoir perdu sa très-chère épouse. Ce bonhomme a donné une épreuve de quelle force l'amour conjugal est dans ce pays. C'est, en vérité, l'honneur de tous les maris, et je ne doute point qu'on ne le<192> cite dans l'histoire comme un exemple de l'attachement le plus constant et le plus tendre qui se soit vu depuis la belle Hélène. La fureur de l'Abdérie a pris la place de la folie mélancolique de ce fidèle misanthrope. On dilate ici sa bile par les lazzi du sieur Thomassin, et on noie sa tristesse sous le masque et le domino couleur de rose de nos bals masqués. D'Argens vient d'arriver, et il sera incessamment suivi de toute la bande de Terpsichore.1_192-a Après vous avoir parlé de ces bagatelles, vous vous imaginerez peut-être, ma chère sœur, que je n'ai l'esprit rempli que de balivernes; mais pour vous prouver le contraire, j'ose vous prier de faire rechercher dans vos archives de Plassenbourg si vous n'y trouverez point des anecdotes sur les premiers électeurs de la maison, et en ce cas je vous demande la permission de profiter des lumières que ces vieux documents peuvent répandre sur une histoire dont je tâche d'ébaucher l'essai.1_192-b

Je vous demande pardon, ma très-chère sœur, si je vous importune avec de pareilles billevesées; mais lorsqu'on écrit, il n'est pas indifférent de s'instruire. J'ajouterai cette reconnaissance à toutes celles que je vous ai déjà, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<193>

199. A LA MÊME.

Berlin, 29 décembre 1747.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre présent de l'Ermitage, dont je vous rends mille grâces. La paille des lieux que vous habitez m'est plus chère que les trésors du Pérou et les bijoux du Bengale. Je regarde cette tabatière avec le même respect que les juifs ont pour la terre qui vient de Jérusalem,1_193-a et que les chrétiens ont pour les morceaux de la vraie croix. Je ne vous déguiserai point que votre situation m'inquiète quelquefois, ma chère sœur; mais le printemps me rassure contre les appréhensions de l'hiver. Le jour du nouvel an, on représentera le Cinna. Si la musique en est belle, je prendrai la liberté de vous l'envoyer. Notre belle-sœur est encore entre la poire et le fromage, et nous attendons impatiemment qu'elle veuille nous apprendre ce qui l'a enflée depuis neuf mois.1_193-b

Daignez me conserver votre précieuse amitié, et rendre justice à la tendresse des sentiments avec lesquels je suis, la vieille, la nouvelle et toutes les années de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

<194>

200. A LA MÊME.

Le 2 janvier 1748.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces du bon pâté qu'il vous a plu de m'envoyer. Il a été mangé en faisant mille vœux pour votre santé. J'ai en même temps le plaisir de vous apprendre que notre belle-sœur est accouchée d'un prince fort et robuste, qui crie comme un aigle, et qui, selon le dire de madame de Gersdorff, ressemble à père et à mère comme deux gouttes d'eau. Je voudrais fort que votre santé fût aussi bonne que je vous la souhaite, et que nous n'eussions plus d'inquiétudes sur ce sujet. Hier on a joué le Cinna, qui a eu des applaudissements généraux, et qui fait un grand effet sur le théâtre. Nous sommes dans les convulsions des compliments sur la nouvelle année; je ne sais quand ils finiront. Vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

201. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 21 février 1748.



Mon très-cher frère,

Toutes les bontés dont vous m'avez comblée jusqu'à présent m'encouragent, mon très-cher frère, d'entrer avec vous dans des détails que j'ai toujours espéré de pouvoir éviter. Permettez-moi que je vous ouvre mon cœur, et que je vous parle avec confiance et sincérité sur un sujet qui m'a causé depuis quelques années le plus mortel<195> chagrin. Combien de fois ne me suis-je pas reproché l'irrégularité de ma façon d'agir envers vous! Ma dernière maladie, une mort prochaine, ont augmenté mes réflexions. Un mûr examen sur moi-même m'a convaincue que dans tout le cours de ma vie je n'avais été coupable qu'à l'égard d'un frère que mille raisons devaient me rendre cher, et auquel mon cœur avait été lié depuis ma tendre jeunesse par l'amitié la plus parfaite et la plus indissoluble. Votre générosité vous a fait oublier mes fautes passées, mais ne m'empêche pas d'y penser à toutes les heures du jour. Une compassion mal placée, et une trop grande faiblesse pour une personne que je me croyais entièrement attachée, m'ont fait faillir. Je n'ai d'autre plaidoyer à faire en ma faveur, et si je n'avais une confiance entière en vos bontés, je ne me hasarderais pas à vous supplier de me tirer du labyrinthe où je me suis si ridiculement précipitée. J'ai eu le sort de bien des grands seigneurs : je croyais avoir trouvé une véritable amie, trésor sans prix pour les princes; j'en ai été payée de toute l'ingratitude imaginable, et mon amour-propre gémit de s'être vu dupé, et le cœur pâtit de se voir privé de la seule chose qui peut contribuer au bonheur de la vie. J'ai fait le fatal mariage de la Burghauss, cause de tant de regrets. Elle a perdu tout son bien. Elle se trouve actuellement dans la plus affreuse misère, son mari ne tirant depuis deux ans aucuns revenus de son régiment, et n'ayant rien de lui-même. Le peu que je puis lui donner ne suffit pas à beaucoup près pour l'entretenir hors d'ici. Nos humeurs ne compatissent plus ensemble. Jugez, mon très-cher frère, si je puis l'abandonner dans l'état où elle est et la renvoyer, pour ainsi dire, à la besace, après l'éclat que j'ai fait. Je laisse ceci à votre décision comme à un frère chéri, à un véritable ami, et comme à un juge éclairé. Je remets mon honneur et ma réputation entre vos mains. Il n'y a que vous, mon très-cher frère, qui puissiez mettre mon esprit et mon cœur en repos sur ce sujet, en lui rendant ce que son père lui a légué. Elle est résolue, à cette condition,<196> de quitter pour jamais ce pays. Je vous conjure à mains jointes de m'accorder cette grâce. J'ajouterai cette obligation à tant d'autres que je vous dois; je ne cesserai de la reconnaître ma vie durant, ni d'être jusqu'au tombeau avec la plus vive tendresse et le plus parfait respect, mon très-cher frère, etc.

202. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 27 février 1748.



Ma très-chère sœur,

Je suis pénétré des marques d'amitié que vous me témoignez, ma chère sœur, et je puis vous assurer que mon cœur y répond avec toute la sensibilité imaginable. Il a toujours été le même à votre égard, et comment ne l'aurait-il pas été? Les sujets de différends que nous avons eus étaient si minces dans leur origine, que c'aurait été bien méconnaître les lois de l'amitié que de se brouiller sérieusement pour des choses qui en valaient si peu la peine. Votre bon cœur a jugé des autres par lui-même. Si vous avez été trompée, la perfidie en est d'autant plus affreuse, et vous n'avez aucun reproche à vous faire. Il est vrai que vous mériteriez de trouver toujours des cœurs semblables au vôtre; mais ils sont rares, ma chère sœur; plus on connaît le monde, et plus on se persuade que la vertu ne se place que dans les discours, que la plupart des gens la méconnaissent, et que l'amour, l'intérêt et l'ambition sont les tyrans qui gouvernent despotiquement l'espèce humaine. Néanmoins n'ayez aucun regret de votre générosité; votre vie est si pure, que vous n'avez que des traits de vertu à vous reprocher, et certainement vous n'avez rien à vous reprocher envers moi. Vous pouvez être persuadée que je<197> n'abuserai point de la confiance que vous m'avez témoignée, et que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour vous mettre l'esprit en repos sur le sujet de cette ingrate personne. Je ne vous demande que huit jours de temps pour voir quels arrangements je pourrai prendre sur cette matière, et je vous le manderai alors plus en détail; mais vous pouvez compter que vous aurez lieu d'être satisfaite. Les princes sont dans le monde pour faire des ingrats; si l'abus de leurs bienfaits les arrêtait d'en faire davantage, il n'y en aurait plus de bienfaisants ni de généreux. Ne trouvez donc pas mauvais, ma chère sœur, que je vous conjure en même temps de penser à votre santé, et d'écarter, pour cet effet, toutes les pensées chagrines qui en peuvent retarder l'entière restitution. Méprisez une personne méprisable par son ingratitude, et ne prenez pas trop à cœur des sujets de désagréments qui, à les bien examiner, ne valent pas la peine de troubler la tranquillité de votre âme et le repos de votre vie. J'ai éprouvé des revers d'autant plus fâcheux, que le mal qu'ils m'ont fait était irréparable; j'ai eu de vrais amis, la mort me les a enlevés; j'en vois tous les jours qui adorent ma fortune, et qui ne sont attachés qu'aux honneurs et aux biens dont le destin m'a fait le dispensateur. Que faire donc dans un monde qui ne changera pas pour l'amour de nous? S'occuper l'esprit par l'étude, et puiser dans la philosophie un remède assuré contre les traverses et les chagrins desquels aucune condition n'est exempte dans ce monde. Excusez, je vous en supplie, cette morale qui m'est venue, conduite par le sujet, au bout de la plume. Je devrais vous amuser, ma très-chère sœur, au lieu de vous parler sérieusement et pesamment, comme je le fais; mais, pour badiner, il faut que je sache que votre santé est entièrement rétablie. Rendez-moi donc ma belle humeur, je vous en conjure, et daignez me croire avec estime, tendresse et passion, ma très-chère sœur, etc.

<198>

203. A LA MÊME.

Potsdam, 2 mars 1748.



Ma très-chère sœur,

J'ai dit à Podewils d'écrire à la belle-sœur de son neveu que si elle était résolue de quitter Baireuth, on lui payerait les intérêts de sa légitime. Je prévois, ma chère sœur, qu'elle a attaché son départ à cette condition, la croyant impossible, et vous verrez qu'elle formera incessamment de nouvelles prétentions. De plus, les régiments rendent toujours un rapport certain chez les Autrichiens; mais son mari, qui joue, aura tout perdu, et sera bien aise d'avoir une femme sans être chargé de son entretien. Si vous prêtez l'oreille avec trop de bonté à ce que ces gens vous disent, vous ne finirez jamais. Ils ont obtenu un régiment par vos grâces, vous leur avez donné, de plus, un capital qui vous appartenait; c'en est, ce me semble, assez et même trop pour des gens de cette espèce. Quel reproche peut-on vous faire? Si, après tout, le général autrichien mange trois fois plus que son revenu, que madame en fasse de même de son côté, ce n'est assurément pas à vous qu'on doit l'imputer, mais au dérangement de leur conduite. Vous pouvez compter que ce que je vous dis est le jugement que porte le public de cette affaire, et je n'ajoute ni ne retranche pas un mot.

Je suis charmé d'apprendre le retour de votre santé, et plus encore de voir la tranquillité dont vous avez envisagé ce qui paraît si redoutable aux hommes. Puissiez-vous, ma chère sœur, regarder avec la même indifférence une infinité de petits contre-temps qu'il faut essuyer dans la vie et auxquels il est bon de se préparer, et sans laquelle la Parque ne nous file aucuns jours heureux!

C'est trop mêler de morale dans ma lettre, et je me renferme aux<199> assurances de la tendresse parfaite et de la haute estime avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

204. A LA MÊME.

Potsdam, 8 mars 1748.



Ma très-chère sœur,

Quoique votre lettre m'ait fait beaucoup de plaisir, je ne saurais nier que ce que vous dites de vos jambes ne m'ait fort inquiété. Je ne puis attribuer ces accidents qu'à des restes de sciatique. Si cependant l'un doit être, j'aimerais mieux que tout votre mal se jetât sur les parties extérieures, et que le corps fût sain. J'espère que l'Histoire de Brandebourg vous aura servi de soporifique, ma chère sœur, et qu'elle vous aura fait dormir pendant quelques heures. Je serai fort content de mon ouvrage, s'il vous procure du repos, et je m'en applaudirai davantage que s'il fût approuvé de l'Europe entière.

Nous avons eu ici un froid terrible; il se passe à présent. Je crains bien qu'il ne retarde un peu votre rétablissement. Le peintre Vanloo est arrivé. Je lui ai proposé pour son début de faire le plafond de la salle de comédie que je fais faire ici.1_199-a Nous allons avoir une troupe d'intermezzo qui va faire ici de petites opérettes. Voilà, ma chère sœur, comme nous passons le plus doucement possible notre temps, et comme les plaisirs nous en dérobent la fuite, en l'accélérant. Je<200> fais des vœux sincères pour recevoir bientôt des nouvelles plus consolantes sur votre sujet, vous assurant, très-chère sœur, qu'on ne saurait être avec plus de tendresse que je suis, etc.

205. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 12 mars 1748.



Mon très-cher frère,

Toutes vos lettres me fournissent de nouveaux sujets de reconnaissance, et vous me réduisez à des remercîments réitérés qui ne peuvent que vous ennuyer. Mais vos bontés pour moi, mon très-cher frère, sont des sujets inépuisables, et je puis comparer le sentiment que j'en ai à l'éternité, qu'on ne peut définir. Vous venez de me confirmer la grâce que vous m'aviez déjà accordée. A ce que je remarque, vous connaissez parfaitement la personne en question. Cependant j'aime mieux pécher par trop de bonté que par trop de rigueur. Les bienfaits ne peuvent nous causer de reproches; une conduite contraire peut troubler notre tranquillité. La Burghauss compte partir d'ici au mois de mai; elle ira à Spa, et de là à Vienne.

Mes réflexions ne tendent qu'à vous convaincre de la tendresse, du respect et de tous les sentiments avec lesquels je serai à jamais, mon très-cher frère, etc.

<201>

206. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Potsdam, 2 avril 1748.



Ma très-chère sœur,

Voilà la seconde alarme que vous me donnez. En vérité, ma chère sœur, je ne sais si c'est que vous ressortez trop tôt, ou que vous ne vous ménagez pas; mais cela me fait trembler quand j'y pense. Je vous prie, pour l'amour de tout ce qui vous est le plus précieux, de vous ménager. Je vous rends compte du médecin qui commence à me rétablir, comme vous me le demandez, plutôt pour que vous vous en serviez vous-même que pour satisfaire à l'obligation que je lui ai. Il s'appelle Cothenius;1_201-a il a été à Havelberg, et sa réputation l'a fait connaître. Je l'ai placé ici depuis qu'un médecin nommé Arend est mort. Je m'étais servi cet hiver d'Eller, et son habileté m'avait donné une espèce de fièvre lente qui me fit soupçonner qu'il m'expédierait méthodiquement. Je pensai : Autant vaut-il essayer d'un autre médecin. Je fis venir celui-ci. H y a deux mois que je suis entre ses mains; il me donne beaucoup de tisanes, et aucune médecine forte. Ma fièvre est passée, mes coliques diminuent, et je commence à reconnaître le retour de mon tempérament. Si vous avez la moindre idée que ce médecin pourrait vous soulager, je le ferai partir sur la réponse que vous me ferez. Je puis vous assurer qu'il est très-savant, qu'il est prudent, qu'il a guéri une infinité de monde, et que, s'il ne vous guérit pas, du moins n'empirera-t-il pas votre maladie.

Nous avons fêté à Berlin le jour de naissance de la Reine; l'Europe galante n'a pas aussi bien réussi que les Fêtes galantes; cependant le spectacle était beau. Hier tout le monde est accouru à notre théâtre pour y voir les intermezzo. Cricchi a paru, et a fait un compliment au public, en le faisant souvenir que c'était le 1er d'avril; c'était toute<202> la pièce. Mais l'envie de rire me passe quand je sais que vous souffrez. Je vous demande en grâce de m'écrire si vous avez la moindre confiance en ce médecin, car je me ferai un plaisir véritable de vous l'envoyer, vous assurant, ma très-chère sœur, qu'on ne saurait être avec plus de tendresse et d'estime que je suis, etc.

207. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth, mai 1748.)

FOLICHON1_202-a A BICHE.1_202-b

Avouons, ma chère Biche, que le genre humain est bien fou, et qu'il se rend bien peu de justice. Tel se pique d'avoir en partage le bon sens et l'art de bien penser, qui, la plupart du temps, ne possède pas seulement l'ombre de ces facultés. N'admirez-vous pas comme moi cette foule de philosophes qui se sont mêlés de vouloir approfondir ce que nous sommes, tandis qu'ils ignoraient parfaitement ce qu'ils étaient eux-mêmes? Combien de systèmes n'a-t-on point formés sur notre sujet! Les uns nous ont fait passer pour des automates, d'autres pour des démons chassés du paradis, d'autres encore pour être doués d'un instinct qu'ils ne peuvent définir. Vous et moi, ma chère Biche, savons à quoi nous en tenir, et ne faisons que rire de ces erreurs produites par la vanité humaine. En effet, ne sommes-nous pas, à la figure près, semblables en tout à l'homme? Nos pas<203>sions ne sont-elles pas les mêmes? L'amour, la jalousie, la colère, la gourmandise, sont nos tyrans comme les leurs, et s'il y a quelque différence entre nous, la voici : c'est que nous possédons moins de vices et beaucoup plus de vertus. Les hommes sont légers, inconstants, intéressés, ambitieux; ces défauts nous sont inconnus. En revanche, nous faisons profession de fidélité, de constance, d'attachement et de reconnaissance, qualités presque bannies de leur société. Peut-on trouver un ami plus fidèle que chez nous? Notre amitié pour nos maîtres est invariable, et reste stable dans leur grandeur comme dans leur abaissement. Les hommes donc, au lieu de nous mépriser, devraient nous prendre pour modèles.1_203-a

Pardonnez cette longue discussion; c'est un préambule qui me mène à un sujet plus intéressant. C'est vous, adorable Biche, qui m'avez porté à faire toutes ces réflexions; l'amour que je ressens pour vous en est le principe. Oui, trop aimable chienne, je vous aime et vous adore. Votre esprit, vos grâces, mille qualités qui brillent en vous, m'ont subjugué. Hélas! je ne puis penser sans fondre en larmes aux charmants petits coups de patte que vous me donnâtes lorsque je pris ce fatal congé de vous. Bien plus sincère que les conquêtes de la gent soi-disant raisonnable, vous me marquiez vos véritables sentiments, et vous me disiez : Je vous aime, mon cher Folichon. Aussi, depuis notre séparation, je n'ai fait que languir. Maigre et décharné, j'ai passé mon temps mélancoliquement aux pieds de ma maîtresse. Je l'entendais déplorer la cruauté de son absence d'avec un frère chéri, et sans cesse parler de l'heureux temps qu'elle avait passé avec lui à Berlin, sans pouvoir me mêler de ses conversations. Inquiète de ma tristesse, et pour rappeler ma bonne humeur, elle me fit un sérail des plus belles chiennes de ces cantons, mais en vain; je les dédaignais toutes. Enfin, elle voulut dissiper ma tristesse par l'appât des richesses. Croiriez-vous bien, adorable Biche, que l'inté<204>rêt, auquel nous sommes si peu susceptibles, a effectué sur moi ce que les caresses et les plaisirs les plus séduisants n'avaient pu faire? En jetant les yeux sur ces riches présents de ma maîtresse, j'ai d'abord résolu de vous en faire une offrande. Au moins, ai-je dit, la belle Biche se souviendra de moi toutes les fois qu'elle se couchera sur ce sopha; elle boira à ma santé dans cette jatte, et peut-être donnera-t-elle quelques larmes à mon absence. Aussitôt, sautant et gambadant, j'ai prié ma bonne maîtresse, qui entend parfaitement mon langage, de satisfaire mes vœux. Je lui ai dicté cette lettre. L'amitié qu'elle a pour moi l'a engagée à se donner cette peine. Recevez donc, trop aimée Biche, ce petit présent, qui seul a pu me réjouir par rapport à vous; étant couchée sur ce sopha, pensez quelquefois à votre tendre Folichon, qui ne cessera de vous aimer, de vous chérir et de remuer cent fois par jour la queue à votre honneur et gloire.



Folichon.

208. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Potsdam, mai 1748.)

BICHE A FOLICHON.

Je ne suis guère accoutumée à recevoir des galanteries; j'ai toujours observé la rigide chasteté des dames de mon pays et l'héroïsme romanesque, à une petite aventure près qui gâta un peu ma taille; mais je pardonne à Folichon ce que je ne passerais pas à un chien roturier. La grande tendresse que mon maître a pour sa maîtresse me détermine à prendre un chien unique pour mon amant. Oui, Folichon, je reçois non seulement vos présents, mais j'accepte votre gen<205>tille patte, et je vous donne mon cœur d'autant plus volontiers, que j'ai toujours eu dans l'esprit qu'un mâtin philosophe était ce qui me conviendrait le mieux. J'ai été fort étonnée devoir que mon maître, qui m'a lu votre lettre, est tout à fait de votre sentiment; il est presque aussi raisonnable que nous autres, c'est une bonne tête; mais ce que je trouve à redire à votre lettre, c'est qu'en humiliant l'amour-propre de l'espèce humaine, si pétrie d'orgueil et de vanité, vous n'en ayez point excepté votre maîtresse. Oui, Folichon, vous me direz tout ce qu'il vous plaira, je l'ai vue, cette adorable maîtresse, et vous ne me persuaderez point qu'elle ne soit d'une espèce bien supérieure à la nôtre; elle a des vertus divines, tant de bonté, de constance, d'humanité et de charité, que je vous avouerai que cela me surpasse. Vous savez que nous ne combinons que très-peu d'idées; vous, mon maître et moi, nous sommes de la même espèce, et c'est par paresse et pour ne pas vouloir courir sur les quatre pattes que mon maître ne se dit pas lévrier. La médisance dit qu'il est épicurien; qui dit épicurien dit cynique, et qui dit cynique dit chien. Mais votre maîtresse est bien différente. Quelle bonté elle avait pour mon maître et pour moi! Combien d'esprit n'y avait-il point dans sa conversation! Et un je ne sais quoi de gracieux, un air de dignité tempérée par l'affabilité, qui me la fait paraître tout adorable! Je vous prie, mettez-moi à ses pieds, et mon maître tout le premier. Il ne me parle que d'elle; j'ai eu bien de la peine à le consoler pendant cet hiver. Il reçut une lettre, et je le vis dans des angoisses mortelles; toutes mes petites caresses, toutes mes gentillesses ne furent pas de saison; je me suis épuisée à l'égayer, mais il était mort pour le monde, et je me crus disgraciée. Enfin, cher Folichon, des jours plus heureux ont suivi ces jours funèbres; la gaîté a dissipé les alarmes, et à présent nous passons des jours fort tranquilles. Votre galanterie me retire de la léthargie dans laquelle j'étais ensevelie; je m'aperçois que j'ai un cœur pour aimer. Dieu! que deviendrions-nous sans passions?<206> Notre vie ne serait qu'une mort perpétuelle; nous n'aurions végété dans ce monde que comme les plantes, qui vivent sans plaisir et meurent sans douleur. A présent que j'aime, j'aperçois un univers nouveau; l'air que je respire est plus doux, le soleil me paraît plus brillant, et toute la nature plus animée. Mais, charmant Folichon, ne goûterons-nous de plaisirs qu'en espérance, et n'ajouterons-nous pas la réalité à ce qui fait le désir de nos cœurs et le comble de nos vœux? Serons-nous aussi fous que les hommes? Ils se nourrissent de désirs, ils se repaissent de chimères, et pendant qu'ils perdent leur temps en frivoles projets, la mort en tapinois les saisit et les enlève avec tous leurs desseins. Soyons plus sages; ne courons point après l'ombre, mais saisissons l'objet. Je vous offre ces parures en gage de ma parole et pour vous assurer que je serai sans cesse

Votre fidèle
Biche.

209. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 7 juin 1748.



Mon très-cher frère,

L'aimable Biche vient d'écrire à Folichon. Que n'ai-je pas ressenti à la lecture de cette lettre! Cet aimable animal l'assure que vous pensez souvent à moi, que mon absence vous fait de la peine, et enfin, que vous me conservez toujours cette précieuse amitié qui, de tout temps, a fait le bonheur de ma vie. Elle accompagne tout cela de la plus fine galanterie, par les marques de souvenir qu'elle envoie à son cher Folichon. En vérité, mon cher frère, croiriez-vous bien que je préfère les lettres de Biche à toutes les épîtres de Cicéron, à toutes<207> nos plus belles pièces d'éloquence, et enfin que je prends plus de plaisir à les lire que tous nos auteurs anciens et modernes? La raison en est simple : elles me parlent de vous et des sentiments que vous avez pour moi, et font couler dans mon cœur cette douce satisfaction qui seule peut nous rendre heureux. En effet, je fais consister notre félicité dans cette vie à recevoir le réciproque des personnes qu'on aime. Le moindre petit retour, mon très-cher frère, de votre part me suffit. Conservez-moi, je vous supplie, ces précieuses bontés, et soyez persuadé que ma tendresse, l'attachement et le respect que j'ai pour vous ne finiront qu'avec ma vie, étant, mon très-cher frère, etc.

210. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Sans-Souci, 15 juin 1748.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé de ce que la témérité de Biche n'ait pas été mal reçue de Folichon, et qu'il ait eu assez de support pour elle de recevoir de bon œil sa lettre et son présent. Souvent les animaux nous sont utiles pour expliquer nos sentiments plus naturellement et avec franchise. La Fontaine, qui fit de si jolis contes, ne l'ignorait pas; aussi les bêtes auxquelles il prêta son éloquence enseignèrent-elles aux hommes une morale que malheureusement peu d'entre eux mettent en pratique. Biche a du bon sens et de la compréhension, et je vois tous les jours des gens qui se conduisent moins conséquemment qu'elle. Si cette chienne a deviné les sentiments de mon cœur, du moins ne les a-t-elle pas mal rendus, et je l'en aimerai encore davantage, si vous<208> voulez bien, ma chère sœur, y ajouter foi. Je finirai dans quelques jours la cure des eaux dont je me suis servi,1_208-a et qui me font beaucoup de bien, et je vais faire mes éternelles revues à Magdebourg, puis à Stettin; ensuite de quoi j'aurai un intervalle de six semaines avant que d'aller en Silésie. Daignez, ma chère sœur, me conserver votre précieuse amitié, et rendez justice à la tendresse et à tous les sentiments avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

211. A LA MÊME.

Potsdam, 22 août 1748.



Ma très-chère sœur,

Jusqu'à présent personne n'a paru ici de la part du duc de Würtemberg. Si je reçois quelqu'un, je ne manquerai point de répondre, ma très-chère sœur, à vos intentions. Je me ferai un plaisir de venir à Baireuth, quoique pour peu de temps, et vous pouvez être persuadée, ma très-chère sœur, que ce sera uniquement pour vous revoir et vous assurer de ma parfaite tendresse.

J'ai eu ici l'affliction de voir tomber malade mon frère de Prusse; j'ai été dans de grandes angoisses pour lui; il est, le ciel en soit loué, hors de danger. C'était une espèce de fièvre continue, qu'il a prise lundi passé; mais à présent il se porte mieux. Vous ne vous étonnerez pas, ma chère sœur, de la vive impression que de pareils événements font sur mon esprit, vous qui savez si bien ce que c'est que la tendresse de sang, et qui connaissez mieux que personne les liens étroits d'une véritable amitié.

<209>Madame de Kannenberg1_209-a a été hier chez moi, à Sans-Souci, et nous avons beaucoup parlé de vous, ma chère sœur; vous étiez en trop bonnes mains pour avoir la moindre chose à craindre. Je voudrais que vous eussiez été témoin de nos discours. Votre courrier fait l'affairé; il dit qu'il lui faut ma lettre à l'instant, et qu'il est dans l'obligation de partir sur-le-champ. Je ne m'étonne pas de son empressement pour retrouver une maîtresse comme la sienne; je serais surpris si quelques-uns de ceux qui vous servent pensaient autrement. Je vous embrasse mille fois, ma chère sœur, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse et l'estime la plus distinguée, etc.

Lorsque vous aurez reçu la dot de ma nièce,1_209-b faites-moi le plaisir de m'en envoyer une quittance.

212. A LA MÊME.

Potsdam, 28 août 1748.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu la satisfaction de recevoir deux de vos chères lettres presque à la fois. Je vous avoue, ma très-chère sœur, que je souffre véritablement de ne. pouvoir pas vous rendre mes devoirs à la noce de votre fille unique. Si j'avais pu un tant soit peu accommoder mon empressement aux circonstances où je me trouve présentement, je n'aurais pas manqué de me rendre à Baireuth; mais, d'un côté, les<210> médecins m'ont conseillé les eaux pour me soulager des hémorroïdes dont je suis souvent tourmenté, et, de l'autre, les affaires de la paix, les intrigues des Autrichiens, la marche des Russes, l'état incertain de la santé du roi de Suède, et des objets de cette importance, me tiennent dans une attention perpétuelle. C'est un tableau dont je n'ose presque point détourner la vue. De plus, mes deux ministres des affaires étrangères sont malades et presque hors d'état de travailler, de sorte que tout leur ouvrage retombe sur moi. Ce sont des conjonctures si fâcheuses, que, malgré mon envie de revoir une sœur que j'adore, je suis obligé de me refuser cette satisfaction. Mon frère de Prusse ne pourra pas l'avoir non plus; car, quoiqu'il soit à présent sans fièvre, il est cependant si exténué, que je ne crois pas qu'il regagne toutes ses forces avant deux mois d'ici. J'aurais cependant été fâché que cette noce se passât sans que personne de la famille y fût, et mes deux frères cadets se tiennent prêts de partir, et ils seront à Baireuth le jour que vous leur écrirez d'y arriver. Je les chargerai de mille vœux et de mille bénédictions, tant pour la mère, qui me tient extrêmement au cœur, que pour la fille. Si nos souhaits peuvent être efficaces, vous pouvez compter, ma très-chère sœur, sur l'accomplissement des miens; ils vous porteront une santé parfaite, une longue vie qui ne sera qu'un tissu de prospérités, et la réalité de tout ce que votre cœur désire. Quant à ma nièce, je lui souhaite beaucoup de patience, une heureuse lignée, une bonne humeur perpétuelle, et, plus que tout le reste, qu'elle soit toujours semblable à son illustre mère.

Je crois que tout ce qu'on pourra obtenir du Duc, ce sera un délai de quinze jours. Je pars, le commencement de la semaine qui vient, pour la Silésie, où je m'arrêterai jusque vers la fin du mois, y ayant plus d'affaires que je n'avais cru y trouver. La Molteni1_210-a partira aujourd'hui, et je suis persuadé qu'elle ne vous sera ni importune,<211> ni trop coûteuse. Je me recommande, ma très-chère sœur, dans la continuation de votre précieuse amitié, étant avec la plus haute estime et la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

213. A LA MÊME.

Le 4 janvier 1749.



Ma très-chère sœur,

Je vous fais mille remercîments du beau présent que vous venez de me faire. Votre souvenir m'est plus précieux que tout au monde, et l'espérance que vous me donnez de vous voir ici me fait un sensible plaisir. Puissé-je trouver le moyen de vous rendre ce séjour un peu plus agréable! Puissé-je ne vous point faire regretter le plaisir que vous me ferez! Je vous assure que vous ne sauriez être reçue nulle part plus cordialement qu'ici, et que vous ne pouvez être désirée nulle part comme vous l'êtes de nous tous. Pour que la même incongruité ne m'arrive point qui me priva, il y a deux ans, du plaisir de vous voir, je suis bien aise de vous avertir d'avance, ma chère sœur, que je vais en Silésie le mois de mai, le mois de juin en Prusse, et que je serai de retour vers le commencement de juillet, afin que par malheur nous ne venions point à nous manquer encore.

Je prends la liberté de vous envoyer des ananas. Je souhaite de tout mon cœur que vous restiez dans ce goût, sans quoi je ne sais plus ce que je pourrais vous envoyer.

Ne doutez point, ma très-chère sœur, de la tendresse, de la haute estime et de tous les sentiments avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

<212>

214. A LA MÊME.

Berlin, 19 janvier 1749.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de trouver votre lettre ici, à mon retour de Potsdam, et j'ai trouvé mon frère si bien disposé à vous satisfaire, que vous le verrez voler à Baireuth. Il partira, je crois, le 7 du mois qui vient. Il vous apportera de ma part l'Iphigénie,1_212-a car il n'y a pas moyen de le charger de mon cœur; vous savez, ma très-chère sœur, que vous le possédez depuis longtemps. Nous faisons une banqueroute en n'ayant pas l'avantage de vous voir. Cet impromptu aurait été très-agréable pour nous tous ensemble; mais un destin jaloux de la félicité des hommes semble se complaire à traverser tout ce qui leur peut être agréable.

Le petit Sinzendorff, le Cupidon de Vienne, est ici, malade à l'extrémité. Ce serait dommage s'il mourait, car il est très-aimable, et a le meilleur ton du monde. Algarotti est de retour d'Italie; il ne sait pas plus sur Herculanum que nous autres; il n'a presque bougé de Bologne, où il a étudié comme je crois qu'il aurait pu le faire de même ici.

On a beaucoup de fêtes et de bals ici, où la jeunesse danse jusqu'à quatre heures du matin. Pour moi, je laisse à chaque saison son avantage; la mienne est déjà un peu avancée; mes cheveux gris1_212-b<213> m'avertissent qu'il faut prendre congé de la folie, des illusions et des plaisirs; mais ils me laissent une carrière libre pour l'amitié. Vous savez, ma très-chère sœur, que rien ne peut approcher de celle que j'ai pour vous, ni de l'estime et de la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

Je prends la liberté de vous envoyer des ananas.

215. A LA MÊME.

Potsdam, 15 mars 1749.



Ma très-chère sœur,

Vous avez la malice de me mettre à l'épreuve sur une matière délicate, et dont je ne sais pas comme je me tirerai. Il faut cependant vous satisfaire, ma très-chère sœur; tout ce que je puis faire de mieux est de métaphysiquer la constance. II en est, selon moi, de deux sortes; savoir : celle en amour, et celle de l'estime. La constance de l'estime est fondée sur la connaissance des belles qualités et des vertus d'une personne, et je crois qu'elle doit être inaltérable, autant que nous ne voyons pas que le caractère que nous avons estimé se démente à un point qu'il s'attire le mépris; car cette constance est fondée sur le rapport mutuel de la vertu et de l'estime; tant que celui-là se trouve, elle doit subsister également. Quant à la constance en amour, elle est d'une nature toute différente : l'amour ne vient que par l'impression que la beauté fait sur nos sens; tant que l'objet aimé est le même, ses effets doivent y répondre; mais si la fleur de la beauté se fane, les impressions deviendront différentes, et en ce cas,<214> il faut que l'amour en souffre. Se piquer de constance en pareille occasion, c'est jouer une passion que l'on n'a pas, c'est affecter le sentiment, ou bien faire l'ivrogne à jeun. Nous ne sommes pas les maîtres de l'amour, mais il est le nôtre; il prend un cœur d'assaut, sans qu'on puisse lui résister, et lorsqu'il nous quitte, il devient sourd à la voix qui le rappelle. Je tiens donc qu'une personne qui varie dans son estime par inconstance mérite notre mépris, et que celle qui est infidèle en amour imite le dieu qu'elle sert, et auquel les poëtes ont donné des ailes pour de bonnes raisons. Je m'attends à passer condamnation devant votre tribunal, ma chère sœur; vous me prendrez pour un pourceau du troupeau d'Épicure. Traitez-moi, je vous prie, avec plus d'indulgence, et souvenez-vous que c'est pour vous obéir que je vous explique mes sentiments.

Ne doutez point, ma chère sœur, de la constance de mon estime, ni de tous les sentiments avec lesquels je suis invariablement, ma très-chère sœur, etc.

216. A LA MÊME.

Le 17 juin 1749.



Ma très-chère sœur,

J'ai été bien heureux aujourd'hui, ayant reçu deux de vos lettres à la fois. Vous m'y comblez de témoignages d'amitié. Je vous assure, ma chère sœur, que j'y suis aussi sensible que l'on peut être, et que tout est bien réciproque de mon côté. C'est par cette raison que, préférant vos intérêts à mes agréments, j'ai lu un chapitre d'Épictète pour me consoler de votre absence. Vous voulez cependant que tout me<215> parle de vous, comme si je pouvais vous oublier, et vous ornez Sans-Souci d'une façon que j'ai été surpris lorsque j'ai \u jusqu'où vous étendez vos attentions. Souffrez, ma chère sœur, que je vous en fasse mille remercîments.

Je voudrais pouvoir vous donner de bons conseils pour ce qui regarde votre fille; mais j'avoue que c'est un cas bien embarrassant. Mais pour ne pas tromper la confiance que vous avez en moi, je vous dirai ce que je ferais, si j'étais dans votre place. Tant qu'on n'a pas des preuves certaines que le Duc veut faire changer notre nièce de religion, ce serait se précipiter que de sonner l'alarme mal à propos. Quand on aura quelque certitude sur ce sujet, alors il faudra que je parle, et que le ministère de là-bas parle de même. Voyez-vous, ce changement de religion ne serait rien, si le Würtemberg était catholique; mais le pays étant protestant, notre nièce en sera l'idole tant qu'elle sera de la religion du peuple, ce qui, avec le temps, pourrait lui procurer de grands avantages. Mais si elle change, elle perdra cette confiance, et ce sera une tache dont elle aura peine à se laver vis-à-vis des luthériens les plus zélés de toute l'Allemagne. Le Duc, avec le temps, peut mal vivre avec elle; alors il lui reste la ressource de l'affection publique; mais si elle change, une pareille conjoncture la rendrait la plus misérable personne du monde. Voilà, ma chère sœur, tout ce que ma politique stérile peut vous dire. Je souhaiterais que vous n'eussiez que des sujets d'agrément; mais le monde ne va pas ainsi, il n'y a que du haut et du bas. Je m'en suis aperçu, ayant la goutte; la patience m'en a délivré à bon marché. J'ai pris la fièvre tierce; un peu de patience encore et beaucoup de quinquina me l'ont fait passer. Je vous embrasse mille fois, en vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<216>

217. A LA MÊME.

Sans-Souci, 14 juillet 1749.



Ma très-chère sœur,

Souffrez que je vous fasse mes compliments sur l'anniversaire de votre naissance. Vous savez, ma très-chère sœur, comme je pense sur ce chapitre, l'intérêt que je prends à ce qui vous regarde, et la tendresse que j'ai pour vous; mes vœux sont toujours les mêmes pour votre santé et pour votre satisfaction. Notre chère mère est, grâce au ciel, tout à fait rétablie; elle se promène à Monbijou, et se divertit de son mieux. Je suis fort surpris du bruit qu'on a fait à Stuttgart; je suis toujours du sentiment qu'on prend l'alarme trop chaude et sans raison. Je crains que le jeune prince ne se révolte contre ses pédants, et ne prenne enfin le mors aux dents. Nous attendons aujourd'hui le comte de Saxe,1_216-a auquel nous préparons tout l'encens que ses belles actions méritent. Je prends à présent les eaux d'Éger, dont j'espère beaucoup. Voilà comme se suivent nos jours, d'espérances en craintes, et d'illusions en erreurs. Il n'y a personne qui ne se flatte que le lendemain lui soit plus favorable que le moment présent, et souvent son état empire; mais si nous savions d'avance le sort qui nous attend, nous serions doublement malheureux. Vous m'avouerez que voilà bien de la morale pour une lettre datée de Sans-Souci. Lorsque j'y aurai fait un plus long séjour, j'espère d'en prendre un peu mieux et le style, et la façon de penser. Je me recommande, ma très-chère sœur, à l'honneur de votre souvenir, en vous réitérant encore les assurances de tous les sentiments avec lesquels je suis inviolablement, ma très-chère sœur, etc.

<217>

218. A LA MÊME.

Le 26 juillet 1749.



Ma très-chère sœur,

Vos lettres sont si obligeantes, qu'elles me remplissent de confusion. Je suis un peu surpris de quelques réflexions tristes que j'y ai trouvées sur le sujet de l'amitié, et il me semble, ma chère sœur, que ces héros de l'amitié dont nous parle la Fable ne se trouvent que là. Il y a beaucoup de gens capables d'amitié dans le monde; cependant ce sérail se tromper que d'en exiger d'aussi grandes marques qu'en donnèrent Oreste et Pylade, Nisus et Euryale. Il faut prendre le monde tel qu'il est. S'imaginer que la vertu fait le partage des habitants de la terre, c'est le rêve d'un platonicien; supposer que tous les hommes sont criminels et dignes d'être brûlés à jamais, c'est envisager l'univers en misanthrope. Mais dire que le globe que nous habitons est un mélange de bonnes et de mauvaises choses, et que notre espèce est un composé de vices et de vertus, c'est, ce me semble, voir les choses comme elles sont et en juger raisonnablement. Il faut supporter les défauts de nos semblables en faveur de leurs bonnes qualités, comme nous-mêmes avons aussi besoin de leur support en bien des occasions.1_217-a Lorsque l'on pense de cette façon, ma chère sœur, on se rend la vie plus douce que lorsqu'on s'abandonne à des idées tristes qui noircissent toujours avec le temps.

J'avais bien cru que toutes les appréhensions de messieurs les luthériens du Würtemberg étaient des terreurs paniques. Ces bonnes gens ont une aversion si forte contre la prostituée de Babylone, que la moindre chose qui paraît les en approcher les fait tomber en convulsions. Le jeune duc n'est pas dans un âge où l'on persécute; quand<218> ses passions se seront éteintes, il se réconciliera avec le ciel, et le triumvirat de la Vierge, d'un confesseur zélé et du Duc pourrait bien se former en faveur de la proscription des protestants; mais c'est encore trop tôt d'y penser. Je crains, ma très-chère sœur, de vous ennuyer en allongeant ma lettre, et par mon bavardage vous ne vous apercevrez que de reste de l'oisiveté à laquelle se livrent ceux qui boivent les eaux. Daignez me continuer votre précieuse amitié, et ne doutez point que si je ne suis pas tout à fait un Pirithoüs, je ferai tous mes efforts pour l'atteindre, afin de vous convaincre de la tendresse, de l'estime et de tous les sentiments avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

219. A LA MÊME.

Potsdam, 22 novembre 1749.



Ma très-chère sœur,

Une légère indisposition m'a privé pendant quelques jours du plaisir de m'entretenir avec vous, ma très-chère sœur. Je suis bien aise de vous savoir en bonne santé. La Reine m'a fait trembler au récit de l'incendie qui a pensé vous brûler. Je suis bien aise de n'avoir été informé du danger que vous avez couru qu'en apprenant en même temps qu'il ne vous en était arrivé aucun mal. Je ne puis vous mander d'ici que la mort de notre bon vieux duc.1_218-a Il était sur son départ de Königsberg pour Berlin, lorsque le soir, à table, il lui prit un<219> vomissement de sang qui l'emporta en moins de trois minutes. Il est généralement regretté; il n'a jamais fait de mal à personne qu'à lui-même; la galanterie ne l'a quitté qu'à son dernier soupir. Nous sommes à la veille du carnaval, sur lequel nos jeunes gens se réjouissent beaucoup. Je deviens si vieux, que tout ce vacarme ne m'affecte guère. Daignez me conserver votre amitié, et soyez persuadée qu'on ne saurait vous estimer et vous aimer plus que ne fait, ma très-chère sœur, etc.

Daignez faire mes compliments au Margrave.

220. A LA MÊME.

Berlin, 7 décembre 1749.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir deux de vos lettres. Vous êtes toujours une divinité pour moi; mais comme vous avez tant d'attributs, je vous invoque un jour sous le nom de Minerve, un autre sous celui de Calliope; quelquefois vous daignez vous manifester comme Polymnie, ensuite vous vous montrez aux mortels sous la forme d'Uranie; aujourd'hui vous me permettrez de vous adorer sous les attraits de Lucine. Je n'en doute point, si vous allez à Stuttgart, notre nièce accouchera heureusement sous vos auspices. Vous douerez l'enfant nouveau-né, et ce sera la merveille des siècles futurs. J'ai trouvé dans quelque vieux bouquin de mythologie que Lucine s'habillait d'un voile gris de lin et blanc. Comme j'imagine que, possédant ses attributs, vous voudrez suivre ses usages, je prends la liberté de vous<220> offrir cette étoffe comme des prémices de notre manufacture, et lorsque j'adresse mes vœux aux dieux, j'ose leur dire : Divinités de l'Olympe, si vous daignez favoriser la Souabe de votre présence, accordez, de grâce, un jour les mêmes faveurs à la Prusse. Je suis avec la plus parfaite estime, etc.

221. A LA MÊME.

Potsdam, 19 avril 1750.



Ma très-chère sœur,

Je suis très-fâché d'apprendre que vous avez été incommodée derechef. Je fais des vœux pour que cela n'arrive plus désormais. Je crois que c'est peut-être une suite de votre voyage de Stuttgart et de la mauvaise saison, dont vous avez essuyé l'intempérie. A propos de voyages, aurons-nous l'honneur de vous voir cette année? Le Margrave voudra-t-il bien en être? Quel opéra jouera-t-on qui puisse vous plaire? Sera-ce Iphigénie, Coriolan, Armide, ou Phaéton? Ce sont autant de questions auxquelles je vous demande en grâce réponse, vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

<221>

222. A LA MÊME.

Potsdam, 2 mai 1750.



Ma très-chère sœur,

Quoique vous me fassiez le plaisir de venir ici sans surprise, votre arrivée n'en aura pas moins d'agréments pour moi. Vous pouvez être persuadée que tous les jours et tous les moments où je jouirai de ce bonheur me seront chers. Je voudrais fort pouvoir disposer de moi. Je vous donnerais tous les moments de ma vie; mais la carrière que je cours m'oblige à des devoirs dont je ne puis me dispenser sans avoir des reproches à me faire. J'ai deux voyages devant moi, l'un de Prusse, que je fais dans le mois de juin, l'autre de Silésie, que je fais au mois de septembre. Il dépendra donc de vous de choisir le temps qui pourra le mieux vous convenir, ou du commencement d'août, ou de la fin de septembre;1_221-a quel qu'il soit, ma chère sœur, vous serez reçue avec le même empressement et la même joie. Daignez donc me dire un mot. Je voudrais au moins vous recevoir une fois dans ma vie comme y étant préparé, sans cérémonie cependant, vous ne les aimez pas, et je les déteste, mais en témoignant mon contentement par des fêtes qui ne pourront que vous divertir sans vous embarrasser. J'attends votre réponse avec bien de l'impatience, en vous réitérant les assurances de la plus parfaite tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

<222>

223. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Sans-Souci, 1er septembre 1750.)

O toi que j'ai chéri dès ma tendre jeunesse!
Frère dont les vertus augmentent ma tendresse,
Toi que le ciel forma pour régner sur les cœurs,
Reçois ce triste adieu que je baigne de pleurs.
Séjour de Sans-Souci, pour moi si plein de charmes,
Je ne retrouve en toi que des sujets de larmes;
Ton dieu, ton créateur, éloigné de ton sein,1_222-a
Ne t'illumine plus par son esprit divin.
Pour apaiser mes maux Bacchus en vain s'empresse,
En vain j'ai mon recours à l'immortel Lucrèce;
Je sens que le plaisir me paraîtra souci,
Loin du cher Philosophe de Sans-Souci.

Ce ne sont point les dieux, mais le cœur qui les dicte.

224. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 25 novembre 1750.



Ma très-chère sœur,

Je vous prie de recevoir ces pierres jaunes qu'on m'a dit que vous aimiez. J'espère, ma chère sœur, qu'elles pourront trouver place dans la garniture que vous en formez. Oserais-je vous prier de faire mille assurances d'amitié de ma part au Margrave, et d'être persuadée<223> que vous me trouverez toujours le même, c'est-à-dire, avec ces sentiments d'estime et de tendresse avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

225. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Brietzen, 26 novembre (1760).
jour funeste pour moi.



Mon très-cher frère,

Je suis arrivée à quatre heures ici, sans savoir comment j'ai quitté Berlin. Mon esprit a été si occupé et si triste pendant la route, que je me suis bien aperçue qu'il était à Potsdam, et non dans mon corps; car je n'ai pas eu la moindre incommodité, marque que les esprits vitaux en étaient loin. J'ai trouvé ici, mon très-cher frère, de nouvelles marques de vos bontés. J'ai baisé mille fois votre chère lettre. Vous me comblez de tant de grâces, que je ne sais plus comment vous témoigner combien j'en suis pénétrée. Je cherche des expressions sans en pouvoir trouver. Mon cœur parle un langage que je ne puis exprimer. Il est plein de vous, il vous doit tout, et il vous est entièrement acquis. Je vivrai et mourrai avec ces sentiments, étant avec un très-profond respect, mon très-cher frère, etc.

<224>

226. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 29 novembre 1750.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir encore deux de vos chères lettres. Je ne vous ai pas dit la moitié de ce que m'a fait sentir votre départ. Je me borne à faire des vœux bien sincères pour votre heureux voyage, et pour tout ce qui peut vous être agréable et contribuer à la douceur et à la félicité de votre vie. Je vous rends mille grâces, en même temps, des belles branches que vous avez eu la bonté de me donner. Croyez, ma chère sœur, qu'il ne me faut aucuns signes visibles pour me faire souvenir de vous. Je vous rends cet hommage que les chrétiens réformés rendent à leur Dieu; votre culte est établi dans mon cœur, et il vous est tout acquis. Je me flatte que vous en êtes persuadée, ainsi que de tous les sentiments d'estime et de tendresse avec lesquels je suis jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

227. A LA MÊME.

Ce 31 (décembre 1750).



Ma très-chère sœur,

Ce qui me console de votre absence, c'est de vous savoir en parfaite santé et de bonne humeur, comme il me le paraît par votre lettre. Les histoires que vous avez la bonté de me marquer sont très-singulières; nous n'en avons ici que de plaisantes; ce sont de ces éphémères auxquels la redoute donne naissance, et qui périssent après<225> leur naissance. Tout le monde se porte bien ici; la Reine tient cour aujourd'hui, mes frères histrionnent, je politique, Voltaire filoute les juifs, madame de Bentinck plaide,1_225-a le comte son neveu fait des sottises, madame de Camas a le rhume, et la bonne Montbail1_225-b répare à sa toilette les injures que les ans ont faites à ses attraits surannés. Je ne puis vous entretenir que de balivernes semblables; ma lettre sent son carnaval. Je vous en demande excuse, ma chère sœur, en vous assurant que je n'en suis pas moins avec un sincère attachement, etc.

228. A LA MÊME.

Ce 22 (janvier 1751).



Ma très-chère sœur,

Votre lettre m'a fait un sensible plaisir; j'y vois la continuation de votre bonne santé et de votre belle humeur. Hier, j'ai vu madame de Kannenberg à la cour, et nous n'avons parlé que de vous. Si les oreilles ne vous ont pas corné, ma chère sœur, ce n'est pas notre faute.

Vous me demandez ce que c'est que le procès de Voltaire avec le juif.1_225-c C'est l'affaire d'un fripon qui veut tromper un filou; il n'est<226> pas permis qu'un homme de l'esprit de Voltaire en fasse un si indigne abus. L'affaire est entre les mains de la justice, et dans quelques jours nous apprendrons par la sentence qui est le plus grand fripon des deux parties. Voltaire s'est emporté, il a sauté au visage du juif; il s'en est fallu de peu qu'il n'ait dit des injures à M. de Cocceji;1_226-a enfin il a tenu la conduite d'un fou. J'attends que cette affaire soit finie pour lui laver la tête et pour voir si, à l'âge de cinquante-six ans, on ne pourra pas le rendre, sinon plus raisonnable, du moins moins fripon.

Notre nouvel opéra1_226-b a réussi au mieux; Carestini, sur le théâtre, est bien supérieur à ce qu'il est dans une chambre; il ne manquait à son triomphe que votre suffrage.

Je vous prie, ma chère sœur, de vous ressouvenir quelquefois du vieux frère, et d'être persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

La Pannwitz1_226-c se marie avec M. de Voss qui a été envoyé en Pologne, ce qui donne lieu à toutes sortes de mouvements à la cour, dont vous pourrez facilement vous faire la représentation.

<227>

229. A LA MÊME.

Le 2 février (1751).



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché qu'on vous donne de fausses alarmes sur mon sujet. J'ai eu cet hiver quelques légères indispositions; mais je suis cependant fort content de m'en être encore mieux tiré que l'année passée. L'affaire de Voltaire n'est pas encore finie. Je crois qu'il s'en tirera par une gambade; il n'en aura pas moins d'esprit, mais son caractère en sera plus méprisé que jamais. Je le verrai quand tout sera fini; mais, à la longue, j'aime mieux vivre avec Maupertuis qu'avec lui. Son caractère est sûr, et il a plus le ton de la conversation que le poëte, qui, si vous y avez bien pris garde, dogmatise toujours. Je suis fort content de Carestini, surtout de l'adagio. On me marque de Dresde que Salimbeni a encore moins de voix qu'il n'en avait ici. Il faudra envoyer au marché aux chapons, et voir si on en trouvera quelqu'un qui chante bien et qui soit traitable. Si notre opéra vous peut faire plaisir, je le ferai transcrire et vous l'enverrai. Je me recommande encore à votre précieux souvenir, en vous assurant, ma très-chère sœur, qu'on ne saurait être plus que je le suis, etc.

230. A LA MÊME.

Le 3 juillet 1751.



Ma très-chère sœur,

Nous célébrons aujourd'hui votre fête de bon cœur. Je date l'époque de mon bonheur de l'heureux jour qui vous a vue naître. Je ne vous<228> répète point les vœux que je fais pour votre prospérité et votre conservation; ils vous sont bien connus; je ne fais que les continuer. Je confonds vos intérêts avec les miens; dans votre santé je crois voir ma vigueur, dans votre prospérité mon contentement; même votre amitié me retrace tout ce que mon cœur me dit pour vous. Je me souviens d'avoir entendu dire, l'automne passé, que vous souhaitiez du bois de cèdre pour faire un cabinet à l'Ermitage. J'ai trouvé de ce bois, et je prends la liberté de vous en offrir. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il est du Liban, et que défunt le roi Hiram1_228-a n'en eut pas de plus beau.

Daignez ajouter foi à la tendresse des sentiments et à la parfaite estime avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

Mille compliments, je vous supplie, au Margrave.

231. A LA MÊME.

Le 17 novembre 1751.



Ma très-chère sœur,

Je suis obligé de vous envoyer encore un chasseur pour remettre au Margrave un paquet du comte Podewils. J'ai reçu deux de vos lettres à la fois, et quant à l'une, qui regarde le major Bonin, le Margrave est entièrement maître de le prendre; mais je vous avertis d'avance qu'il ne peut se comporter avec personne, et je crains que le Margrave n'en soit pas content.

Vous n'avez aucun lieu de vous presser à lever ce régiment; dans<229> l'état présent de l'Europe, je vous donne sûrement deux ans d'attente, et je crois que le Margrave pourrait très-bien en ce temps embourser des payes mortes.

Je crois que le margrave d'Ansbach ne sera pas resté longtemps chez vous; il n'est pas fait pour goûter les douceurs de la société; la passion de la chasse, et la vie crapuleuse qu'il mène depuis si longtemps, le déplacent quand il se trouve chez des personnes raisonnables.

J'attends ma sœur, le Duc et leur fille aînée, le 4 du mois prochain. Il y a sept ans que la Reine n'a pas revu ma sœur. Ce sera un grand plaisir de la revoir. Elle tient un petit bureau d'esprit, à Brunswic, dont votre médecin1_229-a est le directeur et l'oracle. Il y a de quoi pouffer de rire quand elle parle de ces matières : sa vivacité naturelle ne lui a pas laissé le temps de rien approfondir; elle passe continuellement d'un sujet à l'autre, et dépêche vingt décisions en moins d'une minute.

Si ma sœur d'Ansbach se trouve encore à Erlangen, faites-lui, je vous prie, mes plus tendres compliments, et daignez me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

232. A LA MÊME.

Le 21 novembre 1751.



Ma très-chère sœur,

Je prends la liberté de vous envoyer toutes sortes de babioles. Je souhaite de tout mon cœur qu'il y en ait parmi qui vous soient agréables. Le tableau est fait par des ouvriers d'ici, et il me semble<230> qu'à une certaine distance il fait illusion. Je suppose que vous aimez encore les ananas, et qu'ils ne vous sont pas nuisibles; c'est pourquoi j'ose vous en offrir.

Nous avons perdu le pauvre La Mettrie. Il est mort pour une plaisanterie, en mangeant tout un pâté de faisan; après avoir gagné une terrible indigestion, il s'est avisé de se faire saigner, pour prouver aux médecins allemands qu'on pouvait saigner dans une indigestion. Cela lui a mal réussi; il a pris une fièvre violente qui, dégénérée en fièvre putride, l'a emporté.1_230-a Il est regretté de tous ceux qui l'ont connu. Il était gai, bon diable, bon médecin, et très-mauvais auteur; mais, en ne lisant pas ses livres, il y avait moyen d'en être très-content.

Je vous supplie, ma chère sœur, de me croire avec la plus parfaite tendresse et les sentiments de la plus haute estime, etc.

233. A LA MÊME.

Ce 29 (décembre 1751).1_230-b



Ma très-chère sœur,

Sensible à vos bontés autant qu'on peut l'être, je vous rends grâce de votre cher souvenir et de la belle statue que vous avez eu la bonté de m'envoyer; je la conserverai précieusement comme antique, mais surtout comme venant de vous. Ce me sera une grande consolation d'avoir, l'année que nous allons commencer, la satisfaction de vous voir, de vous entendre et de vous embrasser. Je pourrai verser dans<231> votre sein tous mes chagrins et toutes mes afflictions, ce qui n'est pas une légère consolation. Je suis bien de votre sentiment, ma chère sœur, sur les plaisirs : on est heureux quand on peut les aimer; mais la mauvaise santé, les soins, les chagrins, etc. en font passer l'agrément. Je suis, comme vous, fidèle à la musique et passionné pour l'adagio; mais il faut un peu de mélancolie pour le rendre plaintif, et je ne pourrai sentir que de la joie en vous voyant. J'ai eu un deuil domestique qui a entièrement dérangé ma philosophie. Je vous confie toutes mes faiblesses; j'ai perdu Biche,1_231-a et sa mort a renouvelé en moi la perte de tous mes amis, de celui surtout qui me l'avait donnée. J'ai été honteux qu'un chien ait si fort affecté mon âme; mais la vie sédentaire que je mène et la fidélité de cette pauvre bête m'avaient si fort attaché à elle, ses souffrances m'ont si fort ému, que, je vous le confesse, j'en suis triste et affligé. Faut-il être dur? doit-on être insensible? Je crois qu'une personne capable d'indifférence pour un animal fidèle ne sera pas plus reconnaissante envers son égal, et que, s'il faut opter, il vaut mieux être trop sensible que dur. Voilà, ma chère sœur, comme je suis le sophiste de mes passions, et comme je me déguise à moi-même mes faiblesses. Il faut bien peu de chose pour déranger notre raison, et le sentiment est en nous toujours plus fort que le meilleur syllogisme. Après tout, on ne saurait se refondre, et quand même on parviendrait en soi à éteindre une passion, aussitôt il en renaît une autre qui la remplace. Je lis les Réflexions de l'empereur Marc-Antonin1_231-b pour me fortifier l'âme, et je trouve un consolateur plus affligé que moi-même, qui traite les hommes comme s'ils n'avaient point de partie animale ni de sensations, et j'en reviens à Épicure.

<232>Si vous êtes curieuse de nouvelles, je vous apprendrai que Voltaire s'est conduit comme un méchant fou, qu'il a attaqué cruellement Maupertuis,1_232-a et qu'il a fait tant de friponneries, que, sans son esprit, qui me séduit encore, j'aurais, en honneur, été obligé de le mettre dehors. Après avoir goûté de tout et essayé de tous les caractères, on en revient toujours aux personnes de mérite; il n'y a que la vertu de solide, mais elle est rare à trouver. C'est cette vertu que vous possédez, ma très-chère sœur, qui m'attache plus à vous encore que les liens du sang, et qui me rend à jamais avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

234. A LA MÊME.

(30 décembre 1751.)1_232-b



Ma très-chère sœur,

O ma chère sœur! vous qui avez le cœur si tendre, ayez pitié de la situation où je me trouve. J'ai perdu le prince d'Anhalt,1_232-c et hier Rottembourg1_232-d vient d'expirer entre mes bras. Je devrais répondre à la lettre que vous m'avez écrite; mais je n'en suis pas capable, je ne vois que ma douleur. Toutes mes pensées s'attachent à la perte d'un ami avec lequel j'ai vécu douze ans dans une parfaite amitié. Veuille<233> le ciel vous épargner de ces malheurs et ne vous donner que des occasions de joie! Je suis avec toute la tendresse, ma très-chère sœur, etc.

235. A LA MÊME.

Le 14 janvier 1752.



Ma très-chère sœur,

S'il y a quelque chose capable de me consoler, c'est la part que vous daignez prendre à la douloureuse situation où je me suis trouvé. Je vous avoue, ma chère sœur, que je suis fort de votre sentiment, que la vie ne vaut pas la peine d'être beaucoup regrettée. Qu'est-ce que de vivre, quand on se voit privé de toutes les personnes avec lesquelles on a le plus vécu, et que la mort nous ravit pour toujours ceux que nous aimions? Pour moi, je vous avoue que je suis fort dégoûté du sot personnage que je joue, et que le monde m'est bien insipide. Vous me demandez comment Rottembourg est mort? Hélas! ma chère sœur, il est expiré entre mes bras, ferme et avec une indifférence héroïque. Ses douleurs lui faisaient crier quelquefois : O Dieu! ayez pitié de moi! Mais point de signe de superstition ni de faiblesse dans ses derniers moments. Le prêtre catholique arriva; mais il expira le moment même, et ce n'était point lui qui l'avait fait venir. Le pauvre défunt me tendit sa main mourante, et, pouvant à peine parler, il me dit : « Adieu, Sire; il faut que je vous quitte, je n'en saurais revenir. » Ma situation a été affreuse les premiers jours. J'ai calmé cette première agitation de mon esprit; mais il me reste dans l'âme un fond de mélancolie que je sens bien que je ne pourrai pas déraciner sitôt. La moindre chose qui me rappelle ce souvenir,<234> c'est un coup de poignard qui me perce le cœur. Je crois qu'il n'y a d'heureux dans le monde que ceux qui n'aiment personne. Je lis le troisième chant de Lucrèce,1_234-a et je tâche d'adoucir mes peines; mais tout cela ne me rend point ce qui ne saurait m'être rendu. Je travaille beaucoup pour me distraire, et je trouve que l'ouvrage est ce qui me soulage le plus. Ne craignez rien pour moi, ma chère sœur, je ne suis pas assez bon pour mourir, et ménagez-vous vous-même, pour ne pas mettre le comble à mon affliction.

Je voudrais que le carnaval fût fini, et je roule dans ma tête le moyen de me sauver à Potsdam, où je suis plus à moi-même, et où je puis être mélancolique sans que personne y trouve à redire.

Je vous souhaite de tout mon cœur que vous soyez à l'abri de pareils malheurs, qui, sans contredit, sont les plus grands du monde pour des personnes capables de sentiment. Tous mes vœux se réunissent pour vous, ma chère sœur; ce sont les sentiments avec lesquels je suis jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma chère sœur, etc.

236. A LA MÊME.

(Berlin, 24 janvier 1752.)



Ma très-chère sœur,

Toutes vos lettres redoublent la tendresse que j'ai pour vous; il n'y a qu'une vraie amie qui puisse écrire une lettre comme celle que je viens de recevoir de votre part. Vous entrez dans mes petits chagrins, vous y prenez part, et vous compatissez à ma sensibilité. Il ne s'agit, à la vérité, que d'un chien; mais tout ce que vous m'écrivez<235> de Folichon est précisément le cas où je me suis trouvé avec Biche. Le ciel nous a donné une même humeur et un même cœur. Je pense comme vous sur notre raison; je la crois bonne pour la société, mais fort incommode pour l'individu. Je pars après-demain pour Potsdam, et je ne saurais vous dissimuler que je sens une joie secrète de me retrouver dans ma chère retraite. Je me réjouis sur le plaisir de NOUS revoir, comme les chrétiens sur le jubilé. Venez ici pour voir un ami, et, je vous prie, usez-en de même avec moi sans contrainte et sans gêne; et si vous le voulez bien, nous bannirons toute cérémonie quelconque, pour que je puisse mieux jouir de vous. Les derniers temps que j'ai eu le bonheur de vous voir ici sont ceux où j'ai le mieux profité de vous; commençons, si vous le voulez, par où nous avons fini, et le peu de temps que je pourrai vous posséder me profitera davantage. Écrivez-moi, je vous prie, bien sincèrement sur ce sujet, et ne me déguisez point le fond de votre âme, car il en sera absolument ce que vous jugerez à propos. Je fais mille vœux pour votre conservation et pour le rétablissement de votre santé. Si j'abandonnais le cours à la profusion de mon cœur, je vous ennuierais par tout ce que j'aurais à vous dire; mais je me renferme simplement aux assurances de la parfaite tendresse et de la considération avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

237. A LA MÊME.

Ce 28 (janvier 1752).



Ma très-chère sœur,

Vos consolations ont fait sur moi l'effet d'une goutte d'eau sur une pierre chaude, elles ont un peu calmé mes douleurs; mais toutes vos<236> bontés, toutes les maximes des philosophes, et la puissance de Dieu même, ne sauraient empêcher que ce qui est arrivé ne soit arrivé. Il est toujours bien doux pour moi de trouver dans votre compassion et dans votre sensibilité un soulagement que je ne puis espérer ici de presque personne. Je vous l'avoue, ma chère sœur, la plupart du monde, insensible ou indifférent, trouve l'amitié et les regrets ridicules; cela oblige à des contraintes qui sont d'autant plus insupportables, qu'on s'en fait quelques reproches à soi-même. J'étudie beaucoup, et cela me soulage réellement; mais lorsque mon esprit fait des retours sur les temps passés, alors les plaies du cœur se rouvrent, et je regrette inutilement les pertes que j'ai faites. Je souhaite de tout mon cœur que votre santé s'affermisse; ce serait pour m'achever de vous perdre après tant d'afflictions que j'ai essuyées. Ah! ma chère sœur, pensez à ceux qui vous aiment bien tendrement, et ménagez-vous, si ce n'est pas pour vous-même, du moins pour un frère qui est avec toute l'amitié et l'attachement possible, ma très-chère sœur, etc.

238. A LA MÊME.

Ce 26 (février 1752).



Ma très-chère sœur,

Vous avez très-bien deviné que le margrave de Schwedt n'en mourrait pas; il a fait venir son frère, et l'a reçu en polisson, avec cette éloquence grossière que vous lui connaissez.

Dites-moi, ma chère sœur, par quelle raison le margrave d'Ansbach s'empresse-t-il si fort de renouveler avec moi de vieux pactes de famille? Il a envoyé ici une espèce d'imbécile, son ministre de<237> Cabinet, comme il le qualifie, de Hutten, et il veut absolument que j'aille au-devant de lui dans quelque station de poste, ce que je ne ferai pas assurément. Seckendorff1_237-a est de même dans un empressement extraordinaire de conclure ce traité. Je n'y comprends rien; il faut qu'il y ait un dessous de cartes que peut-être vous pouvez savoir.

Dès que le relieur m'aura remis mes visions folles,1_237-b j'aurai l'honneur de vous les envoyer. Conservez-moi toujours vos bontés, et soyez persuadée, ma chère sœur, que mon cœur, ma personne et toutes mes pensées sont à vous et pour vous, étant, ma très-chère sœur, etc.

239. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 14 mars 1752.



Mon très-cher frère,

Je regrette toujours le temps que je passe sans vous écrire; il me semble qu'il est perdu. Je voudrais pouvoir vous témoigner, mon très-cher frère, tous les instants de ma vie mes sentiments pour vous, et pouvoir vous en convaincre. J'en ai été privée pendant une semaine entière, ayant eu grand mal aux dents. Je m'en suis guérie<238> assez comiquement. On m'a conseillé de fumer de certaines herbes, ce qui m'a d'abord soulagée; mais comme j'ai été obligée de réitérer le même remède plusieurs fois, mes dames m'ont tenu compagnie, et nous avons toutes fumé comme des dragons. Vous voyez, mon très-cher frère, qu'avec mon courage naturel, mon génie pour la guerre et ce nouveau talent que je viens d'acquérir, je pourrais devenir grand général. Il me reste pourtant un doute, car je n'ai jamais trouvé dans l'histoire qu'Alexandre ni César aient fumé. Quoi qu'il en soit, on m'a pronostiqué que je commanderais une armée dans le cours de cette année. Je suis si fière de cette prophétie et si crédule, que je ne lis plus que des livres qui traitent du métier; et pour bien apprendre la tactique, j'arrange des pompons et des fanfreluches pour l'Opéra. Pardonnez-moi toutes ces folies; la morale et le sérieux sont des matières rebattues pour vous; il faut bien que j'en cherche qui vous soient inconnues, pour vous éviter l'ennui de mes lettres. Je suis avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

240. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ce 28 (mars 1752).



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir votre lettre, où je vois que de jour en jour vous devenez plus grand capitaine. Si vous ne surpassez pas encore les Turenne et les Condé par vos grands exploits, vous les effacez de beaucoup par le caractère et les charmes d'esprit, ce qui est bien préférable à des tours de spadassin. Je reviens de Berlin, où<239> nous avons célébré le jour de naissance de notre chère mère. On a joué l'opéra d'Orplée. Il faudra encore y corriger quelque chose pour le rendre tout à fait parfait. Nous commençons ici nos exercices dans quelques jours, ce qui n'est guère amusant. Je vous prie de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma chère sœur, etc.

241. A LA MÊME.

Ce 24 (avril 1752).



Ma très-chère sœur,

J'ai été assez heureux que de recevoir deux de vos lettres aujourd'hui, avec celle du Margrave dans la dernière. C'est sur ce sujet que je me presse de vous répondre le premier. Vous pouvez bien croire, ma chère sœur, que je me prêterai avec plaisir à tout ce qui peut faire du plaisir aux deux margraves, et je crois même que ce renouvellement des vieux pactes1_239-a pourra rétablir une meilleure union entre vous et le margrave d'Ansbach, en détrompant ce dernier de toutes les chimères dont on l'a bercé. C'est dans ce sens-là que j'ai répondu au margrave de Baireuth. Je connais Seckendorff depuis longtemps. Il passait pour un fat dans le temps qu'on l'appelait le Cardinal Nepote, et, depuis ce temps-là, je crois qu'il a ajouté à tant d'autres belles qualités une grande présomption, accompagnée de beaucoup de suffisance. Si la cour de Vienne lui paye une grosse pension, c'est assurément de l'argent mal employé, car lui et sa cour ne valent pas la<240> peine d'être corrompus. Je suis charmé de ce que votre santé soit au moins passable. Je vous fais mille excuses de finir si brusquement, mais il faut que j'aille à Berlin; en vous embrassant mille fois, je vous prie de me croire, ma très-chère sœur, etc.

242. A LA MÊME.

Le 29 mai 1752.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces de votre précieux souvenir; je fais mille vœux pour que vous passiez votre temps agréablement et en bonne santé. Ma goutte a été obligée de me quitter, parce que nous ne pouvions plus vivre ensemble. J'ai fini mes manœuvres de Berlin, et, en prenant congé de la Reine, on y a beaucoup parlé de vous; certainement, ma chère sœur, vous étiez en bonnes mains, et votre modestie vous aurait empêchée de nous entendre parler sans rougir. Je pars après-demain pour Magdebourg, où je ferai la même chose qu'à Berlin, et ensuite je vais à Stettin faire répéter leur leçon à mes écoliers de là-bas. Vous pensez, ma chère sœur : Mon frère est un fichu maître d'école. J'en conviens, mais il faut faire son métier. Je fais bâtir ici comme un fou; je m'amuse à peupler le pays, non pas de ma progéniture, mais par des colonies étrangères. Il faut qu'on s'occupe pendant qu'on est dans le monde, et, tout pesé, tout examiné, il est plus agréable et plus juste de s'occuper du bien que du mal. Le 20 du mois qui vient, seront les noces de monseigneur Henri.1_240-a Je n'entre point dans la confidence de son amour ou de son indifférence,<241> mais je crois que, à tout égard, la femme lui fera du bien. Adieu, ma chère et très-chère sœur. Je vous fais mes excuses d'avance de mon inexactitude future. Ces revues me fatiguent si fort, que, quelque envie que j'aie de vous écrire pendant ce temps, je n'en aurai pas la force; je me recommande cependant dans votre cher souvenir, en vous priant de me croire avec la plus haute estime et la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

243. A LA MÊME.

Potsdam, 30 juin 1752.



Ma très-chère sœur,

Vous avez deviné, ma chère sœur, et mes pensées, et le lieu où je me trouve. Nos revues et nos noces sont finies, les noces à la satisfaction de tout le monde. Notre belle-sœur est une personne qui doit prétendre à votre amitié; c'est la plus charmante personne du monde, jolie, son esprit est cultivé; avec cela, elle est attentive et pleine de décence et de bonnes manières. Nous pouvons nous féliciter de cette acquisition, et je crois que vous en serez contente. Nous allons faire la même chose, vous à l'Ermitage et moi à Sans-Souci. Je fais des vœux pour que les eaux vous fassent tout le bien imaginable, et pendant qu'Éger me réduira au silence, je vous supplie de me croire avec la plus tendre amitié, ma très-chère sœur, etc.

<242>

244. A LA MÊME.

Le 4 novembre (1752).



Ma très-chère sœur,

Je suis bien aise de vous savoir heureusement de retour de Stuttgart. Je crois, ma chère sœur, que le plaisir de revoir votre fille vous a fait supporter l'ennui des divertissements. J'ai fait un opéra1_242-a dont je me flatte de vous régaler quand j'aurai l'honneur de vous embrasser. J'ai fait l'acquisition d'un bon poëte,1_242-a qui le traduit en italien, et j'espère que la musique répondra au tout ensemble. Je mène ici ma vie claustrale, en m'amusant le plus doucement que possible. J'ai encore perdu un ami très-honnête homme, le général Stille,1_242-b qui a sans doute eu l'honneur d'être connu de vous; et le pauvre Maupertuis m'a bien la mine de le suivre dans peu. Je fais mille vœux pour votre conservation; en me recommandant à votre précieux souvenir, vous me permettrez de vous réitérer les assurances de la tendresse parfaite avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<243>

245. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Baireuth, 24 novembre 1752.



Mon très-cher frère,

Mon retour ici, joint au séjour de ma sœur à Erlangen, m'ont privé du bonheur de vous écrire. J'ai trouvé, mon très-cher frère, votre chère lettre à mon arrivée. Les bonnes nouvelles que vous me donnez de votre précieuse santé me comblent de joie. Je suis fort de votre sentiment, mon très-cher frère, et suis persuadée que notre âme est la servante de notre corps. Je le sens tous les jours; mon âme (si j'en ai une) est toujours attachée auprès de vous, et mon misérable corps reste ici sans pouvoir suivre ses directions. Je le maudis sans cesse d'être construit de chair et d'os, et de n'être pas formé comme celui des sylphes, qui se transportent en un instant d'un endroit dans un autre. Il faut que je promène chaque jour ce chétif individu pendant quelques heures, pour avoir ensuite la faculté de penser et de réfléchir. Mais, malgré toutes mes réflexions, je ne sais pas encore ce que je suis. Je remarque pourtant que, lorsque je souffre le plus, je ne ressens aucun mal quand je puis fixer mes pensées sur quelque objet qui mérite de l'application. Il est vrai que ce soulagement n'est que momentané, les ressorts de la machine, affaiblis par la douleur, ne pouvant endurer une longue application; je m'aperçois aussi que souvent je ne vois point un objet qui se présente à ma vue, et je n'entends point un son qui frappe mon oreille; je n'y pense ni n'y fais attention. Je conjecture de là qu'il n'y a que la réflexion qui m'imprime les idées qui me sont rapportées par les sens. Cette conjecture me fait croire quelquefois qu'il y a quelque chose de plus en moi que mon corps; mais j'y trouve, d'un autre côté, tant de contradictions, que j'en reviens à l'autre système. Ne direz-vous pas, mon très-cher frère, que je suis aussi bon philosophe<244> que grand capitaine, et que je ferais mieux de me taire que de vous entretenir de mes songes creux? Mais c'est une nouveauté pour vous d'entendre déraisonner. La conversation de Voltaire, d'Argens et d'Algarotti vous en paraîtra d'autant plus agréable; cette lettre leur servira d'ombre; il en faut dans un tableau. De crainte qu'elle ne devienne à l'italienne et trop chargée d'obscur, je la finis en vous réitérant la tendresse et le profond respect avec lequel je serai toute ma vie, mon très-cher frère, etc.

246. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 2 décembre 1752.



Ma très-chère sœur,

Vos lettres, bien loin de m'ennuyer, sont des instructions philosophiques dont les philosophes mêmes pourraient profiter. S'il y a un être créé digne d'avoir une âme immortelle, c'est vous, sans contredit; s'il y a un argument capable de me faire pencher vers cette opinion, c'est votre génie. Cependant, ma chère sœur, j'aime mieux croire que la nature a fait une exception en votre faveur que de me flatter du même bénéfice. Il est bien sûr que, quand nous nous représentons ce que nous sommes, sans les sens et sans la mémoire il ne reste rien de ce qui fait le nous, et c'est bien sur quoi je compte, regardant le temps que je vis comme l'unique qui m'est destiné entre l'éternité des temps qui m'a précédé et celle qui me succédera. Je sais que je n'ai pas été avant ma naissance, et du passé je conclus au futur. D'ailleurs, à quoi bon cette partie de nous-mêmes survivrait-elle à l'autre? que ferait-elle? à quelle sauce la mettrait-on? Toutes<245> ces raisons me fortifient dans mon sentiment, et je ne crois pas qu'on ait à se plaindre de redevenir ce que l'on a été. Pour moi, je bénis la nature de m'avoir favorisé, en naissant, d'une sœur qui seule pourrait faire la consolation de ma vie, de m'avoir donné des parents qui sont estimables par leurs vertus, et de ne m'avoir point donné un esprit inquiet et difficile à satisfaire. Voilà ma petite confession de foi, qui ne ressemble ni à celle d'Augsbourg, ni au catéchisme de Calvin. Il n'est pas donné à tout le monde d'être orthodoxe, mais il dépend de chacun de suivre les lois de la nature, et c'est, je crois, à cette philosophie pratique qu'un honnête homme doit le plus s'appliquer. Mais je ne sais de quoi je m'avise de vous parler de mes rêveries. Vous, qu'on peut entretenir du cèdre jusqu'à l'hysope,1_245-a et passer de la philosophie la plus sublime à l'histoire des pompons, vous me pardonnerez si j'égaye ma lettre par ces bagatelles que j'offre à votre toilette; quoique grand philosophe et grand capitaine, vous ne sauriez vous dispenser d'y passer une heure par jour, et je me flatte que, dans ce temps-là, vous voudrez vous servir quelquefois du collier que je vous présente, en vous assurant qu'il part du principe de l'amitié et de la tendresse la plus tendre avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

247. A LA MÊME.

(Berlin) 15 décembre 1752.



Ma très-chère sœur,

Vos lettres sont toutes si remplies de bonté pour moi, qu'elles me couvrent de confusion. Je crois que vous ne serez pas fâchée de vous<246> trouver un moment seule et de jouir d'une entière tranquillité d'esprit. Je ne sais si c'est un effet de l'âge, si c'est une suite de l'affliction, ou si c'est l'ouvrage de la raison, mais je reviens de jour en jour du goût des plaisirs turbulents, et, si je pouvais suivre mon penchant, je m'adonnerais entièrement à la retraite. Je crois m'apercevoir que vous pensez à peu près de même, ma chère sœur. Le malheur est qu'on se trouve engagé dans une espèce d'esclavage dont on ne saurait se libérer; nous sommes obligés de porter le joug que le destin nous a imposé; notre naissance décide de notre état, et il faut, mal gré bon gré, faire le métier auquel on est condamné. La plupart du monde ambitionne de s'élever; pour moi, je voudrais descendre, si, pour prix de ce sacrifice, qui n'en serait pas, parce qu'il ne me coûterait rien, j'obtenais la liberté. Voilà une lettre qui ne porte guère les empreintes et le style du carnaval; c'est un masque de chauve-souris parmi les dominos couleur de rose. Je vous en demande mille pardons, et je vous proteste que, malgré mon humeur noire, je vous aime et vous chéris avec la plus vive tendresse, étant, ma très-chère sœur, etc.

248. A LA MÊME.

Le 19 décembre 1752.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec bien du plaisir votre chère lettre. Il me paraît du moins, par la gaîté qui y règne, que vous êtes de bonne humeur, et que vous vous portez bien; ce sont les articles qui m'intéressent le plus. Je suis trop heureux que vous ayez reçu avec bonté le collier<247> que j'ai pris la liberté de vous envoyer. Conservez-moi toujours dans votre cher souvenir, et soyez persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis jusqu'à la fin de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

249. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 27 janvier 1752 (1753).



Mon très-cher frère,

Vos maximes et vos leçons me servent d'une grande consolation dans la triste situation où je me trouve. Elles m'ont enseigné à me mettre au-dessus des revers de la fortune, et de regarder avec fermeté les événements qui ne concernent point le cœur et l'amitié. Nous sommes ruinés de fond en comble. Le feu prit hier au soir à huit heures au château, presque en trois endroits différents. Il y a beaucoup d'apparence qu'on l'a allumé. J'étais fort malade dans mon lit; on m'a sauvée du milieu des poutres brûlantes. J'ai conservé mon chien, mes pierreries et quelques livres, et j'ignore encore ce que je possède ou ce que j'ai perdu. Le Margrave n'a rien sauvé de ses appartements. Tout le château est en cendres; on n'a préservé qu'une aile, sans quoi toute la ville était ruinée. Je suis dans une maison, sans savoir où trouver de gîte, ni où me retirer. Mais je suis tranquille, et pense qu'on peut vivre content dans l'abaissement comme dans l'abondance. Ma bibliothèque me cause le plus de peine. Je vais mener une vie fainéante; je serai privée de l'unique compagnie que j'avais. Voilà bien des jérémiades; vous les pardonnerez, mon très-cher frère, en faveur de la confusion où je me trouve. Cette con<248>fusion m'oblige de finir, étant avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

250. DE LA MÊME.

Le 31 janvier 1752 (1753).



MON TRÈS-CHER FRÈRE,

Le départ de la Venturina m'offre l'occasion favorable de vous assurer encore des sentiments de mon cœur. Elle m'a trouvée dans une maison de particulier, environnée de hardes et d'effets sauvés. Nous ne savons point encore où donner de la tête, ne pouvant nous éloigner d'ici, la présence du Margrave y étant nécessaire. J'ai retrouvé encore une partie de ma garde-robe. Beaucoup de meubles, de bijouteries et de porcelaines sont brûlés. Le Margrave a perdu tout ce qu'il avait dans ses appartements. Il regrette beaucoup ses flûtes et sa musique, d'autant plus qu'il n'a pas la moindre récréation pour dissiper son chagrin. J'ose vous supplier, mon très-cher frère, de lui envoyer une flûte et quelques concertos de Quantz. Selon toutes les apparences, le feu a été mis au château. Ce qui nous a été le plus sensible a été la mauvaise volonté des gens d'ici, qui n'ont point voulu donner de secours, et se sont cachés ou sauvés pour n'avoir point besoin de travailler. Il n'y a eu que le militaire, la cour et les étrangers qui ont tiré du feu le peu qui nous reste. Pardonnez, mon très-cher frère, si je vous entretiens encore de ce triste événement; c'est la nouvelle du jour, je n'entends parler d'autre chose, la tête m'en est toute confuse. C'est ce qui m'oblige<249> de finir, étant avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

251. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ce 2 (février 1753).



Ma très-chère sœur,

J'ai été vivement touché du malheur qui vient de vous arriver; pourvu que la frayeur ne vous ait pas fait du tort à votre précieuse santé, je vois du remède au reste. Tout ce que votre cœur vous dit qu'il sentirait si j'étais dans votre cas, je l'éprouve en ce moment, la pitié, la tendresse, la compassion; enfin je sens pour votre infortune ce que peut-être je ne souffrirais pas pour moi-même. Mais, ma chère sœur, l'amitié ne doit point être stérile; c'est peu de plaindre ses amis, il les faut assister. Marquez-moi à cœur ouvert en quoi je puis vous être utile, et soyez persuadée que je ferai de mon mieux pour vous soulager. Écrivez-moi comme à un ami qui mérite quelque confiance; le chasseur pourra être de retour bien vite, et dès que j'aurai reçu votre lettre, je tâcherai de vous donner de mon mieux des marques de la sincère tendresse que j'ai pour vous. Je vous conjure de me donner en même temps des nouvelles de votre santé, qui aurait pu facilement souffrir de cette frayeur et de cette épouvante. Je vous jure que je suis aussi confus et consterné de votre affliction comme si cela m arrivait aujourd'hui; mais j'y vois jour, vous pouvez réparer avec un peu de temps toutes les pertes que vous avez faites. Il n'y a que le logement qui m'embarrasse; je vous offrirais volontiers ma maison; le malheur est qu'elle n'est pas proche de Baireuth.<250> Adieu, ma chère sœur. Pour Dieu, conservez votre personne; cette perte serait irréparable, au lieu qu'il y a d'ailleurs remède à tout. Je suis avec la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.,

252. A LA MÊME.

Ce 7 (février 1753).



Ma très-chère sœur,

Si j'avais la lyre d'Amphion, je l'enverrais aussitôt au Margrave, pour qu'il pût rebâtir son château à l'aide de ses sons harmonieux. Je lui envoie dans la place ce que j'ai : c'est une flûte qui a l'art d'adoucir le chagrin et de faire diversion aux malheurs qui nous arrivent. J'ai pris à la hâte sept concertos que j'y ajoute, et je continuerai chaque jour de poste à vous envoyer les autres. Voyez, ma chère sœur, jusqu'où va mon impertinence : j'ai ouï dire que le Margrave a perdu toutes ses chemises, et comme je crois qu'il ne trouvera pas sur-le-champ de la toile assez fine, j'ose vous en envoyer de Silésie, que j'ai justement trouvée sous ma main. Excusez ma hardiesse, et ne mettez le tout que sur l'envie que j'ai de vous servir. J'attends le retour du chasseur pour savoir en quoi je pourrai vous être utile, et j'espère que vous me parlerez avec toute la franchise qui doit régner entre amis. Tout ce qui me console dans ces tristes circonstances, c'est la façon généreuse dont vous avez pris le malheur qui vous est arrivé.1_250-a Je me flatte que votre santé n'en sera pas altérée; c'est pour moi le principal, car les pertes que vous avez faites, ma très-chère sœur, ne sont pas irréparables. Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est le<251> dérangement que cela met à votre genre de vie. Mandez-moi donc et de votre bibliothèque, et de vos nippes, et de tout, ce que vous avez perdu, pour que je puisse au moins, de mon côté, porter quelque réparation à vos pertes. Si vous saviez de quel cœur je le fais, vous ne m'envieriez pas ce plaisir-là, et vous voudriez même y contribuer. Je suis avec la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.

253. A LA MÊME.

Ce 11 (février 1758).



Ma très-chère sœur,

Mon chasseur est de retour; mais, ma chère sœur, vous n'entrez pas encore avec moi en d'assez grands détails, vous m'obligez de deviner. Vous avez sauvé vos pierreries, votre garde-robe et votre bibliothèque, et votre argent de poche sera perdu; je le crois, et je comprends que cela vous doit mettre à l'étroit. Souffrez, je vous prie, qu'un frère qui vous aime tendrement ose y suppléer. La bagatelle que je vous envoie est de ces choses que l'amitié seule peut autoriser. Je ne m'en tiendrai pas là, et j'attends, sur le reste, à quoi vous voudrez m'employer pour votre service. Votre maison aura le sort du temple : le premier était beau, mais le second le fut bien davantage.1_251-a Vous aurez l'agrément de vous loger à votre fantaisie, et j'espère que, tout bien compté, vous vous trouverez mieux que par le passé. Dieu merci, les faiseurs de velours et de drap d'or vivent encore; on peut<252> avoir de ces superbes misères tant que l'on veut, et je ne regrette que l'incommodité dans laquelle vous vous trouverez à présent. Ne pourriez-vous pas, pendant l'hiver, vous retirer au Brandenbourger,1_252-a ou bien à Erlangen? Vous y seriez du moins dans votre maison, et mieux que chez Montperni.1_252-b Je vous demande pardon de ce que je m'ingère de vous donner des conseils; mais je vous jure que je suis véritablement inquiet de vous savoir mal à votre aise, et que, pour la tranquillité de ma vie, il faut que vous soyez heureuse. Non, ma chère sœur, ce ne sont point des compliments, j'en sais mal faire; c'est un cœur qui vous est tout dévoué qui parle, et qui rend grâce à la nature que ce funeste accident ne vous ait point causé de mal à votre santé. Ne vous chagrinez pas de vos pertes; soyez persuadée que je vous seconderai autant que je le pourrai, et j'espère que vous n'aurez aucune répugnance de recevoir de mon amitié des choses qui peuvent contribuer à votre agrément. J'ose même me flatter que cela leur donnera un nouveau prix. Voici six concertos pour le Margrave, que vous aurez la bonté de lui donner; le reste suivra à chaque poste. Je vous embrasse mille fois; je fais mille vœux pour votre santé et pour votre contentement. Soyez persuadée que, de toute la famille, personne ne vous aime ni ne vous est si tendrement attaché que, ma très-chère sœur, etc.

<253>

254. A LA MÊME.

Ce 23 (février 1753).



Ma très-chère sœur,

Je prends la liberté de vous envoyer des concertos pour le Margrave, que vous aurez la bonté de lui remettre, de sorte que j'espère d'avoir réparé la brèche que l'incendie a faite au département de la musique. La sincère amitié que j'ai pour vous m'a fait penser souvent à vos affaires; j'ai donc arrangé dans ma tête la façon dont vous pourriez vous y prendre pour réparer les maux que l'incendie vous a faits. Le premier point est de rebâtir la maison. Comme beaucoup de murailles sont restées, je crois qu'avec quarante ou cinquante mille écus vous pourrez rétablir le bâtiment, et qu'avec soixante mille écus vous pourrez y remettre les meubles. Mais j'ose vous conseiller de faire faire de bons devis avant que de commencer le bâtiment, et d'avoir des inspecteurs honnêtes gens qui président à la direction de cet ouvrage. Quant à ce que vous me mandez, ma chère sœur, de l'emprunt que le Margrave veut faire, j'y consentirai de grand cœur, et je suis persuadé que le margrave d'Ansbach ne s'y opposera pas. Vous avez bien raison de dire que je ne puis pas toucher au trésor. Depuis la mort de mon père, je n'ai jamais employé pour mon usage un sou qui appartînt à l'État;1_253-a mais ce qui est à ma disposition sera aussi à la vôtre, et j'attends que vous ayez fait votre plan pour y concourir de ma part. S'il vous faut habiller votre opéra, vous n'avez qu'à dire un mot; j'ai une si grande garde-robe d'histrions, que je puis facilement vous fournir ce qu'il vous faut pour un opéra; vous n'avez qu'à me dire ce qui peut vous convenir, et je serai charmé de pouvoir contribuer en quelque chose à votre agrément. L'amitié, ma chère sœur, est peinte avec des ailes de feu; il faut qu'elle vole et se<254> porte avec vivacité vers l'objet aimé. Dites, je vous prie, et vous serez obéie promptement. J'ai honte de vous offrir mes vieux haillons; mais si vous avez dessein de faire un opéra, cela vous satisfera pour le moment, et ensuite cela fait de bons habits pour la comparse. Tous mes vœux sont pour vous; il faut cependant qu'un pauvre déiste ne paraisse pas réprouvable aux yeux de l'Être suprême; il m'accorde votre santé, c'est tout ce qui m'est le plus cher. Je suis avec les plus tendres sentiments, ma très-chère sœur, etc.

255. A LA MÊME.

Ce 13 (mars 1753).



Ma très-chère sœur,

Je me trouverais trop heureux, si je pouvais contribuer en quelque chose à votre bien-être; mon consentement, ma chère sœur, est bien peu; j'aurais dû vous assister plus réellement, mais malheureusement je ne suis pas encore en état d'en faire autant. Vous faites fort bien de vous arranger chez vous le mieux que vous le pouvez, en attendant que vous puissiez rebâtir votre maison; et comme vous n'avez point d'enfants, c'est fort bien pensé que de ne vous régler que sur vos besoins. Je me prépare à vous assister du peu qui dépend de moi; souvenez-vous que, dans l'Écriture, le denier de la veuve fut le plus agréable.1_254-a Ici, le diable s'est incarné dans nos beaux esprits; il n'y a plus moyen d'en venir à bout. Ces gens n'ont d'esprit que dans la société; ils sont sévères sur leurs ouvrages pour ne point être critiqués par d'autres, et indulgents sur leur conduite, qui d'ordinaire est<255> ridicule, et qu'ils croient ne point passer à la postérité. Je vous demande bien des excuses si je ne vous en dis pas davantage pour cette fois; mais j'ai encore tant d'affaires à finir, que je n'ai pas un moment à moi. Je suis avec la plus vive tendresse et la plus parfaite estime, ma très-chère sœur, etc.

256. A LA MÊME.

(Potsdam) ce 29 (mars 1753).



Ma très-chère sœur,

Si j'osais prendre cette liberté, je vous gronderais pour le coup. Comment est-il possible, ma chère sœur, que vous vous confiiez avec tant de facilité à des charlatans qui peuvent achever de ruiner votre santé? En vérité, si vous avez eu des maux de tête, et si cette maudite cure tourne à mal, il n'y a rien en cela qui me surprenne. Comment pouvez-vous vous confier à des inconnus et ajouter foi à des remèdes qu'une paysanne vous donne? Je vous prie par tout ce que vous avez de plus cher de faire plus de cas de votre précieuse personne, et de ne point vous servir de remèdes de sympathie et de cures que le tiers et le quart vous proposent. Je tremble avant que de voir le dénoûment de tout cela, et je vous supplie de ne me plus faire souffrir la question par les craintes que j'ai pour votre santé. Je vous aurais répondu plus tôt, si je n'avais pas été à Berlin pour célébrer le jour de naissance de la Reine. Hasse1_255-a et Monticelli1_255-a y sont venus;<256> Hasse a chanté chez moi divinement; Monticelli m'a paru mauvais chanteur; on le dit bon acteur, mais l'action ne peut pas suffire à tout, et pour un chanteur, il faut de la voix et des grâces. Voltaire est parti pour Plombières,1_256-a et votre serviteur fera dans trois semaines le voyage de Silésie. Je fais mille vœux pour vous, ma très-chère sœur, en vous assurant que, quoique beaucoup de personnes vous aiment, il n'en est aucune qui vous est aussi tendrement attachée que, ma très-chère sœur, etc.

257. A LA MÊME.

(Potsdam) ce 12 (avril 1753).



Ma très-chère sœur,

Je bénis le ciel de ce que votre cure est finie, et je vous supplie avec toute l'ardeur possible de ne plus faire des expériences pareilles sur vous-même. Vous me demandez des nouvelles de Voltaire; voici la vérité de son histoire. Il s'est comporté ici comme le plus grand scélérat de l'univers. Il a commencé par vouloir brouiller tout le monde par des mensonges et des calomnies infâmes, dont il ne rougit pas; après quoi il s'est mis à écrire des libelles contre Maupertuis, et il prend le parti de König, qu'il hait autant que Maupertuis, pour chagriner le dernier, pour le rendre ridicule, et avoir la présidence de notre Académie; tout cela avec nombre d'intrigues que je supprime, et où sa noirceur, sa méchanceté et sa duplicité s'est fait connaître. Le voilà qui imprime son Akakia ici, à Potsdam, en abusant d'une permission que j'avais donnée d'imprimer la Défense de milord Bolingbroke. Je l'apprends, je fais saisir l'édition, la jette dans le feu, et<257> lui défends sévèrement de faire imprimer ce libelle ailleurs. A peine suis-je arrivé à Berlin, que l'Akakia y paraît et s'y débite; sur quoi je le fais brûler par les mains du bourreau. Voltaire, au lieu de s'en tenir là, double et triple la dose, en écrivant contre tout le monde. J'ai eu ma part de cette affaire, et j'ai été assez bon que de le laisser partir. A présent il est à Leipzig, où il distille de nouveaux poisons, et où il se dit malade pour corriger un ouvrage terrible qu'il y compose. Vous voyez donc que, loin de vouloir jamais ravoir ce malheureux, il ne s'agit que de rompre entièrement avec lui.1_257-a Si vous me permettez donc de vous dire librement mon sentiment, ma chère sœur, je ne serais pas fâché qu'il allât à Baireuth; car, si vous y consentez, j'y enverrais quelqu'un pour lui redemander la clef et la croix qu'il a encore, et surtout une édition de mes vers qu'il a envoyée à Francfort-sur-le-Main, et que je ne veux absolument pas lui laisser, vu le mauvais usage qu'il est capable d'en faire. Quant à vous, ma chère sœur, je vous conseille de ne lui point écrire de votre main; j'y ai été attrapé. C'est le scélérat le plus traître qu'il y ait dans l'univers. Vous serez étonnée de toutes les noirceurs, de toutes les duplicités et méchancetés qu'il a faites ici. On roue bien des coupables qui ne le méritent pas autant que lui. Je vous demande pardon de cet ennuyeux détail; mais il est bon que ce méchant caractère vous soit démasqué une fois. J'attends demain ma sœur d'Ansbach. Nous nous entretiendrons de vous, ma chère sœur, et sûrement les oreilles vous corneront. Je suis avec la plus tendre amitié, ma très-chère sœur, etc.

<258>

258. A LA MÊME.

Ce 16 (avril 1753).



Ma très-chère sœur,

Dès que ma sœur d'Ansbach est arrivée, je me suis d'abord informé de votre santé; elle m'a dit qu'elle vous avait laissée malade, ce qui m'a si fort frappé, en me rappelant cette cure de sympathie dont vous vous êtes servie, que, pour me tirer d'inquiétude, j'ai dépêché notre esculape pour Baireuth. Mon cœur a volé à vous; mais mon malheureux corps, enchaîné à la politique, ne peut le suivre. Je suis l'esclave de mon poste et de mon emploi, je ne suis pas maître de mes actions; sans quoi je serais chez vous. Veuille le ciel que cette santé si chère, que cette précieuse santé, que cette tendre amie, cette fidèle sœur me soit conservée! Je vous assure que toutes mes pensées ne sont remplies que de cet objet. J'ai dit à Cothenius de m'envoyer un exprès, pour que je sache si je puis être tranquille, ou si mon cœur doit être déchiré par la plus cruelle affliction. L'occasion est si sûre, que je vous prie de recevoir par le médecin ce que je vous offre du meilleur cœur du monde, et ce qui pourra pallier du moins une petite partie de vos pertes. Je vous embrasse mille fois, ma chère sœur. Je ne vous en dis pas davantage, pour ne me point attendrir; mais soyez sûr que vous n'êtes aimée de personne au monde aussi tendrement, aussi sincèrement, ni avec autant d'attachement que de votre très-fidèle frère et serviteur.

<259>

259. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 24 avril 1753.



Mon très-cher frère,

Vous m'avez accablée à la fois de trop de bienfaits et de bontés, pour ne pas me rappeler à la vie. Votre chère lettre, Esculape, Momus, et tant d'assurances que vous me donnez, mon très-cher frère, de votre amitié, seraient capables de me ressusciter, si j'étais au nombre des trépassés. Vous le dirai-je? je n'ai point craint la mort, et j'aurais soutenu mes maux en patience, si l'appréhension d'être privée de votre chère vue ne m'avait jetée dans le désespoir. Colhenius m'a rendu ma tranquillité en m'assurant qu'il me mettrait en état d'aller à Berlin, et de revoir tout ce que j'ai de plus cher au monde et la seule chose qui m'y attache. Que ne vous dois-je point, mon cher frère! Vous me prolongez une vie qui ne vous est d'aucune utilité; vous vous privez de vos plaisirs pour me faire part de vos bienfaits, et vous les accumulez sans cesse. Pour moi, je ne puis que vous aimer. Je voudrais avoir mille cœurs pour pouvoir vous les donner, et encore ne m'acquitterais-je pas de ce que je vous dois. J'ai eu une forte crise le lendemain de l'arrivée de Cothenius. Il m'a fait commencer aujourd'hui une cure d'herbes, après laquelle je prendrai les eaux d'Éger.

J'ai vu aujourd'hui une lettre de Voltaire. Il va à Gotha, où sa nièce va le trouver. Je doute qu'il vienne ici. Il mande cependant qu'il écrira encore de Gotha. Je suppose que peut-être il a dessein de s'établir ici avec sa nièce, ce que je tâcherai d'éluder. Les lettres qu'il a écrites à ses amis ici (qui sont écrites sans défiance, et qu'on ne m'a montrées qu'après de fortes instances) sont fort respectueuses sur votre sujet. Il vous donne le juste titre de grand homme. Il se plaint de la préférence que vous avez donnée à Maupertuis, et de la<260> prévention que vous avez contre lui. Il raille fort piquamment sur le sujet de ce dernier, et je vous avoue, mon cher frère, que je n'ai pu m'empêcher de rire en lisant l'article, car il est tourné si comiquement, qu'on ne saurait garder son sérieux. Je ne manquerai pas de vous avertir de tout ce que j'apprendrai de lui. Ma faiblesse m'oblige de finir, mais jamais d'être avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

260. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ce 29 (avril 1753).



Ma très-chère sœur,

Votre lettre me tire de la plus cruelle incertitude où mortel puisse se trouver. J'appréhendais pour votre précieuse santé. J'avais dépêché Cothenius pour Baireuth, et je ne recevais point de nouvelles. Grâces au ciel, vous m'en donnez vous-même, et de bonnes. Si ma malheureuse machine n'était pas enchaînée ici sur ma galère, j'aurais volé à vous pour me tirer d'inquiétude; mais je suis moins maître de mes actions que le plus petit particulier, et il faut que je rame, puisque c'est mon destin de ramer. J'ai cependant eu la consolation de revoir ma sœur d'Ansbach. Jugez du plaisir que j'ai ressenti en embrassant une amie de mon enfance, une sœur que j'aime tendrement, et que je n'ai vue de neuf ans.1_260-a Il n'y a eu que le congé de triste dans tout cela, et ce sont, je crois, des moments qu'il faut éviter autant qu'il est possible. Elle sera aujourd'hui à Brunswic, et je crois que vers le 7 ou le 8 du mois qui vient, elle sera à Baireuth.<261> Elle vous dira, ma chère sœur, que nous nous sommes souvent entretenus sur votre sujet, et que vous êtes aimée et adorée de toute la famille. Je trouve sa santé mauvaise, et je l'ai conjurée de consulter Cothenius en passant à Baireuth. J'ose vous supplier de l'en faire ressouvenir. Elle a entendu l'opéra de Didon et mes chanteurs, ce qui l'a amusée. Je crois qu'ils n'ont que peu de bons sujets en Italie. Le moyen de les avoir, quand on les recherche à tant de théâtres, et que de grands princes les payent à leur pesant d'or?

A propos de théâtres, ne croyez pas que je vous aie dit la centième partie des friponneries de Voltaire; il y aurait de quoi en faire un sottisier gros comme un volume de Bayle. C'est bien dommage que les grands talents de cet homme soient ternis par l'âme la plus noire et la plus perfide, qui aigrit et gâte tout son esprit. Je pars demain au soir pour la Silésie. Je prends congé de vous, ma chère sœur, parce que pendant quinze jours je serai plus errant que ce Juif qu'on dit courir le monde, et que je ne pourrai vous écrire qu'à mon retour. Je fais mille vœux pour votre santé et pour votre contentement. Soyez persuadée qu'ils partent d'un cœur qui est tout à vous, et qui ne cessera de vous donner des marques de son attachement qu'en rendant le dernier soupir. Ce sont les sentiments, ma très-chère sœur, de votre, etc.

261. A LA MÊME.

Ce 30 (mai 1753).



Ma très-chère sœur,

Cothenius est arrivé; il m'a tout à fait tranquillisé sur l'état de votre santé, qu'il se flatte d'avoir rétablie du mieux qu'il a pu pendant son<262> séjour de Baireuth. Je vous rends grâce, ma chère sœur, de la façon tendre dont vous daignez vous souvenir de moi, et de la manière gracieuse dont vous interprétez les petits services que je puis vous rendre. Le médecin m'a apporté la belle table et le jus de cerises que vous avez eu la bonté de m'envoyer, dont je vous fais les plus tendres remercîments. Voici la réponse que j'ai reçue de France; je n'ai point voulu abuser de la confiance du Margrave, et je ne prétends être dans toute cette affaire que l'instrument de vos volontés. Je crois que si le Margrave juge à propos de signer ce traité, il sera convenable de garder là-dessus un secret impénétrable, afin que nos ennemis ne se doutent pas même des mesures de prudence qu'on prend contre leurs mauvais desseins. Il sera d'autant mieux que la chose ne fasse pas de bruit, que nous n'en pensons point à nous faire valoir, et que la France n'a d'autre objet dans ses dépenses que d'assurer à ses alliés une tranquillité durable. Je vous prie encore instamment, ne faites rien en tout ceci que ce que vous trouverez convenable à vos intérêts, et soyez sûre, ma chère sœur, que je les regarde comme les miens, étant avec toute la tendresse et toute la considération imaginable, ma très-chère sœur, etc.

262. A LA MÊME.

Potsdam, 16 (juin 1753).



Ma très-chère sœur,

J'ai trouvé votre chère lettre ici, à mon retour de Prusse, et je me flatte plus que jamais que votre santé, ma chère sœur, se remettra. Quelle joie de revoir ici une chère amie, une sœur tendrement ai<263>mée, qui m'a fait trembler pour sa santé pendant trois ans d'absence! J'attends cet heureux jour avec une véritable impatience. En attendant, je recevrai ici une foule d'étrangers, ou plutôt d'importuns, qu'attire la curiosité de voir notre camp. Je me passerais volontiers de leur présence, mais il faudra faire bonne mine à mauvais jeu; ce seront des militaires, et, en cas que quelque chose leur déplaise, je n'aurai pas à craindre des épigrammes. Vous me voyez encore effarouché de mes aventures avec messieurs les beaux esprits; mais j'ai essuyé de leur part quelques éclaboussures en passant, comme il arrive qu'on reçoit des coups en voulant séparer des gens qui se battent. Je vous souhaite, ma chère sœur, un sort plus heureux que le mien avec ces messieurs-là. Je ne crois point que vous ayez besoin deux pour éclairer votre esprit; ils auraient plus besoin de votre sagesse. Madame du Deffand ne voulait jamais voir Voltaire; on lui demanda pourquoi. « C'est, dit-elle, que j'achète son esprit pour deux florins, et que je jouis de ses ouvrages sans m'exposer à ses méchancetés. » Je vais commencer les eaux d'Éger, et je fais mille vœux pour que celles que vous prendrez vous fassent tout l'effet qu'on en peut attendre. Vous êtes bien persuadée, à ce que j'espère, que personne ne s'y intéresse plus tendrement que, ma très-chère sœur, etc.

263. A LA MÊME.

Ce 25 (juin 1753).



Ma très-chère sœur,

Je fais mille vœux pour que les eaux vous fassent du bien. Je ne doute point que notre neveu1_263-a ne soit fort aimable, puisqu'il a votre<264> approbation. Il doit venir ici vers le mois de septembre; je l'aime d'avance, parce qu'il appartient à une sœur que j'aime tendrement. Je me flatte, ma chère sœur, que le Duc1_264-a mettra à présent fin à ses voyages, et que la Duchesse pourra se reposer tranquillement de toutes les tournées qu'elle a faites. Le frère cadet va se marier,1_264-b comme vous savez; on griffonne à présent le contrat de mariage, et cela fera une lignée protestante. Je crains que le Louis1_264-c ne fasse une sottise; on m'écrit de France qu'il a eu dessein d'entrer dans le service de l'Impératrice. Il est bien léger, pour ne pas dire fou; je n'augure rien de bon de lui. Je vous embrasse mille fois, ma chère sœur; les eaux que je prends m'empêchent de vous en dire davantage. Soyez sûre que mon cœur et ma personne sont à vous avec un éternel dévouement, étant, ma très-chère sœur, etc.

264. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 29 juin 1753.



Mon très-cher frère,

Je compte ce jour parmi les heureux, puisque j'ai la satisfaction de vous assurer des sentiments de mon cœur. J'ai fait une petite trêve avec les eaux, mes crampes et maux ayant rompu celle que j'avais faite avec eux. Ma cure me paraîtrait insupportable, me privant si souvent du plaisir de vous écrire, si je n'espérais que, en la continuant,<265> elle me mît en état de jouir encore une fois du seul bonheur après lequel je soupire, qui est de me retrouver auprès de ce que j'ai de plus cher au monde. Vous verrez, mon très-cher frère, un vieux squelette qui ne vil que pour vous, dont vous êtes le mobile, et qui peut-être ne serait plus, si vous ne preniez soin de l'animer par l'amitié que nous lui témoignez. Je bénirai les eaux, si elles contribuent à vous garantir, mon cher frère, des mauvaises attaques que vous avez eues l'hiver passé. Il me semble que je renais lorsque j'apprends de bonnes nouvelles de votre santé. Nos principautés sont encore ici. Tandis qu'on tâche de les amuser, je suis enfermée dans mon antre comme la sibylle, et tâche d'y goûter les plaisirs dont ma misérable santé me permet encore de jouir.

Je viens de recevoir tout un paquet de Voltaire et de madame Denis,1_265-a que je prends la liberté de vous envoyer. Je suis fâchée qu'ils s'adressent à moi; mais, de crainte d'être compromise dans cette mauvaise affaire, je vous envoie, mon très-cher frère, ce que je reçois de leur part. La lettre de madame Denis montre de la conduite et de l'esprit; il paraît qu'elle n'est pas instruite des raisons qui vous ont porté à faire arrêter son oncle. S'il avait suivi ses conseils, il aurait agi plus sagement. Je le considère comme le plus indigne et misérable des hommes, s'il a manqué de respect envers vous dans ses écrits ou dans ses paroles; une telle conduite ne peut que lui attirer le mépris des honnêtes gens. Un homme vif et bilieux comme lui entasse sottise sur sottise lorsqu'il a une fois commencé à en faire. Son âge, ses infirmités et sa réputation, qui est flétrie par cette catastrophe, m'inspirent cependant quelque compassion pour lui. Un homme réduit au désespoir est capable de tout. Vous trouverez peut-être, mon très-cher frère, que j'ai encore trop de support pour lui en faveur de son esprit; mais vous ne désapprouverez pas que j'aie pour lui la pitié qu'on doit même aux coupables, dès qu'ils sont mal<266>heureux, et lors même qu'on est obligé de les punir. Son sort est pareil à celui du Tasse et de Milton. Ils finirent leurs jours dans l'obscurité; il pourrait bien finir de même. Si l'effort que font les poëtes à composer les poëmes épiques leur fait tourner la tète, nous pourrions bien être privés de ce genre de poésie à l'avenir, puisqu'il semble qu'il porte guignon à ceux qui s'y appliquent. Je vous demande mille pardons, mon très-cher frère, du griffonnage de cette lettre; ma tête, toujours revêche, et vraiment femelle en ce point, m'empêche de la transcrire. Je suis avec toute la tendresse et le respect imaginable, mon très-cher frère, etc.

265. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ce 7 (juillet 1753).



Ma très-chère sœur,

Jugez de la joie que j'ai de voir votre santé qui se rétablit; c'est de toutes les nouvelles la plus agréable que je puisse apprendre; ainsi donc, j'aurai la consolation de vous revoir, ma chère sœur, en bonne santé.

J'ai vu la lettre de Voltaire et de la Denis; ils mentent tous les deux, et n'accusent pas juste. Leur aventure est bien différente qu'ils la disent; mais, malgré tous leurs torts, j'ai donné, il y a quinze jours, des ordres pour les laisser partir.1_266-a Vous ne sauriez croire, ma chère sœur, jusqu'à quel point ces gens jouent la comédie; toutes ces convulsions, ces maladies, ces désespoirs, tout cela n'est qu'un jeu. J'en ai été la dupe dans le commencement, mais plus à la fin. Voltaire<267> n'ose pas retourner en France; il ira en Suisse, et errera de pays en pays. Pour moi, je ne suis point sensible au mal qu'il prétend me faire, niais je l'ai empêché de m'en faire davantage, et, par cette raison, je lui ai fait rendre mes vers et toutes les lettres que je lui ai écrites. Je vous embrasse mille fois, ma très-chère sœur, en vous conjurant de ne jamais douter de la tendre amitié avec laquelle je suis, etc.

266. A LA MÊME.

Ce 10 (sic).



Ma très-chère sœur,

Je compte les heures jusqu'à jeudi, où j'aurai le bonheur et la satisfaction de vous embrasser.1_267-a Je fais mille vœux que ce soit en parfaite santé. Je vous supplie, ma très-chère sœur, de ne vous point gêner ici, de dire ce qu'il vous faut, de souper ou de ne point souper, et de ne vous déranger en rien de votre régime; votre santé est si délicate, qu'il ne faut rien hasarder qui pût la déranger. Vous avez approuvé que nous mettions à part tout ce qui tient au protocole de la vanité; il n'y aura ni cérémonie ici, ni rien de ce qui pourra vous gêner. J'espère que vous voudrez bien vous reposer ici quelques jours du voyage, avant que d'aller à Berlin, vous assurant que, dans quelque lieu du monde que vous puissiez aller, vous ne serez reçue nulle part avec plus d'empressement, de meilleur cœur, ni avec une plus sincère tendresse que par, ma très-chère sœur, votre, etc.

<268>

267. A LA MÊME.

(Novembre 1753.)



Ma très-chère sœur,

Je ne vois que trop que notre bonheur est passager, et que le plaisir ne s'achète qu'avec des peines. Je n'ai joui du bonheur de vous voir qu'à condition de me séparer de vous. J'en sens toute la douleur imaginable, mais l'espérance de vous revoir me console, et surtout si je puis apprendre de bonnes nouvelles de votre santé. Je ne crains que pour vous, et je vous supplie de ménager cette santé qui est si précieuse à toute votre famille et à moi principalement. Nous ne prenons point un congé éternel; je vous supplie de ne vous point affliger; nous nous reverrons certainement, aucune raison morale ni physique ne l'empêche. Je conserverai cependant au fond du cœur le souvenir de la tendresse que vous avez pour moi, et je vous assure, ma très-chère sœur, que j'en ai une reconnaissance entière; moi qui vous ai toujours aimée tendrement, pourrais-je me refuser au plus parfait retour? Et comment pourrais-je ne pas vous rendre sentiments pour sentiments? Soyez-en persuadée, ma chère sœur, et comptez certainement que si vous avez un véritable admirateur, que si vous avez un ami bien attaché, et que si vous avez un frère qui pense bien tendrement sur votre sujet, c'est, ma très-chère sœur, votre très-fidèle frère et serviteur.

<269>

268. A LA MÊME.

Ce 20 (décembre 1753).



Ma très-chère sœur,

Ce m'est toujours une grande consolation pendant votre absence que de recevoir de bonnes nouvelles de votre santé. Je fais mille vœux pour qu'elle s'affermisse de jour en jour, et devienne d'année en année plus stable. Celle que nous allons commencer me sera, selon toutes les apparences, favorable, puisqu'elle me procurera le bonheur de vous revoir. J'ai pris tous mes petits arrangements pour exécuter ce projet, à quoi aucun empêchement ne paraît à présent plus pouvoir porter obstacle. Vous dites, ma chère sœur, que vos jours se ressemblent; je souhaite qu'ils soient toujours tous heureux, et se ressemblent toujours. Vous avez été surprise de la mort de madame de Grapendorf;1_269-a il y en a bien d'autres qui en ont été affligés. On devrait s'accoutumer à voir mourir; cependant j'avoue mon grand faible, que ma constance m'abandonne quand cela tombe sur mes amis et sur des personnes que j'ai connues longtemps. Soit faiblesse, soit pusillanimité, je crois qu'il vaut mieux pousser la compassion à l'excès que de pouvoir s'accuser de la moindre dureté, et il me paraît qu'un stoïcien qui n'aime personne ne mérite guère d'être aimé à son tour. La nature ou la Providence ont sagement établi que la société se soutient par des services mutuels, et que la vertu devient le lien des hommes. N'aimer que soi-même, être indifférent au bien et au mal, c'est être un méchant citoyen et une créature rebelle à la nature, qui a voulu nous faire sentir la douleur comme le plaisir, et qui ne nous a pas faits de bronze, mais de chair, pour que nous fussions sensibles. Mais je m'égare étrangement à propos de<270> morale; le plaisir de croire vous parler me séduit, et, quoique absente, je crois vous voir, ma chère sœur, et vous entendre. Pardonnez-moi, je vous prie, mon impertinent bavardage, en faveur des sentiments tendres et de cette ancienne amitié avec laquelle je serai jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

269. A LA MÊME.

Ce 20 (janvier 1754.).



Ma très-chère sœur,

Je suis très-fâché que vous ayez ressemblé à la Fortune; je voudrais fort qu'aucune des infirmités humaines ne vous empêchât de ressembler à vous-même. Vous ne gagneriez rien en troquant envers les dieux. J'admire toutes les bontés que vous avez pour moi, et jusqu'où s'étendent vos attentions. Je plains le Margrave de la perte qu'il fait en Montperni; des gens aimables et avec cela fidèles ne se trouvent pas communément. J'ai entendu parler de Saint-Lambert, dont vous faites mention, ma très-chère sœur; mais je ne crois pas que ce soit un homme qui me convienne. Ces jeunes Français sont trop peu philosophes pour s'accommoder de la vie solitaire que je mène; ce n'est le fait que de gens qui se sont dévoués aux lettres. Vous saurez sans doute que Voltaire s'est dit mort; cela lui a valu l'Épitaphe suivante, qui n'a d'autre mérite qu'en tant qu'elle peut vous amuser :

Ci-gît le seigneur Arouet,
Qui de friponner eut manie.

<271>

Ce bel esprit, toujours adrait,
N'oublia pas son intérêt,
En passant même à l'autre vie.
Lorsqu'il vit le sombre Achéron,
Il chicana le prix du passage de l'onde,
Si bien que le brutal Caron,
D'un coup de pied au ventre appliqué sans façon,
Nous l'a renvoyé dans ce monde.1_271-a

Je vous demande pardon des misères que je vous envoie; je vous communique les secrets de ma solitude. Vous trouverez que je pourrais mieux employer mon temps; aussi ne fais-je ces bagatelles que pour m'amuser et les brûler tout de suite. L'opéra de Porus a beaucoup plu au public; il faut avouer que la musique y va bien, et je puis vous assurer qu'il a fait un beaucoup meilleur effet qu'à la répétition. Je vous supplie, ma chère sœur, de ne point oublier les absents, et d'être bien persuadée que parmi tous ceux qui ont le malheur d'être éloignés de vous, il n'en est aucun qui soit avec plus de tendresse, d'estime et d'attachement que, ma très-chère sœur, etc.

Je vous rends très-humbles grâces de la table; elle n'est pas arrivée encore.

270. A LA MÊME.

Le 10 février 1754.



Ma très-chère sœur,

Je voudrais bien que votre opiniâtre fluxion voulût vous quitter; elle est de trop bon goût, sans cela je la prierais de se loger chez moi.<272> Mais, ma chère sœur, les fluxions ne veulent pas même de moi; il n'y a que votre indulgence qui me supporte, et qui me rend impertinent. Je prends la liberté de vous envoyer des sottises, pour que vous voyiez avec quelles misères je m'amuse. Vous connaissez les personnes à qui ces Épîtres s'adressent; ainsi vous en sentirez l'a-propos. Voilà, en vérité, ce qui s'appelle bien employer son temps! Vous croyez, ma chère sœur, que je trouve en moi des ressources qui n'y sont pas. Mes passe-temps sont bien frivoles; mais, à tout bien compter, je me trouve plus heureux quand je puis m'occuper de ces bagatelles que lorsqu'il faut penser à des objets importants.

Je vous rends mille grâces de la lettre que vous avez eu la bonté de me communiquer; elle est assez vraie, et conforme à mes nouvelles. J'ai aussi reçu la table de marbre que je tiens de vos bontés; mais elle est arrivée cassée, et on est après à la raccommoder. Bon Dieu, que je suis sensible à votre amitié et à votre souvenir! Vous pouvez être bien persuadée que vous ne trouverez en aucun endroit ni chez personne un cœur plus reconnaissant que celui du vieux frère, et que toute ma personne, sans exception, est à vous. Je vous prie d'y ajouter foi, comme aux sentiments de la parfaite tendresse avec lesquels je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

271. A LA MÊME.

Le 10 mars (1754.)



Ma très-chère sœur,

J'ai eu un double plaisir en recevant votre chère lettre. J'y vois des marques authentiques de votre convalescence et les témoignages de<273> votre précieuse amitié. Je fais mille vœux pour que votre santé se remette parfaitement, et que ce soit la dernière secousse qu'elle ait à essuyer. J'ai été fort surpris de recevoir le livre de Voltaire,1_273-a avec une grande lettre de sa part; j'y ferai répondre par l'abbé,1_273-b de sorte que je ne me commettrai pas. Son livre est utile, mais sèchement écrit; il a profité du père Barre, qu'il a abrégé. S'il ne se hâtait pas tant dans ses productions, elles n'en seraient que meilleures; mais je crois que le public n'aura plus de lui que la lie de sa vieillesse. Je me suis amusé à faire un opéra, que je prendrai la liberté de vous envoyer dès qu'il sera corrigé. Souhaitant du fond de mon cœur que cette lettre vous trouve en meilleure santé que la précédente, personne n'y prend plus part que le vieux frère; soyez-en bien persuadée, ma chère sœur, ainsi que de la tendresse et du parfait attachement avec lequel je suis, etc.

272. A LA MÊME.

Ce 16 (avril 1754).



Ma très-chère sœur,

Je prends la liberté de mettre à vos pieds un Mexicain1_273-c qui n'est pas encore tout à fait décrassé. Je lui ai appris à parler français; il faut à présent qu'il apprenne l'italien. Mais, avant que de lui donner cette peine, je vous supplie de me dire naturellement votre sentiment, et si vous croyez qu'il mérite qu'on se donne ce soin. La plupart des<274> airs sont faits pour ne point être répétés; il n'y a que deux airs de l'Empereur et deux d'Eupaforice qui sont destinés pour l'être. Je ne sais comment vous trouverez le tout ensemble, l'enchaînement des scènes, le dialogue, et l'intérêt que j'aurais voulu y faire régner; mais comme rien ne presse, je pourrai changer facilement ce que vous y trouverez à redire. Il serait même facile de juger de l'effet que le spectacle peut produire. Vous avez une admirable troupe française; il n'y aurait qu'à le lui faire représenter dans votre chambre, quand même chacun ne ferait que lire son rôle.

Je fais mille vœux pour que votre santé continue d'être bonne. Si le pays de Naples ressemble à la description qu'on vous en a faite, je sais bien que je n'irai pas là pour chercher mon bonheur, et je crois que votre voyageur doit se trouver bien heureux d'être à vos pieds. J'espère de jouir de cette même satisfaction cette année, et de vous assurer de vive voix que rien n'égale les sentiments de tendresse et de haute estime avec lesquels je serai jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

273. A LA MÊME.

Le 4 mai 1754.



Ma très-chère sœur,

Après avoir fait mon petit calcul, je me suis arrangé de façon à pouvoir vous rendre mes devoirs le 18 du mois prochain. Oserais-je vous prier, ma chère sœur, d'inviter pour lors ma sœur d'Ansbach, et de lui écrire que je viendrai? Ce sera ajouter une faveur à celle que vous me faites de me recevoir. Je vous avoue que ce m'est une<275> grande joie de revoir mes parents et des personnes aussi chères. Je souhaite, ma très-chère sœur, que je nous retrouve en parfaite santé et contente. Je vous avertis que je ne viens que pour vous; et si vous me voulez faire plaisir, recevez-moi, je vous supplie, comme je vous ai reçue, sans façon et sur le pied de l'amitié. Je suis charmé de ce que vous soyez contente de mon opéra. Quant aux cavatines, j'en ai vu de Hasse qui sont infiniment plus jolies que les airs, et qui passent rapidement. Il ne faut des reprises que lorsque les chanteurs savent varier la musique; mais il me semble que, d'ailleurs, il y a de l'abus à répéter quatre fois la même chose. Vos comédiens, ma chère sœur, n'ont jamais été mis à si mauvaise sauce; ils maudiront bien l'auteur d'un drame en prose, et trouveront l'invention gothique et vandale. Carestini me quitte pour la Russie, mais il revient dans un an. J en reçois un nouveau dont on me dit du bien; mais il faut l'entendre. Je suis bien de votre sentiment, qu'il faudra désormais chercher en Italie des voix sans méthode pour les former en Allemagne; mais encore les voix sont-elles difficiles à trouver bonnes. Je me recommande, ma très-chère sœur, à votre amitié et à votre souvenir, en vous assurant que personne n'est avec un plus sincère attachement, ma très-chère sœur, etc.

274. A LA MÊME.

Ce 21 (mai 1754).



Ma très-chère sœur,

Ni les chemins ni la saison ne m'embarrasseront quand il s'agira de vous joindre. Je vous assure, ma très-chère sœur, que je viens pour vous toute seule, et que ni tragédie ni autre chose ne me feront plai<276>sir que votre seule personne. Je vous prie de me faire grâce des grandes tables, des cérémonies, et de tout ce qui me distrairait de vous voir et de vous entendre. Je n'aurai que très-peu de monde avec moi, et si peu, que certainement cela ne vous causera aucun embarras. Ici, personne ne se doute de mon voyage, et je le tiendrai caché jusqu'au moment où je partirai de Halle, pour exiler tout embarras en chemin, et pour que les voisins n'aient pas le temps de faire leurs gloses. Je suis à présent dans le fort de mes occupations militaires, ce qui m'empêche de vous dire autre chose, sinon que je suis de corps et d'âme, ma très-chère sœur, etc.

275. A LA MÊME.

(Ermitage) ce 20 (juin 1754).



Ma très-chère sœur,

Je pars d'ici comblé de vos bontés; je quitte le séjour de la paix et de l'amitié pour celui du trouble et des soucis. Mes regrets ne finiraient point, si je ne croyais pouvoir vous rendre quelque service en vous envoyant notre esculape. Tous mes vœux tendront à le faire réussir dans cette cure. Ayez soin, ma chère sœur, d'une santé dont dépend le bonheur de ma vie. Vous qui connaissez si bien l'amitié, et jusqu'où va la force des sentiments, jugez de mon cœur par le vôtre, et ayez, je vous en conjure, tous les ménagements pour ce corps faible et cette santé délicate à laquelle est jointe une aussi belle âme. Je ferai vos excuses à la Reine douairière de ce que vous ne lui pouvez écrire; je ferai vos compliments à tout le monde, sachant à peu près ce que vous leur auriez fait dire, et je conserverai toute<277> ma vie le souvenir des jours heureux que j'ai passés chez vous, auxquels il n'a manqué que de vous voir en parfaite santé. Ma personne vous quitte; mais vous gardez le cœur de celui qui sera jusqu'à la fin de ses jours, ma très-chère sœur, etc.

276. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 25 juin 1754.



Mon très-cher frère,

Vous avez emporté avec vous mon cœur, ma joie et ma santé. Il me semble que je ne fais plus que languir depuis que mon astre bienfaisant a disparu. J'ai passé le lendemain de votre départ dans mon lit. et je n'ai rien eu de plus pressé, dès que je me suis trouvée un peu mieux, que de courir dans l'appartement que vous avez occupé. J'y ai parcouru tous les endroits où j'ai eu le bonheur d'être avec vous. Ma sœur est survenue. Nos larmes réciproques se sont mêlées ensemble. Que vous dirai-je, mon très-cher frère? Je suis encore dans une profonde mélancolie. Peut-on s'accoutumer à l'absence quand on vous connaît, et quand on vous aime aussi tendrement que moi? Non, je sens que cela est impossible. La seule consolation que j'aie est d'entendre à toute heure chanter mon héros, et de voir que même dans nos climats sauvages les cœurs lui sont dévoués. Le margrave d'Ansbach est parti hier au soir; ma sœur et son fils nous resteront encore quelque temps. Mais tout cela n'est point le cher frère. Que ne puis-je lui témoigner tout l'excès de ma reconnaissance, et combien je suis pénétrée de ses bontés! Mais j'aime mieux me taire que de m'exprimer faiblement; mon cœur, plein de tous les sentiments.<278> est à vous jusqu'au tombeau, étant avec un très-profond respect, mon très-cher frère, etc.

77. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ce 9 (juillet 1754).



Ma très-chère sœur,

Le major Treskow, qui m'a amené les deux beaux hommes que le Margrave a eu la bonté de m'envoyer, m'a remis quelque chose de bien plus précieux, la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire. Je vous avoue, ma chère sœur, que ce qui m'a le plus affligé à mon départ, c'était de voir l'état de votre santé si chancelant. J'ai tremblé pour vous en partant. Dieu merci, votre lettre et le rapport du major Treskow me rassurent. Je suis ici, à Sans-Souci, à boire tranquillement les eaux, et à profiter du relâche que me donnent mes voisins. J'ai fait chanter l'opéra de notre grand' mère, qui se ressent un peu en musique des contes de grand' mère.1_278-a Il y a beaucoup d'airs dans le goût de la musique française; j'en ferai copier une couple des meilleures ariettes, que je vous restituerai, ma chère sœur. Je prends véritablement part à la perte que vous allez faire de Montperni; quoique tous ceux qui ont l'honneur de vous connaître, surtout de vous servir, devraient vous être attachés à la vie, cependant je connais assez les hommes pour comprendre que la perte d'un homme éprouvé fidèle, et qui avec cela vous était utile, vous doit être sensible. Je crois cependant que vous tirerez parti de Frichapel,1_278-b et je<279> ne désespérerais pas que, quand M. de Folard sera congédié, vous ne pussiez l'avoir. Je suis depuis quelques années dans la malheureuse habitude de perdre des amis. Je sais bien comme on les pleure, mais non pas comme on les remplace. Souffrez que je vous entretienne de sujets plus agréables, et que je vous félicite d'avance sur le jour de naissance qui m'a procuré une si chère sœur et une si bonne amie. Vous devez bien croire que personne ne prend plus que moi part à ce qui vous touche, et qu'on ne saurait être avec un plus tendre attachement et une plus haute estime que, ma très-chère sœur, etc.

278. A LA MÊME.

Le 2 août 1754.



Ma très-chère sœur,

Je suis fort fâché de ce que vous n'ayez pas pu continuer les eaux; j'aurais souhaité que Cothenius n'eût pas eu besoin de vous les faire interrompre, et je crains bien plus, à présent que vous aurez appris la fin de Montperni, que la peine que vous cause sa perte n'altère votre faible convalescence. Je vous conjure, ma chère sœur, de vous servir de tout l'empire que vous avez sur vous-même, de cette divine raison dont vous faites en toute occasion un si excellent usage, pour modérer les mouvements de votre sensibilité. Vous vous trouvez dans une situation où j'ai eu le malheur d'être trop souvent dans ma vie; mais nos regrets sont superflus. Ceux qui sont morts ne sont pas à plaindre; ils sont sourds à nos plaintes, ils n'entendent plus la voix de l'amitié qui leur parle encore. Le temps nous apprend toujours à nous consoler de leur perte; pourquoi la raison ne ferait-elle<280> pas autant que le temps? D'ailleurs, ce qui est une fois ne saurait pas ne plus être. Nous sommes faits dans le monde pour recevoir avec une égale douceur le bien et le mal que la nature nous distribue; murmurer contre des événements désagréables et fâcheux pour nous, c'est s'opposer aux lois universelles,1_280-a qui veulent une mutation perpétuelle de la matière. D'ailleurs, notre propre vie est si brève, que, à bien considérer les choses, nous sommes insensés de nous affliger de la perte d'amis que nous rejoindrons dans peu.1_280-b Il faut regarder le monde comme un spectacle varié, comme une lanterne magique qui nous montre sans cesse de nouveaux objets, et qui en fait sans cesse disparaître, jusqu'à ce que notre tour vienne, et que nous fassions place à de nouveaux venus. Si vous voulez bien aussi penser et réfléchir, d'un autre côté, combien de personnes vous sont chères et attachées, vous trouverez peut-être que, à tout bien résumer, la mort vous aurait pu porter des coups bien plus sensibles. Songez, d'ailleurs, combien de personnes s'intéressent vivement à votre personne, et quel chagrin vous leur causeriez, si un trop grand abandon à la douleur nuisait à votre santé. Je vous conjure, ma chère sœur, faites un généreux effort sur vous-même, et que l'étourderie d'un homme qui s'est livré lui-même entre les mains de misérables empiriques ne dérange pas votre précieuse santé. J'ose vous conjurer par les bontés que vous avez pour moi de ménager une santé et une vie dont dépend la mienne. Ce sont les sentiments avec lesquels je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

<281>

279. A LA MÊME.

Le 22 (septembre) 1754.



Ma très-chère sœur,

Je suis charmé d'apprendre que votre nouvelle attaque de crampes s'est heureusement passée. Je suis ravi de l'idée qui est venue au Margrave de vous faire passer l'hiver à Montpellier. Je voudrais vous y porter sur mes mains, ma chère sœur, pour que vous y trouviez votre rétablissement. Selon toutes les apparences, la douceur du climat vous sera favorable, et ce sera un hiver de gagné dans un moment critique de votre santé qui décidera de beaucoup pour la suite. J'espère que vous voudrez bien me dire comment, par où et sous quelle adresse vous voulez que je vous adresse mes lettres; car il serait trop douloureux pour mon amitié de passer un hiver sans vous écrire. Je vous rends mille grâces de vos obligeantes attentions touchant ce que vous m'écrivez du jeune Treskow;1_281-a je n'en dis pas davantage. Voilà le prince d'Ansbach qui se marie; je crois et son voyage de Bohême et ses noces l'effet des intrigues du vieux Seckendorff. Je ne crois pas que la mère sera contente de tout ce nouvel arrangement. Je vous embrasse mille fois, ma charmante sœur; je vous avoue que je suis un peu fatigué du voyage; cependant aucune occupation après mon retour n'aurait pu m'être plus agréable que celle de vous assurer de la vive tendresse et de la haute estime avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

Daignez embrasser le Margrave de ma part.

<282>

280. A LA MÊME.

Le 12 octobre 1754.



Ma très-chère sœur,

Ce jour heureux m'a procuré deux de vos chères lettres. Je vous crois à présent en chemin pour Montpellier. Je me flatte que vous aurez meilleur temps qu'il n'en fait ici pour votre voyage, sans quoi je crains, ma chère sœur, pour votre passage de la Souabe. Notre petit prince Frédéric1_282-a ira là-bas, et je le chargerai de faire le conciliateur autant qu'il le pourra; mais je vous avoue franchement que votre fille fera bien de ne pas être jalouse. Cette passion du Duc passée, il en surviendra une autre, et puis encore une autre; ainsi il faut qu'elle prenne son parti sur une chose qu'elle ne peut pas changer, et qu'elle tâche seulement de se conserver l'amitié et la confiance du Duc. Ils se sont mariés trop jeunes; le Duc a été amoureux d'elle plutôt en amant jaloux qu'en mari; il a jeté son feu tout d'un coup. Voilà les suites de la jouissance, la satiété, comme le dégoût. Il cherche le changement, et il y a apparence qu'il continuera de même. Peut-être pourra-t-il y avoir quelques moments de retour, mais un cœur volage ne quitte point l'habitude de l'inconstance.

L'Astrua dit mille biens de la reine de Hongrie, et je crois qu'une aigrette de brillants que cette princesse lui a donnée influe beaucoup sur les éloges qu'elle lui prodigue. Je fais mille vœux pour votre heureux voyage, en vous assurant, ma chère sœur, que mon cœur vous suivra à Montpellier et même à Maroc, si vous poussiez jusque-là, étant avec la plus haute estime et la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<283>

281. A LA MÊME.

Ce 14 (octobre 1754).



Ma très-chère sœur,

vous souhaite mille bonheurs pour votre voyage. J'espère qu'il sera heureux, et qu'il fera tout le bien à votre santé que vous pouvez désirer. Je suis sûr que vous trouverez de quoi vous amuser à Montpellier; mais je crois que vous pousserez à Marseille, où l'air est encore plus doux, et où vous trouverez plus de matière pour vous amuser. Mes vœux et mon cœur vous accompagneront partout, vous assurant que rien au monde n'est en état d'altérer ni de diminuer les sentiments de tendresse avec lesquels je suis jusqu'à la fin de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

282. A LA MÊME.

Ce 21 (novembre 1754).



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec bien du plaisir votre lettre datée de Lyon. Vous pouvez croire que l'article de votre santé a été ce qui m'a paru le plus intéressant; pourvu que l'air de Montpellier vous rende saine, je regarderai cette ville comme ma cité sainte, et je bénirai l'heureuse terre sur laquelle elle est assise. On me fait bien de l'honneur en France d'être prévenu favorablement sur mon sujet, et je gagne sûrement à n'y être point connu. Il n'y a que vous, ma chère sœur, qui puissiez faire illusion sur le frère. On s'imaginera que j'ai le bonheur de vous ressembler, et voilà ma réputation faite. Je ne doute pas que<284> vous ne passiez votre temps très-agréablement, et que vous ne trouviez à vous amuser avec le caquet des vivants et avec les monuments des morts. La profonde vénération que l'on a pour les Romains fait qu'on regarde avec respect les débris et les ruines de leurs grands ouvrages, dont vous trouverez des restes dans toute la Provence, qui leur a appartenu si longtemps. Je ne m'étonne point de la scène que vous a donnée Voltaire;1_284-a je le reconnais à son introduction et à l'acte qu'il a joué. Son plus grand chagrin vient d'un procès qu'il a eu avec le duc de Würtemberg, auquel il a prêté cinquante mille écus.1_284-b Le Duc a trouvé le contrat usuraire; je crois qu'il lui relient les intérêts, et cela met le poëte dans la situation d'Harpagon qui crie à sa cassette.1_284-c C'est bien dommage qu'avec tant de talents ce fou soit si méchant et si tracassier; mais c'est une consolation pour les bêtes de voir qu'avec tant d'esprit souvent on n'en vaut pas mieux.

Je ne connais point l'évêque de Tournai que vous avez accompagné du clavecin; c'est peut-être dommage qu'il ne soit pas un Stefanino; il en chanterait une octave plus haut. J'ai entendu l'épreuve du Montézuma, et j'ai fait jouer les acteurs dans le sens de la pièce. Je crois que cet opéra vous ferait plaisir; Graun a fait un chef-d'œuvre, il est tout en cavatines.

Je prends la liberté de vous envoyer une montre, pour que vous n'oubliiez pas les pauvres Allemands dans vos beaux climats de la Provence. Puisse-t-elle marquer promptement l'heure où j'aurai le bonheur de vous revoir, de vous entendre et de vous embrasser! Puisse-t-elle avoir la voix pour vous marquer les sentiments de la parfaite tendresse avec laquelle je suis, ma chère sœur, etc.

<285>

283. A LA MÊME.

Le 2 décembre 1754.



Ma très-chère sœur,

Ce jour-ci est bien heureux, puisqu'il me procure deux de vos chères lettres; la première annonce votre arrivée à Lyon et les incommodités que vous avez essuyées; la seconde me rassure sur l'état de votre santé. Vous avez été chez les jésuites; c'est un signe certain que votre santé est remise. J'ai bien cru que vous trouveriez tout plein d'antiquités dans cette partie méridionale de la France; les Romains y ont plus séjourné que du côté de Paris, qui était alors barbare. Vous me faites trembler, ma chère sœur; trente volumes in-folio de l'histoire de la Chine! Mon Dieu, qui pourra savoir tout cela? Je crains fort que les bons pères missionnaires ne composent tout à leur aise un roman historique, ou du moins qu'ils ne nous débitent des fables chinoises aussi absurdes que celles des Égyptiens et des Hébreux. J'ai pris mon parti d'avance; il me semble que c'en est bien assez de nos métamorphoses sacrées, et que tout ce que les Chinois pourront inventer ne sera pas plus ridicule. Vous me faites trop d'honneur de vous ressouvenir quelquefois de moi dans le beau pays où vous êtes; et si les Français veulent bien augurer de moi, c'est que peut-être ils me marquent quelque reconnaissance du retour du prince Charles de l'Alsace.1_285-a Daignez, ma chère sœur, ne point oublier un frère qui fait consister le bonheur de sa vie dans votre amitié, et qui ne se croira parfaitement heureux que lorsqu'il pourra vous embrasser et vous assurer de vive voix de la parfaite tendresse avec laquelle il est à jamais, ma très-chère sœur, etc.

<286>Jusqu'à présent vos lettres m'ont été rendues bien conditionnées; mais je ne réponds pas de l'avenir.

284. A LA MÊME.

Le 10 décembre 1754.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu avec bien du plaisir l'agréable description que vous faites, ma chère sœur, de votre séjour de Lyon. Je ne doute pas que vous n'y trouviez toute sorte d'amusements dignes de vous, tant par rapport aux antiquités, monuments, tableaux et ruines, que dans la compagnie des Français. C'est à présent chez cette nation que les arts ont posé leur siége. Nous avons peut-être autant de savants en Allemagne qu'il y en a là-bas; mais c'est surtout le goût fin et raffiné qui distingue les gens de lettres de France de ceux de notre patrie. Vous trouverez dans tous les couvents de jésuites des gens lettrés et aimables, et il faut avouer que chaque jésuite français, pris en particulier, fait un homme estimable; mais, malgré cet avantage, la société prise en corps est une abomination.1_286-a Je ne parle point comme hérétique, mais en philosophe qui déteste la morale relâchée et les principes horribles que tous leurs casuistes enseignent, et selon lesquels leur ordre se conduit. Mais je n'ai pas besoin de vous en parler; vous avez trop lu l'histoire pour ne les pas connaître, et cet ordre est si connu en France, qu'il y est haï généralement; du moins doivent-ils me le pardonner, puisqu'ils sont ennemis déclarés de tous les rois et de tout pouvoir légitime qui ne ploie pas sous leur caprice.

<287>Il fait ici le plus beau temps du monde, un peu plus froid que chez vous; il gèle les nuits, mais on peut se promener quatre heures par jour sans se plaindre du froid.

Je ne sais de quoi je m'avise de vous entretenir de la pluie et du beau temps. Soyez sûre, ma chère sœur, que de toutes les nouvelles que vous m'écrirez, celle de votre santé me sera la plus agréable, étant avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

285. A LA MÊME.

Le 26 décembre 1754.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir une lettre de votre part, datée d'Avignon. Je m'étonne, ma chère sœur, que vous y souffriez du froid; c'est un climat bien doux, et qui, de plus, est béni par le pape. Je suis fort étonné de tout ce que vous me dites dans votre lettre; on voit cependant partout que plus un État est grand, et moins il peut être bien administré en détail. Le vieux proverbe est assez vrai, qui dit que le monde va par des abus. Comment est-il possible que le gouvernement, qui se trouve à Versailles, soit informé de toutes les déprédations des fermiers généraux qui sucent le peuple? Comment peut-il porter un remède à tant d'abus, lorsque ceux qui devraient les examiner ne sont ni à l'abri des corruptions, ni intègres? Une des sources des maux que vous remarquez en France est, sans contredit, la considération que les richesses donnent dans ce pays; on fait cas de ceux qui ont du bien, qui font une grande dépense, et personne ne s'enquiert par quelle infamie ils ont acquis ces richesses.<288> De là l'envie de s'enrichir, le mépris de l'honneur, de la vertu, et la corruption totale des mœurs. Ce n'est pas à dire que j'accuse toute la nation des vices de la capitale, et l'on pourrait dire des gens incorruptibles ce que dit Boileau des femmes chastes;1_288-a mais ce petit nombre de gens vertueux ne suffit pas pour réparer le mal qu'une longue suite d'années a invétéré dans l'administration intérieure du gouvernement. Pour réparer ce désordre, il faudrait beaucoup de fermeté; il faudrait sévir contre les coupables, et surtout préférer en tous états le mérite aux richesses et à la naissance. Les Français se moquent de moi, ou ils ont quelque complaisance pour les bontés dont vous m'honorez, lorsqu'ils me citent; je me sentirais les reins trop faibles pour embrasser une besogne aussi vaste que celle qu'il faudrait pour redresser les abus de ce royaume. J'ai bien des affaires ici sur les bras, dont j'ai assez de peine à me démener, sans vouloir avoir un aussi vaste royaume à gouverner. Enfin, pourvu que j'apprenne, ma chère sœur, que vous vous portez bien, ce sera la nouvelle la plus agréable que je pourrai recevoir de France. Je souhaite de tout mon cœur que vous y passiez agréablement votre temps, que vous y commenciez bien la nouvelle année, et que vous n'oubliiez pas un frère qui sera à jamais avec la plus tendre amitié, ma très-chère sœur, etc.

286. A LA MÊME.

Le 1er janvier 1755.



Ma très-chère sœur,

J e suis fort fâché d'apprendre par votre lettre que vous souffrez encore de vos vieilles incommodités, et que vous n'augurez pas aussi<289> favorablement de votre voyage que vous l'avez fait au commencement. Vous deviez bien vous attendre à ce qu'on vous fît toute la meilleure réception, et à trouver la cohue autour de vous; mais, permettez-moi de vous parler franchement, n'y aurait-il pas quelque petite jalousie qui vous tracasse là-bas? Je n'ose presque vous le dire, mais je m'en doute. Vous êtes, ma chère sœur, dans un pays où la conquête des femmes n'est pas difficile, et où peut-être même, par prévenance pour les étrangers, on fait les avances. Vous deviez vous y attendre, et partir, toute préparée à cette sorte de patience, pour Montpellier. J'ai lu dans je ne sais quel livre qu'une personne nommée le Sentiment devint amoureuse d'un papillon. Quand elle croyait le tenir, il s'envolait pour butiner sur un parterre. Elle le poursuivait toujours, et il lui échappait autant de fois. Elle se désespérait, ses beaux jours s'écoulaient dans les ennuis; elle fut même jalouse du parterre qui lui enlevait son cher papillon; sur quoi passa une fée, nommée Morale, qui lui dit : « De quoi vous affligez-vous, mon cher enfant? » Elle lui répondit : « De ce qu'un papillon que j'aime si sincèrement se trouve le plus volage des animaux. » Reprit la fée : « Vous voulez donc qu'un papillon ne soit pas papillon? C'est demander du bon sens à la folie, des sentiments au rocher, c'est, en un mot, vouloir que les taureaux aient des ailes et les aigles des cornes; c'est se chagriner de ce que les rivières coulent sans s'arrêter, et que notre globe décrit sans cesse la même ellipse autour du soleil. On ne change point la nature des choses, ni les inclinations qu'on apporte au monde en naissant. Mais, si ce n'est pas vous demander l'impossible, dissipez votre jalousie, réjouissez-vous lorsque votre cher papillon vient à vous, et accoutumez-vous à voir qu'il vous quitte souvent. »

Vous direz peut-être, ma chère sœur, que ma fable est une sotte, et celui qui vous l'écrit un impertinent, et que vous savez tout cela mieux qu'on ne peut vous le dire. Je vous demande pardon de ma hardiesse; mais, comptez sur ce que mon amitié prend la liberté de<290> vous dire, vous ne serez heureuse et ne vous remettrez de vos infirmités que lorsque votre cœur généreux se sera entièrement vaincu lui-même. Je fais mille vœux pour votre santé et pour votre contentement pour la nouvelle année, en vous assurant que personne ne vous est plus attaché, et que personne n'est avec plus de tendresse que, ma très-chère sœur, etc.

287. A LA MÊME.

Le 11 janvier 1755.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir deux de vos chères lettres, l'une du 17 et l'autre du 20, datées d'Avignon. Je suis charmé de vous savoir jouissant d'une santé au moins passable, et j'espère que, lorsque vous aurez gagné la Provence, vous ne serez plus aussi fort incommodée par les vents de bise. Vous avez trop de bonté de penser à mes petits amusements, au sujet des deux cabinets que l'on veut vendre; quant à l'un, de Montpellier, qui ne contient que des magots de la Chine, il est curieux, mais j'avoue qu'il ne me tente pas; quant à celui de M. de Crillon, il n'a pas une grande célébrité à Paris, et en achetant tout en masse, on reçoit, pour l'ordinaire, plus de médiocre que de bon, sans compter la dépense, qui est assez considérable. Je ne m'étonne pas que vous ayez trouvé le duc de Richelieu fort changé; il a travaillé toute sa vie à vieillir vite; cependant cet homme doit avoir l'air d'un seigneur et la politesse d'un vieux courtisan. Il faut que les dames d'Avignon soient fort superficielles, si elles ne considèrent en vous que l'ajustement; cela sent bien la province, et je vous<291> avoue que cela ne prévient pas en leur faveur. J'espère toujours que vous trouverez plus d'agrément à Montpellier, ou que, si ce séjour ne vous convient pas, vous vous fixerez à Aix ou à Marseille, endroits plus agréables pour le climat, à Aix pour la société, et à Marseille pour la solitude.

Nous avons eu ici la représentation de Montézuma. Le décorateur et le tailleur ont tiré le pauvre auteur d'affaire; surtout deux mauvais coups de pistolet ont été extrêmement applaudis. L'Astrua a joué la dernière scène avec un pathétique admirable, et Graun s'est surpassé en musique. J'ai vu, ces jours passés, notre nièce de Würtemberg,1_291-a qui part pour Stuttgart; je ne crois pas, ma chère sœur, que vous l'y trouverez à votre retour; elle veut revenir au commencement d'avril. On ne parle plus de Louis; je souhaite qu'il devienne raisonnable, mais c'est une terrible cervelle. Je souhaite que vous ayez à présent lieu d'être contente de Stuttgart, et que la Duchesse n'ait point de chagrin. Cependant je crois son sort momentané et sujet à bien des vicissitudes. Adieu, ma charmante sœur. Je fais mille vœux pour votre contentement, pour votre convalescence et pour tout ce qui peut contribuer à vous rendre la vie douce et agréable, en vous priant de me croire avec une estime remplie de la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<292>

288. A LA MÊME.

Le 9 février 1755.



Ma très-chère sœur,

Il faut avouer que vous avez joué de malheur en allant en Provence une année où le froid est excessif par toute l'Europe. J'ai fait venir un chanteur d'Italie, qui est arrivé ici de Venise en traîneau. Je souhaiterais cependant que vous eussiez pu gagner Marseille, dont je crois que vous auriez trouvé le climat plus agréable. Vous avez bien de la bonté de penser à moi à l'occasion du chevalier de Folard et du sieur Robert son neveu. On voit que vos talents guerriers ne vous abandonnent pas, et que vous êtes partout grand capitaine. Je souhaiterais cependant, pour votre conservation, que vous ne fissiez point de campagne d'hiver. Nous avons eu ici un comte polonais qui joue très-bien de la harpe, et un autre Polonais qui ne joue que de la mâchoire d'âne. Nous avons eu de même le fils du prince de Bernbourg et de notre chère cousine, qui deviendra un jour de ces princes d'Allemagne dont on ne dit ni bien ni mal. D'ailleurs, le grand froid a resserré tout le monde chez lui, de sorte que ne sort et ne voyage que celui qui y est nécessité. Je souhaite, ma chère sœur, que votre santé ne souffre point des incommodités que vous essuyez à Avignon, et que j'apprenne toujours de bonnes nouvelles de votre personne; ce sont, sans contredit, celles de France auxquelles je m'intéresse le plus, étant avec le plus tendre attachement, ma très-chère sœur, etc.

<293>

289. A LA MÊME.

Le 24 février 1754 (1755).



Ma très-chère sœur,

Je me flatte que votre indisposition n'aura pas été aussi forte que de coutume; toutefois suis-je charmé qu'elle se soit passée. Vous avez véritablement joué de malheur, ma chère sœur, d'être allée en Provence dans une année aussi généralement froide que celle-ci. J'ai bien cru que, malgré votre incognito, ce voyage vous coûterait beaucoup, et je prends la liberté de vous avertir d'avance que celui d'Italie ne vous coûtera pas moins. Pourvu qu'il soit salutaire à votre santé, c'est tout ce que je souhaite, et je me réjouirai toujours de ce qui vous sera agréable et vous fera plaisir. Je dois cependant vous avertir que des gens malintentionnés ont répandu le bruit dans toute l'Allemagne que vous et le Margrave étiez devenus catholiques; j'ai d'abord fait contredire ce bruit par tous mes ministres dans les cours étrangères.1_293-a Cependant, comme il est essentiel de le faire tomber tout à fait, je vous supplie de faire quelque momerie calviniste, et de la faire insérer dans les gazettes, surtout si vous allez à Marseille, où il y a un marchand qui a une église catholique1_293-b chez lui, ou si vous passez par quelque ville protestante; les malintentionnés se verront par là réduits au silence. Vous avez trop de bonté de vous souvenir de moi et de Sans-Souci à toutes les occasions. La table que vous avez la bonté de m'envoyer tiendra sûrement une place honorable dans ma maison, et me sera plus précieuse venant de vous que par sa rareté. Nous avons célébré aujourd'hui en grande pompe le jour de naissance de Pöllnitz, qui a soixante-cinq ans; le vieux baron s'est<294> curé et pavané comme un jeune paon, et ce soir il verra son nom illuminé.

Je m'amuse à toutes sortes de pauvretés, faute de pouvoir faire mieux. Nous n'avons pas un chat d'étranger, et je ne me plains point de ma solitude; j'étudie, je lis, et je fais un peu de musique; avec cela, si l'on est raisonnable, on doit se contenter d'une vie douce, qui est ce qu'il y a de plus réel dans le monde. J'ai reçu de Dresde l'opéra d'Ezio, qui me paraît d'une musique fort travaillée, et où les instruments font beaucoup de bruit, sans que les voix y brillent à proportion.

Vous me mandez que Mandrin1_294-a s'est retiré en Suisse; il pourra y faire un triumvirat avec Voltaire et madame de Bentinck. Si les proscriptions y ont lieu, ma tête sera perdue. Je me recommande, ma très-chère sœur, à votre précieux souvenir, me bornant de faire des vœux pour votre chère personne jusqu'à l'heureux jour où je pourrai vous assurer de vive voix de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

200. A LA MÊME.

Ce 17 (mars 1755).



Ma très-chère sœur,

J'ai été bien heureux aujourd'hui; je reçois deux de vos lettres, ma chère sœur, l'une du 17 février et l'autre du 20, datées d'Orange. Je suis charmé que vous vous amusiez à voir les antiquités du pays où vous êtes, et je ne doute pas que vous ne trouviez bonne compagnie<295> partout; vous la feriez seule, fussiez-vous en Sibérie. Nous sommes ici dans une parfaite retraite; pas un chat ne nous fait l'honneur de nous venir voir. Les rivières dégèlent, et je m'occuperai bientôt militairement. En attendant, je me suis jeté dans la composition, et je m'amuse à faire de mauvais solos pour la flûte. Je ne sais pas, ma chère sœur, quand vous entreprendrez le voyage d'Italie; je vous prie de me le marquer, pour que mon imagination, qui vous cherche, sache où vous trouver. Daignez me conserver votre précieuse amitié, et comptez sur mon cœur, qui vous suit partout. Ce sont les sentiments avec lesquels je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

291. A LA MÊME.

Le 25 mars 1755.



Ma très-chère sœur,

Je viens de recevoir votre lettre datée d'Avignon, du 28 février, et je vous rends grâce, ma chère sœur, de la lettre d'Herculanum que vous avez eu la bonté de me communiquer.1_295-a Je suis bien éloigné de pouvoir vous donner de ce pays-ci des nouvelles aussi intéressantes que celles que vous avez la bonté de m'apprendre. La grande nouvelle de Potsdam, c'est la blessure que le marquis d'Argens s'est faite au doigt en entrant en carrosse. Il en porte le bras en écharpe,1_295-b comme défunt saint Hippolyte, dont vous vous ressouviendrez peut-<296>être. Voilà, ma chère sœur, la gazette de Potsdam; celle de Berlin annonce l'opéra d'Ezio pour le jour de naissance de notre chère mère; mais les jours de fête lui ont fait différer la célébration de sa fête jusqu'au 1er d'avril. Après cela, ne me demandez autre chose, ma chère sœur, que l'extrait de mes lectures et de quelque chétive musique que je fais. Je suis réduit au seul d'Argens, qui, pour la plupart du temps, se campe dans son lit; Algarotti a fait un trou à la lune,1_296-a Maupertuis est malade, et Voltaire est en Suisse avec Mandrin; ce qui me réduit à moi-même plus que jamais.1_296-b Je vous embrasse mille fois; mon cœur vous accompagne partout, et je ne me croirai heureux que lorsque j'aurai le bonheur de vous assurer de vive voix de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

292. A LA MÊME.

Le 28 mars 1755.



Ma très-chère sœur,

Vous vous moquez de moi et, avec raison, des sottes moralités que je vous débite; mais, ma chère sœur, vous vous trouvez chez un peuple gai et fou qui vous inspire, peut-être malgré vous, des idées réjouissantes, et pour moi, je mène la vie qu'un chartreux passe dans sa cellule. Voilà, à ce que je crois, ce qui contribue à notre différente façon de penser. Je ne puis guère vous apprendre des nouvelles de ce canton-ci; je ne vous répéterai point ce que disent les gazettes,<297> que la guerre est aussi bien que déclarée entre la France et l'Angleterre, qu'il y a une révolte assez considérable en Hongrie, que le prince héréditaire de Hesse s'est fait catholique, que, etc., choses dont je pense que vous vous souciez aussi peu que moi. Je vais demain à Berlin voir notre chère mère et lui donner la fête pour son jour de naissance, qu'elle a voulu différer, pour que la dévotion des âmes pieuses n'en souffrît point. Nous aurons l'opéra d'Ezio. Ceux qui l'ont entendu disent que c'est un chef-d'œuvre; je vous en dirai des nouvelles après la représentation. Que vous dirai-je encore? Je fais bâtir à Sans-Souci une galerie de tableaux,1_297-a autre folie, si vous voulez; mais le monde ne va que par là, et si l'on ne voulait extraire de la vie des hommes que leurs actions raisonnables, l'histoire serait très-courte. Je connais, ma chère sœur, votre support et la condescendance que vous avez pour moi; cela me rend hardi à vous confier mes sottises.

J'ai vu le prince Frédéric,1_297-b qui revient de chez son frère. Il m'assure que le Duc vit assez bien avec son épouse; du moins garde-t-il tous les dehors de la bienséance, et c'est tout ce qu'on peut exiger d'un mari prince. Il dit que son frère fait une dépense épouvantable, sans avoir le sou en poche. Je l'ai prié de m'apprendre ce secret; si la guerre devient générale, je pourrais en avoir besoin. J'ai vu aussi le prince François,1_297-c qui m'a dit que ma sœur de Brunswic se portait à merveille, et que ses enfants devenaient grands comme des perches. Voilà à peu près où s'étend ma sphère pour les nouvelles que je puis vous donner, car c'est quelque chose de très-vieux que la tendre amitié et la parfaite considération avec laquelle je suis, etc.

<298>

293. A LA MÊME.

Ce 25 (avril 1755).



Ma très-chère sœur,

Un accès de goutte épouvantable que j'ai eu dans les deux jambes à la fois m'a empêché quinze jours de vous écrire. Je vous dois trois lettres, et je ne sais comment vous payer. La dernière que j'ai reçue est de Marseille, du 3 d'avril. Je souhaite que vous poursuiviez heureusement votre voyage, et que vous trouviez partout de quoi vous amuser, surtout que l'exercice soit aussi salutaire à votre santé que je le désire. Pour moi, qui suis perclus de la moitié de mes membres, je ne puis faire que des vœux pour votre personne. Je m'amuse à faire un opéra des Frères ennemis.1_298-a Avec votre permission, Stefanino chantera cet hiver chez nous, et je lui fais une belle partie. Voilà, ma chère sœur, les misères auxquelles peut s'occuper un pauvre malade. Je manque encore si fort de forces, que, malgré l'envie que j'ai de m'entretenir avec vous, je n'en puis dire davantage, vous priant d'être persuadée de la tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

294. A LA MÊME.

Ce 11 (mai 1755).



Ma très-chère sœur,

J'ai eu la satisfaction de recevoir aujourd'hui deux de vos chères lettres, l'une datée de San-Remo, et l'autre de Gênes. Je ne m'étonne<299> point que vous ayez trouvé les églises de cette ville superbes, surtout l'Annonciade, qui est richement ornée intérieurement. Gênes est de toutes les villes d'Italie celle où les femmes ont les meilleures façons; mais vous ne trouverez pas la même chose ni à Florence, ni à Rome. J'espère bien, ma chère sœur, que, selon l'usage du pays où vous êtes, vous aurez soin de vous pourvoir de cicisbeo, et je vous prie de me confier ceux qui auront exercé cet emploi à votre portière. Vous irez sans doute de Venise à Livourne par mer; mais je vous supplie de ne point aller en felouque de Rome à Naples, à cause des pirates barbaresques qui infestent ces côtes, et qui pourraient, sinon vous prendre, du moins vous insulter. Je ne puis vous apprendre d'ici des nouvelles plus intéressantes que les fiançailles de mon frère Ferdinand avec la fille de ma sœur de Schwedt;1_299-a c'est un mariage à la juive, qui reste dans la famille. Je commence à me remettre un tant soit peu de ma goutte, mais je suis encore dans le cas de dire comme dans la comédie du Roman comique : « Monsieur, rentrons dedans, je ne suis pas trop sûr sur mes jambes. »1_299-b Sa Majesté Britannique vient d'honorer sa crasseuse patrie de sa présence, et comme je vais cette année en Clèves, et que je passe par Brunswic, j'aurai l'honneur de friser de près sa résidence. Nous sommes à présent remplis de nos occupations militaires, dont je me tire comme un pauvre goutteux. Je vous souhaite cependant un heureux voyage, et je fais mille vœux pour que l'exercice tourne à l'avantage de votre santé, comme vous l'espérez, vous priant d'être persuadée de la parfaite tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<300>

295. A LA MÊME.

Ce 17 (mai 1756).



Ma très-chère sœur,

J'ai eu la satisfaction de recevoir votre lettre datée de Florence. J'y vois, ma chère sœur, bien des belles églises, de beaux tombeaux et de belles antiquités; mais je vous avoue que je suis fort fâché de n'y pas trouver la seule chose que j'y cherche, le rétablissement de votre santé. Je crois qu'un exercice médiocre vous peut être très-salutaire; mais je crains que les fatigues d'un long voyage ne vous énervent trop. Vous trouverez l'Italie comme une vieille coquette qui se croit aussi belle qu'elle le fut dans sa jeunesse, et qui laisse encore juger, par quelques restes de beaux traits, de ce qu'elle fut autrefois. Les traces de la grandeur romaine qui subsistent encore depuis tant de siècles, les richesses fameuses que les fraudes pieuses extorquèrent à la superstition de l'Europe barbare, une ville, capitale du monde païen par ses conquêtes et du monde chrétien par l'habileté de son artifice, voilà à peu près ce que vous pouvez trouver en Italie. Si vous y joignez les chefs-d'œuvre des arts, autrefois florissants sous Auguste et sous Léon X, et, pour le présent, messieurs les soprani, de mauvais maîtres de musique, des peintres misérables, des sculpteurs encore au-dessous de ceux-là, le souverain pontife devenu l'aumônier des rois, de petits États faibles, beaucoup d'astuce, de l'esprit, mais point de génie, une nation faite pour porter l'esclavage du premier occupant, un climat divin, mauvaise société, beaucoup de richesses possédées par des avares, des moines et des prêtres de toutes les espèces, beaucoup de zèle, point de religion, beaucoup d'ignorance et beaucoup de prévention : en un mot, le siècle d'aujourd'hui, pour l'Italie, n'est plus comparable à celui de César ou d'Auguste, et si on le compare à celui de Léon X, c'est comme un mauvais dessin fait au crayon<301> d'un beau tableau du Guide. J'espère bien, ma chère sœur, que vous ne montrerez pas ma lettre aux personnes qui vous environnent à présent; ce ne serait pas faire ma cour à messieurs les ultramontains, qui, n'ayant rien de propre des monuments de grandeur qui leur restent, sont comme les gueux, qui, à ce que dit le proverbe, sont plus vains que les riches. Je vous fais mille excuses de mon impertinent bavardage; peut-être suis-je dans le cas du renard qui trouvait les raisins aigres parce qu'il ne pouvait pas en manger, ou de ce forçat qui, s'étant fait une habitude de ramer sur sa galère, regardait avec dédain les hommes qui jouissaient de leur liberté. Je vous prie, n'oubliez pas les tudesques habitants des bords de la mer Baltique, et que le beau climat de l'Italie ne vous donne aucune aversion contre les frimas de votre climat natal. Je suis avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

296. A LA MÊME.

Le 4 juin 1755.



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre lettre datée de Florence et de Rome peu de moments avant de partir pour le pays de Clèves. Je suis charmé, ma chère sœur, que le voyage d'Italie vous fasse plaisir. II faudra bien du temps avant que nos gros paysans allemands fassent des vers comme les Florentins, avant que nos peintres égalent les Paul Véronèse et les Titien, avant que nous ayons d'assez superbes palais pour faire avec le temps de belles ruines; et je crois que tout cela n'arrivera que lorsque notre soleil aura la force qu'il fait sentir au trente-sixième<302> degré. Ce qui m'intéresse le plus dans votre voyage, c'est votre santé. Je souhaite de tout mon cœur que les fatigues ne lui soient pas nuisibles, et que vous reveniez dans votre patrie avec un corps, sinon robuste, du moins sain. Je vous demande bien pardon si, pour cette fois, je ne vous en dis pas davantage; mais il faut partir. Je vous embrasse de tout mon cœur, ma très-chère sœur, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, etc.

297. A LA MÊME.

Potsdam, 28 juin 1755.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir de vous une lettre datée de Rome. Je suis charmé d'apprendre que votre santé est assez bonne pour fournir aux fatigues d'un long et pénible voyage. J'ai bien cru que les antiquités de Rome vous feraient plaisir : ces monuments des vainqueurs du monde semblent nous rapprocher de leur temps; il semble même que l'on participe à leur gloire et à leurs sentiments lorsqu'on se trouve sur les lieux qu'ils ont habités, et où ils ont fait de si grandes choses. Rome chrétienne vous fournit des preuves de ce que peut la superstition sur l'esprit des peuples; la basilique de Saint-Pierre est élevée par des indulgences, la plupart des palais des cardinaux népotes ont été construits des tributs que l'Europe ignorante payait au souverain pontife. Si la France, l'Allemagne, si l'Espagne, l'Angleterre, la Pologne revendiquaient les biens que leurs ancêtres ont envoyés là-bas, et qui servent à la somptuosité de cette capitale du monde chrétien, croyez, ma chère sœur, que le saint-père et le<303> sacré collége n'habiteraient que les ruines du Campo-Vaccino, que leurs églises seraient couvertes de chaume, et qu'une vielle et peut-être une mauvaise saquebute1_303-a seraient les seuls instruments qui retentiraient les jours de fête. Je vous rends grâce des marbres et des belles choses que vous m'indiquez là-bas; la difficulté est de trouver un commissionnaire éclairé qui ne soit pas la dupe de la sagacité italienne. Quant aux marbres, c'est la guerre des Barbaresques qui en rend le transport très-difficile et coûteux; on en paye le double qu'ordinairement. Si j'avais à désirer des marbres là-bas, ce ne serait pas du porphyre,1_303-b ce serait du jal1_303-c antique ou du jal1_303-c de Capoue, qui est presque aussi beau; le porphyre est trop dur à travailler, et ne prend jamais un beau poli. Pour les tableaux, les Italiens vendent tant de postichi, que si l'on n'est pas un très-bon connaisseur, on y est trompé, sans quoi il y a longtemps que j'aurais donné commission de me faire venir des Guides, des Titiens et des Solimènes pour ma galerie; mais la crainte d'être trompé m'a arrêté jusqu'à présent.

J'ai été en Hollande,1_303-d où je n'ai vu que des colifichets; je me suis débité musicien du roi de Pologne, et j'ai été inconnu pendant tout mon voyage. Il m'est arrivé des aventures assez plaisantes, que je réserve pour vous amuser la première fois que j'aurai le bonheur de vous revoir. Je fais des vœux que ce soit bientôt, vous assurant, ma chère sœur, qu'on ne peut être avec une plus parfaite tendresse que je suis, etc.

<304>

298. A LA MÊME.

Sans-Souci, 7 juillet 1755.



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir aujourd'hui la lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire de Naples, du 3 du mois passé. J'ai été fort étonné de l'impertinence de Sa Majesté Sicilienne. Il me semble quelle aurait dû vous recevoir et vous faire des politesses, soit incognito, ou selon votre caractère. H y a cependant un certain embarras avec votre incognito : c'est que vous n'êtes ni particulière, ni princesse; il faut pourtant opter entre l'un des deux, et s'en tenir à ce que l'on croit le plus avantageux, sans quoi vous tomberez toujours dans les inconvénients du cérémonial. J'ai bien cru que vous donneriez à Rome et à Florence la préférence sur le reste de l'Italie. Il vous reste encore Venise pour la bonne bouche, dont je crois que vous serez contente. Cependant Naples doit être une très-grande et belle ville; sa situation au bord de la mer est magnifique, et dans ces contrées les Romains avaient presque toutes leurs maisons de plaisance, à Pouzzoles, Bayes, Tusculum, etc. Je crois que ces souterrains que vous avez vus à Bayes ne sont pas du temps de la république, mais des douze Césars; dans ces temps de crimes, les particuliers faisaient de ces souterrains pour dérober leurs amis et eux-mêmes à la fureur des tyrans; les premiers chrétiens y tinrent leurs assemblées du temps de Domitien et de leurs persécuteurs. Je vous avoue que je serais bien glorieux d'être cahoté sur la Via Appia, et qu'il n'est rien que je ne donnerais, fût-ce aux dépens d'une côte, pour avoir été dans ce paradis terrestre; mais il n'est pas donné à tout le monde d'aller à Corinthe. Vous devez sentir, ma chère sœur, plus qu'un autre, le plaisir de voir l'Italie, vous qui savez si bien l'histoire, et qui avez le goût des antiquités. Pour cette race espagnole et<305> saxonne transplantée à Naples, ce sont de grands mots que le nom des anciens, et les monuments de la grandeur romaine des jouets dont ils s'amusent; ils croient s'en divertir sans y rien connaître; ils me reviennent comme un Mexicain auquel on donnerait des instruments de mathématiques. La pauvre espèce de gens qui habitent ce beau pays! Que Jules César, s'il revenait au monde, serait étonné de trouver ces Iroquois possesseurs de sa patrie! Je vous trouve heureuse d'avoir eu avec vous La Condamine; je crois que, à l'exception de quelques savants de Florence, son espèce est rare en Italie, comme partout ailleurs. J'ai vu à Wésel d'Alembert, qui me paraît un très-aimable garçon; il a beaucoup de douceur, et de l'esprit, joint à un profond savoir, sans prétentions. Il m'a promis de venir, l'année qui vient, passer trois mois chez moi, et alors nous capitulerons peut-être pour plus longtemps.1_305-a Je recevrai ici, sur la fin du mois, la Reine douairière. Vous saurez sans doute que ma sœur de Brunswic marie son aînée au prince de Galles. Il a fallu qu'elle mène ses filles à Hanovre, où elle aura l'honneur de voir Sa Majesté Britannique face à face, honneur que je ne lui envie pas.

Adieu, ma chère sœur; je me recommande à votre amitié et à votre souvenir, faisant des vœux pour votre santé, et vous priant de me croire avec une tendresse parfaite, ma très-chère sœur, etc.

<306>

299. A LA MÊME.

Le 13 juillet 1755.



Ma très-chère sœur,

Souffrez que je vous félicite d'avance sur l'anniversaire de votre jour de naissance, sur ce jour qui m'a procuré une si aimable et chère sœur; je crois que vous le célébrerez à Rome. J'ai été assez heureux que de recevoir deux lettres de vous à la fois. Je dois vous remercier d'avance, ma très-chère sœur, du tableau antique que vous avez la bonté de m'envoyer; j'avoue que j'en achèterais bien quelques-uns des grands maîtres italiens; mais les Italiens sont si habiles à tromper, et ils ont infecté l'Angleterre de tant de postichi, que l'on risque trop à ces sortes de marchés, si cela ne se fait pas par des peintres très-habiles. Et comment y envoyer ces peintres? Cela devient prodigieusement coûteux. Pour les marbres, que l'on a en si grande quantité à Rome, on pourrait en faire venir plus facilement par mer, et ce sera peut-être une chose à laquelle je songerai lorsque j'aurai de l'argent de reste. Vous serez à présent si savante dans la connaissance de l'Italie ancienne et de l'Italie moderne, que vous pourriez passer pour un cicerone. Je crois que vous auriez pu voir le pape sans la cérémonie de l'inflexion du genou; mais comme on a voulu vous y obliger, je vous avoue que je suis bien aise que vous ne l'ayez pas fait, ce qui fera tomber tous les mauvais bruits qu'on avait fait courir en Allemagne. Je m'étonne que les dames de Rome s'avisent de faire les mijaurées, et d'exercer leur médisance sur votre compte; mais je crois que leur vain bourdonnement ne vous embarrasse guère. Je crains seulement que, lorsque vous vous trouverez de retour à Baireuth, vous ne vous déplaisiez chez vous, et que l'idée de toutes les grandes choses et de toutes les magnificences que vous avez vues ne vous dégoûte de votre paisible demeure. Je vous demande pardon,<307> ma chère sœur, de mes appréhensions, et j'espère que votre philosophie se possédera sur ce point comme sur tant d'autres choses, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

Stefanino vient d'arriver.

300. A LA MÊME.

Ce 13 (août 1755).



Ma très-chère sœur,

J'ai été assez heureux que de recevoir deux de vos chères lettres, sous date de Bologne et de Venise. Je crois que, après avoir vu Rome, le reste de l'Italie, quoique beau, ne lui est point comparable. Je suis charmé que, dans le pays des Pantaloni, Algarotti se soit conduit de façon à vous contenter.1_307-a Je me flatte aussi que si vous avez entendu Paolino, vous en aurez été contente, et que vous l'aurez trouvé changé à son avantage. J'ai ici un nouveau chanteur, qui m'est venu de Naples; il s'appelle Luini; c'est une voix très-acouti1_307-b et dans le goût de la Gasperini, beaucoup de légèreté de trilles, et qui, s'il suit les avis qu'on lui donne, pourra devenir un très-bon chanteur. La table de marbre que vous avez eu la bonté de m'envoyer de Marseille est arrivée à bon port, très-belle; vous me permettrez que je vous en rende grâce. J'aurais voulu que le saint-père fût devenu votre cicisbée, ma chère sœur, à la place de Cataneo,1_307-c qui doit être un fat<308> assez ennuyeux. J'espère que vers la fin de ce mois vous serez de retour de votre grand voyage, et que vous pourrez alors vous reposer sur vos lauriers. Ce rapprochement amoindrira en quelque façon la longueur de l'absence, et je croirai au moins de vous voir à moitié ici. Adieu, ma chère sœur; ménagez bien votre santé, et rendez-moi la justice de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

301. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 22 août 1755.



Mon très-cher frère,

La joie que m'a causée, mon très-cher frère, votre convalescence a égalé la douleur où votre état m'avait plongée. Stefanino a eu l'esprit de m'assurer que vous étiez rétabli; cette nouvelle m'a transportée de l'enfer en paradis. Le retour du courrier a achevé de me tranquilliser. Si mon incertitude avait continué, je serais morte. Je frémis encore en pensant au danger que vous avez couru.1_308-a Il faut que la chute ait été terrible, puisque vous avez perdu deux dents. J'espère que cet accident ne nuira point à votre embouchure. Je m'y intéresse pour vous et pour moi; vous seriez privé d'un plaisir qui vous a causé bien des peines, et moi de celui de vous entendre. Je suis trop heureuse d'avoir quelque chose en mon pouvoir qui puisse vous divertir et amuser. Stefanino acquerra un grand mérite de plus chez moi, puisqu'il a ce bonheur. Il sera toujours à vos ordres, comme tout ce qui est à moi, et moi-même.

<309>Le Duc et ma fille sont venus me voir à l'improviste; ils ne se sont arrêtés que deux jours. Le Duc a fait de grands changements chez lui. Je l'ai trouvé beaucoup plus solide qu'il n'était. Il met un ordre excellent dans ses affaires, bannit toutes les folles dépenses, et augmente ses troupes. Je suis fort occupée, devant entrer aujourd'hui dans notre nouveau palais. Je m'y occuperai à faire faire, s'il se peut, les monts Palatin et Capitolin tels qu'ils étaient autrefois. Si mon ouvrage réussit, je prendrai la liberté de vous l'envoyer. Comme je travaille de mémoire, les dimensions manqueront, mais du moins ce plan, qui sera en plâtre, pourra donner une idée complète des choses, comme si on les avait vues sur les lieux. Vous me trouverez bien folle, mon cher frère, d'entreprendre pareille chose et d'oser vous en parler. Mais Colin a voyagé. Je me recommande encore à votre précieux souvenir, et suis avec tout le respect et la tendresse imaginable, mon très-cher frère, etc.

302. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ce 30 (août 1755).



Ma très-chère sœur,

J'ai eu le plaisir de recevoir votre chère lettre à mon retour du camp.1_309-a Mon Dieu, vous vous intéressez trop obligeamment à ce qui me regarde. Comment est-ce qu'une créature qui dans le fond vous est aussi inutile que je le suis peut attirer votre attention? Je n'ai perdu que deux dents mâchelières, ce qui m'incommode un peu pour le manger, mais qui ne me dérange point pour la flûte. Je souhaite<310>rais que cette flûte vous pût faire plaisir, je l'en aimerais davantage; mais, ma chère sœur, une musique de dilettante1_310-a ne peut guère flatter des oreilles aussi savantes que les vôtres. Vous avez trop de bonté de permettre que Stefanino, au lieu de chanter ailleurs, chante ici lorsque vous n'en avez pas besoin; comme vos opéras sont l'été, et les nôtres en hiver, je crois qu'il pourra faire face à tous les deux; je le tiens pour le meilleur chanteur qu'il y ait à présent en Europe.

Je suis charmé de vous savoir à présent dans la Jérusalem nouvelle,1_310-b et j'espère que vous y serez plus commodément que dans l'ancienne. Je n'ai vu cette habitation que de loin; mais je ne l'ai pas moins considérée que comme un sanctuaire qui servirait de réceptacle à ma divinité. Vous avez trop de bonté de vouloir instruire mon ignorance, et de me rendre participant de votre voyage de Rome. Je suis sûr que vous rendrez meilleur compte du mont Palatin et de Rome ancienne que beaucoup de cicerone ignorants, et qui ne savent ni ne sauront de toute leur vie autant d'histoire qu'il en tient dans votre petit doigt. Je pars dans deux jours pour les camps de la Silésie. Recevez, de grâce, mes excuses sur le peu de régularité de ma correspondance; mais, ma chère sœur, je suis si prodigieusement chargé de travail dans ces tournées, qu'à peine me reste-t-il un moment pour manger un morceau. Daignez me conserver vos bontés, dont je fais tout le cas qu'Oreste faisait du cœur de Pylade, et soyez persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<311>

303. A LA MÊME.

Le 21 septembre 1755.



Ma très-chère sœur,

A mon retour de Silésie, j'ai été réjoui par deux de vos chères lettres. Je suis charmé de vous savoir en bonne santé, et je me flatte que cela continuera malgré l'hiver et la dureté des saisons. Vous me marquez vos craintes pour la guerre; mais, ma chère sœur, il y a bien loin de la rivière d'Ohio à la Sprée, et du fort de Beau-Séjour à Berlin. Je parierais bien que les Autrichiens ne marcheront pas sitôt en Flandre. La guerre voyage en grande dame; elle a commencé en Amérique; à présent elle est arrivée dans l'Océan et dans la Manche; elle n'a pas débarqué encore, et si elle prend terre le printemps qui vient, elle pourrait peut-être, pour plus grande commodité, cheminer en litière, de sorte qu'on la verra venir de loin; et, après tout, on est exposé à tant de hasards dans le cours commun de la vie, que la guerre n'y ajoute qu'un petit degré de plus. Nous ne pouvons ni faire ni détruire les conjonctures; nous autres animaux politiques, nous ne sommes faits que pour en profiter, si nous sommes sages. A présent, tout ne pense ici qu'aux noces de Ferdinand; cela se fera à Charlottenbourg, parce que la Reine douairière l'a désiré. Je donnerai des fêtes, et Ferdinand poussera souche; vous allez voir toute une peuplade sortir de ce lit nuptial; il n'y a que du bien, car nous n'en avons pas trop. Je vous baise les mains, ma chère sœur, en vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, etc.

<312>

301. A LA MÊME.

Le 1er octobre 1755.



Ma très-chère sœur,

Je suis non seulement de retour de Silésie, mais j'ai mis à fin le roman de Ferdinand, qui vient de se marier dans toutes les formes à Charlottenbourg. Nous avons eu des fêtes, ma chère sœur, qui ne vous affecteront guère; je prends la liberté de vous envoyer le livret du divertissement.1_312-a Stefanino y a fait des merveilles. Nous aurons cet hiver les Frères ennemis, où il a un beau rôle, dont je suis sûr qu'il s'acquittera de même. J'ai vu ici Servandoni, mais je n'ai pas eu le temps de lui parler; c'est un homme qui manquait encore au roi de Pologne pour achever de le ruiner. Je vais à présent à Sans-Souci y prendre des bains domestiques, pour fortifier mes jambes, fort débilitées après ma dernière goutte. C'est ainsi qu'on se flatte de regagner ses forces quand on les voit échapper, et que l'âge court encore après la beauté et la jeunesse, qu'il croit rattraper après que le temps, qui détruit tout, les a fait évanouir. Adieu, ma chère sœur; je souhaite que les plaisirs de Diane, s'ils ne vous amusent point, ne vous ennuient pas au moins. Je vais à présent mener une vie de solitaire jusqu'à Noël, où il faut, malgré moi, que je fasse séjour à Berlin. Je suis avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<313>

305. A LA MÊME.

Le 6 novembre 1755.



Ma très-chère sœur,

Je bénis le ciel de ce que votre santé me paraît à présent meilleure que par le passé. J'attribue cet heureux changement à la dissipation du voyage, et certainement c'est la médecine la plus agréable dont on peut se servir. Je ne doute point, ma chère sœur, de l'authenticité du tableau antique que vous avez eu la bonté de m'envoyer; mes doutes sont l'effet d'une profonde ignorance dans ces sortes de matières. Je forme à présent une galerie de tableaux à Sans-Souci, et il est étonnant avec quelle facilité je suis parvenu à faire une assez ample collection de tableaux connus et réputés parmi les connaisseurs. Cela fera un petit embellissement à Sans-Souci, et servira d'une promenade agréable lorsque le mauvais temps empêchera de descendre au jardin. Vous voyez, ma chère sœur, que je ne tiens pas pour une folie, mais que j'en ai de toutes les nuances. S'il était nécessaire, je m'en crois si pourvu, que j'en pourrais céder une part à quelque sage et en garder encore de reste. Si je ne me fondais sur le support avec lequel vous endurez mes faiblesses, je n'aurais pas eu le courage de vous faire cette confession; mais j'espère que vous passerez le tout sous silence en faveur des sentiments tendres, anciens et invariables avec lesquels je suis, ma très-chère sœur, etc.

<314>

306. A LA MÊME.

Ce 23 (novembre 1755).



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché d'apprendre par votre lettre que vous souffrez tantôt des yeux, tantôt d'autres infirmités. Je me flattais que le voyage les aurait en grande partie dissipées. Je suis bien étonné, ma chère sœur, que vous vous êtes ennuyée pendant trois jours à lire mes bavarderies poétiques; j'ai regret au temps que j'ai employé à ces sottises. J'en ai encore tout un fatras; mais, en vérité, il est si mauvais, que je n'ai pas le cœur de vous en ennuyer. J'ai beaucoup de pièces fugitives, mais qui ont besoin de beaucoup de corrections avant de vous être présentées. Je verrai ce que je pourrai faire cet hiver pour vous obliger; il y a, entre autres, un poëme épique dont Valori et Darget sont les sujets;1_314-a mais il est si licencieux, et d'ailleurs si mal ourdi, que je n'ai pas le courage de le soumettre à votre examen. Ce sont des pièces faites à la hâte, où je n'ai pensé qu'à mon amusement, et où je n'ai jamais pensé au public. Mon seul objet était de m'occuper pendant quelques moments de loisir, et jamais de me placer sur le Parnasse; je sais assez me rendre justice, et je sens par la même raison que ce qui m'a pu amuser par le charme de la composition n'amusera pas ceux qui connaissent de bons vers, et ne se familiariseraient point avec les accents durs de ma muse tudesque travestie en français. Il est presque impossible à un Allemand habitué aux fins fonds de l'Allemagne de ne pas faire des solécismes fréquents, ni de ne manquer souvent contre les usages d'une langue qui, pour la plupart, est corrompue dans ces contrées-ci. Il ne reste donc à une poésie privée des puretés de la langue que quelques traits d'imagination qui ne font d'effet que celui des figures qu'on entrevoit dans un<315> vieux tableau bruni et à demi écaillé. Permettez-moi donc, ma chère sœur, d'employer les ratures et les corrections, autant que je pourrai y mettre du temps, pour que les bagatelles que vous me demandez soient moins informes, et pour que mes petits ne se présentent que bien léchés devant vous. Je fais mille vœux pour l'entier rétablissement de votre santé, vous priant de me croire avec une tendresse à toute épreuve, ma très-chère sœur, etc.

307. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 28 novembre 1755.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais vous dire, mon très-cher frère, la joie que m'a causée votre précieux souvenir. Vous avez eu soin de satisfaire à la fois mes sens et mon cœur. J'ai eu l'honneur de recevoir trois de vos lettres, les raisins, et la musique. Que ne vous dois-je point pour tant de marques de bonté! J'en suis pénétrée; ma reconnaissance surpasse toute expression. Je voudrais pouvoir vous dépeindre mes pensées, et je ne le puis. Mon cœur parle, mais il ne peut articuler ce dont il est rempli. Quel embarras! Ce n'est pas la première fois que j'y suis. Vous joignez à tant d'autres vertus, mon très-cher frère, celle de la modestie. Oserais-je vous dire que vous péchez par un vice contraire à ceux des autres poëtes? Ils sont trop satisfaits de leurs ouvrages, et vous l'êtes trop peu. Nous avons lu vos poésies en compagnie de deux Français, dont l'un est poëte, qui en ont été enthousiasmes. A force d'interruptions admiratives, il nous a fallu trois jours pour les lire. Ils ont surtout admiré votre éloquence et la pureté de<316> langage, qu'ils ne peuvent absolument comprendre. Comme je n'oublie aucune minute des heureux moments que j'ai eu le bonheur de passer avec vous à Berlin, je me ressouviens très-bien que vous me fîtes l'honneur de me dire un soir le contenu du Palladion enlevé. Je me rappelle plusieurs tableaux qui y sont, qui mont paru uniques. Je souhaite de tout mon cœur que madame Hedwige,1_316-a qui est une des héroïnes de votre poëme, fasse quelques heureux miracles qui vous donnent de nouvelle matière à les chanter; je voudrais qu'elle dérangeât l'économie de certaines coiffures et la perruque de certains seigneurs; toute l'Europe la fêterait autant que la sainte Vierge. La Rosa qui était autrefois à Berlin est ici, ce qui nous a procuré un intermezzo. Son compagnon ne vaut pas à beaucoup près Cricchi,1_316-b et il me semble qu'elle a un peu déchu. On a besoin d'un peu de dissipation dans le mauvais temps qu'il fait, qui est très-propre à donner le spleen. Je préfère toujours celle de l'étude; mais, malheureusement pour moi, je n'ose presque plus m'appliquer, ayant d'abord des maux de tête affreux, et ne pouvant rester longtemps assise. J'espère que votre santé, mon très-cher frère, se soutient contre ces intempéries de l'air, et que vous n'en ressentez point les atteintes. Pourvu que vous vous portiez bien, je suis contente, rien ne pouvant égaler la tendresse et le profond respect avec lequel je serai toute ma vie, mon très-cher frère, etc.

<317>

308. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 30 novembre 1755.



Ma très-chère sœur,

C'est beaucoup que mes lettres ne vous importunent pas; elles sont si simples et contiennent si peu de matière, que, faute de sujet, je balance souvent à vous écrire. Je suis sûr que les expériences physiques pourront vous amuser pendant cet hiver; cependant il faut avouer que ceux qui les font ont plus besoin d'adresse que de génie; ce sont des charlatans de la philosophie. La plupart de ces expériences ont leur racine dans la chimie, et peuvent étonner pour la première fois ceux qui n'ont aucune idée des mélanges des métaux, de la force de l'air, de la vertu magnétique, ni de tant d'autres phénomènes si connus dans la physique moderne. Je ne sais pas si, après les avoir vues une fois, vous voudrez y retourner, ma chère sœur; mais selon que je connais votre génie, je crois que ces expériences ne lui donneront pas assez de pâture. Vous faites de si beaux éloges de Sans-Souci, que, s'il y avait eu moyen de trouver des melons d'eau, je n'aurais eu rien de plus pressé que de vous les offrir; mais l'année ayant été mauvaise par la trop grande abondance des pluies, les fruits n'ont pu se conserver. J'en suis bien fâché; j'espère, pour l'honneur de Sans-Souci, que l'année prochaine il ne se trouvera pas dans le même cas de disette. La galerie de tableaux que je forme est toute nouvelle; je n'ai rien pris de la galerie de Berlin; cependant j'ai déjà ramassé près de cent tableaux, dont il y a deux Corréges, deux Guides, deux Paul Véronèses, un Tintoret, un Solimène, douze Rubens, onze van Dycks, sans compter les autres maîtres de réputation. Il me faut encore cinquante tableaux; j'en attends d'Italie et de Flandre avec lesquels je crois pouvoir compléter ma galerie. Vous voyez, ma chère sœur, que la philosophie ne bannit pas toujours la folie de la tête des<318> hommes; celle des tableaux sera courte chez moi, car dès qu'il y en aura assez selon la toise, je n'achète plus rien.

Je plains le pauvre Bonin;1_318-a c'était un garçon d'une ambition démesurée, mais qui d'ailleurs avait du mérite. La poste va partir; il ne me reste qu'à vous embrasser tendrement, en vous assurant de la vive tendresse avec laquelle je suis à jamais, ma très-chère sœur, etc.

309. A LA MÊME.

Le 7 décembre 1755.



Ma très-chère sœur,

Le chasseur m'a rendu votre chère lettre à mon retour de Berlin, où j'ai été rendre mes devoirs à notre chère mère. Elle a eu une fluxion de poitrine; mais, grâce au ciel, tout le danger est passé. Elle est encore un peu faible; cependant de jour en jour elle se remet, de sorte que nous n'avons à présent rien à appréhender. J'en reviens au chasseur, qui m'assure vous avoir laissée en assez bonne santé, ce qui me fait grand plaisir. Vous avez trop de bonté, ma chère sœur, de prêter attention aux bagatelles par lesquelles j'ai pu vous servir, et de recevoir en bonne part et la musique, et mille bagatelles que j'ai pris la liberté de vous offrir. Quant à la poésie, comme la plupart de mes confrères en Apollon se conduisent comme des fous, je tâche de me tenir à l'écart, et j'évite la confrérie, pas assurément à cause que je me crois plus sage qu'eux, mais à cause qu'il ne convient point à un personnage magistral de passer pour fou. C'est par cette raison que je ne confie mes rêveries à personne,1_318-b et<319> que je les cache surtout à mon barbier, crainte d'avoir le sort du roi Midas.1_319-a Mon Dieu, vous vous ressouvenez du Palladion, et vous vous plaignez de votre mémoire! En vérité, ma chère sœur, il n'y a que vous qui puissiez retenir tout; car des sottises pareilles au Palladion ne peuvent entrer que dans un grand tout; cependant, si cela peut vous amuser, j'essayerai, cet hiver, de corriger cet ouvrage informe et rempli de fautes, pour le rendre moins indigne de votre attention. J'ai ici les prémices du carnaval, consistant dans l'évêque de Breslau1_319-b et quelques personnages de la même gravité, qui n'attendent que son ouverture. C'est le prologue de la pièce. Des discussions politiques m'attendent à Berlin vers la fin du mois, qui m'emportent encore assez de temps; c'est autant de perdu pour l'agrément, mais c'est un devoir qui doit passer devant tout. Je vous embrasse de tout mon cœur, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

310. A LA MÊME.

Le 18 décembre 1755.



Ma très-chère sœur,

Vous recevez mes lettres avec trop d'indulgence. Je crains fort, et avec raison, que mon bavardage ne vous ennuie. Que puis-je vous écrire, ma chère sœur, d'un endroit solitaire où je vis plus avec les morts qu'avec les vivants, et où les occupations que j'ai ne fourniraient pas des matières intéressantes pour des nouvelles? Le tremble<320>ment de terre dont vous parlez1_320-a s'est réellement fait sentir dans mon pays, le long des rivages de la mer; à Stettin, l'Oder est enflée dans l'espace de quatre minutes, et a fait une crue de douze pieds; elle a inondé tout le faubourg, mais cela n'a duré qu'un moment. A Templin, le lac s'est soulevé; il a inondé tout d'un coup un de ses bords, et a obligé les pêcheurs qui étaient dessus de se sauver. En Frise, la même chose est arrivée à peu près sur les bords de l'Amasis et sur ceux de la mer; en Hollande, en Irlande, la même chose, avec des effets plus désastreux pour les habitants. Pour moi, qui ne suis pas grand physicien, mais qui me suis fait mon système de physique, comme Buffon a fait le sien, j'attribue tous ces phénomènes au principe que je suppose : je crois qu'il y a au centre de la terre un feu élémentaire qui, agité par différentes causes, se forme des canaux souterrains aboutissant vers la surface de la terre, et que ce feu, mis dans un mouvement plus violent, a poussé des rameaux sous la mer, dont effectivement l'un a crevé sur les côtes d'Irlande; le grand foyer s'est trouvé précisément sous Lisbonne. La matière sulfureuse et salpêtrique dont le sol de ce pays est empreint a donné plus de nourriture à ce feu, qui par conséquent, dans cet endroit, a fait l'effet d'une mine qui saute. Je vous donne mon raisonnement pour ce qu'il vaut, c'est-à-dire, pour une conjecture. Mon préjugé m'v fait peut-être ajouter un degré de crédibilité plus fort qu'il ne paraîtra à d'autres; mais je suis très-persuadé qu'il en est ainsi. Après tout, si je me trompe sur cette matière, ce qui me console, c'est que je ne suis pas le seul, et que la plupart qui s'égarent le font pour chercher midi à quatorze heures, au lieu que ce que je dis a de la vraisemblance et de la simplicité. Mais, ma chère sœur, c'est aux physiciens que vous avez à Baireuth à décider sur cette matière; pour moi, dont la destinée est de me démêler de la fourberie des hommes, je pourrais me tromper facilement sur les causes secrètes que la nature nous<321> cache, et qui sont une énigme pour le vulgaire, et quelquefois pour les savants mêmes.

Je suis au désespoir que vous vous priviez pour moi des collections que vous avez faites en Italie. L'intérêt que je prends à la nouvelle Jérusalem me fera posséder avec inquiétude la faveur que je dois tenir de votre amitié. Ma galerie n'a besoin, ma chère sœur, que de votre portrait pour la sanctifier, et, n'en déplaise à la reine du ciel et à toute sa famille, il n'en est aucun que je vous compare. Vous me direz que ce n'est pas avancer beaucoup quand on ne croit pas à ces gens-là, et que ce n'est que préférer votre portrait à celui d'une charpentière juive et peut-être pis; mais ce portrait a été fait par de grands maîtres, et l'habileté de leur pinceau ne donnera pas plus de mérite à leur sujet que votre portrait n'en a, que je tiens pour une copie de Pesne.

Les nouvelles que je puis vous marquer d'ici sont que j'ai gâté la tragédie de Mérope en en faisant un opéra,1_321-a que je pars dimanche pour Berlin, de quoi j'enrage, et que je compterai heures et moments jusqu'à mon retour; que l'hiver se fait sentir, que les chemins sont mauvais, que l'arrivée des étrangers nous annonce le carnaval, et qu'enfin je suis, comme j'ai toujours été, avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<322>

311. A LA MÊME.

Ce 26 (décembre 1755).



Ma très-chère sœur,

Vous avez raison de craindre que des maladies telles qu'en a eu notre chère mère ne puissent un jour lui être funestes. Cependant elle s'en remet parfaitement pour cette fois-ci; je trouve qu'elle reprend sa vivacité et son humeur ordinaire, ce qui sont de très-bons signes. Notre carnaval a commencé, mais, pour vous dire le vrai, il n'est guère animé jusqu'à présent. Il y a des années où cela va de soi-même, il y en a d'autres où l'on ne vient à bout de rien. Notre évêque est tout aussi espiègle qu'il l'a été à Rome, et capable d'enfumer le sacré collége et le pape même; mais je le prie beaucoup d'assujettir ces heureuses dispositions aux dehors de l'hypocrisie, et de cacher sa gaîté sous un masque discret et plein de formalités. On prend les vices comme les vertus de son état; il faut qu'un ecclésiastique soit hypocrite, ou tout le monde lui jette la pierre. J'espère que l'on sera à présent assez sensé de ne plus faire parade de tremblements de terre; tous ceux qui se mettent à présent sur les rangs viennent trop tard, après celui de Lisbonne; il en faut avoir un pareil, ou se taire. Il n'y a que l'extrémité des excès en tout genre qui fasse du bruit, et ce n'est pas la peine de travailler ni de s'agiter pour faire des choses ordinaires. C'est pourquoi l'on parlera toujours d'un César, d'un Cicéron, d'un Érostrate, d'un Cartouche, d'un Socrate, d'un Trajan, et que les hommes et les accidents vulgaires s'oublient. Quoique je sois fort du nombre de ces derniers, j'espère bien, ma chère sœur, qu'en faveur de l'amitié vous voudrez bien ne point m'effacer de votre mémoire, et me croire avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<323>

312. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 12 février 1756.



Mon très-cher frère,

Quoique je ne sois encore que convalescente, il me semble que le plaisir que j'ai, mon très-cher frère, de vous écrire soulage mes maux. Je les endurerais avec patience, s'ils ne me privaient de la seule consolation qui me reste dans notre séparation, qui est de vous assurer que vous m'êtes infiniment plus cher que moi-même. L'inquiétude que vous avez témoignée à Stefanino sur mon long silence m'est une preuve bien précieuse de vos bontés. Vous m'avez rendu justice, mon cher frère, puisqu'il n'y a que les infirmités de mon corps qui puissent retenir les mouvements de mon cœur, qui vous est trop acquis pour négliger les moindres occasions de mettre au jour les sentiments qu'il renferme. J'ai été très-mal, ayant eu des coliques continuelles, accompagnées de douleurs dans tous les membres. Je suis encore fort faible, ne pouvant rattraper le sommeil. J'ai eu recours aux sermons; mais ils m'ont ennuyée au lieu de m'endormir.

J'aurais dû commencer ma lettre par des félicitations, mon très-cher frère, sur votre nouvelle royauté; j'ai lu dans les gazettes l'offre qu'on vous a faite du royaume de Corse; j'en ai senti une joie excessive, puisque les barbares mêmes rendent justice à votre mérite. Je souhaiterais que toute l'Italie prît une pareille résolution; nous y verrions renaître le siècle des Césars.

Je dois m'accuser d'avoir commis une grande faute envers vous, mon cher frère; cette faute a attiré sur moi le courroux céleste; la maladie que je viens d'essuyer en est une punition. Étant à Naples, je me rendis un jour à une montagne où il y avait quantité de vieilles ruines; je vis à quelque distance de moi les débris d'un tombeau.<324> J'en approche; mais quelle est ma surprise! Une voix sort du fond de cette pyramide, qui m'appelle par mon nom : « Approche, me dit-elle; je suis Virgile. J'étais né pour chanter les héros; les dieux, pour récompenser mon zèle, m'ont transformé en laurier pour couronner le plus grand des mortels, ne pouvant plus le chanter; c'est à toi que cet honneur est réservé. » La voix se tut; je cueillis au plus vite quelques branches de cet arbre merveilleux. A peine en eus-je formé une couronne, qu'il se dessécha. Une inscription lumineuse parut sur la pyramide; elle était en vers, en voici le sens : « Mon ombre quitte pour jamais ce séjour, puisque aucun mortel ne sera plus digne de mes lauriers. »1_324-a Mes domestiques ont emballé la boîte où étaient ces précieuses reliques avec plusieurs autres choses que je ne fais que recevoir. Virgile, irrité de mon inexactitude, m'est apparu, en me menaçant de la colère des dieux, si je n'obéissais promptement à ses commandements. Je vous envoie, mon cher frère, cette couronne merveilleuse, qui vous est doublement due, comme dis<325>ciple d'Apollon et de Mars. Étant avec toute la tendresse et le respect imaginable, mon très-cher frère, etc.

313. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Potsdam) ce 21 (février 1756).



Ma très-chère sœur,

Votre lettre, ma très-chère sœur, a achevé de rétablir le calme de mon âme, qui avait été troublée par l'appréhension où j'ai été pour votre précieuse santé. Je vous avoue que je suis tombé de mon haut en recevant une couronne de laurier de vos mains. S'il y avait quelque chose de capable de renverser ma chétive cervelle, c'aurait été les choses obligeantes que vous y ajoutez. Mais je me suis bien vite remis dans mon assiette naturelle, en pensant que l'ombre de Virgile était assez vieille pour radoter, et que dans la cuisine française on fait l'honneur aux jambons de leur donner le laurier comme aux héros. Il n'y a que l'excès d'indulgence que vous daignez avoir pour moi qui puisse vous faire illusion sur mon sujet; mais, ma chère sœur, en faisant un retour sur moi-même, je n'y trouve qu'un pauvre individu composé d'un mélange de bien et de mal, souvent très-mécontent de soi-même, et qui voudrait fort avoir plus de mérite qu'il n'en a, fait pour vivre en particulier, obligé de représenter, philosophe par inclination, politique par devoir, enfin qui est obligé d'être tout ce qu'il n'est pas, et qui n'a d'autre mérite qu'un attachement religieux à ses devoirs. Voilà, ma chère sœur, une confession générale après laquelle je me flatte de votre absolution.

Le duc de Nivernois vient aujourd'hui ici; si je pouvais jouir de<326> l'homme aimable, j'en serais charmé; mais jusqu'à présent je n'ai vu que l'ambassadeur. Je vous laisse à penser si je suis occupé ou non; obligé de me mêler d'une infinité d'affaires qui, dans le fond, ne me regardent pas, et plongé dans des négociations très-délicates et épineuses, je crains, en vérité, de vous communiquer mon ennui, si j'entrais plus avant en matière. Je me contente de vous embrasser de tout mon cœur, et de vous assurer de la tendresse parfaite avec laquelle je suis jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

314. A LA MÉME.

(Potsdam) ce 12 (juillet 1756).



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu hier la lettre remplie de tendresse et d'amitié que vous avez eu la bonté de m'écrire. Nous nous trouvons à peu près ici dans la même situation qu'il y a huit jours, nous préparant à tout événement, et cependant n'en faisant pas assez pour donner de l'ombrage qu'à ceux qui en veulent prendre. Je prends à présent les eaux d'Éger, qui me font un bien infini. Il y a eu un grand tapage en Suède. J'ai tant prié ma sœur de se tenir tranquille! mais il n'y a pas eu moyen. Cela est très-fâcheux, et vient fort mal à propos dans les circonstances présentes. Je ne vous en dis pas davantage, ma très-chère sœur, de crainte de vous ennuyer, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, etc.

<327>

315. A LA MÊME.

(Potsdam) ce 28 (juillet 1756).



Ma très-chère sœur,

J'ai très-bien reçu la lettre du 17 que vous avez eu la bonté de m'écrire; je vous en fais mille remercîments. Vous avez bien raison de déplorer ce qui est arrivé en Suède. Si l'on avait bien voulu suivre mes conseils (qui presque tous ont été mal reçus), les choses ne seraient point parvenues au triste état où elles se trouvent. Ma sœur s'est laissé séduire par un nombre de gens qui l'ont engagée trop avant, et qui, au lieu de travailler pour le Roi, n'ont, dans le fond, pensé qu'à leur propre intérêt; ils deviendront les victimes de leur ambition. A présent, tout cela est fini, et il faut réparer, dans l'ombre de la tranquillité et par beaucoup de douceur, des fougues de vivacité et d'emportement qu'on aurait mieux fait de réprimer.

Pour moi, ma chère sœur, qui me vois entouré des naufrages des ambitieux, je tâche de régler ma conduite sur ce que mon âge semble demander; bien loin de suivre les premiers mouvements de mon âme, je prends un chemin plus sûr. J'ai entamé une négociation avec mes ennemis; je veux qu'ils déclarent leurs intentions, et que par là ma conduite soit justifiée à la face de toute la terre. Si, après ces essais, ils se montrent intraitables, et que, dans leur ivresse, ils se montrent sourds à la voix de la raison, je ferai ce que chacun ferait en ma place, mais la conscience nette de tout reproche et avec une entière confiance dans la justice de ma cause. Que le futur ne vous alarme point, ma chère sœur; il est incertain, il est voilé heureusement à nos yeux; nos espérances ni nos craintes n'empêcheront pas les événements de se suivre, et en qualité d'hommes qui sont nés pour le bonheur et pour le malheur, il faut se préparer à recevoir avec un visage égal telle liqueur que Jupiter voudra répandre sur nous de ses<328> deux urnes. Enfin, ma chère sœur, c'est se faire tort à soi-même que de ne prévoir que des malheurs; nos fortunes sont mêlées, nous en avons plus de bonnes que de mauvaises à attendre. Je vous embrasse mille fois, en vous assurant de la parfaite tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis à jamais, ma chère sœur, etc.

316. A LA MÊME.

(Potsdam) ce 23 (août 1756).



Ma très-chère sœur,

J'ai reçu votre lettre avec bien du plaisir, puisqu'elle est une marque du rétablissement de votre santé. Je suis bien fâché, ma chère sœur, que vous ne soyez pas contente de la nouvelle Jérusalem. Je crois que le séjour d'Erlangen, tant pour l'air que pour l'agrément, vous conviendra mieux que celui de Baireuth.1_328-a J'attends ici la réponse de la reine de Hongrie, qui va décider de la paix ou de la guerre; je voudrais l'avoir déjà reçue, pour savoir à quoi m'en tenir, n'y ayant rien de plus inquiétant dans le monde que l'incertitude. Daignez me conserver votre précieuse amitié, et soyez persuadée de la parfaite tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<329>

317. A LA MÊME.

Lowositz, 4 octobre 1756.



Ma chère sœur,

Votre volonté est accomplie. Impatienté par les longueurs des Saxons, je me suis mis à la tête de mon armée de Bohême, et je suis marché d'Aussig à un nom qui m'a paru de bon augure, étant le vôtre, au village de Welmina. J'ai trouvé les Autrichiens ici, auprès de Lowositz, et, après un combat de sept heures, je les ai forcés à la fuite. Personne de votre connaissance n'est tué, si ce n'est le général Lüderitz et Oertzen. Je vous rends mille grâces de la tendre part que vous prenez à mon sort. Veuille le ciel que la valeur de mon armée nous procure une paix stable! Ce doit être le but de la guerre. Adieu, ma chère sœur; je vous embrasse tendrement, vous assurant de la vive tendresse avec laquelle je suis, etc.

318. A LA MÊME.

(Dresde) 5 février (1757).



Ma très-chère sœur,

A mon retour de Silésie, j'ai eu le plaisir de recevoir la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire. Je vous rends mille grâces de la part obligeante que vous prenez à mon individu. Je ne crains encore rien de tous ces grands projets que forment mes ennemis. Je commence à arranger mes flûtes, et je me flatte, à l'ouverture de la campagne prochaine, de donner de la besogne à ces gens qui parlent<330> si haut à présent. Je me moque de la diète et de toutes ses résolutions; peut-être que je lui en ferai prendre, en temps et lieu, auxquelles elle ne s'attend pas à présent. On verra, ce printemps, ce qu'est la Prusse, et que par notre force, surtout par notre discipline, nous viendrons à bout du nombre des Autrichiens, de l'impétuosité des Français, de la férocité des Russes, des grands corps des Hongrois, et de tous ceux qui nous seront opposés. Il faut voir à présent quelle armée tombera en partage au prince Charles, les dispositions qu'ils feront en Bohême, le temps qu'ils voudront se mettre en mouvement, et, passé cela, je vois arriver le moment où l'on fera taire le caquet impertinent de toute cette canaille, tant française qu'autrichienne. Pardonnez-moi ce terme; il y a des moments où la patience s'échappe, et je crois qu'ils ne me donnent pas, à Schönbrunn, des titres plus nobles que ceux-là. Mon frère Ferdinand est de retour de Berlin; il m'a dit que notre chère mère a une grosse toux, ce qui m'inquiète beaucoup, vu son grand âge. Veuille le ciel nous la conserver encore longues années! Je donnerais volontiers ma vie pour prolonger ses jours. Ma moricaude voisine est aussi malade; tout le château est d'une humeur de chien, ce qui me fait présumer qu'ils ont reçu quelque mauvaise nouvelle. Je ne m'en embarrasse guère; pourvu que j'apprenne, ma chère sœur, de bonnes nouvelles de votre santé, et que vous me promettiez de ne vous point inquiéter le printemps prochain, je serai content, vous priant de me croire avec la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<331>

319. A LA MÊME.

Camp de Nimbourg, 21 (juin 1737).



Ma très-chère sœur,

On m'a dit que vous m'aviez envoyé un courrier au camp de Prague. J'étais justement absent, et en marche pour attaquer Daun; cela s'est fait le 18. Malgré tous nos efforts, nous avons trouvé un terrain si difficile, que, pour ne point perdre l'armée, j'ai cru devoir abandonner cette entreprise. Ceci m'a obligé de lever la bloquade de Prague, et de camper ici avec une armée, et l'autre du côté de Welwarn. Cet incident me met hors d'état de détacher à présent vers l'Empire. Vous sentez, ma chère sœur, combien cela doit me faire de peine. Je ne suis occupé à présent qu'aux moyens de réparer ce contretemps. Je n'ai point reçu votre lettre, moyennant quoi je ne saurais y répondre, vous priant d'être persuadée de la vive tendresse avec laquelle je suis, etc.

320. A LA MÊME.

Leitmeritz, 28 (juin 1757).



Ma très-chère sœur,

Le dérangement que le malheureux jour du 18 a porté à nos affaires m'a obligé de lever le siége de Prague et à mettre une de mes armées à Nimbourg, dont je reviens, et l'autre ici. Votre courrier ne m'est parvenu qu'à présent. Si vous pouviez préparer l'esprit des Français à s'expliquer envers vous des conditions de la paix, pour que l'on<332> pût juger de leurs intentions et voir s'il y aurait quelque chose à faire avec eux; si vous les priiez de vous confier leurs demandes, assurant de n'en point faire un mauvais usage, et leur répondant des bonnes dispositions dans lesquelles j'étais, peut-être verrait-on si ce traité est vrai qu'on les suppose avoir fait avec les Autrichiens, et du moins pourrait-on juger, par leurs propositions, à quoi l'on peut s'attendre d'eux en cas de besoin. Si la paix me venait par vos mains, elle me serait doublement chère, et vous auriez l'honneur d'avoir pacifié l'Allemagne. Je vous ai écrit une grande lettre sur ce sujet, que je crois que vous recevrez plus tôt que celle-ci. Adieu, ma chère sœur; nos affaires ne sont pas désespérées, mais dérangées. Dans trois semaines d'ici, je pourrai revenir sur l'eau. Je suis avec la plus parfaite tendresse, etc.

321. A LA MÊME.

( Leitmeritz) 1er juillet (1757).



Ma très-chère sœur,

Je suis sensible autant qu'on peut l'être au tendre intérêt que vous daignez prendre à ce qui me regarde. Vous n'avez rien à craindre pour moi, ma chère sœur; les hommes sont toujours sous la main de ce qu'on nomme le destin. Beaucoup de personnes à qui il arrive des accidents à la promenade, dans leurs chambres, dans leur lit; beaucoup qui échappent aux périls de la guerre; ces périls sont moins fréquents pour un général qui commande une armée que pour les autres officiers. J'aurai de l'occupation, mais je ne la crains pas; j'aurai des fatigues à souffrir, mais les médecins disent que l'exercice est<333> sain. Il arrivera donc de tout ceci ce qui plaira au ciel. Je vous rends mille grâces de tout ce que vous avez la bonté de me dire d'ailleurs. Je crois que si, pour le commencement, vous voulez bien faire passer vos lettres par la Hesse, ce n'en sera que mieux, et n'envoyer quelqu'un que dans une occasion bien importante. Je pense au moyen d'avoir quelqu'un à moi, à Gera, qui pourrait m'envoyer des paquets dans les grandissimes crises. Je prends la liberté en même temps de vous envoyer un petit grimoire;1_333-a on pourrait s'en servir, le faire écrire par une main inconnue, sans souscription, sceller d'un cachet ordinaire, et la personne sur laquelle je ne suis pas encore d'accord moi-même, et qui se trouverait à Gera, pourrait l'apporter elle-même, de sorte que personne ne saurait de qui il vient, ni d'où vient la lettre. Je ne manquerai pas de vous communiquer cette adresse, dès que cela sera arrangé. L'Allemagne est à présent dans une terrible crise; je suis obligé de défendre seul ses libertés, ses priviléges et sa religion; si je succombe, pour le coup, c'en sera fait. Mais j'ai bonnes espérances, et, quelque grand que soit le nombre de mes ennemis, je me confie sur ma bonne cause, sur l'admirable valeur des troupes, et sur la bonne volonté qu'il y a depuis les maréchaux jusqu'au moindre soldat. Je vous demande mille pardons si, pour cette fois, je ne vous en dis pas davantage; je suis obligé de travailler beaucoup pour finir tous mes arrangements. Je vous embrasse de tout mon cœur, en vous priant de me croire avec le plus sincère attachement et la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<334>

322. A LA MÊME.

Leitmeritz, 5 juillet 1757.



Ma très-chère sœur,

Je profite d'un courrier de Plotho1_334-a qui va à Ratisbonne, pour vous faire part, ma chère sœur, du nouveau chagrin qui nous accable. Nous n'avons plus de mère. Cette perte met le comble à ma douleur. Je suis obligé d'agir, et je n'ai pas le temps de donner un libre cours à mes larmes. Jugez, je vous prie, de la situation d'un cœur sensible, mis à une aussi cruelle épreuve. Toutes les pertes dans le monde peuvent se redresser, mais celles que la mort cause sont sans espoir. Je ne m'étends pas davantage sur un aussi affligeant sujet. Je prie le ciel qu'il vous conserve, sans quoi je n'aurais presque plus d'amis dans le monde.1_334-b Je suis avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

323. A LA MÊME.

Leitmeritz, 7 juillet 1767.



Ma très-chère sœur,

Vous avez trop de bonté de vous donner tant de peine pour mes affaires. Je suis confus d'abuser si étrangement de votre indulgence. Puisque, ma chère sœur, vous voulez vous charger du grand ouvrage de la paix, je vous supplie de vouloir envoyer ce M. de Mirabeau en France. Je me chargerai volontiers de sa dépense; il pourra offrir<335> jusqu'à cinq cent mille écus à la favorite pour la paix, et il pourrait pousser ses offres beaucoup au delà, si en même temps on pouvait l'engager à nous procurer quelques avantages. Vous sentez tous les ménagements dont j'ai besoin dans cette affaire, et combien peu j'y dois paraître; le moindre vent qu'on en aurait en Angleterre pourrait tout perdre. Je crois que votre émissaire pourrait s'adresser de même à son parent qui est devenu ministre, et dont le crédit augmente de jour en jour. Enfin je m'en rapporte à vous. A qui pourrais-je mieux confier les intérêts d'un pays que je dois rendre heureux qu'à une sœur que j'adore, et qui, quoique bien plus accomplie, est un autre moi-même? J'ai déjà répondu par rapport à Reitzenstein, et je conseille au Margrave de le rendre d'abord, pour ne point être impliqué dans une affaire qui, dans les circonstances présentes, pourrait lui devenir funeste. Adieu, ma chère sœur; je vous embrasse de tout mon cœur, étant avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

324. A LA MÊME.

(Leitmeritz) 13 juillet 1757.



Ma très-chère sœur,

Votre lettre m'est très-bien parvenue; j'y vois vos regrets de la perte irréparable que nous avons faite de la plus respectable et de la plus digne mère de l'univers. Je suis frappé de tant de coups, que je me trouve dans une espèce d'étourdissement. Les Français viennent de s'emparer de la Frise, ils vont passer le Wéser; ils ont instigué les Suédois à se déclarer contre moi, ils font passer dix-sept mille hommes en Poméranie. Les Russes assiégent Memel, Lehwaldt les a en dos<336> et en face; les troupes de l'Empire vont aussi se mettre en marche. Tout cela m'obligera de vider la Bohême dès que tant d'ennemis se mettront en mouvement. Je suis fermement résolu de faire les derniers efforts pour sauver ma patrie, quitte à voir si la fortune se ravisera, ou si elle me tournera entièrement le dos. Ce sont les contingents futurs, sur lesquels la prévoyance humaine n'a point de prise. Heureux le moment où je me suis familiarisé avec la philosophie! Il n'y a qu'elle qui puisse soutenir l'âme dans une situation pareille à la mienne. Je vous fais, ma chère sœur, le détail de mes peines; si cela ne regardait que mon personnel, mon âme ne serait pas altérée; mais je dois veiller au salut et au bonheur d'un peuple qui m'est confié. Voilà le grand point, et j'aurai à me reprocher la moindre faute, si, par lenteur ou précipitation, je donne lieu au moindre incident, d'autant plus que, dans le moment présent, toutes les fautes sont capitales. Enfin, voici la liberté de l'Allemagne et celle de cette cause protestante pour laquelle on a tant versé de sang, voilà ces deux grands intérêts en jeu; et la crise est si forte, qu'un malheureux quart d'heure peut établir pour jamais dans l'Empire la tyrannique domination de la maison d'Autriche. Je suis dans le cas d'un voyageur qui se voit entouré et prêt à être assassiné par une troupe de scélérats qui veulent se partager sa dépouille.1_336-a Depuis la ligue de Cambrai,1_336-b il n'y a point d'exemple d'une conspiration pareille à celle que cet infâme triumvirat forme contre moi; cela est affreux, et fait honte à l'humanité et aux bonnes mœurs. A-t-on jamais vu que trois grands princes complotent ensemble pour en détruire un quatrième qui ne leur a rien fait? Je n'ai eu aucun démêlé ni avec la France, ni avec la Russie, encore moins avec la Suède. Si dans la société civile trois bourgeois s'avisaient de dépouiller leur cher voisin, ils seraient proprement roués par ordonnance de la justice. Quoi! des souve<337>rains qui font observer ces mêmes lois dans leurs États donnent des exemples aussi odieux à leurs sujets! Quoi! ceux qui doivent être les législateurs du monde enseignent le crime par leur exemple! O temps! ô mœurs! Il vaut, en vérité, autant vivre avec les tigres, les léopards, les loups-cerviers que de se trouver, dans un siècle qui passe pour poli, parmi ces assassins, ces brigands et ces perfides hommes qui gouvernent ce pauvre monde. Heureux, ma chère sœur, l'homme ignoré dont le bon sens a renoncé dès sa jeunesse à toute sorte de gloire, qui n'a ni envieux, parce qu'il est obscur, et dont la fortune n'excite pas la cupidité des scélérats! Mais ces réflexions sont inutiles; il faut être ce que la naissance, qui en décide, nous fait en entrant au monde. J'ai cru que, étant roi, il me convenait de penser en souverain, et j'ai pris pour principe que la réputation d'un prince devait lui être plus chère que la vie.1_337-a On a comploté contre moi, la cour de Vienne s'est émancipée à vouloir me maltraiter; c'était contre mon honneur de le souffrir. Nous avons fait la guerre; une ligue de scélérats me tombe sur le corps : voilà l'histoire qui m'est arrivée. Le remède est difficile; dans des maux violents, il n'y en a d'autre que des cures désespérées. Je vous demande mille pardons; je ne vous parle pendant trois grandes pages que de mes affaires; ce serait étrangement abuser de l'amitié de tout autre. Mais, ma chère sœur, je connais votre amitié, et je suis persuadé que vous ne me voulez point de mal quand je vous ouvre mon cœur; il est tout à vous, étant rempli des sentiments de la plus tendre estime avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<338>

325. A LA MÊME.

Linay, 22 juillet (1757).



Ma très-chère sœur,

J'ai eu l'agrément de recevoir aujourd'hui deux de vos lettres, dont l'une est du 16. La mauvaise conduite qu'a tenue mon frère de Prusse m'oblige à quitter Leitmeritz; j'espère de redresser ses sottises, si, humainement, cela est possible. Vous jugez très-bien, ma chère sœur, de notre situation présente et de ce qu'il en peut résulter pour l'avenir. Comme je n'ai aucun pouvoir sur les causes secondes, je ne prétends point régler mes destinées; je me borne à me conduire sagement, à profiter des occasions, si elles se présentent à moi, et je suis résolu d'opposer un front d'airain à tous les contre-temps qui peuvent m'arriver. Quand une fois un cheval a pris le mors aux dents, il ne voit, il ne connaît plus de danger. Je suis très-fâché, ma chère sœur, des contre-coups que vous ressentez de mon infortune; j'ose prédire que cela n'en restera pas à vous, mais que la catastrophe deviendra générale, si la fortune ne se ravise pas bientôt. Je me moque, dans le fond, et des troupes de l'Empire, et des Français, et des Suédois, et des Autrichiens, s'ils voulaient se succéder les uns aux autres; mais si j'avais autant de bras que Briarée, je ne pourrais suffire pour expédier l'hydre renaissante qui se présente à moi, qui se multiplie tous les jours, et qui m'assiége de tous côtés. Je suis dans le cas d'un voyageur attaqué par une grande troupe de brigands qui l'assassinent, et qui se partagent sa dépouille. Quand je serai assassiné, il m'importera peu que deux impératrices, un Roi Très-Chrétien, et je ne sais combien de grands princes, tous très-justes et très-religieux, m'aient fait cet honneur. Je parie à coup sûr que la France se repentira tôt ou tard de la sottise et de l'inconséquence de sa conduite présente; mais tout cela ne console guère. Il arrive quelquefois<339> à madame la justice d'être séduite et de se laisser tromper par des indices; on a des exemples qu'elle a fait pendre des hommes avec précipitation, dont elle a ensuite reconnu l'innocence, et en a fait faire des excuses très-polies à la veuve et aux enfants; mais elle n'a pas rendu la vie au mort, et celui-là n'a pas seulement eu la consolation d'être informé de ses regrets. On ne me pendra pas précisément; mais le traitement qu'on me prépare ne vaut, en vérité, guère mieux. Enfin, ma chère sœur, pendu ou non, je serai jusqu'au dernier soupir de ma vie, avec la plus tendre estime, etc.

326. A LA MÊME.

Naumbourg, 9 (septembre 1757).



Ma chère sœur,

viens de recevoir votre lettre du 6, avec l'incluse de Voltaire. Vos réflexions sont très-vraies; mais, ma chère sœur, la vérité n'est pas faite pour les hommes. Le peuple est mené par les politiques, et il est toujours abusé par ceux qui veulent le tromper; ce n'est pas ma faute, il faut subir sa destinée. Quand l'Europe sortira de ses transports frénétiques, elle sera peut-être étonnée elle-même des excès où sa fureur l'a poussée; mais cela ne me fera peut-être alors ni bien ni mal. J'ose vous envoyer une réponse pour Voltaire; daignez, je vous supplie, me marquer si vous avez reçu mon Épître,1_339-a ou non. Dans la situation présente, tout ce que je puis faire, ma chère sœur, c'est de<340> me fortifier le plus que je puis dans la philosophie; jusqu'à présent le malheur m'a roidi au lieu de m'abattre. Les épreuves par lesquelles je passe sont dures certainement, mais je me suis fait une raison sur tout ce qui peut m'arriver; je ne suis touché que de l'infortune d'un peuple que je devais rendre heureux. Enfin, ma chère sœur, il faut prendre patience et nager contre le torrent tant qu'on en a la force. Je vous prie de vous tranquilliser l'esprit; vos inquiétudes me sont précieuses, certainement j'y suis sensible, et je vous regarde comme le seul exemple d'amitié parfaite dans ce siècle corrompu; mais, en s'inquiétant, on ne change pas le destin, et dans des circonstances où l'on doit s'attendre à tout, il faut se préparer à tout événement. C'est, si vous le voulez, tirer sa consolation de la nécessité du mal et de l'inutilité du remède. Que faire, quand il n'en reste point d'autre? Je vous écrirais six pages, si je me livrais à mon penchant; cependant je sens que je dois m'arrêter, pour que le paquet ne devienne pas trop volumineux. Mon cœur est plein de tendresse et de reconnaissance pour vous; soyez persuadée que, tant que je respirerai, le souvenir de tant de vertu restera gravé au fond de mon âme. Il m'est impossible de vous exprimer tout ce que je sens là-dessus, mais certainement, si je ne vous aimais pas depuis longtemps avec passion comme frère, je vous adorerais comme le miracle, comme le phénix de nos jours. Vous ne pourrez recevoir de mes lettres que sous date du 15 de ce mois; nous sommes depuis quatre semaines par voie et par chemin, toujours sur pied et toujours en de nouveaux lieux. Nous avons fait une diligence qui surprend nos ennemis. Avant-hier et aujourd'hui les hussards autrichiens ont été malmenés; les Français ne se montrent pas, par grande prudence; je compte pourtant de les voir dans peu et de vous en donner des nouvelles. Adieu, mon adorable sœur, l'unique consolation qui me reste, mon seul espoir dans l'infortune; je vous embrasse du fond de mon âme.

<341>

327. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(10 septembre 1757.)



Mon très-cher frère,

Votre lettre et celle que vous avez écrite à Voltaire, mon cher frère, m'ont presque donné la mort. Quelles funestes résolutions, grand Dieu! Ah! mon cher frère, vous dites que vous m'aimez, et vous me plongez le poignard dans le cœur. Votre Épître, que j'ai reçue, m'a fait répandre un ruisseau de larmes.1_341-a J'ai honte à présent de tant de faiblesse. Mon malheur serait si grand, que j'y trouverai de plus dignes ressources. Votre sort décidera du mien; je ne survivrai ni à vos infortunes, ni à celles de ma maison. Vous pouvez compter que c'est ma ferme résolution.1_341-b Mais après cet aveu, j'ose vous supplier d'examiner le pitoyable état de votre ennemie lorsque vous étiez devant Prague.1_341-c C'est le changement subit de la fortune pour les deux partis. Ce changement peut se renouveler lorsqu'on y pensera le moins. César fut esclave des pirates, et devint le maître de la terre. Un grand génie comme le vôtre trouve des ressources quand même tout est perdu, et il est impossible que la frénésie puisse durer. Le<342> cœur me saigne en pensant aux malheureux Prussiens. Quelle barbarie horrible que le détail des cruautés qui se commettent! Je sens tout ce que vous sentez là-dessus, mon cher frère. Je connais votre cœur et votre sensibilité pour vos sujets. Je souffre mille fois plus que je ne puis le dire, mais l'espérance ne m'abandonne pas. J'ai reçu votre lettre du 14 par W.. Quelle bonté de penser à moi, qui n'ai qu'une tendresse inutile qui est bien richement récompensée par la vôtre! Je suis obligée de finir, mais je ne cesserai d'être avec un très-profond respect, etc.

328. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Kerpsleben, près d'Erfurt) ce 17
(septembre 1757).



Ma très-chère sœur,

Je ne trouve d'autre consolation que dans vos chères lettres. Puisse le ciel récompenser tant de vertu et tant d'héroïques sentiments! Depuis la dernière lettre que je vous ai écrite, mes malheurs ne font que s'accumuler. Il semble que le destin veut décharger toute sa fureur et toute sa colère sur le pauvre État que j'ai eu à gouverner. Les Suédois sont entrés en Poméranie; les Français, après avoir conclu une neutralité humiliante pour le roi d'Angleterre avec les alliés (dont les troupes sont obligées de se séparer et d'entrer dans des quartiers que les Français leur assignent, sans que les États respectifs soient délivrés de contributions ni de livraisons), les Français, dis-je, sont en pleine marche pour inonder les pays de Halberstadt et de Magdebourg. Je m'attends de la Prusse à la nouvelle d'une bataille d'un jour à l'autre; la proportion du nombre des combattants est de<343> vingt-cinq mille à quatre-vingt mille. Les Autrichiens sont marchés en Silésie, où le prince de Bevern les suit. J'ai avancé de ce côté-ci, pour tomber sur le corps de cette armée alliée, qui s'est enfuie, et s'est retranchée, derrière Eisenach, dans des montagnes où toutes les règles de la guerre m'empêchent de les suivre, encore plus de les attaquer. Dès que je me retirerai en Saxe, tout cet essaim me suivra. Je suis fermement résolu de tomber sur le corps de celui de tous les généraux ennemis qui m'approchera de plus près, au hasard de tout ce qui peut en arriver. Je bénirai encore le ciel de sa clémence, s'il m'accorde la faveur de périr l'épée à la main. Si cet espoir me manque, vous m'avouerez qu'il serait trop dur de ramper aux pieds d'un assemblage de traîtres dont les crimes heureux leur procurent l'avantage de pouvoir me donner la loi. Comment, ma chère, mon incomparable sœur, comment pourrais-je réprimer les sentiments de vengeance et de ressentiment contre tous mes voisins, dont il n'y en a pas un qui n'ait accéléré ma chute et ne partage nos dépouilles? Comment un prince peut-il survivre à son État, à la gloire de sa nation, à sa propre réputation? Qu'un électeur de Bavière dans l'enfance ou plutôt dans une espèce de sujétion de ses ministres, et stupide à la voix de l'honneur, se livre en esclave à l'impérieuse domination de la maison d'Autriche, et baise la main qui opprima son père, je le pardonne à sa jeunesse et à son ineptie; mais sera-ce là l'exemple que je devrai suivre? Non, ma chère sœur, vous pensez trop noblement pour me donner d'aussi lâches conseils. La liberté, cette prérogative si précieuse, sera-t-elle moins chère, dans le dix-huitième siècle, à des souverains qu'elle le fut aux patriciens de Rome? Et où est-il dit que Brutus et Caton pousseraient la générosité plus loin que des princes et des rois? La fermeté consiste à s'opposer au malheur; mais il n'y a que des lâches qui fléchissent sous le joug, qui portent patiemment leurs chaînes, et supportent tranquillement l'oppression. Jamais, ma chère sœur, je ne pourrai me résoudre à<344> cette ignominie. L'honneur qui m'a poussé à exposer cent fois ma vie dans la guerre m'a fait affronter la mort pour de moindres sujets que pour ceux-ci. La vie ne vaut certainement pas la peine qu'on s'y attache si fort, surtout quand on prévoit qu'elle ne sera désormais qu'un tissu de peines, et qu'il faudra se nourrir de ses larmes :

La douleur est un siècle et la mort un instant.

Si je ne suivais que mon inclination, je me serais dépêché d'abord après la malheureuse bataille que j'ai perdue; mais j'ai senti que ce serait faiblesse, et que c'était mon devoir de réparer le mal qui était arrivé. Mon attachement à l'État s'est réveillé; je me suis dit : Ce n'est pas dans la bonne fortune qu'il est rare de trouver des défenseurs, mais c'est dans la mauvaise.1_344-a Je me suis fait un point d'honneur de redresser tous les dérangements, à quoi j'ai encore réussi en dernier lieu en Lusace; mais à peine suis-je accouru de ce côté-ci pour m'opposer à de nouveaux ennemis, que Winterfeldt a été battu et tué auprès de Görlitz, que les Français entrent dans le cœur de mes États, que les Suédois bloquent Stettin. Il ne me reste à présent plus rien de bon à faire; ce sont trop d'ennemis. Quand même je réussirais à battre deux armées, la troisième m'écraserait. Vous verrez par le billet ci-joint ce que je tente encore; c'est le dernier essai. La reconnaissance, le tendre attachement que j'ai pour vous, cette amitié de vieille roche qui ne se dément jamais, m'oblige d'en agir sincèrement avec vous. Non, ma divine sœur, je ne vous cacherai aucune de mes démarches, je vous avertirai de tout; mes pensées, le fond de mon cœur, toutes mes résolutions, tout vous sera ouvert et connu à temps. Je ne précipiterai rien, mais aussi me sera-t-il impossible de changer de sentiments. Il est vrai que, après la bataille de Prague, les affaires de la reine de Hongrie paraissaient hasardées; mais elle avait de puissants alliés et encore de grandes ressources; je n'ai ni l'un ni l'autre.<345> Je ne serais pas abattu d'un malheur, j'en ai tant essuyé : les pertes des batailles de Kolin et celle, en Prusse, de Jägersdorf, la malheureuse retraite de mon frère et la perte du magasin de Zittau, la perte de toutes mes provinces de la Westphalie, le malheur et la mort de Winterfeldt, l'invasion en Poméranie, dans le Magdebourg et dans le pays de Halberstadt, l'abandon de mes alliés; et malgré tout cela, je me roidis encore contre l'adversité, de sorte que je crois ma conduite jusqu'à présent exempte de toute faiblesse. Je suis très-résolu de lutter encore contre l'infortune; mais en même temps suis-je aussi résolu de ne pas signer ma honte et l'opprobre de ma maison.1_345-a Voilà, ma chère sœur, ce qui se passe dans le fond de mon âme, et la confession générale que je vous fais de ce qui m'agite actuellement.

Quant à vous, mon incomparable sœur, je n'ai pas le cœur de vous détourner de vos résolutions. Nous pensons de même, et je ne saurais condamner en vous les sentiments que j'éprouve tous les jours. La vie nous a été donnée par la nature comme un bienfait; dès qu'elle cesse de l'être, l'accord finit, et tout homme est maître de finir son infortune le moment qu'il juge à propos. On siffle un acteur qui reste sur la scène quand il n'a plus rien à dire. On plaint les malheureux les premiers moments; le public se lasse bientôt de sa compassion, la malignité humaine les critique, on trouve que tout ce qui leur est arrivé, c'est eux qui se le sont attiré, on les condamne, et l'on finit par les mépriser. Si je suis le cours ordinaire de la nature, le chagrin, ma mauvaise santé, abrégeront mes jours en peu d'années. Ce serait survivre à moi-même et souffrir lâchement ce que je suis maître d'éviter. Il ne me reste que vous seule dans l'univers qui m'y attachiez encore; mes amis, mes plus chers parents sont au tombeau; enfin j'ai tout perdu. Si vous prenez la résolution que j'ai prise, nous finissons ensemble nos malheurs et notre infortune, et c'est à ceux qui restent au monde à pourvoir aux soins dont ils<346> seront chargés, et à porter le poids que nous avons soutenu si longtemps. Ceci sont, mon adorable sœur, de tristes réflexions; mais elles conviennent à mon état présent. Au moins ne pourra-t-on pas dire que j'aie survécu à la liberté de ma patrie et à la grandeur de la maison, et l'époque de ma mort deviendra celle de la tyrannie de la maison d'Autriche. Mais qu'importe ce qui arrivera quand je ne serai plus? Ma mémoire ne sera pas chargée des malheurs qui arriveront après mon existence, et l'on reconnaîtra, mais trop tard, que je me suis opposé jusqu'à la fin à l'oppression et à l'esclavage de ma patrie, et que je n'ai succombé que par la lâcheté de ceux qui, au lieu de se joindre à leurs défenseurs, ont pris le parti de leurs tyrans.

J'ai été avant-hier à Gotha.1_346-a C'était une scène touchante de voir des compagnons de leur infortune qui formaient les mêmes regrets et poussaient les mêmes plaintes. La Duchesse est une femme qui a un mérite réel, et qui a une fermeté qui fait honte à bien des hommes. Madame de Buchwald1_346-b me paraît une femme très-estimable, et qui vous conviendrait beaucoup : de l'esprit, des connaissances, point de prétentions, et un bon caractère. Mon frère Henri est allé aujourd'hui chez eux. Je suis si accablé de chagrin, que je n'ai pas voulu porter ma tristesse ailleurs et promener ma mauvaise fortune. J'ai lieu de me louer beaucoup de mon frère Henri; il s'est conduit comme un ange en qualité de militaire, et très-bien envers moi en qualité de frère. Je ne puis pas en dire malheureusement autant de l'aîné; il me boude et s'est retiré à Torgau, d'où il est parti, à ce que l'on m'écrit, à Wittenberg. Je l'abandonnerai à ses caprices et à sa mauvaise conduite, et je ne présage rien de bon pour l'avenir qu'autant que le cadet le mènera.

Il est enfin temps de finir cette lettre très-longue, très-triste, et où il n'est presque question que de ce qui me regarde. J'ai eu du<347> loisir, et j'ai profité du temps et de l'arrivée du coureur (qui me paraît une voie sûre) pour vous ouvrir et décharger un cœur qui est rempli d'admiration et de reconnaissance pour vous. Oui, mon adorable sœur, si la Providence se mêlait des choses humaines, il faudrait que vous fussiez la personne la plus heureuse de l'univers. Vous ne l'êtes pas, ce qui me confirme dans les sentiments exprimés à la fin de mon Épître. Enfin soyez persuadée que je vous adore, et que je donnerais mille fois ma vie pour votre service. Ce sont des sentiments que je conserverai jusqu'au dernier soupir de ma vie, étant, ma très-chère sœur, etc.

329. A LA MÊME.

Buttelstedt, 8 octobre 1757.



Ma très-chère sœur,

Pour l'amour de Dieu, ne vous rendez pas malade; vous qui voulez me tirer de mes chagrins, voudriez-vous me plonger le poignard dans le cœur? Attendons, ma chère sœur, avec patience le débrouillement de tout ceci, et ne craignez rien de ma précipitation. Lehwaldt va se mettre en chemin; il faut que je l'attende, et cela fera, si ce n'est pas davantage, un bon argument pour la nég......... J'attends aujourd'hui ou demain la réponse de R.....; ainsi l'avenir est sur le point de se débrouiller, et nous d'y voir clair. Mes gueux d'ennemis s'enfuient quand j'avance, et me suivent lorsque je me retire, mais avec tant de circonspection, que je ne saurais les atteindre; ils me rendent Fabius malgré moi, et je ne puis que leur donner quelques égratignures. J'ai ri des exhortations du patriarche Voltaire; je<348> prends la liberté de vous envoyer ma réponse.1_348-a Quant au stoïcisme, je crois en avoir plus que lui, et quant à la façon de penser, il pense en poëte, et moi comme cela me convient dans le poste où le hasard de la naissance m'a placé. Je crois que je traînerai encore, entre ici et Naumbourg, les restes languissants de ma campagne jusque vers la fin du mois, après quoi force me sera de tirer du côté de Leipzig. Adieu, ma chère, mon adorable sœur; ménagez, je vous conjure, une santé dont dépend ma vie, et ne soyez pas plus cruelle que mes implacables ennemis, en me privant de tout ce que j'ai de plus cher au monde. Je suis avec la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.

330. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 15 octobre 1757.



Mon très-cher frère,

La mort et mille tourments ne sauraient égaler l'affreux état où je suis. Il court des bruits qui me font frémir. On dit que vous êtes dangereusement blessé; d'autres, malade. En vain je me suis tourmentée pour avoir de vos nouvelles; je ne puis en apprendre. O mon cher frère! quoi qu'il puisse vous arriver, je ne vous survivrai pas. Si je reste encore dans la cruelle incertitude où je suis, j'y succomberai, et je serai heureuse. J'ai été sur le point de vous envoyer un courrier, mais je n'ai osé le faire. Au nom de Dieu, faites-moi écrire un mot. Je ne sais ce que j'ai écrit; j'ai le cœur déchiré, et je sens<349> qu'à force d'inquiétude et d'alarmes mon esprit s'égare. O mon cher, adorable frère! ayez compassion de moi. Veuille le ciel que je me trompe, et que vous me fassiez gronder; mais la moindre chose qui vous regarde me pénètre le cœur, et alarme trop vivement ma tendresse. Que je périsse mille fois, pourvu que vous viviez, et que vous soyez heureux. Je ne puis en dire davantage; la douleur me suffoque, et je ne puis que vous assurer que votre sort sera le mien, étant, mon cher frère, etc.

331. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Eilenbourg, 17 octobre 1757.



Ma très-chère sœur,

A quoi sert la philosophie, si on ne l'emploie dans les moments désagréables de la vie? C'est alors, ma chère sœur, que le courage et la fermeté nous servent. Je suis à présent en mouvement, et puisque je m'y suis mis une fois, vous pouvez compter que je ne penserai au repos qu'à bonnes enseignes. Si l'outrage irrite les lâches, que fera-t-il sur les cœurs courageux? Je prévois que je ne pourrai vous écrire que dans six semaines; cela ne laisse pas de m'affliger; mais je vous supplie de vous tranquilliser pendant ces entrefaites, et d'attendre avec patience le mois de décembre, sans ajouter foi aux nouvelles de Nuremberg et de l'Empire, qui toutes sont autrichiennes. Je suis fatigué comme un chien. Le chiffre vous dira le reste. Je vous embrasse de tout mon cœur, étant avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

<350>

332. A LA MÊME.

Eilenbourg, 17 octobre 1757.

il n'y a point de couronne, ma chère sœur, ni de trône que je voudrais acheter par une bassesse, et plutôt périr cent fois que d'en commettre une pendant ma vie. Puisque les Français sont si fiers, je les abandonne à leur sens pervers, et je suis à présent en pleine marche pour faire, entre ici et le mois de décembre, changer de face au destin. Les Français viennent de signer une neutralité avec les pays de Magdebourg et de Halberstadt; j'en profite pour employer les jours que cette rude saison m'accorde pour déranger les projets de mes ennemis. Je ne regrette que de ne pouvoir plus avoir l'avantage de recevoir vos lettres; je me tourne vers la Lusace, et de là je compte finir ma campagne aux environs de Schweidnitz. Pour les Français, ils n'entendront pas nommer mon nom, et je compte cependant de leur parler de telle manière par des actions, qu'ils regretteront, mais trop tard, leur impertinence et leur fierté.

333. A LA MÊME.

Près de Weissenfels, 5 novembre (1757).



Ma très-chère sœur,

Enfin, ma chère sœur, je puis vous annoncer une bonne nouvelle. Vous saviez sans doute que les tonneliers,1_350-a avec leurs cercles,1_350-a voulaient prendre Leipzig. Je suis accouru, et les ai chassés au delà de la Saale. Le duc de Richelieu leur a envoyé un secours de vingt batail<351>lons et de quatorze escadrons; ils se sont dits forts de soixante-trois mille hommes. Hier j'ai été pour les reconnaître, et n'ai pu les attaquer dans leur poste, ce qui les a rendus téméraires. Aujourd'hui ils ont marché en intention de m'attaquer, mais je les ai prévenus. C'était une bataille en douceur. Grâce à Dieu, je n'ai pas eu cent hommes de morts; le seul général mal blessé,1_351-a c'est Meinike.1_351-b Mon frère Henri et le général Seydlitz ont de légères contusions aux bras. Nous avons tout le canon de l'ennemi; leur déroute est totale, et je suis en pleine marche pour les rejeter au delà de l'Unstrut. Après tant d'alarmes, voici, grâces au ciel, un événement favorable, et il sera dit que vingt mille Prussiens ont battu cinquante mille Français et Allemands. A présent je descendrai en paix dans la tombe, depuis que la réputation et l'honneur de ma nation est sauvé. Nous pouvons être malheureux, mais nous ne serons pas déshonorés. Vous, ma chère sœur, ma bonne, divine et tendre sœur, qui daignez vous intéresser au sort d'un frère qui vous adore, daignez participer à ma joie. Dès que j'aurai du temps, je vous en dirai davantage. Je vous embrasse de tout mon cœur. Adieu.

334. A LA MÊME.

Lissa, 5 décembre (1757).



Ma chère sœur,

Nous venons de battre totalement les Autrichiens. Je marche demain à Breslau pour reprendre la ville. Nous avons une prodigieuse<352> quantité de drapeaux et de canons, et beaucoup de prisonniers. Nous n'avons perdu en tout que deux mille hommes, morts et blessés; je compte la perte des ennemis au delà de dix mille hommes. La tendre part que vous prenez à ce qui me regarde m'oblige, ma chère sœur, de vous en faire part, vous assurant de ma tendre amitié et services.

335. A LA MÊME.

Breslau, 2 janvier 1758.



Ma très-chère sœur,

J'ai été fort réjoui et surpris en même temps de recevoir ici le Mercure qui m'a réjoui par votre lettre, mon adorable sœur. J'y trouve toujours ces expressions de bonté et de tendresse qui font le bonheur de ma vie. Je n'ai point reçu la lettre dont vous me parlez, ma chère sœur, ni celle de Voltaire; il faut que malheur leur soit arrivé, ce qui peut très-facilement arriver dans ces temps de crise. Il est vrai que nos avantages ont de beaucoup surpassé nos espérances; mais quand je pense à l'avenir et au nombre des ennemis qui me restent, il me semble que ce n'en est point encore assez pour parvenir promptement à une bonne paix. Les deux régiments autrichiens qui quittent votre voisinage seront sans doute obligés de se joindre à Marschall pour couvrir le cercle de Saatz, où le maréchal Keith a fait une incursion, et qu'il menace de nouveau; d'ailleurs, la quantité de neige qui est tombée dans les montagnes met fin à toutes les opérations militaires jusqu'à ce que les approches du printemps nous permettent, comme dit Philinte, d'avoir l'honneur de nous entrecouper la gorge.1_352-a<353> Pour l'amour de Dieu, ma très-chère sœur, ménagez votre santé, et conservez vos jours pour un frère qui vous adore, et qui ne cessera d'être avec la plus haute estime, le zèle et le plus vif attachement, ma très-chère sœur, etc.

336. A LA MÊME.

(Mai 1758.)

Si je portais la guerre dans votre pays, il serait ruiné de fond en comble. Ils brûleraient, pilleraient, et vous abîmeraient totalement. Il faut, par de puissantes diversions, attirer l'ennemi d'autres côtés; c'est à quoi je travaille. Du moins le mal que vous souffrez ne sera que passager, et cela vous évite une ruine totale. Nous marchons à Olmütz. J'ai gagné sept marches sur l'ennemi; je le préviens à coup sûr. Le siége ne pourra s'achever que vers la mi-juin, à cause des transports; mais l'ennemi sera réduit dans une triste situation, et obligé, malgré lui, d'attirer les cercles en Bohême. Voilà tout ce que je puis vous dire en gros jusqu'à présent, n'osant pas confier ces choses à la plume. Un peu de patience, et nous triompherons de toutes les difficultés.

<354>

337. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Baireuth) 10 mai (1758).

Je serais au désespoir, mon cher frère, si vous négligiez le moindre de vos intérêts pour l'amour de nous; notre situation est telle, que notre ruine est inévitable, de quelque façon que cela tourne. S'ils entrent en Saxe, ils seront plottés, et tout cet essaim s'enfuira ici; s'ils vont en Bohême, ils se débanderont et se soulèveront. Ils se sont liés par un serment affreux qu'ils en agiraient ainsi, et tueraient généraux et officiers, s'ils ne pouvaient faire autrement; en ce cas, nous les aurons encore. Je vous supplie de ne pas négliger vos intérêts, qui me sont plus chers que les miens. Ce serait un véritable chagrin pour moi, si les espèces monastiques vous échappaient; elles engraisseraient votre trésor, qui peut-être a besoin de nourriture.1_354-a J'ai parlé à quelqu'un qui m'a confirmé ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous mander des Français. La personne est bien au fait des affaires de cette cour. Elle dit que l'on n'enverra les vingt-quatre mille hommes en Bohême que le plus tard possible, afin de vous donner le temps d'agir et d'obliger l'Impératrice d'avoir recours à eux pour la paix, dont ils veulent être les médiateurs. Le Hanovre doit indemniser la Saxe, et rendre les terres qui lui sont engagées. La Prusse doit être médiateur entre la France et l'Angleterre pour l'Amérique. Tel est leur projet. Veuille le ciel accomplir les vôtres et exaucer mes vœux! On est ici sur le point de marcher. Le prince de Stolberg<355> est à Münchberg avec le corps qui était à Culmbach. Nous savons pour sûr que l'armée va marcher, mais jusqu'à présent on ignore sa destination; elle est postée sur la route de Saxe, mais sous main on dit qu'elle prendra celle de Bohême. Je vous supplie, mon cher frère, de me pardonner si je n'écris que ce grimoire; le temps presse pour avertir mon frère; on part après-demain.

338. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Camp d'Olmütz, juin 1758.)

Je serai dans la joie de mon cœur, si l'expédition de mon frère vous a été avantageuse. Messieurs de Bamberg, Würzbourg et les Bavarois en payeront la folie bien cher, ou ils retireront leurs troupes de Bohême. Les Français se lassent, les Russes se méfient, et les Autrichiens perdent courage. Avec cela, ma chère sœur, il n'y a qu'à tenir bon, et la bonne cause triomphera; j'espère qu'alors on trouvera remède à tout, et qu'une bienheureuse paix me procurera le bonheur de vous voir, de vous entendre et de vous embrasser. Le siége d'Olmütz durera à peu près jusqu'au 20 de ce mois.

<356>

339. A LA MÊME.

Quartier général de Königingrätz,
15 juillet 1758.

.... Je vous demande mille pardons de ne vous avoir pas écrit moi- même. Je vous jure que je n'en ai pas le temps. Voilà mon pauvre frère de Prusse mort. Vous pouvez juger quelle peine cela me fait.

340. A LA MÊME.

Près de Königingrätz, 20 juillet 1758.



Ma très-chère sœur,

Je profite d'un petit moment de loisir pour vous renouveler les assurances de ma plus tendre amitié. Vous saurez sans doute le malheur qui vient de m'enlever mon frère de Prusse. Vous pouvez juger de mon affliction et de ma douleur. Il a eu, à la vérité, l'année dernière, de très-mauvais procédés envers moi; mais c'était plutôt à l'instigation de méchantes gens que de lui-même. Cependant il n'est plus, et nous le perdons pour toujours. O vous, la plus chère de ma famille! vous qui me tenez le plus à cœur dans ce monde, pour l'amour de ce qui vous est le plus précieux, conservez-vous, et que j'aie du moins la consolation de pouvoir verser mes larmes dans votre sein. Ne craignez rien pour nous et pour ce qui peut-être vous paraîtra redoutable; vous verrez que nous nous tirerons d'affaire. Comme il y a très-longtemps que je n'ai pas la moindre de vos nouvelles, cela me fait trembler pour vos jours. Pour Dieu, faites écrire<357> par un domestique : La Margrave se porte bien, ou : Elle a été incommodée. Cela vaut mieux que la cruelle incertitude dans laquelle je me trouve. Daignez m'en tirer par un petit mot, et soyez sûre que mon existence est inséparable de la vôtre. Je suis avec la plus tendre amitié et reconnaissance, ma très-chère sœur, etc.

341. A LA MÊME.

(Grüssau) 9 août 1758.



Ma très-chère sœur,

J'ai été plus mort que vif en recevant votre lettre,1_357-a ma chère sœur. Mon Dieu, quelle écriture! Il faut que vous reveniez du tombeau, car certainement vous devez avoir été cent fois plus mal qu'on ne me l'a dit. Je bénis le ciel de l'avoir ignoré, mais je vous supplie en grâce d'emprunter la main d'un autre pour m'écrire, et de ne vous point fatiguer de façon que cela pourrait empirer votre maladie. Quoi! toute malade et infirme que vous êtes, vous pensez à tous les embarras où je me trouve! En vérité, cela en est trop. Pensez plutôt, pensez-le et persuadez-vous-le bien, que sans vous il n'est plus de bonheur pour moi dans la vie, que de vos jours dépendent les miens, et qu'il dépend de vous d'abréger ou de prolonger ma carrière. Oui, ma chère sœur, ce n'est en vérité point un compliment que je vous écris, mais c'est le fond de mon cœur, c'est ma façon de penser véritable et constante, dont je ne saurais me départir. Voyez donc à présent si vous prendrez tout le soin possible de votre conservation;<358> à cette condition seule je jugerai de vos bontés pour moi et de l'amitié que vous me conservez. J'ai terriblement à faire; c'est ce qui m'empêche de m'étendre plus longtemps sur une matière dont mon cœur est rempli. Soyez-en bien persuadée, de même que personne ne vous aime ni ne vous adore plus que, ma très-chère sœur, etc.

342. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Baireuth, 10 août 1758.



Mon très-cher frère,

Ce n'est pas au roi, c'est à l'ami et au cher frère que j'ose prendre la liberté d'écrire. Ma grande faiblesse m'empêche de former les caractères et même d'écrire longtemps. Je sais, mon cher frère, que vous désirez le cœur; le mien est tout à vous, pour qui mon attachement ne finira qu'avec ma vie. J'ai été dans un enfer jusqu'ici, plus d'esprit que de corps. Pour me cacher la perte que nous venons de faire, le Margrave a conservé toutes les lettres qui sont venues de votre part; j'ai cru que tout était perdu. Je viens de recevoir ces chères lettres, qui ont apaisé l'amertume que m'a causée la mort de mon frère, à laquelle j'ai été extrêmement sensible. Vous voulez, mon cher frère, savoir des nouvelles de mon état. Je suis, comme un pauvre Lazare, depuis six mois au lit. On me porte depuis huit jours sur une chaise et sur un char roulant, pour me faire un peu changer d'attitude. J'ai une toux sèche qui est très-forte, et qu'on ne peut maîtriser; mes jambes, ainsi que mes mains et mon visage, sont enflées comme un boisseau, ce qui m'oblige de réserver à vous écrire des choses plus intéressantes par la pièce suivante. Je suis résignée sur<359> mon sort; je vivrai et mourrai contente, pourvu que vous soyez heureux. Le cœur me dit que le ciel fera encore des miracles en votre faveur. Vos ennemis sont près de leur ruine; quand ils remportent quelque petit avantage, leur orgueil les rend présomptueux, et leur fait faire les plus grandes sottises de l'univers. Nous sommes heureusement quittes de nos hôtes incommodes; le dernier corps qui a passé par ici a raflé tout et ruiné presque totalement le pays, ayant abattu les blés et les arbres fruitiers avant que d'être mûrs; mais il faut prendre son mal en patience. Nous ne valons pas mieux que tous les autres princes qui sont encore plus malheureux que nous. Pardonnez, mon cher frère, si je finis; ma poitrine est si faible, que je puis à peine parler. Mon cœur jaserait depuis le matin jusqu'au soir, s'il pouvait parler et vous dire tout ce qu'il pense pour le cher frère dont je serai toute ma vie, avec un très-profond respect, etc.1_359-a

343. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Tamsel) 30 août 1758.



Ma très-chère sœur,

Dans ce moment je reçois votre chère lettre du 20 d'août, où je trouve toutes ces marques de votre amitié et de votre tendresse, à laquelle je me confie, et dont je suis aussi persuadé que du jour; mais, ma chère sœur, ce que je cherche à présent dans vos lettres, c'est l'état de votre santé, et voilà sur quoi vous me parlez si incertainement, que j'ai trouvé peu de consolation en la recevant. Pour Dieu,<360> connaissez-moi mieux que vous ne faites, et ne pensez pas que tout ce qui est du ressort de la vanité et de l'intérêt entre en compte avec la tendre et inviolable amitié et l'attachement pour la vie que je vous ai voué. Si vous m'aimez, donnez-moi quelques espérances de votre rétablissement. Non, la vie me serait insupportable sans vous. Ceci ne sont pas des phrases, cela est vrai. Pour vous dire comme je suis, tout autre que moi aurait été au comble de la joie après avoir remporté une aussi grande victoire que celle du 25, où plus de trente mille Russes ont péri; pour moi, j'ai eu le malheur d'y perdre un aide de camp que j'avais élevé, qui s'était singulièrement attaché à moi. Ce brave garçon, dans un moment critique, s'est mis à la tête d'un escadron, il a chargé et renversé un corps russe, et par malheur il a été tué, après avoir reçu quarante-sept blessures.1_360-a Depuis ce moment, mes yeux sont devenus des fontaines de larmes, et, quoi que fasse ma raison, je ne saurais m'en consoler. Me voilà comme je suis; je vous confie toutes mes pensées et mes chagrins intérieurs. Pensez donc ce que je deviendrais, si j'avais le malheur irréparable de vous perdre. O ma chère, ma divine sœur! daignez faire l'impossible pour vous rétablir. Ma vie, mon bonheur, mon existence est entre vos mains. Faites, je vous conjure, qu'il m'arrive bientôt des consolations, et que je ne devienne pas le plus malheureux de tous les mortels. Ce sont les sentiments avec lesquels je serai jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.

<361>

344. A LA MÊME.

(Août 1758.)

J'applaudis fort à vos bonnes intentions, mais je dois vous dire que je suis comme une carpe. Si les Français, Autrichiens et Russes ont quelque chose à dire, ils n'ont qu'à parler; mais pour moi, je me borne à les battre et à me taire. Veuille le ciel que j'apprenne de bonnes nouvelles de ma sœur! Cela m'intéresse plus que toutes les négociations de l'univers.1_361-a

345. A LA MÊME.

(Gross-Dobritz) ce 10 (septembre 1758).



Ma très-chère sœur,

Votre homme veut partir; je ne saurais le congédier sans lui donner encore cette lettre. Je l'ai questionné sur tout ce qu'il sait et ne sait pas; il m'a dit qu'il ne vous a point vue. Je vous supplie, de grâce, si vous m'envoyez quelqu'un, qu'il vous voie avant que de partir; je croirai au moins retrouver dans ses yeux l'image de celle que mon cœur adore. Enfin, ma chère sœur, je commence à me flatter sur votre guérison, et cette idée met du moins un peu de baume dans mon sang. Pour Dieu, ne démentez pas mes espérances; ce serait un faux bond terrible, et ces sortes de rechutes dans les chagrins tuent. J'irai demain dîner à Dresde, chez mon frère Henri.1_361-b Je vous en<362>voie, ma chère sœur, une sottise qui m'a passé par la tête, pour vous amuser.1_362-a Vous direz, en la lisant : Ah! qu'il est fou! Et je vous répondrai que lorsque l'on n'est pas destiné dans le monde à devenir sage, c'est peine perdue d'y prétendre, et que depuis les sept sages de la Grèce, il n'y en a plus eu. Je vous embrasse mille fois; mon cœur et mon âme sont à Baireuth, chez vous, et mon corps chétif végète ici, sur les grands chemins et dans les camps. Voilà une chienne de vie; mais ce qui m'en console, c'est qu'elle tire à sa fin. Daignez rendre justice aux sentiments d'une tendresse inviolable que je vous ai vouée jusqu'au tombeau, étant, ma très-chère sœur, etc.

346. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Baireuth, 25 septembre 1758.



Mon très-cher frère,

Il n'y a jamais de joie sans chagrin dans ce monde; si j'avais suivi mon penchant, je vous aurais témoigné d'abord moi-même la joie que m'a causée votre dernière victoire; mais deux bras enflés et le redoublement de la toux m'en ont empêchée. Je frémis quand je pense à la fâcheuse situation où vous vous trouviez avant ce coup, et dont heureusement je ne connaissais qu'une partie. Quoi qu'il en soit, vous n'êtes pas seulement destiné à extirper, comme Hercule, les bandits qui envahissent vos États, mais encore à exterminer les monstres qui vous viennent des confins de l'univers. Mon frère n'a eu affaire qu'à de pauvres tonneliers; on dit qu'il les a battus, mais je n'en crois<363> rien, car nous en verrions déjà les suites. Tout ce que je puis dire, c'est qu'ils ont bien peur. Vous faites honte, mon cher frère, à tous ceux qui embrassent des professions. Wagner1_363-a a été tout surpris de vous voir briller au rang de ses confrères. Il avait déjà eu le bonheur de suivre vos idées, mais la maladie est furieusement tenace; il faut bien qu'elle le soit, puisque vous vous y intéressez, et qu'elle ne change point, bien loin de là, car je m'affaiblis de jour en jour davantage. Cependant l'esprit me reste toujours présent. Je suis avec toute la tendresse et le respect imaginable, mon très-cher frère, etc.

P. S. Ma sœur Amélie est heureuse d'avoir eu le bonheur de vous voir.1_363-b Si j'étais en santé, je braverais les Russes et les pandours. Ne pouvant pas prouver mon zèle pour l'Etat et pour vous dans les choses essentielles, comme l'ont fait mes frères, permettez que je le fasse pour vos plaisirs en vous offrant des bagatelles dont veuille le ciel que vous jouissiez bientôt!1_363-c

347. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Rodewitz) 12 octobre 1758.



Ma très-chère sœur,

Daignez recevoir avec bonté les vers que je vous envoie.1_363-d Je suis si plein de vous, de vos dangers et de ma reconnaissance, que, éveillé<364> comme en rêve, en prose comme en poésie, votre image règne également dans mon esprit, et fixe toutes mes pensées. Veuille le ciel exaucer les vœux que je lui adresse tous les jours pour votre convalescence! Cothenius1_364-a est en chemin; je le diviniserai, s'il sauve la personne du monde qui me tient le plus à cœur, que je respecte et vénère, et dont je suis jusqu'au moment que je rendrai mon corps aux éléments,1_364-b ma très-chère sœur, etc.

<365>

APPENDICE.1_365-a

Jeune encore, me disait Sa Majesté, je ne voulais rien faire, j'étais toujours en course. Ma sœur de Baireuth me dit : « N'aurez-vous pas de honte de négliger vos talents? » Je me mis à la lecture, je Jus des romans. J'avais attrapé Pierre de Provence.1_365-b On ne voulait pas que je le lusse; je le cachais, et quand mon gouverneur le général Finck et mon valet de chambre dormaient, je passais dans une autre chambre où je trouvais une lampe dans la cheminée, je m'accroupissais là, et je lisais. - A Rheinsberg j'ai lu beaucoup et peut-être trop, si je n'avais pas fait des extraits de tout ce que j'ai lu.

<366><367>

II. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR FRÉDÉRIQUE, MARGRAVE D'ANSBACH. (7 JUIN 1740-22 DÉCEMBRE 1745.)[Titelblatt]

<368><369>

1. DE LA MARGRAVE D'ANSBACH.

Triesdorf, 7 juin 1740.



Mon très-cher frère,

Quoique j'aie été bien prévenue que la maladie du Roi était dangereuse, néanmoins la triste nouvelle que vous avez eu la bonté de me donner, mon cher frère, par écrit, m'a extrêmement frappée, puisque je ne m'étais pas attendue que sa mort était si prochaine. L'affliction que j'ai de cette perte n'est que très-naturelle, ayant perdu un père de qui j'étais assurée de ses grâces; mais j'ose espérer que, selon les gracieuses promesses qu'il vous a plu de me faire, je retrouverai toujours un appui dans votre personne. Permettez-moi en même temps que j'aie l'honneur de vous féliciter à l'avénement de cette couronne. Veuille le ciel que vous la portiez en parfaite santé! Qu'il bénisse toutes vos entreprises, et vous comble de mille bénédictions, afin que dans bien des années aucun fâcheux accident ne vous arrive. Je me recommande de nouveau dans la continuation de vos grâces, et je ferai tout mon possible de me les conserver, étant avec un zèle le plus dévoué,



Mon très-cher frère,

la très-humble sœur et servante,
Friderique.

<370>

2. A LA MARGRAVE D'ANSBACH.

Charlottenbourg, 14 juin 1740.



Madame ma chère sœur,

Votre lettre vient de m'apporter une espèce de consolation dont j'avais besoin dans l'extrême tristesse où la perte de notre digne père m'a jeté. Je partage la vôtre, qui n'est pas moins sensible que la mienne; mais tout ce que je pourrai faire, c'est de vous offrir mes amitiés et mes soins fraternels dans la situation où vous vous trouvez, en travaillant autant qu'il me sera possible pour votre repos et pour le rétablissement d'une bonne et solide réunion avec le Margrave votre époux.1_370-a Je me flatte que vous voudrez y apporter toutes les facilités requises, par les manières douces et touchantes dont votre sexe sait gagner les cœurs. Vos dissensions ont infiniment chagriné feu notre père; je souhaite ardemment qu'elles puissent s'éclipser à jamais, et je ferai tout au monde pour obtenir un but si raisonnable. Je suis avec une très-sincère amitié, etc.

3. A LA MÊME.

Charlottenbourg, 4 octobre 1740.



Madame ma sœur,

J'ai bien reçu vos deux lettres, et je suis fort sensible aux assurances de votre tendre amitié. Je me réjouis de ce que vous me paraissez plus contente qu'auparavant, et j'espère que tout ira bien. Quant<371> à la dame qu'on vous donnera, il me semble qu'il vous conviendrait de ne pas faire la difficile; en cas que le Margrave vous en offre une, vous l'obligerez en l'acceptant avec plaisir, et il vaut mieux faire de bonne grâce ce qu'on prévoit être nécessaire. Comme je me trouve encore accablé de la fièvre, vous excuserez que je me sers d'une autre main pour vous dire, etc.

4. A LA MÊME.

Berlin, 18 octobre 1740.



Madame ma sœur,

C'est pour accuser la vôtre du 7 de ce mois que je vous écris ces lignes, et vous excuserez, s'il vous plaît, que je me sers d'une autre main pour vous remercier de ces marques de votre souvenir, ce que vous attribuerez à mon indisposition, qui ne veut pas encore cesser. Cependant j'ai été charmé de voir que vos affaires vont mieux qu'auparavant, et que vous jouissez de plus de repos et de satisfaction. Personne n'y saurait prendre plus de part que moi, qui ne fais que redoubler mes vœux pour votre bonheur et tranquillité, étant avec une très-tendre amitié, etc.

<372>

5. A LA MÊME.

Rheinsberg, 1er novembre 1740.



Madame ma sœur,

J'ai eu la satisfaction de voir par votre lettre que vous rendez justice aux sentiments de tendresse que j'ai pour votre chère personne. Vous excuserez, s'il vous plaît, que je ne me trouve pas en état d'y faire réponse moi-même, me tenant au lit à cause de ma fièvre. Pour en être quitte, il ne me faut pas moins que les vœux sincères et ardents d'une sœur que j'aime au delà des expressions. La compagnie de la margrave de Baireuth1_372-a y aura aussi quelque part, et si on y joint le quinquina,1_372-a je ne désespère point d'une prompte convalescence. Au reste, j'ai été charmé d'apprendre que votre époux se comporte envers vous comme il faut, et j'espère que votre douceur et prudence achèvera de le regagner. Je suis plus que jamais, avec une amitié du monde la plus sincère, etc.

6. A LA MÊME.

Rheinsberg, 25 novembre 1740.

Votre chère lettre me prouve trop clairement votre souvenir et la confiance que vous avez en moi, pour ne vous en pas marquer ma satisfaction. Vous savez combien je vous aime; ainsi vous pouvez toujours compter sur mon assistance et être assurée que je ferai en<373> l'affaire en question tout ce qu'il me sera possible. Je me flatte que votre conduite sage et prudente répondra à mes vues, et que vous ferez tout au monde pour regagner votre époux. Je suis échappé de la fièvre, et je me porte fort bien. Votre affection pour moi vous y fera prendre part, et je vous proteste que je suis, etc.

7. DE LA MARGRAVE D'ANSBACH.

Triesdorf, 17 août 1741.



Mon très-cher frère,

Votre gracieuse lettre, que j'ai eu l'honneur de recevoir, me rend si téméraire de vous incommoder par celle-ci, en vous remerciant de toutes les grâces que vous me témoignez. J'en suis si persuadée, qu'il ne me reste rien de plus que de vous supplier de me les continuer. Les nouvelles d'ici ne regardent que le passage des troupes françaises qui sont intentionnées de frayer avec une de leurs colonnes le cercle de Franconie, ce qui ne laisse pas de beaucoup inquiéter le Margrave, qui se ressentira le premier de leur marche; cependant il espère que les bontés avec lesquelles vous l'avez comblé le préserveront de suites fâcheuses. C'est pourquoi il aura l'honneur de vous écrire pour implorer, dans un cas si délicat, votre protection. Vous voudrez bien, mon cher frère, la lui accorder en égard de sa dévotion, qui ne finira jamais. A ce sujet, il a aussi voulu témoigner son respect en levant un régiment d'infanterie, ce qu'il aurait assurément fait; mais l'impossibilité, pour le présent, lui en ôte tous les moyens, ce que vous aurez la bonté de voir par la route que je vous remets<374> en mon particulier. Je vous supplie d'être propice à cette prière, étant avec une soumission la plus profonde, etc.

8. A LA MARGRAVE D'ANSBACH.

Camp de Friedland, 9 octobre 1741.

Je viens de recevoir votre chère lettre, qui m'a été d'autant plus agréable, qu'elle m'assure de la continuation de votre sincère amitié et de la justice que vous voulez bien rendre aux effets de celle que j'ai pour vous et pour le Margrave mon frère. Vous y ajouterez, s'il vous plaît, celle de croire que ces sentiments ne finiront qu'avec ma vie, et. qu'ils me feront toujours embrasser avec chaleur vos intérêts et ceux de votre pays, que je protégerai dans toutes les occasions qui se présenteront. Cependant je me flatte que vous me conserverez toujours votre tendre souvenir, en vous protestant que rien au monde ne saurait égaler la parfaite amitié avec laquelle je suis, etc.1_374-a

Pourrais-je me flatter, ma très-chère sœur, d'avoir un jour le bonheur de vous voir avec le Margrave chez nous? Ceux de Brunswic y viennent au mois de novembre. Je ne sais si les troubles de la Bavière le permettront au Margrave, sans quoi ce me sera toujours un grand plaisir.1_374-b

<375>

9. DE LA MARGRAVE D'ANSBACH.

Triesdorf, 21 juin 1743.



Mon très-cher frère,

Les expressions les plus vives que je pourrais faire par écrit ne suffisent pas pour vous témoigner la reconnaissance que je vous dois, mon cher frère, de la grâce que vous avez bien voulu me faire en m'envoyant le docteur Eller.1_375-a La bonté et le soin que vous avez pris pour ma santé m'obligent de vous rendre mes très-humbles remercîments. En vérité, je ne mérite pas cette peine que vous vous êtes donnée, et quoique je sois très-sensible à cette nouvelle preuve de votre bienveillance, je suis cependant mortifiée de vous être privé d'une pareille absence, qui est toujours si nécessaire. Il m'a rendu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, de même que les bienfaits de votre générosité, que je regarde comme un beau présent de votre part, dont je vous rends mille grâces, parce que je ne puis prétendre à aucun intérêt. Le ressouvenir qu'il vous plaît de me faire, mon cher frère, du capital en question est aussi un effet de votre bonne volonté, ayant bien voulu accomplir par là l'intention du feu roi à mon égard;1_375-b c'est pourquoi j'ai doublement sujet de vous supplier de ne vous point incommoder en aucune manière, étant toujours contente avec ce que vous jugerez à propos de faire;<376> c'est ce que je vous supplie d'être persuadé, étant avec un profond respect, etc.

10. A LA MARGRAVE D'ANSBACH.

Camp de Borzitz (Porschitsch), 15 juin 1745.



Madame ma sœur,

Je vous suis infiniment obligé des tendres inquiétudes que vous voulez bien témoigner avoir eues pour ma personne, par la lettre que vous m'avez écrite le 4 de ce mois. Grâce à Dieu, je me suis ressenti des vœux ardents que vous avez faits pour moi, puisque c'a été le même jour où le ciel a béni mes armes de la manière que j'ai eu déjà l'honneur de vous le mander. Je vous fais mes excuses de ce que mes occupations présentes ne veulent pas encore permettre de vous écrire de ma main propre, et vous prie d'être persuadée qu'on ne saurait rien ajouter aux sentiments d'estime et de tendresse avec lesquels je suis à jamais, madame ma sœur, etc.

<377>

11. A LA MÊME.

Camp de Semonitz, 24 août 1745.



Madame ma sœur,

Je vous rends mille grâces de tout ce que vous me dites d'obligeant sur la lettre précédente que je vous ai faite. Je n'aurais pas manqué de vous le marquer de ma main propre, si des affaires pressantes que j'ai actuellement me l'avaient voulu permettre; c'est ce dont je vous fais des excuses. Permettez que je vous charge d'assurer M. le Margrave de mon estime infinie, de même que mon cher neveu des sentiments que j'ai pour lui, et soyez persuadée qu'on ne saurait être avec plus de passion que je suis, madame ma sœur, etc.

12. A LA MÊME.

Dresde, 22 décembre 1745.



Madame ma sœur,

Si je ne vous ai pas écrit depuis quelque temps, ni ne vous écris pas encore de ma main propre, je vous prie de ne l'imputer à autre chose, sinon qu'aux occupations continuelles où j'ai été pendant quelques semaines pour humilier mes amis,1_377-a qui ne visaient à autre chose qu'à la ruine totale de tout mon pays. Grâce au ciel, qui a fait tant prospérer mes armes, que non seulement l'armée saxonne avec les troupes autrichiennes qui s'y étaient jointes ont été battues et presque défaites totalement le 15 de ce mois, ainsi que, outre les<378> morts et blessés qu'elles ont laissés en place, nous leur avons pris quarante-huit canons et plus de cinq mille prisonniers, mais que cette victoire a été suivie de la reddition de la capitale, où je suis entré le 17 de ce mois. Aussi espéré-je que le fruit de tout cela sera une bonne paix, que mes ennemis, si opiniâtres jusqu'ici, seront à la fin obligés d'accepter telle que je la leur offre. Je connais trop les sentiments que vous avez pour moi, que je ne dusse être persuadé de la satisfaction que toutes ces nouvelles vous donneront; aussi serez-vous persuadée du parfait retour de mon amitié vers vous, de même que de l'estime et de la tendresse avec laquelle je suis à jamais, madame ma sœur, etc.

<379>

III. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SOEUR CHARLOTTE, DUCHESSE DE BRUNSWIC. (18 JANVIER 1733 - 10 AOUT 1786.)[Titelblatt]

<380><381>

1. DE LA PRINCESSE CHARLOTTE.

Berlin, 18 janvier 1733.



Mon très-cher frère,

Je ne puis vous marquer assez, mon très-cher frère, quelle joie m'a causée votre lettre, estimant et chérissant tout ce qui me vient de votre part. Le Roi est parti ce matin pour Potsdam, d'assez bonne humeur. Le duc de Bevern et le prince Charles seront à Potsdam le 28 de ce mois. Je crois que nous y irons bientôt. A ce qu'il me paraît, ma sœur de Baireuth commence un peu à engraisser et à manger de meilleur appétit. Maman a été dernièrement dans votre maison;1_381-a elle m'a fait l'honneur de me prendre avec elle. Elle a ordonné elle-même les meubles, et a tâché d'accommoder tout le mieux qu'il a été possible, et s'est donné infiniment de peine. A ce qu'il me semble, les chambres sont trop petites et fort étroites, et, pour les meubles, on aurait pu avoir quelque chose de plus beau pour tout l'argent qui y est employé. Ce que je puis vous dire, c'est que le Roi ne pense depuis le matin jusqu'au soir qu'à ce qui vous peut faire plaisir, et il a dit que tout ce qu'il pourrait voir à vos yeux qui vous réjouit et la princesse, il le ferait bien volontiers. Voilà pour cette fois, mon cher frère, tout ce que j'ai pu vous mander de nouveau. Ma pauvre sœur d'Ansbach a été à l'extrémité, que toute la Faculté a cru qu'elle mourrait; mais, Dieu merci, on a reçu des nouvelles qu'elle est hors de danger. Comme je me flatte d'avoir bientôt le<382> plaisir de vous revoir, je finis en vous priant de me croire toute à vous.

Votre très-affectionnée
sœur et servante,
Charlotte.

2. DE LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Berlin, 15 juillet 1733.



Mon très-cher frère,

Permettez-moi que je vous assure encore ici de mon amitié; quoique je vous importune, mon très-cher frère, en vous réitérant ma tendresse, j'espère que vous ne le trouverez pas mauvais, d'autant plus qu'elle part d'un cœur sincère et qui vous sera à jamais tout dévoué. Mon cœur de poule mouillée, qui s'attendrit à votre égard, ne me permet pas de vous en oser dire davantage; ainsi, mon cher frère, je prends congé encore une fois de votre chère personne, vous priant instamment de ne pas oublier Lottine,1_382-a qui vous aime passionnément, et qui sera jusqu'à la mort toute à vous.

<383>

3. DE LA MÊME.

Le 14 juin 1740.



Mon très-cher frère,

Depuis que vous m'avez donné la gracieuse permission de vous écrire sur le vieux pied, j'aime encore une fois autant vous réitérer de mon respect et tendresse. Je ne puis vous dire quel contentement j'ai d'entendre dire tous les jours mille biens de vous et de la manière gracieuse et bienfaisante dont vous commencez votre règne. C'est une véritable consolation pour tout le monde, et vous vous faites adorer de vos sujets. La Reine-mère est très-contente de la manière dont vous agissez avec elle, et il me semble que vous faites oublier tous les regrets. J'ai écrit à la vieille de Blankenbourg,1_383-a qui vous assure de ses respects; elle regrette fort Duhan, et chacun a du regret de le voir partir, quoique, pour moi, je le voie dans de si bonnes mains, que j'aurais tort de ne lui pas laisser ce bonheur. Connaissant, mon très-cher frère, votre bon cœur et votre humeur, j'ai bien pensé que vous n'auriez aucune joie de vous trouver si grand seigneur, puisque vous aimez une certaine liberté qui ne peut toujours être dans le poste où vous êtes. Mais à présent soyez content, puisque vous avez un si bon but, d'être en état de faire du bien à tant de monde et de pouvoir mettre en œuvre tout le bon dont votre cœur est rempli. Il me semble que ce sera un grand bonheur pour tout le genre humain. La seule chose dont je vous supplie, mon cher frère, c'est de penser à votre santé, car elle m'est présentement doublement chère; et tâchez de la ménager et de ne vous pas trop fatiguer, car si à présent vous aviez mal au doigt, je serais dans des inquiétudes affreuses; et renoncez, je vous prie en grâce, à tous les vins échauffants, car cela vous mettra le feu au corps. Je finis mon<384> prêche en me recommandant toujours, avec le Duc, dans la continuation de vos bonnes grâces, étant toute ma vie, mon très-cher frère, etc.

4. A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Charlottenbourg, 27 juin 1740.

.... On me flatte que vous vous portez à présent beaucoup mieux, et que, revenue du premier chagrin, vous commencez de prendre votre parti. J'en suis bien aise, ma très-chère sœur, car c'est pourtant l'unique parti qui vous reste et qui nous reste à tous. Nous voilà, Dieu merci, tous parfaitement contents les uns des autres, et dans une harmonie comme il convient à de bons parents. Rien ne l'altérera, et je contribuerai de mon côté, autant qu'il dépendra de moi, à resserrer plus étroitement les liens de cette union. Je me fais un grand plaisir de revoir le Duc et le cher Ferdinand, et puisque vous me le permettez, j'espère d'avoir le plaisir de vous embrasser à Salzthal, vous assurant, etc.

<385>

5. DE LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Salzthal, 5 juillet 1740.



Mon très-cher frère,

La seule chose qui m'a fait prendre mon parti, c'est de savoir que j'avais un si bon frère, qui reprendrait en tout la place de père de famille; et je ne me suis point trompée, puisque j'apprends des effets merveilleux de votre bon cœur, ainsi que j'aurais grand tort si je voulais encore me laisser aller à la tristesse, surtout puisque vous avez la grâce de me marquer dans toutes vos lettres vos bontés pour moi. Conservez-les-moi, mon cher frère, c'est ce dont je vous supplie, car c'est toute ma consolation; et comptez que si vous me les retirez, vous serez la cause de ma mort. Le Duc serait parti sur-le-champ avec son frère pour le venir présenter; mais Marwitz1_385-a lui envoya une estafette où il lui écrivait qu'il avait reçu une de vos lettres pour le Duc, qu'il viendrait ici pour lui donner. Le Duc s'est imaginé qu'il avait peut-être des ordres que vous lui donniez, de manière qu'il doit lever les gens, et c'est ce qui est cause de l'arrêt de son voyage; il attend la poste d'aujourd'hui, pour apprendre encore vos ordres, et il se réglera d'abord après. Pour moi, je ressens, dans mon particulier, un contentement inexprimable d'avoir bientôt la joie de vous embrasser ici, et point de nouvelles ne me pourraient être plus agréables, surtout de pouvoir vous assurer de bouche, mon très-cher frère, de la tendresse et du parfait attachement avec lesquels je suis jusqu'à la mort, etc.

<386>

6. DE LA MÊME.

Le 8 août 1740.



Mon très-cher frère,

Dans cet instant le Duc vient d'arriver, et qui me réjouit en me rendant votre chère lettre et le beau présent que vous avez eu la bonté d'y ajouter, et qui me fait beaucoup de plaisir, comme tout ce qui vient d'un si cher frère. Je n'ai jamais vu le Duc plus content qu'il l'a été de l'agréable séjour qu'il a fait, tant à Berlin qu'à Ruppin, Rheinsberg et Charlottenbourg. Surtout il n'a pu me louer assez toutes les grâces et l'accueil gracieux que vous lui avez faits. Je vous en remercie, mon très-cher frère, et le prends comme fait à moi-même. Je ne doute pas que tout cela fera un très-bon effet, et que cela encouragera le Duc avons témoigner de plus en plus, mon cher frère, le zèle et l'attachement qu'il a pour vous. Ferdinand est aussi très-content de l'heureux sort qu'il aura de vous servir, et, Dieu soit loué! tout est content. J'espère qu'aucun orage ne troublera la paix et la bonne union, et mon contentement sera parfait lorsque j'aurai la joie de vous revoir ici; le Duc m'en flatte, et votre chère lettre me le confirme, ainsi qu'il ne s'agit pour moi que d'avoir la patience d'attendre cet heureux jour, qui, en attendant, me paraîtra bien long avant qu'il arrive. En tout temps, soyez assuré, mon cher frère, que je suis toujours la même envers vous, et que je n'en démordrai jamais. Le Duc a trouvé Rheinsberg charmant, et n'en peut assez louer le goût. J'aurais bien voulu m'y transporter en métamorphose. On dit que vous êtes toujours le même, gai, de bonne humeur et toujours gracieux, et que c'est le règne du roi Charmant.1_386-a Le Kilian<387> Hohnstedt1_387-a a été bien réjoui de l'ordre du mérite que vous lui avez fait la grâce de donner, et il s'en pare comme un paon avec ses plumes. Enfin vous avez réjoui tout le monde, ce qui fait un bon effet pour moi. Je ne vous demande que la continuation de vos bonnes grâces, qui me sont des plus gracieuses, étant jusqu'à la fin de mes jours, avec une tendresse et un attachement inexprimable, mon très-cher frère, etc.

Je vous remercie que vous faites prier Dieu pour moi.1_387-b Les princesses d'ici seront prêtes à recevoir laquelle on donnera la pomme,1_387-c ce qui me fait beaucoup de plaisir, mon cher frère, que vous êtes dans cette intention.

7. A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Potsdam, 8 octobre 1743.



Ma très-chère sœur,

Celui qui aura l'honneur de vous rendre cette lettre est le sieur de Voltaire,1_387-d dont la réputation est si connue et si généralement établie,<388> que tout ce que je puis vous en dire est superflu. Vous pouvez croire que l'auteur de la Henriade est un honnête homme, que celui du Temple de l'Amitié1_388-a en connaît le prix, que celui de la Philosophie de Newton est profond, que celui de vingt tragédies est connaisseur des hommes, et que celui de la Pucelle joint à l'élégance le badinage ou les saillies les plus vives et les plus brillantes que l'humeur enjouée puisse produire. Vous ferez bien, ma très-chère sœur, de profiter de l'apparition de tant de talents. J'envie bien le plaisir qu'aura Voltaire; mais je m'oublie, et il m'arriverait l'aventure de l'âne et du petit chien.1_388-b Adieu, charmante sœur; conservez-moi quelque part dans votre amitié, et soyez persuadée que personne ne peut être avec des sentiments plus distingués ni avec plus de tendresse que votre très-humble serviteur et fidèle frère, etc.

8. DE LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Brunswic, 18 octobre 1743.



Mon très-cher frère,

M. de Voltaire a été ici doublement bien reçu, comme vous pouvez le croire, m'apportant une de vos chères lettres, qui me sont toujours infiniment agréables par les marques de bonté que vous me témoignez, mon très-cher frère, et qui me sont des plus précieuses. Il est vrai que vous ne m'avez pas trop dit de vérité sur le chapitre de cet honnête homme, et que je trouve en lui tout l'assemblage de mérite, de savoir et d'agréments dans son esprit. Je suis charmée<389> de le voir pour profiter quelque chose de son esprit, en ayant fort besoin, mais craignant fort de ne point réussir. Voltaire ne jure que par vous, mon cher frère, et dit qu'il souhaiterait de pouvoir vivre et mourir à vos pieds. Il est charmé et content de toutes les grâces qu'il a reçues à Berlin. Cependant, malgré tous ses talents, il ne me pourrait point dédommager, si j'avais l'espérance de pouvoir me retrouver dans la compagnie d'un frère que je chéris autant que vous le méritez, et pour lequel je serai toute ma vie, avec une tendresse et un attachement inexprimable, etc.

9. DE LA MÊME.

(Brunswic) 24 juin (1768).



Mon très-cher frère,

Après les regrets de vous avoir vu partir d'ici et le désagrément de me trouver de nouveau éloignée et privée de jouir de votre chère présence, il n'y a rien de si intéressant pour moi, et qui me tienne tant à cœur, que de vous savoir de retour chez vous heureusement et en parfaite santé.1_389-a Veuille le ciel que la fatigue du grand voyage que vous avez fait n'ait point altéré votre précieuse santé, et que vous vous portiez bien, ce qui me servira à la plus grande consolation pendant l'absence; et j'espère que vous continuerez vos grâces à votre fidèle sœur, qui n'a de plus grand désir que de pouvoir se rendre digne de toutes vos bontés, dont mon cœur ne cesse d'être pénétré. Mon bon frère Ferdinand est arrivé hier ici; j'ai été réjouie<390> de lui trouver meilleur visage que sans cela, et j'espère que les bains qu'il compte prendre contribueront à fortifier sa santé. Il vous est bien attaché, et comme nous pensons également sur votre sujet, cela fait que je l'en aime davantage. Il veut nous quitter demain, ce qui sera un nouveau surcroît de peine pour moi, quoique je devrais être raisonnable et contente du bonheur que j'ai d'être à portée de voir plus souvent ma famille que d'autres, qui n'ont point cet avantage. Cependant je m'aperçois que j'en suis toujours avide, car je compte parmi mes jours les plus fortunés ceux que j'ai eu la satisfaction de passer avec vous. J'ai reçu une lettre que le prince Louis1_390-a a écrite au Duc, dans laquelle il chante vos louanges, se louant de l'accueil gracieux et amical que vous lui avez témoigné, et dit que tout le monde qui vous a vu a été charmé de la façon gracieuse dont vous l'avez reçu, et que vous avez emporté une approbation générale, et le cœur de tous les bons Hollandais, qui vous avaient admiré. Quoique je croie que vous n'êtes guère sensible à cette conquête, j'ai pourtant voulu vous en faire part.

Le Duc et toute ma famille se mettent à vos pieds. Je souhaite et fais des vœux pour que les eaux d'Éger soient le remède efficace pour votre conservation, afin que j'aie encore souvent la satisfaction de vous assurer de mes respects et du zèle avec lesquels je suis, mon adorable frère, etc.

<391>

10. DE LA MÊME.

(Brunswic) 16 juin (1768).



Mon très-cher, tout adorable frère,

J'ai passé une bien mauvaise nuit après votre départ, et retourne tristement dans ma chambre, n'y trouvant plus cet adorable frère qui m'avait comblée de bontés et d'amitié. Je devais cependant m'attendre que le contentement de jouir de votre présence ne serait que momentané, et considérer comme une espèce de sacrifice le précieux temps que vous m'avez daigné destiner de vous voir à des occupations plus utiles; ce qui redouble les obligations que je vous dois, mon adorable frère, de cette nouvelle marque de vos bienveillances, dont je vous fais encore mes très-humbles remercîments avec un cœur pénétré de toutes vos bontés. J'en ai l'âme si remplie, que je ne pense à autre chose; et quoique c'est l'idée la plus agréable que je puisse avoir de me représenter mon cher frère dans l'imagination, la privation m'en est toujours d'autant plus sensible, et ce n'est que l'espérance dont vous m'avez flattée de pouvoir aspirer plus souvent à cette satisfaction qui sera capable de me faire surmonter la peine de votre séparation.

Le Duc et mon fils ont été très-charmés de la façon gracieuse et cordiale dont vous les avez accueillis, de même que des procédés honnêtes dont vous avez agi dans ces malheureuses catastrophes.1_391-a Veuille le ciel vous donner à l'avenir plus de contentement, et vous<392> rendre en toute chose aussi heureux que je le désire et que vous en êtes digne! Je souhaite avec empressement d'apprendre que les fatigues de toutes les courses que vous venez de faire ne vous aient pas échauffé, et que votre retour se soit terminé en parfaite santé. Ce qui n'a pas peu contribué à ma joie, c'est de vous trouver si bien, et un air de vigueur qui me flatte de vous savoir longtemps conservé. J'ai reçu votre gracieuse lettre avec attendrissement, et je la baisai mille fois; tout ce qui me vient de votre part me touche le cœur, qui vous appartient depuis que je vous connais, et qui vous restera jusqu'à mon trépas, étant avec des sentiments inaltérables de tendresse et d'amitié, etc.

11. DE LA MÊME.

(Brunswic) 30 juillet (1769).



Mon très-cher frère,

C'est toujours par de nouveaux bienfaits que vous répandez sur moi les marques de vos grâces et précieux souvenir. Ils me rendent muette par les vives impressions que le prix de vos bontés fait sur mon âme; j'en suis toute pénétrée, les facultés me manquent et ne sont pas suffisantes pour vous prouver toute ma reconnaissance, encore moins d'être en état de tracer par la plume les remercîments très-humbles que je vous dois, quoique imparfaits, pour le beau satin dont vous m'avez fait la galanterie. Il mérite de toute façon mon admiration, comme venant de vos mains, et étant fait sous vos auspices, à Potsdam, me le rend plus cher et agréable. La couleur en est charmante; le gris de lin m'est préférable, étant significatif par l'amour sans fin que l'on attribue à cette couleur, et qui me la fera porter<393> avec d'autant plus de satisfaction, en me rappelant l'amitié que mon adorable frère m'a témoignée jusqu'ici. L'étoffe en est si bonne, qu'on ne la distinguera point d'avec celles d'Angleterre ou de France; j'ai eu le plaisir de tromper ceux à qui je l'ai fait voir, qui l'ont prise pour une étoffe étrangère. Je suis charmée que votre industrie ait si bien réussi par les progrès de vos fabriques, qui ne démentent point l'œil du maître. Ce sera mon habit de fête pour cet hiver; je me trouverai plus parée qu'une sainte de Lorette, étant vêtue par mon saint, que j'honore et vénère seul. Je suis dans une grande joie de ce que le cher margrave d'Ansbach a été en état de vous apprendre des nouvelles plus consolantes de sa digne mère, et de ce qu'elle se porte mieux; comme il est le plus à portée d'en savoir la vérité, j'espère que c'est avec succès qu'on peut se confier sur ce qu'il dit. Voudrait le ciel qu'elle fût rétablie au point de pouvoir venir vous faire sa cour! J'espérerais d'en profiter par bricole, et ce serait une grande satisfaction pour moi si je revoyais une sœur dont j'avais perdu l'espérance dans cette vie. J'ai reçu une lettre de la margrave de Culmbach, qui est tout enthousiasmée de la façon gracieuse dont vous avez daigné lui faire part de ses affaires, et de l'intérêt que vous avez pris pour engager le margrave d'Ansbach à lui faire un douaire. Elle m'a chargée de la mettre à vos pieds, et de vous assurer que jamais elle n'oubliera vos bontés et l'approbation que vous lui avez donnée. Je suis persuadée qu'elle les fera sonner bien haut à Copenhague. Ma belle-fille est sortie avec quatre semaines de couches,1_393-a et se porte au mieux. Il ne transpire rien du voyage d'Angleterre. Il paraît que cette idée quelle avait de vouloir y faire un tour se ralentit; du moins jusqu'à présent elle reste encore indécise. Mon fils n'irait pas cette fois volontiers; ainsi je crois qu'il sera bien aise s'il peut venir<394> à bout de l'empêcher, à cause de ses affaires ici, qui exigent sa présence. Le duc de Glocester1_394-a sera de retour vers le 10 du mois prochain, et veut repartir le 13. Vous aurez une dame, à Berlin, qui m'est connue; c'est la comtesse Clary, née d'Osten,1_394-b qui est votre sujette, étant née en Poméranie. Elle a passé il y a quelques années ici. Elle est très-fiée avec le prince Kaunitz, à Vienne, et fait souvent les honneurs de sa maison; on dit que le sujet de son voyage est pareil à celui que la reine de Saba fit pour voir Salomon,1_394-c et qu'elle est avide de vous voir et de vous entendre. D'ailleurs, c'est une petite-maîtresse, mais qui a beaucoup d'intelligences à Vienne. Je n'ai pas voulu négliger de vous faire part de tout ceci. Nous avons pensé perdre le fils aîné de mon fils, qui a été extrêmement mal d'une colique de crampes, causée par de fortes obstructions; à force de remèdes on a cependant trouvé moyen de le soulager. Il commence à se remettre; cependant je crains que sa convalescence ira lentement, souffrant encore des duretés dans le bas-ventre. Le sentiment des médecins se réunit qu'on a donné trop de nourriture à l'enfant, ce qui lui a attiré ces incommodités. Les parents en ont été fort alarmés; on a fait venir le médecin Zimmermann1_394-d de Hanovre, qui est Suisse et fort habile, qui donne assez bonne espérance de l'enfant. Vous me trouverez indiscrète de ce que j'abuse tant de votre patience à lire un si long griffonnage; sans votre indulgence, qui m'enhardit, j'aurais fini plus tôt, quoiqu'il est me faire un effort lorsque je me vois obligée de rompre l'entretien avec vous, et que je ne passe jamais plus agréablement les heures que quand je pense en idée à mon adorable frère,<395> qui m'occupe continuellement, étant sans cesse avec le profond et plus tendre respect et dévouement, etc.

12. A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Le 12 mai 1785.



Mon adorable sœur,

Il y a soixante-dix ans passés que je suis au monde, et dans tout ce temps je n'ai vu que des jeux bizarres de la fortune, qui mêle quantité d'événements fâcheux à quelques favorables qui nous arrivent. Nous ballottons sans cesse entre beaucoup de chagrins et quelques moments de satisfaction. Voilà, ma bonne sœur, le sort commun de tous les hommes. Les jeunes gens doivent être plus sensibles à la perte de leurs proches et de leurs amis que les vieillards. Les premiers se ressentent longtemps de ces privations, au lieu que les personnes de notre âge les suivent dans peu. Les morts ont l'avantage d'être à l'abri de tous les coups de la fortune, et nous qui restons en vie, nous y sommes sans cesse exposés. Toutes ces réflexions, ma bonne sœur, ne sont guère consolantes, je l'avoue. Heureusement que votre sagesse et votre esprit vous ont donné la force de résister à la douleur qu'éprouve une tendre mère en perdant un de ses enfants chéris.1_395-a Veuille le ciel continuer de vous assister, en conservant une sœur qui fait le bonheur de ma vie! Daignez, ma bonne sœur, me croire avec le plus tendre attachement et la plus haute considération, mon adorable sœur, etc.

<396>

13. A LA MÊME.

(Sans-Souci) 10 août 1786.



Mon adorable sœur,

Le médecin de Hanovre a voulu se faire valoir chez vous, ma bonne sœur; mais la vérité est qu'il m'a été inutile. Les vieux doivent faire place aux jeunes gens, pour que chaque génération trouve sa place; et, à bien examiner ce que c'est que la vie, c'est voir mourir et naître ses compatriotes. En attendant, je me trouve un peu soulagé depuis quelques jours. Mon cœur vous reste inviolablement attaché, ma bonne sœur. Avec la plus haute considération, etc.

<397>

IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR SOPHIE, MARGRAVE DE SCHWEDT. (11 JUILLET 1742 - 23 SEPTEMBRE 1765.)[Titelblatt]

<398><399>

1. DE LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Schwedt, 11 juillet 1742.



Mon très-cher frère,

L'heureux retour de Votre Majesté me touche de si près, que je ne saurais autrement qu'en témoigner ma joie à V. M., aussi bien que de la glorieuse conquête qu'elle vient de conquérir, et qui est affermie par cette heureuse paix. Ces sentiments de respect que j'ai pour vous, mon très-cher frère, vous doivent être connus; ainsi il est inutile de vous réitérer ce que mon zèle et attachement me dicte à ce sujet. Je n'aurais pas manqué de témoigner en personne mes très-humbles soumissions à V. M., si la maladie de ma fille cadette ne m'en avait empêchée par sa maladie, étant bien mal d'une fièvre; c'est ce qui me cause de sensibles inquiétudes. Le cœur d'une mère pâtit quand elle voit souffrir un enfant qu'elle aime. Ainsi je ne doute pas que V. M. agréera cette valable excuse, puisque rien au monde ne saurait être capable, sans cela, de m'empêcher de vous témoigner, mon très-cher frère, le profond respect avec lequel je serai jusqu'au tombeau,



Mon très-cher frère,

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante et très-soumise
sœur et servante.
Sophie.

<400>

2. A LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Charlottenbourg, 14 juillet 1742.



Madame ma sœur,

Comme toutes les marques que je reçois de votre cher souvenir ont de quoi me réjouir, je vous laisse à juger de la satisfaction que votre dernière lettre ma causée; car encore que nos sentiments sur le démêlé en question ne s'accordent pas tout à fait, étant presque persuadé qu'il ne vaut pas la peine de s'en troubler, je me flatte que vous n'en voudriez pas tirer une conséquence contraire à mon intention et aux tendres égards que j'ai et que j'aurai toujours pour votre chère personne. Cependant le fond de la chose roulant sur la vraie possession du droit de patronage, je pourrai me résoudre de la faire examiner par un ministre de justice, afin de voir plus clairement de quel côté se trouve le droit et la raison. Au reste, mon heureux retour m'ayant rapproché de vous, je souhaite de recevoir souvent de bonnes nouvelles de votre prospérité, étant du fond de mon cœur, etc.

3. A LA MÊME.

Potsdam, 19 juillet 1742.



Madame ma sœur,

Entre tous les compliments que j'ai reçus au sujet de l'heureuse conclusion de la paix et de mon retour, celui que vous m'avez voulu faire m'a été d'autant plus agréable, que je connais la sincérité du cœur dont il a été dicté. Je vous en suis très-obligé, et je me flatte<401> que, étant à présent moins éloigné de vous qu'auparavant, j'aurai bientôt le plaisir de vous embrasser. Il est vrai que l'indisposition de la princesse votre chère fille le doit retarder quelque temps; c'est ce dont je suis fort fâché, en vous assurant de ma tendre compassion; mais comme je ne cesse de faire les vœux du monde les plus ardents pour la prompte convalescence, j'espère que le bon Dieu nous l'accordera dans peu. Je suis avec une très-sincère amitié, etc.

Je vous prie pour l'amour de Dieu d'être raisonnable, ma chère sœur, et de ne point copier votre Margrave dans ses mauvais procédés envers des voisins;1_401-a il faut vivre en paix avec tout le monde.

F.

4. A LA MÊME.

Potsdam, 21 juillet 1742.



Madame ma sœur,

Je viens de voir par votre lettre que vous continuez à me presser sur le démêlé que votre époux juge à propos d'avoir avec son voisin. Comme je vous ai déjà marqué ce que je pense sur cette querelle, vous comprendrez aisément qu'une correspondance ultérieure sur une matière si peu agréable ne saurait être à mon goût. Ainsi vous agréerez, s'il vous plaît, que je vous conseille en frère de vous tenir en repos et de montrer envers les gentilshommes de votre voisinage un comportement doux et pacifique, en oubliant tout à fait ce qui s'est passé. Cette conduite vous sera infiniment avantageuse, et elle<402> me charmera d'autant plus, que je suis très-véritablement, avec une amitié infinie, madame, etc.

5. DE LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Berlin, 26 juillet 1742.



Mon très-cher frère,

Quoique ma fille ne soit point encore du tout remise, l'empressement que j'ai eu de faire ma cour à V. M. ne m'a pas permis d'attendre son rétablissement. Je viens d'arriver dans ce moment, et attends l'heure avec impatience où j'aurai l'honneur de l'assurer de bouche du profond respect et de la soumission avec laquelle je suis toute ma vie, mon très-cher frère, etc.

6. A LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Potsdam, 2 juillet 1743.



Madame ma très-chère sœur,

Votre lettre du 27 du mois passé m'a été bien rendue, et je vous suis fort obligé de l'empressement que vous y témoignez à me voir chez vous et à me donner à dîner quand j'irai à Stettin. Ce serait avec bien du plaisir que je l'accepterais, si cette fois-ci je n'allais faire un<403> tout autre tour,1_403-a tant en allant qu'à mon retour, ce qui m'oblige de remettre la satisfaction que j'aurais de vous voir à une autre fois. Je suis avec toute l'amitié possible, etc.

Je passe, ma très-chère sœur, à cinq milles de Schwedt, ainsi que je ne pourrai pas profiter pour cette fois du plaisir de vous voir, vous remerciant de votre obligeante attention.

7. A LA MÊME.

Camp de Friedland, 11 juin 1745.



Madame ma sœur,

Comme il y a bien du temps que je n'ai pas eu de vos nouvelles, la lettre que vous m'avez faite le 25 du mois dernier de mai m'a fait beaucoup de plaisir. Je reconnais au possible la bonté que vous avez eue de disposer le Margrave de faire quelque chose pour le bien public, et quoique vous n'ayez pas pu réussir jusqu'à présent, et que je croie qu'il n'y ait guère d'apparence d'y réussir encore, je vous ai les mêmes obligations comme si le Margrave s'était prêté à ce que j'aurais souhaité de lui. Aussi, grâce à Dieu, voilà mes circonstances changées, de façon que je n'en ai plus besoin. Je vous prie d'être persuadée des sentiments invariables d'estime et de tendresse avec lesquels je suis, etc.

<404>

8. A LA MÊME.

(Berlin, 30 ou 31 décembre 1749.)



Ma très-chère sœur,

C'est à mon grand regret que j'ai vu, par vos lettres du 29 de ce mois, les justes raisons qui vous portent à vous plaindre des comportements du Margrave envers vous. Vous savez trop, ma très-chère sœur, la part que je prends à ce qui vous intéresse, pour que vous dussiez douter de l'attention que j'y donne; aussi viens-je de faire expédier mes ordres au ministre d'État comte de Podewils de parler sérieusement et énergiquement de ma part sur ce qui vous concerne au Margrave, ne doutant point que l'effet qui en résultera ne soit tel que vous en puissiez être entièrement satisfaite. Je suis, ma très-chère sœur, etc.

9. A LA MÊME.

Freyberg, 26 février 1760.



Ma chère sœur,

Vous saurez aisément vous figurer avec quel chagrin j'ai appris par votre lettre du 23 de ce mois la fâcheuse aventure qui est arrivée à Schwedt,1_404-a et dont je suis d'autant plus en peine, que je crains que la rude altération dont vous vous êtes ressentie n'influe sur votre santé, de laquelle cependant je vous prie avec instances d'avoir soin, pour prévenir toutes suites fâcheuses. J'ai encore bien de la com<405>passion avec le digne prince de Würtemberg de ce qu'il s'est vu entraîné avec sa digne épouse dans ce désastre. Mais, chère sœur, n'ai-je pas lieu d'être extrêmement étonné que, pendant le temps où il n'y a absolument pas moyen d'empêcher partout des incursions des bandes d'une vermine qui voltige par-ci par-là dans des pays ouverts et où ils ne trouvent aucune résistance, vous avec le Margrave ayez pu rester à un lieu tout ouvert, tel que Schwedt, sans garnison ni aucune précaution, en vous fiant ainsi, vous et votre chère famille, à la discrétion de gens reconnus, pour la grande part, pour brigands et les plus brutaux entre les barbares? J'avoue que je n'ai su jamais assez démêler cette sécurité du Margrave, sans cependant avoir soupçonné que les choses seraient allées si loin. Après donc la fâcheuse expérience que vous avez faite, il ne vous conviendra plus de rester encore à Schwedt, mais d'aller demeurer plutôt à Stettin, où vous serez au voisinage de Schwedt, et n'exposerez pas votre caractère ni votre personne et votre famille à de pareilles mauvaises aventures, et à des affronts et outrages pires peut-être que ceux qui vous sont arrivés. Profitez, je vous prie instamment, de cet avis d'un frère qui prend trop de part à tout ce qui vous regarde, et qui restera toujours avec des sentiments d'estime et de tendresse, ma chère sœur, etc.

10. A LA MÊME.

Freyberg, 24 mars 1760.



Ma chère sœur,

M'étant ressouvenu que je vous dois encore le payement des intérêts ordinaires du capital que feu notre père vous a légué dans son<406> testament,1_406-a et que je vous en suis en arrière même de l'année passée, j'ai bien voulu m'en acquitter d'abord, en faisant donner mes ordres au conseiller privé Koppen, à Berlin, de vous faire remettre au plus tôt la somme de trois mille écus à ce sujet. Vous aurez la bonté de me faire avoir votre quittance là-dessus comme à l'ordinaire, en excusant de ce que mes occupations présentes ne m'ont pas permis d'y songer pour m'en acquitter plus tôt. Mes vœux sont que vous vous portiez en un parfait état de santé, et vous ne douterez d'ailleurs de la sincérité des sentiments d'estime et d'amitié avec lesquels je suis à jamais, etc.

11. A LA MÊME.

Potsdam, 22 avril 1760.



Ma très-chère sœur,

Vous devez juger par mes sentiments pour vous, que vous connaissez, combien je suis touché et à quel point il m'a été douloureux d'apprendre le triste état de votre santé et le délabrement où vous vous trouvez. J'en compatis extrêmement, et fais les vœux les plus ardents pour votre heureux rétablissement. Je vous l'aurais marqué de ma main propre, si l'affaiblissement des forces qui me reste encore de l'accès violent de la goutte dont j'ai été attaqué depuis quelques semaines ne m'en empêchait. Comme j'apprends que vous désirez d'avoir Cothenius pour le consulter sur vos maux, je m'y conforme volontiers, et vous l'envoie en conséquence pour le consulter. Je ne saurais cependant pas vous dissimuler que, selon mon<407> avis, vous feriez mieux de vous tenir à Muzellius,1_407-a par la connaissance qu'il a des accidents de votre maladie et par son habileté reconnue. Je suis avec l'amitié la plus tendre et avec toute l'estime possible, etc.

12. DE LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Le 1er mai 1765.



Mon très-cher frère,

Il faudrait avoir un cœur bien ingrat et insensible, si je n'étais pénétrée jusqu'au vif, mon très-cher frère, des grâces et bontés que vous me témoignez derechef par le gracieux intérêt que vous prenez à ma santé. J'en suis vivement touchée, et ne saurais assez vous exprimer, très-cher frère, combien votre gracieuse lettre m'a pénétrée, et a fait un meilleur effet que toutes les médecines du monde. M. Cothenius pourra avoir l'honneur de vous dire que depuis une huitaine de jours je me porte beaucoup mieux, aux forces près. L'horrible toux commence à diminuer, ce qui me procure du repos, dont j'ai été entièrement frustrée. Je commence moi-même à croire que cette fois je me tirerai encore d'affaire, et il faut que je rende la justice à Muzellius qu'il s'est donné tous les soins et peines imaginables. Le sieur Cothenius et lui ont été aussi entièrement d'accord sur tout l'état de ma maladie. Je vous remercie aussi très-respectueusement, mon très-cher frère, de la grâce que vous m'avez faite de m'envoyer le sieur Cothenius. J'ai été hors de moi-même de le voir, m'ayant assurée que, grâce à Dieu, mon très-cher frère, vous commenciez<408> à vous remettre de votre vilaine goutte. J'ai pris plus de vingt fois la plume en main pour vouloir vous témoigner, mon très-cher frère, le chagrin que cela me causait de vous savoir souffrir; mais la terrible faiblesse dont je me ressentais ne me l'a pas voulu permettre. Ainsi j'ai souffert doublement, puisque votre précieuse santé me tient plus à cœur que ma vie; et le ciel veuille, mon très-cher frère, vous rendre bientôt toutes vos forces! Et je vous prie de croire que si la vie m'était chère, et que je désire de la conserver, ce n'est que pour vous prouver que, tant qu'il me restera un souffle, je ne cesserai de vous aimer, adorer et respecter, étant avec une très-profonde soumission, mon très-cher frère, etc.

13. DE LA MÊME.

Le 10 mai 1760.



Mon très-cher frère,

L'espérance flatteuse que vous me donnez, mon très-cher frère, d'avoir le bonheur de vous voir ici à votre retour de Stargard me cause une satisfaction et une joie peu exprimable; et si je suis à demi morte, je crois que cela me rendrait la vie en revoyant celui pour qui j'en donnerais mille, si je les avais. Je vous remercie très-humblement, mon très-cher frère, de l'honneur que vous voulez me faire, et vous assure que j'attends cet heureux moment avec la dernière impatience. Ma santé continue à se remettre, mais un peu lentement. J'espère que lorsque le temps sera plus chaud, ma guérison ira d'autant plus vite, et que je serai en état de vous recevoir dans ma chaumière le<409> mieux qu'il me sera humainement possible, et de vous réitérer de vive voix que mon cœur vous adore, et que mon respect est inviolable, étant, mon très-cher frère, etc.

14. DE LA MÊME.

(Schwedt) 1er juin 1760.



Mon très-cher frère,

Vous ne vous êtes pas contenté seulement, mon très-cher frère, de me témoigner toutes les grâces et bontés imaginables pendant le peu de séjour que vous avez fait ici, mais à mon réveil j'ai trouvé une lettre qui m'a pénétrée jusqu'au fond du cœur, et il faudrait n'avoir pas le moindre sentiment pour ne pas être touchée de la candeur et de l'amitié fraternelle avec laquelle vous daignez agir avec moi. Tout ce que je pourrais vous dire à ce sujet ne serait pas suffisant, et toutes mes expressions trop faibles. J'ai recours à votre indulgence, étant bien persuadée que vous me connaissez trop bien pour ne pas être convaincu que vous n'avez pas affaire à une sœur ingrate, mais à une personne qui vous chérira et adorera toute sa vie. Qu'il est triste que ces heureux moments que j'ai eu le bonheur de passer avec vous, mon très-cher frère, se sont écoulés si vite! et que n'aurais-je pas donné, si j'avais pu les métamorphoser en jours! J'ai cependant mille très-humbles excuses à vous faire d'avoir été si mauvaise hôtesse, et en même temps mille très-humbles remercîments de vous avoir bien voulu ennuyer avec une pauvre infirme. Si le bon Dieu me rend ma santé, ce que j'ai tout lieu d'espérer, je tâcherai de le redresser<410> lorsque vous m'honorerez une autre fois d'un pareil bonheur. L'intérêt que vous daignez prendre à ma santé ne peut que contribuer à la rendre meilleure de jour en jour. Veuille le ciel seulement conserver la vôtre, qui est d'un prix inestimable! Et c'est une grande consolation pour moi de ce que, grâce à Dieu, je vous ai trouvé si bon visage après toutes les terribles douleurs de goutte que vous avez eues. J'espère qu'elles seront bannies pour longtemps à présent, et que vous jouirez d'une santé parfaite. Ce sont les vœux de celle qui a l'honneur de se nommer avec un très-profond respect, etc.

15. DE LA MÊME.

(Schwedt) 23 septembre 1765.



Mon très-cher frère,

C'est avec une satisfaction sans égale que je vois par votre gracieuse lettre que les bains vous ont soulagé. Dieu veuille continuer, mon très-cher frère, à vous conserver et fortifier la santé, vœux que je ne cesse de faire journellement! Les reproches gracieux que vous me faites, mon très-cher frère, de ne vous avoir pas fait mention de ma santé, me sont des plus flatteurs; et si j'ai passé cet article sous silence, c'est que je ne pouvais vous faire part de ma guérison, ayant passé un assez mauvais été. Depuis quelques jours, je suis attaquée de très-violentes coliques qui m'affaiblissent et me font garder le lit. Mes jambes sont dans une triste situation; je ne puis presque plus en faire usage, à cause de l'enflure et faiblesse que j'y ressens. Je prends de nouveaux remèdes, dont l'on m'a assuré une bonne réussite; le<411> temps est encore trop court pour que je puisse encore juger si cela me soulagera. Voilà, mon très-cher frère, en raccourci, le détail de ma santé chancelante; c'est pour moi une vraie consolation de l'intérêt que vous daignez y prendre, et je vous supplie d'être persuadé que, tant qu'il me restera un souffle de vie, je ne cesserai de me dire avec un très-profond respect, mon très-cher frère, etc.

<412><413>

V. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR ULRIQUE, REINE DE SUÈDE. (3 NOVEMBRE 1743 - 27 SEPTEMBRE 1772.)[Titelblatt]

<414><415>

1. DE LA PRINCESSE ULRIQUE.

Berlin, 3 novembre 1743.



Mon très-cher frère,

J'aurais bien de l'avantage, si l'on pouvait lire ce qui se passe an cœur. Votre Majesté verrait dans le mien les sentiments de l'attachement le plus parfait, et à quel point je suis sensible à toutes les marques de bonté qu'elle me témoigne. Mais comme cette faculté n'est réservée qu'aux dieux, j'ai à me plaindre qu'ils m'ont refusé les talents d'exprimer à V. M. ce que je pense à ce sujet; elle me pardonnera, j'espère, les défauts de l'esprit en faveur des sentiments du cœur. M. de Voltaire ne regrettera pas d'avoir commencé une correspondance avec moi, quand il recevra la charmante réponse en vers1_415-a pour lesquels je ne puis assez remercier V. M. Ce serait donner un terrible échec à son cœur, s'il pouvait croire que j'en fusse l'auteur; mais il a trop de discernement pour ne pas connaître quel est l'Apollon qui m'a inspirée. C'est une consolation pour la marquise1_415-b de ce que je n'oserai pas toujours avoir recours à ce dieu, puisqu'alors elle est sûre de conserver son empire.

Ma joie est extrême de savoir que j'aurai le bonheur de me mettre aux pieds de V. M. mardi prochain. La soirée sera des plus charmantes; chacun s'y emploiera à y être de bonne humeur, et la présence de V. M. sera ce qui y contribuera le plus. La Reine-mère s'en fait une véritable fête; elle m'a fait la grâce de m'en témoigner<416> son contentement. Mon frère Henri doit être bien sensible à l'honneur que V. M. lui fait.1_416-a Que nous sommes heureux tous ensemble de vivre sous les lois d'un frère qui est un vrai père! Ce sont des réflexions que je fais tous les jours de ma vie; aussi je ne changerais pas mon sort pour tous les trésors du monde, ne faisant consister ma véritable félicité qu'à mériter les bontés de V. M., et à lui donner, autant qu'il m'est possible, les témoignages de mon respect et de la soumission parfaite avec laquelle je suis à jamais

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante et
soumise sœur et servante,
Ulrique.

2. DE LA MÊME.

Le 6 avril 1744.



Mon très-cher frère,

Il y a peut-être de l'indiscrétion d'importuner Votre Majesté par mes lettres; mais j'espère qu'elle voudra bien me pardonner, en faveur du motif qui me fait agir, à lui témoigner mon respectueux attachement et à lui faire part de la joie que j'ai ressentie par les assurances que M. de Rudenskjöld1_416-b m'a faites hier de la part du prince,1_416-c qu'on ne m'empêchera jamais de revenir ici pour faire ma cour à V. M. Rien au monde ne pouvait m'être plus consolant que l'espérance de me<417> retrouver avec mes chers parents, et en particulier aux pieds d'un frère que j'adore. J'ai lu avec toute l'attention possible les Mémoires que V. M. m'a fait la grâce de m'envoyer. Je tâche, tant qu'il m'est possible, de me mettre au fait de toutes ces affaires, trop heureuse si, par ma conduite, je puis un jour mériter les bontés que V. M. a eues pour moi; et c'est à quoi je bornerai toute mon attention. Je supplie très-humblement V. M. de vouloir bien me continuer toujours ses bonnes grâces, et d'être persuadée de l'attachement respectueux avec lequel je suis à jamais, etc.

3. DE LA MÊME.

Le 6 mai (1744).



Mon très-cher frère,

Le baron de Horn m'ayant rendu hier la lettre du prince, je croirais manquer à mon devoir, si je ne l'envoyais pas sur-le-champ à V. M. Je joins avec la réponse, vous suppliant très-humblement, mon cher frère, de la déchirer, si elle n'a pas votre approbation; mais je vous avouerai que je n'ai pas l'esprit d'y répondre, si vous ne vouliez avoir la grâce de m'aider dans cette occasion. C'est peut-être manquer à ce que je vous dois; mais toutes les bontés que vous avez eues jusqu'ici pour moi m'inspirent cette confiance, que je suis presque persuadée que vous me pardonnerez en faveur du motif qui me fait agir. V. M. m'a encore donné une nouvelle marque de ses bontés par la gracieuse intercession qu'elle a faite à madame de Knesebeck pour sa fille.1_417-a Je n'abuserai certainement pas de ses grâces,<418> et, l'année et demie finie, elle sera sûrement de retour ici. La Reine ira demeurer aujourd'hui à Monbijou. J'espère que nous aurons bientôt l'honneur de vous y voir; ce sera une nouvelle occasion pour moi de me mettre à vos pieds, et de vous assurer, mon cher frère, du respectueux attachement avec lequel je suis, etc.

4. DE LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE.

Neustadt, 26 juillet 1744.



Mon cher frère,

Je ne puis m'empêcher de vous réitérer, mon cher frère, tous les sentiments de mon parfait attachement. La cruelle séparation ne me permettait pas de vous témoigner tout ce que la tendresse et la reconnaissance m'inspiraient; mais, dans les grandes douleurs, tout est confondu, et je ressentais trop pour le pouvoir exprimer. Je ne saurais nier, mon cher frère, que c'est une grande consolation pour moi que les regrets que vous m'avez témoignés; ils me sont un gage trop sûr de votre bienveillance, et vos bontés font le bonheur de ma vie. Il y a tant de motifs qui m'attachent à votre personne, que j'espère que vous serez persuadé du respect le plus tendre. Jamais je n'oublierai tous les bienfaits que j'ai reçus de votre part, et toute mon application sera à m'en rendre digne. Ce sont là, mon cher frère, les sentiments que je conserverai toute ma vie, étant avec une vénération des plus parfaites, etc.

<419>

5. DE LA MÊME.

Schwedt, 28 juillet 1744.



Mon très-cher frère,

D'abord à mon arrivée ici, mon frère m'a remis la charmante lettre en vers que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire;1_419-a il a été présent à tout ce que j'ai ressenti en les lisant. Que je suis heureuse de m'entendre dire par vous que vous m'aimez, d'en être convaincue et assurée! Oui, mon cher frère, c'est un bonheur pour moi, plus grand que l'acquisition d'une couronne. C'est à présent que je puis me flatter d'en être digne, puisque vous me mettez au rang des personnes que vous chérissez. C'est un motif bien grand, par lequel je réglerai toute ma conduite pour me conserver votre bienveillance. Je n'ai pas osé prendre la liberté à Berlin, mon cher frère, de vous présenter un souvenir; mais permettez-moi à présent de vous offrir une bagatelle. Les faibles mortels donnent des offrandes à leurs divinités, et les dieux reçoivent d'un œil favorable ce qui leur est offert par des cœurs remplis d'amour pour eux. Vous êtes, mon cher frère, ma divinité sur la terre, et j'ai bien lieu de croire que vous accepterez mon offrande par la même raison que les dieux reçoivent celles des mortels. Conservez-moi, je vous supplie, toujours vos bontés, et soyez persuadé que l'on ne peut être avec un attachement plus inviolable que celui avec lequel je suis à jamais, mon très-cher frère, etc.

P. S. Je viens, dans ce moment, de recevoir encore une des plus gracieuses lettres du monde de votre part. J'aurai l'honneur de vous en remercier plus parfaitement à mon arrivée à Stettin.

<420>

6. DE LA MÊME.

Schwerinsbourg, 29 juillet 1744, à minuit.



Mon très-cher frère,

Le maréchal de Schwerin ayant le bonheur de vous faire sa cour, je l'ai prié de se charger de cette lettre et de me mettre mille fois à vos pieds. Nous avons été parfaitement bien chez lui, et il est difficile de trouver un meilleur hôte. Je quitte demain tous mes chers compatriotes, et j'avoue que je ne sais comment je pourrai tenir contenance devant les étrangers. Je vous enverrai une estafette, mon cher frère, de Stralsund, où je serai après-demain. Vous me pardonnerez si je finis sitôt ma lettre; mon esprit et mon cœur voudraient encore s'entretenir avec vous, mais la chétive guenille1_420-a ne veut plus résister au sommeil, et m'oblige de finir en vous réitérant mille fois le sincère, tendre et respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

7. DE LA MÊME.

Ulrichsdal, 26 juillet 1746.



Mon très-cher frère,

Je viens de recevoir dans le moment un ballot qui m'a apporté des figures de porcelaine de Dresde, les plus belles du monde. N'ayant<421> aucune connaissance assurée d'où elles viennent, je ne puis juger autrement que c'est une nouvelle marque, mon cher frère, de vos bontés. Vous me permettrez que j'ose vous en marquer ma parfaite reconnaissance, et vous assurer que l'on ne peut être plus sensible que je le suis à toutes les marques que vous me donnez journellement de l'amitié la plus tendre. Si un attachement parfait pour votre personne pouvait contre-balancer votre bienveillance, je pourrais être contente; mais je ne sens que trop, mon cher frère, que je ne puis rien mettre d'assez fort pour contre-balancer une amitié qui est au-dessus de tous les prix; je n'ai qu'un cœur, qui vous est tout dévoué, et qui vous le sera aussi longtemps que je vivrai.

Je viens d'apprendre dans le moment, par les lettres que le Roi a reçues, que vous aviez, mon cher frère, rappelé le comte Finck. Je conçois les services qu'il est en état de vous rendre, mon cher frère, en Russie, ayant eu occasion de connaître sa capacité et ses bonnes intentions. J'avoue que c'est une vraie perle que le Prince royal, aussi bien que moi, ferons de sa personne, ayant eu sujet de nous louer tous deux de sa façon d'agir et de la confiance que nous lui avons témoignée. S'il y avait moyen, mon cher frère, qu'il pût rester jusqu'à la moitié de la diète, je crois que ce serait un grand bien pour les affaires d'ici, et je crois, mon cher frère, que je ne hasarde rien avec vous en vous disant en confidence que le Prince royal le souhaiterait beaucoup. Je ne saurais assez dire combien le comte Finck a trouvé le moyen de gagner l'esprit du prince, et je crains que celui qui pourra lui succéder, il ne lui faille beaucoup de temps pour réussir comme le premier. Je me flatte, mon cher frère, que vous ne désapprouverez point que je hasarde de vous faire cette prière; elle est toujours subordonnée à vos volontés, et je m'y conformerai. Je me flatte cependant que la personne que vous destinez, mon cher frère, à remplir le poste d'ici sera de connaissance, étant difficile de donner sa confiance à quelqu'un dont le caractère est entièrement<422> inconnu. Nous attendons en peu de jours MM. Korff, de Russie, et Holsten, de Danemark, qui vient avec le titre d'ambassadeur. Tout cela fait augurer qu'il y a quelques raisons de conséquence qui les amènent; mais il est impossible de les découvrir jusqu'à présent.

Je vous supplie, mon cher frère, de me conserver toujours vos bonnes grâces, et d'être persuadé que l'on ne saurait être avec une tendresse et vénération plus parfaite que je le suis, mon très-cher frère, etc.

8. DE LA MÊME.

Stockholm, 23 décembre (nouv. st.) 1746.



Mon très-cher frère,

Ce n'est pas sans une peine infinie que je me vois obligée par le dérangement de mes affaires et par les dépenses occasionnées pour le soutien du parti de vous supplier, mon cher frère, pour le payement des trente mille écus que feu le Roi m'a laissés en testament, de même qu'à mes autres sœurs.1_422-a Vous aurez la grâce de vous ressouvenir, mon cher frère, que, pendant tout le temps que la guerre a duré, je n'en ai jamais parlé, et j'ose vous assurer que ce n'est que la dernière extrémité qui m'y oblige. Mais les dépenses excessives que j'ai été obligée de faire cet été, pendant le voyage que le Prince royal a fait pour les revues, m'ont mise dans une nécessité indispensable d'avoir recours à votre justice. J'ose me flatter, mon cher frère, que, m'étant adressée directement à vous, vous ne le prendrez pas en mauvaise part, et que cette démarche ne diminuera point les bontés que vous<423> m'avez toujours témoignées. Soyez persuadé, mon cher frère, que plutôt je renoncerai à tout que de perdre votre amitié, rien au inonde ne pouvant m'être plus cher. Je me flatte, mon cher frère, que vous serez persuadé de ces sentiments et de rattachement inviolable avec lequel je ne cesserai d'être toute ma vie, etc.

9. DE LA MÊME.

(1747.)

.... Je viens, dans le moment, de recevoir par M. de Rudenskjöld la lettre de change que vous avez eu la bonté, mon cher frère, de me payer en rabat des trente mille écus. Je joins mes très-humbles remercîments, et j'attendrai votre résolution, mon cher frère, pour le reste,1_423-a espérant que vous voudrez bien vous en souvenir dans l'occasion.1_423-b

<424>

10. A LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE.

Potsdam, 7 juin 1747.



Ma très-chère sœur,

Le capitaine Schechta1_424-a sera lui-même le porteur de cette lettre et des ratifications. Quant à cet officier, le Prince royal est le maître de le garder à Stockholm tant qu'il pourra le trouver utile à ses intérêts, et, dût-il vouloir l'avoir tout à fait, je me ferais un plaisir de le lui céder. Vous n'avez qu'à me mander, ma chère sœur, ce que vous trouvez convenable pour vos intérêts, et ce sera ma loi. Enfin, voilà ce traité1_424-b si utile et si raisonnable une fois conclu; selon toutes les règles du bon sens, il doit être avantageux à l'une et à l'autre nation, et s'il y a quelque chose de capable de nous donner de la considération, c'est que nous nous sommes fortifiés mutuellement. On dit que l'envie en grince les dents de rage, mais que, voyant ses efforts impuissants, elle fera succéder la douceur à ses emportements. Cela fera ravaler peut-être la légèreté de certaines ostentations, l'inconsidération des propos et l'oubli des égards les plus ordinaires, et qui sont assujettis aux civilités les plus communes. Daignez, ma très-chère sœur, me continuer votre précieuse amitié, et ne jamais douter de la tendresse des sentiments ni de l'estime avec laquelle je suis.



Ma très-chère sœur,

Votre très-fidèle frère et serviteur, Federic.

<425>

11. DE LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE.

Friedrichshof, 23 juin 1747.



Mon très-cher frère,

J'ai eu la satisfaction, à l'arrivée du major Schechta, de recevoir la lettre du monde la plus gracieuse de votre part. Je sens, comme je le dois, tout le prix de vos bontés, et j'espère que vous serez persuadé, mon cher frère, qu'il n'y a point de bornes à ma reconnaissance. Le Prince royal m'ordonne de vous assurer des mêmes sentiments, et combien il a été sensible à l'obligeante attention que vous avez eue de renvoyer M. Schechta. Je suis chargée de vous assurer, mon cher frère, qu'il n'en abusera pas, et que, à la conclusion de la diète, il le renverra où son devoir l'appelle. Ce serait le récompenser très-mal que de le priver de l'avantage de servir un aussi grand prince, qui fait le bonheur et les délices de ses sujets. Tout va assez tranquillement ici, quoique le monstre du Nord veuille encore faire semblant de vouloir jeter un nouveau venin; mais on ne le craint guère. La diète continuera encore deux mois, ou trois au plus tard. Les procès des criminels en sont pour la plus grande partie cause. Blackwell a été jugé à perdre la tête; pour l'autre, il entraînera, à ce que je crois, de nouveaux criminels. Je me suis absentée de la ville pour quelque temps, la santé du Prince royal, qui était extrêmement incommodé de coliques, l'obligeant à prendre les eaux; je les prends aussi, pour lui tenir compagnie. On m'a défendu extrêmement d'écrire; mais je n'ai pu cependant me priver de l'avantage de me mettre à vos pieds, et de vous assurer qu'on ne saurait être avec une tendresse et un attachement plus parfait que je le suis, mon très-cher frère, etc.

<426>

12. A LA REINE DE SUÈDE.

Le 9 mars 1764.

Je suis bien aise de vous voir dans les sentiments de tranquillité auxquels je vous ai exhortée depuis vingt ans. Je vous ai toujours répété le danger et l'inutilité de votre ambition; je connaissais la nation suédoise et je savais qu'une nation libre ne se laisse pas aisément ravir la liberté, et je sentais que tous ceux qui vous donnaient là-dessus des espérances vous trompaient. Quant à ce que vous demandez sur le système politique, j'aurai de la peine de vous rien dire, car je n'en connais point aujourd'hui en Europe. Mais au reste, comme il me semble que la Suède a surtout besoin d'argent, je vous conseille de vous en tenir à la puissance1_426-a dans laquelle vous trouvez depuis si longtemps des ressources de ce genre. Tirez-en pied ou aile, car celle avec qui j'ai affaire1_426-b ne vous donnera jamais un écu.

13. A LA MÊME.

Mai 1768.

.... Vous concevez, ma chère sœur, combien il serait sensible à mon cœur et dur au vôtre de vous voir un jour réduite à venir à Berlin avec toute votre famille demander un asile, pour n'avoir pas voulu suivre les conseils que ma tendre amitié et l'intérêt le plus pur<427> pour votre repos et pour votre gloire m'ont seulement dictés dans cette réponse.

14. A LA MÊME.

Le 11 septembre 1772.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché que vous distinguiez si mal vos amis de vos ennemis. Moi qui vous parle avec franchise, et qui vous la dis dans un moment où l'illusion d'un bonheur précaire vous aveugle sur les suites de cette révolution,1_427-a vous croyez que c'est mauvaise volonté de ma part. Non, ma chère sœur; si votre bonheur était solide, je serais le premier à vous en féliciter, mais les choses en sont bien éloignées. Je vous envoie ici la copie de l'article de notre garantie, tel qu'il a été signé à Pétersbourg, et j'y ajoute même que si je ne puis trouver des expédients pour calmer les esprits, je remplirai mes traités, parce que ce sont des engagements de nation à nation, et où la personne n'entre pour rien. Voilà ce qui me met de mauvaise humeur, de voir que, par l'action la plus téméraire et la plus étourdie, vos fils me forcent de m'armer contre eux. Ne pensez pas que mon ambition soit tentée par ce petit bout de la Poméranie, qui certainement ne pourrait exciter au plus que1_427-b la cupidité d'un cadet de famille; mais le bien de cet État exige nécessairement que je demeure lié avec la Russie, et je serais justement blâmé par la postérité, si mon penchant personnel l'emportait sur le bien du peuple auquel je<428> dois tous mes soins. Je vous dis, ma chère sœur, les choses telles qu'elles sont, et je ne pronostique que des infortunes; car si cela en vient à une guerre, comme je l'appréhende beaucoup, qui vous répondra qu'une partie de votre armée suédoise ne passera pas du côté des Russes? et qui vous garantira que cette nation, dégradée comme elle l'est, ne leur livre pas son roi? Enfin il y a cent malheurs de ce genre à prévoir, qui me font frémir pour vous, tandis que je ne vois aucune puissance en état de vous assister et de vous secourir.

Veuille le ciel que je me trompe, et que vous soyez heureuse! Soyez persuadée que personne ne s'en réjouira plus cordialement que moi, qui serai jusqu'au dernier soupir, avec autant de considération que de tendresse, etc.

TROISIÈME ARTICLE SECRET DU TRAITÉ ENTRE LA PRUSSE ET LA RUSSIE, CONCLU A SAINT-PETERSBOURG LE 12 OCTOBRE 1769.1_428-a

Les hautes parties contractantes s'étant déjà concertées par un des articles secrets du traité de l'alliance, signé le 31 de mars de l'année 1764, sur la nécessité de maintenir la forme du gouvernement confirmée par le serment des quatre états du royaume de Suède, et de s'opposer au rétablissement de la souveraineté, S. M. le roi de Prusse et S. M. l'Impératrice confirment de la manière la plus solennelle par le présent article tous les engagements qu'elles ont contractés alors, et s'engagent de nouveau à donner à leurs ministres résidents à Stockholm les instructions les plus expresses pour que, agissant en confidence et d'un commun accord entre eux, ils travaillent de concert à prévenir tout ce qui pourrait altérer la susdite constitution dans des mesures contraires à la tranquillité du Nord. Si toutefois la coopération de ces ministres ne suffisait pas pour atteindre le but désiré, et que, malgré tous les efforts des deux parties contractantes, il arrivât que l'empire de Russie fût attaqué par la Suède, ou qu'une faction dominante dans ce royaume bouleversât la forme du gouvernement de 1720 dans les articles fondamentaux, en accordant au Roi le pouvoir illimité de faire des lois, de déclarer la<429> guerre, de lever des impôts, de convoquer les états et de nommer aux charges sans le concours du sénat, Leurs Majestés sont convenues que l'un et l'autre de ces deux cas, savoir, celui d'une agression de la part de la Suède, et celui du renversement total de la présente forme du gouvernement, seront regardés comme le casus foederis; et S. M. le roi de Prusse s'engage, dans les deux cas susmentionnés, et lorsqu'elle en sera requise par S. M. l'Impératrice, à faire une diversion dans la Poméranie suédoise, en faisant entrer un corps convenable de ses troupes dans ce duché. Ce présent article secret aura la même force et vigueur que s'il était inséré mot pour mot dans le traité principal d'alliance défensive signé aujourd'hui, et sera ratifié en même temps.

En foi de quoi il en a été fait deux exemplaires semblables, que nous, les ministres plénipotentiaires de S. M. l'impératrice de toutes les Russies, autorisés pour cet effet, avons signés et scellés du cachet de nos armes.

Fait à Saint-Pétersbourg, le 12 d'octobre 1769.

(L. S.)Victor-Frédéric, comte de Solms.

(L. S.)C. N. Panin.

(L. S.)Prince A. Galizin.

15. A LA MÊME.

Le 27 septembre 1772.



Ma très-chère sœur,

Souffrez que je vous félicite de l'heureux passage que vous venez de faire en Suède, sans avoir souffert d'incommodité de la mer; nous en avons reçu aujourd'hui l'agréable nouvelle, de sorte que je ne doute point que ma lettre ne vous retrouve à Stockholm en bonne santé. J'ai été plus heureux à Pétersbourg que je ne l'aurais pu espérer du commencement. L'impératrice de Russie a appris la révolution de Suède assez patiemment; mais ce qui m'a fourni l'occasion d'adoucir<430> les esprits, c'est la rupture du congrès de Fokschani.1_430-a Il faut donc, ma chère sœur, employer le bénéfice du temps que la fortune vous accorde à tâcher d'apaiser de plus en plus les esprits en Russie. Une fausse démarche pourrait tout perdre. Si l'Impératrice peut soupçonner le moins du monde que le roi de Suède médite de l'attaquer, tout est perdu. Ne vous fiez pas sur vos Suédois; je sais qu'on murmure dans l'obscurité, qu'il y a nombre de mécontents, et que, à la première levée de boucliers d'une puissance voisine, tous les malheurs que je vous ai prédits vous accableraient. Vous ne pouvez compter en Suède que sur ceux qui ont travaillé à la révolution; le reste sont de faux frères qui n'attendent que le moment de vous trahir. Ménagez la Russie, je vous le conseille en frère. Ménagez-la plus que jamais, car, quoi que vous disent les Fiançais, le sort du roi de Suède est actuellement entre les mains de l'impératrice de Russie, et une vengeance différée n'est pas encore éteinte. Je voudrais vous écrire sur des matières qui vous fussent plus agréables; cependant des vérités, quelque dures qu'elles soient, sont plus utiles que des flatteries déplacées, et principalement dans les conjonctures présentes. Je vous embrasse mille fois, ma chère sœur; je m'intéresserai toujours tendrement à votre personne, étant avec la plus haute considération, etc.

<431>

VI. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR AMÉLIE, ABBESSE DE QUEDLINBOURG. (24 AVRIL 1738 - 9 AOUT 1775.)[Titelblatt]

<432><433>

1. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Potsdam, 24 avril 1738.



Mon très-cher frère,

Le reproche que vous avez eu la bonté de me faire à l'égard de ma paresse aurait été plus tôt exécuté, si je n'avais craint, mon cher frère, que ce pot pourri ne vous eût incommodé. Je vois bien, mon cher frère, que votre âme, qui est si guerrière, vous a fait oublier la musique, et le tact, et la cantate que vous m'avez fait l'honneur de me promettre. Je vous assure, mon cher frère, que je me donne toutes les peines du monde pour bien savoir ce que vous m'avez appris; mais mon gosier a été si impertinent, que je n'ai pas pu chanter; sans cela, vous pouvez être persuadé, mon cher frère, que je ne ferais que toute ma vie chanter vos louanges, étant,

Mon très-cher frère,

Votre très-humble et très-soumise
sœur et servante,
Amélie.

2. DES PRINCESSES AMÉLIE ET ULRIQUE.

Le 1er mars 1743.



Mon très-cher frère,

Je ne sais si ce n'est pas trop hardi d'importuner Votre Majesté sur des affaires particulières; mais la grande confiance que nous avons,<434> ma sœur et moi, en ses bontés nous encourage à lui faire un aveu sincère sur l'état de nos petites finances, qui se trouvent fort dérangées, les revenus ayant été pendant deux ans et demi assez médiocres, ne consistant que de quatre cents écus par an, ce qui ne suffisait pas pour toutes les petites dépenses que l'ajustement des dames exige; ce qui, accompagné du jeu, quoique petit, dont nous ne nous pouvons dispenser, nous a entraînées à faire des dettes. Les miennes consistent en quinze cents écus, et celles de ma sœur dix-huit cents. Nous n'en avons pas parlé à la Reine-mère, quoique nous soyons fort persuadées qu'elle aurait tâché de nous aider; mais comme cela ne se serait point fait sans l'incommoder, et qu'elle se serait retranché de ses menus plaisirs, j'ai cru que nous ferions mieux de nous adresser à V. M., étant persuadées qu'elle nous aurait su mauvais gré si nous avions privé la Reine du moindre agrément, d'autant plus que nous vous regardons, mon cher frère, comme le père de la famille, et que nous espérons que vous aurez la grâce de nous aider. Nous n'oublierons jamais les bienfaits de V. M., et la supplions de vouloir être persuadée du parfait et tendre attachement avec lequel nous nous faisons gloire d'être toute notre vie

de Votre Majesté
les très-humbles et très-obéissantes
sœurs et servantes,
Louise-Ulrique.
Anne-Amélie.

P. S. Je supplie très-humblement V. M. de n'en point parler à la Reine-mère, puisqu'elle n'approuverait peut-être pas la démarche que nous venons de faire.1_434-a

<435>

3. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Berlin, 27 mars 1745.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais m'abstenir plus longtemps du plaisir que j'ai de vous faire ma cour. Mon devoir, mon penchant et mon inclination, tous trois de concert, n'ont pu souffrir ce silence. Il a été terrible pour moi, surtout puisque c'est la seule consolation qui me reste que d'avoir l'honneur de me mettre à vos pieds par des lettres. La santé de la Reine notre incomparable mère est parfaite; la saignée lui a fait un bien infini. Une légère indigestion de la princesse fut cause qu'elle alla dernièrement chez elle pour la voir, et comme il faisait assez beau, elle eut envie de faire un tour sous les Arbres. Tout étant prêt, la Reine voulut se mettre en carrosse; mais lorsqu'elle le vit, elle fut fort étonnée de la magnificence des harnais et du bon goût qui règne dans tout l'équipage. La Reine demanda à M. de Wülknitz d'où cela venait qu'il était si leste, et qu'elle ne l'avait point commandé de cette façon. Alors le comte et moi, nous prîmes la liberté de lui dire qu'elle n'avait qu'un fils qui pût avoir de telles attentions pour elle. A présent, mon très-cher frère, il me faudrait une éloquence bien rapide pour vous exprimer la joie que la Reine a eue; la mienne ne saurait suffire, puisqu'elle me fait souvent faux bond. J'ai eu l'honneur, ce matin, de lui remettre la lettre accompagnée du présent pour son jour de naissance. Il n'y a qu'elle au monde qui puisse trouver des expressions assez vives pour vous montrer sa tendresse, et comme vous connaissez ces sentiments qu'elle a pour vous, vous pouvez être persuadé que cela lui a fait un sensible plaisir. Je m'aperçois que j'abuse de vos bontés envers moi; ainsi je vous supplie, mon<436> très-cher frère, d'être assuré qu'il n'y a personne qui vous soit plus dévoué et plus sincèrement attaché que je le suis, etc.

4. DE LA MÊME.

Le 7 mars 1756.



Mon très-cher frère,

En considération des bontés que vous me témoignez, je ne puis vous regarder que comme un père qui s'intéresse à l'établissement et au bien-être de ses enfants. Ce nom de père que je ne puis prononcer sans ressentir tout le respect, toute l'amitié et toute la vénération qui lui est due, ce nom si cher qui revit en vous, m'encourage à la confiance. Je vais, mon cher frère, vous exposer l'état de ma situation. Vous voulez que je parle, je suis soumise à vos volontés; nommez-moi le jour, je m'empresserai à vous obéir. Mais, faut-il vous l'avouer? je n'ai pas la valeur d'un écu pour faire le voyage, et sans un dérangement total, il n'est presque pas possible que je le puisse entreprendre. Tout l'argent que j'ai reçu de l'abbaye, je l'ai employé à m'équiper, lit, coffres, livrées et autres choses nécessaires qui me manquaient. Vos soins généreux se sont étendus à m'accorder les chevaux, la cuisine, la vaisselle, le linge pour la table, et à vous charger des présents que je suis obligée de donner le jour de ma réception. J'en suis pénétrée de la plus vive reconnaissance; mais daignez encore, en père tendre et compatissant, me donner de quoi subvenir aux autres dépenses qui me restent à faire. Je n'espère qu'en vos bontés, j'y fonde tout mon espoir. J'ai reçu tant de marques de votre bienveillance, qu'il serait honteux si j'eusse le moindre doute qu'elles viendraient me manquer dans une occasion qui doit décider du reste<437> de mes jours. Non, mon cher frère, tout en moi n'est que confiance, respect, tendresse et soumission. J'ai l'honneur d'être, etc.

5. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Potsdam, dimanche 11 avril 1756.



Ma chère sœur,

Je reçois la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire de Brandebourg, et je crois comme vous, ma chère sœur, que votre contenance en carrosse a été opérée par un miracle de votre futur. Contenir un derrière pressé par des anxiétés de choux est un miracle digne du fils d'un charpentier, et je vous en félicite, quoique moins que du jour fameux, du jour admirable, du grand jour d'aujourd'hui, qui va vous unir avec la Divinité. Je tremble que votre surintendant ne compare votre entrée dans l'abbaye avec celle de votre céleste époux à Jérusalem, et qu'il n'en vienne jusqu'aux montures. J'espère que vous l'aurez stylé d'avance, et que vous lui aurez défendu toute comparaison. Si dans votre céleste gloire vous daignez vous souvenir encore de ceux que vous avez honorés de vos bontés dans ce monde, je vous supplie de jeter un regard favorable du haut de l'Empyrée sur votre fidèle vassal, qui est et sera toute sa vie,



Ma très-chère sœur,

de Votre Divinité
le très-humble serviteur, frère et vassal,
Federic.

<438>

6. A LA MÊME.

Lockwitz, 25 mars 1757.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces des notices que vous m'avez procurées de la maladie de notre chère mère par Eller.1_438-a Cela m'a beaucoup tranquillisé, et me rassure contre un malheur que j'aurais regardé comme très-grand pour moi.

Pour ce qui nous regarde, ma chère sœur, ainsi que notre situation politique et militaire, il n'y a rien de changé jusqu'au moment présent; tout est de même, à l'exception que nous sommes entrés en quartiers de cantonnement, et que l'ennemi commence aussi à s'assembler et se fortifier. Mettez-vous, je vous en conjure, au-dessus de tous les événements; pensez à la patrie, et souvenez-vous que notre premier devoir est de la défendre. Si vous apprenez qu'il arrive malheur à quelqu'un de nous autres, demandez s'il est mort en combattant, et si cela est, rendez grâce à Dieu. Il n'y a que la mort ou la victoire pour nous; il faut ou l'un, ou l'autre. Tout le monde pense ici comme cela. Quoi! vous voudriez que tout le monde sacrifiât sa vie pour l'Etat, et vous ne voudriez pas que vos frères en donnassent l'exemple! Ah! ma chère sœur, dans ce moment-ci, il n'y a rien à ménager. Ou au comble de la gloire, ou détruits. Cette campagne prochaine est comme celle de Pharsale pour les Romains, ou comme celle de Leuctres pour les Grecs, ou comme celle de Denain pour les Français, ou comme le siége de Vienne pour les Autrichiens. Ce sont des époques qui décident de tout, et qui changent la face de l'Europe. Avant leur décision, il y a un affreux hasard à courir; mais après leur dénoûment, le ciel s'éclaircit et devient serein. Voilà notre situation. Il ne faut désespérer de rien, mais prévoir<439> tout événement, et recevoir ce que le destin voudra nous départir avec un visage égal, sans orgueil des bons succès, et sans que les mauvais nous avilissent.

Adieu, ma chère sœur. Voilà une épître bien remplie de morale. Si mes dictons vous ennuient, vous n'avez qu'à ne pas lire mes lettres. Soyez toutefois persuadée de l'amitié tendre avec laquelle je suis à jamais, etc.

7. A LA PRINCESSE AMÉLIE ET A LA DUCHESSE CHARLOTTE DE BRUNSWIC.

(Camp de Prague) ce 11 (mai 1757).



Mes chères sœurs,

J'ai reçu vos lettres dans la plus violente crise, ce qui m'a empêché de vous répondre plus tôt. Je vous écris à toutes les deux, n'ayant pas le temps de faire plus d'une lettre. Nous avons à présent ébauché ici l'ouvrage; il faudra encore quelques petits coups de cognée pour l'achever. Mon frère Henri a fait des merveilles, et s'est distingué au delà de ce que je puis en dire; mes deux autres frères n'ont pas du tout été dans la bataille; ils se sont trouvés dans l'armée du maréchal Keith. Nous avons perdu le digne maréchal Schwerin et bien des braves officiers. J'ai perdu des amis que je regretterai toute ma vie; enfin, mes chères sœurs, si le bonheur nous favorise à présent, nous aurons gain de cause. Toute la généralité, et, selon le dire des déserteurs, soixante mille hommes sont enfermés à Prague; j'entreprends de les réduire à se rendre prisonniers de guerre. C'est une terrible entreprise; il faut du bonheur pour y réussir. Ma chère<440> Lottine, duchesse de Brunswic, et vous, ma chère sœur l'abbesse, je vous embrasse toutes les deux de tout mon cœur.

Voilà une lettre pour notre chère mère.1_440-a

8. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Monbijou, 16 mai 1757.



Mon très-cher frère,

Nous avons eu une forte dispute, ma sœur et moi, par rapport à la lettre que vous nous avez fait l'honneur d'écrire en commun; mais j'ai remporté la victoire. Jamais Prussien, lui ai-je dit, n'a encore rien cédé à aucun étranger, et vous prétendez que je sois la première! Non, cette lettre ne sortira pas de mes mains. Je les tenais aussi ferme qu'un oiseau qui tient sa proie, et se fût-elle mise à genoux, elle ne l'aurait pas obtenue, à moins de me l'arracher par force. Elle crut alors qu'il fallait changer de ton, et commença par vouloir m'attendrir en me parlant de son départ, qui est fixé à demain; mais je reconnus ses ruses, je demeurai inflexible, et le serai toujours en pareil cas.

Les éloges que vous accordez à mon frère Henri sont pour lui des trophées de victoire; je suis charmée qu'il se soit distingué, mais je plains mes deux autres frères de s'être trouvés dans l'armée du maréchal Keith. Campés sur la Montagne Blanche,1_440-b ils ont vu de loin toute l'action; chaque coup qu'ils entendaient devait les faire trem<441>bler; la vie de leur roi, de leur frère et, si j'ose le dire, de leur ami, était en danger sans qu'ils osassent le secourir, situation affreuse pour un chacun, mais bien plus cruelle encore pour des frères qui s'aiment. Cette journée, quelque glorieuse qu'elle ait été pour l'armée, pour la maison et pour toute la patrie, cette journée, mon cher frère, malgré tous ces avantages, vous coûte des regrets. Rien de plus grand que les termes touchants dont vous vous servez en parlant de ceux qui sont morts en combattant. Je les regretterai, dites-vous, toute ma vie; paroles qui mériteraient d'être gravées et conservées à jamais à la postérité. Qu'on soit, après cela, surpris du courage et de la valeur de vos troupes! Je suis persuadée qu'il n'y en a pas un seul qui ne souhaiterait se retrouver dans le cas de verser tout son sang pour l'amour de vous. Le siége de Prague nous cause encore bien des inquiétudes; je crains que les Autrichiens ne soient résolus de s'ensevelir dans les murs de la ville, ce qui coûtera encore bien du monde; cependant j'espère qu'ils ne pousseront pas les choses à l'extrémité, et qu'ils se rendront docilement comme prisonniers de guerre. On dit qu'il y a tout un nid de princes qui s'y est retiré avec les fuyards. Si les triomphes étaient encore en usage! Mais cette cérémonie ne vous plairait pas; vous vous contentez de triompher sur les cœurs de vos sujets et de vos peuples, et ce triomphe sera éternel pour vous.

J'ai l'honneur d'être avec le plus tendre attachement, etc.

<442>

9. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Camp de Prague, 24 mai 1757.



Ma très-chère sœur,

Je n'ai encore que de bonnes nouvelles à vous donner. Un partisan de mes troupes1_442-a après avoir pris le magasin de Pilsen, est marché dans le Haut-Palatinat, ce qui a donné une telle peur à l'électeur de Bavière, qu'il m'a envoyé ici un colonel pour me déclarer qu'il renonce à tous les engagements qu'il a pris avec mes ennemis, et qu'il observera la plus exacte neutralité. Le prince de Bevern a pris trois magasins à Léopold Daun : celui de Nimbourg, de Kolin, et de Suchdol. Cette nuit, les Autrichiens ont fait une sortie sur le maréchal Keith; ils ont été pour le moins seize mille hommes. Mes frères les ont repoussés. L'ennemi y a perdu au delà de mille hommes; nous, très-peu de chose. Mon frère Ferdinand y a eu un cheval de tué et une égratignure à la joue; mais cela ne l'empêche pas d'être sur pied. Cachez cette dernière circonstance à la Reine. Voilà, ma chère sœur, où nous en sommes. Mon attirail infernal n'arrivera ici que dans trois jours, et nous ne pourrons commencer à donner la foudroyante musique que vers le 27.

Je vous embrasse de tout mon cœur, et vous recommande cette lettre pour la Reine notre chère mère. Adieu.

<443>

10. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Le 2 juin 1757.



Mon très-cher frère,

Je me trouve encore de nouveau dans la triste situation d'augmenter vos inquiétudes. La faiblesse de la Reine va toujours en empirant; elle a tous les soirs une petite fièvre; la nuit passée, elle a eu des transports au cerveau, et n'a pas discontinué de parler jusqu'au matin. J'ai déjà eu l'honneur de vous mander l'enflure de ses jambes; le corps commence aussi à se grossir, et même beaucoup, ce qui fait craindre l'hydropisie. Ses forces diminuent, pour ainsi dire, à vue d'œil, et tout l'état de sa santé menace ruine. Nous ne pouvons plus nous flatter, mon cher frère, de la conserver. Préparez-vous, de grâce, à ce coup affreux; il viendra plus tôt qu'on ne le pense; c'est un malheur inévitable, et qui s'avance à grands pas. J'ai tâché de me faire illusion, et cela, pendant longtemps; mais à présent j'ai perdu toute espérance, et tous ceux qui la voient et qui l'entourent sont dans le même cas. Je suis au désespoir, mon cher frère, de vous écrire une pareille nouvelle; j'en ai le cœur serré, mais j'y suis forcée. Daignez me continuer l'honneur de votre souvenir, c'est la seule consolation qui me reste, et soyez persuadé de l'attachement et du respect le plus soumis avec lequel je ne cesserai d'être, mon très-cher frère, etc.

<444>

11. DE LA MÊME.

Mardi, 28 juin 1757.



Mon très-cher frère,

Je suis au désespoir de vous écrire que nous n'avons plus de mère. La Reine vient d'expirer. Hier au soir, se sentant au plus faible, elle m'ordonna de vous remercier de toute l'amitié que vous lui aviez témoignée; qu'elle mourrait reconnaissante, et qu'elle emporterait sa tendresse pour vous jusqu'au tombeau. Elle me dit encore qu'elle espérait que vous lui conserveriez cette amitié jusqu'après sa mort, en prenant soin de sa cour et de ses domestiques; qu'elle mourrait avec cette confiance que vous ne les abandonneriez point.1_444-a Je fus obligée de lui promettre que je vous l'écrirais sur-le-champ. Il m'est impossible de vous en dire davantage; saisie et altérée comme je le suis, il m'est presque impossible de tenir la plume. J'écrirai demain toutes les circonstances, et me recommande à l'honneur de votre gracieuse protection, mon très-cher frère, etc.

12. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Leitmeritz, 1er juillet 1757.



Ma chère sœur,

Tous les malheurs m'accablent à la fois. O ma chère mère! ô bon Dieu, je n'aurai plus la consolation de vous voir! O Dieu, ô Dieu, quelle fatalité pour moi! Je suis plus mort que vif. J'ai reçu une<445> lettre de la reine régnante, qui me marque tout cela. Peut-être le ciel a-t-il retiré notre chère mère pour qu'elle ne vît pas les malheurs de notre maison. Ma chère sœur, je suis incapable de vous en dire davantage.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

13. A LA MÊME.

Rötha, à deux milles de Leipzig, 6 septembre 1757.



Ma chère sœur,

Vous devriez sans doute être étonnée de me voir faire le métier de chevalier errant, si vous ne saviez pas les raisons et les malheurs qui m'y obligent. J'ai voulu attaquer l'armée autrichienne à Zittau; mais l'impossibilité en était si visible, que, sans vouloir exposer l'armée à une boucherie inutile, je ne pouvais pas l'entreprendre. De là je suis venu errer ici, où je trouve une armée en front, et un corps de trois mille Français à Halberstadt. Après de mûres réflexions, j'ai pris le parti de marcher à l'armée d'Erfurt, sûr que, après les avoir vaincus, je chasserais bientôt Fischer1_445-a et son parti du pays de Halberstadt. Voilà, ma chère sœur, où nous en sommes. Je vous prie, ne faites pas tant de vœux pour mon existence. Les morts ne sont pas tant à plaindre que les malheureux. Je marche demain, et je crois de me trouver le 12 ou le 13 en présence de mes nouveaux ennemis. Soyez persuadée que je n'épargnerai rien pour vaincre ou mourir. Voilà tout ce que je puis vous dire, vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma chère sœur, etc.<446> Je vous envoie une élégie que j'ai faite dans le tumulte de nos camps, adressée à ma sœur de Baireuth.1_446-a

14. A LA MÊME.

Erfurt, 27 septembre 1757.



Ma chère sœur,

Nos affaires en sont encore sur le pied que je vous l'ai écrit dernièrement. Je fais comme ces gens accablés de mouches, qui les chassent de leur visage; mais quand l'une s'envole de la joue, une autre vient se mettre sur le nez, et à peine s'en est-on défait, qu'une nouvelle volée se place sur le front, sur les yeux, et partout. Enfin cet ouvrage durera, je crois, jusqu'à ce que le grand froid engourdisse cet essaim insupportable. Souvent je voudrais m'enivrer pour noyer le chagrin; mais comme je ne saurais boire, rien ne me dissipe que de faire des vers, et tant que la distraction dure, je ne sens pas mes malheurs. Cela m'a renouvelé le goût pour la poésie, et quelque mauvais que soient mes vers, ils me rendent, dans ma triste situation, le plus grand service. J'en ai fait pour vous, ma chère sœur, et je vous les envoie, pour que vous voyiez que la tristesse même ne m'empêche pas d'avoir l'esprit rempli de votre souvenir.

Vous souffrez donc aussi de nos cruelles guerres,
Et le Français fougueux, insolent et pillard,

<447>

Conduit par un obscur César,
A, dit-on, ravagé vos terres;
Tandis que sans raison, guidé par le hasard.
Un ennemi cent fois plus dur et plus barbare,
Par la flamme et le fer signalant ses exploits,
Par le Cosaque et le Tartare,
A réduit la Prusse aux abois.
Mais écartons de la mémoire
Des sources de douleur qu'on ne peut épuiser;
Nous rappeler toujours notre funeste histoire
Serait aigrir des maux que l'on doit apaiser.
Moi, dont les blessures ouvertes
Saignent encor de tant de pertes,
Et proche des bords du tombeau,
Pourrais-je en rimes enfilées
Peindre, d'un languissant pinceau,
Dans l'ennui, dans le deuil tant d'heures écoulées,
Et de nos pertes signalées
Renouveler l'affreux tableau?
Lorsque de l'occident amenant les ténèbres,
Etendant sur l'azur des cieux
Les crêpes épaissis de ses voiles funèbres,
La nuit vient cacher à nos yeux
De l'astre des saisons le globe radieux,
Philomèle au fond d'un bocage
Ne fait plus retentir de son tendre ramage
Les échos des forêts alors silencieux;
Elle attend le moment que la brillante aurore,
Versant le nectar de ses pleurs,
Avec l'aube nous fasse éclore
Le jour, les plaisirs et les fleurs.
Ma sœur, en suivant son exemple,
Muet dans ma douleur, sensible à mes revers,
Laissant pendre mon luth, laissant dormir les vers,
J'attends que la Fortune, à la fin, de son temple
Me rende les sentiers ouverts.
Mais si je vois que la cruelle
D'un caprice obstiné me demeure infidèle,

<448>

Du fond de ses tombeaux et des urnes des morts
Je n'entraînerai point la plaintive élégie
Dont l'artifice et la magie
Nous endort sur les sombres bords.
Ah! plutôt sur le ton de la vive allégresse
J'aimerais à monter mon luth,
Suivre des Ris la douce ivresse,
Aux Plaisirs payer mon tribut.
Qui se trouve au milieu des fleurs à peine écloses,
L'air plein de leurs parfums, et l'œil de leurs attraits.
Cueille l'œillet, les lis, les jasmins et les roses.
En se détournant des cyprès.
Tandis que ces riants objets
A moi se présentent en foule,
Emporté d'un rapide cours,
Le temps s'enfuit, l'heure s'écoule.
Et m'approche déjà de la fin de mes jours.
Pourrai-je encor sur le Parnasse.
Me traînant sur les pas d'Horace,
Monter, en étalant mes cheveux blanchissants.
Quand neuf lustres complets dont me chargent les ans
Me montrent la frivole audace
D'efforts désormais impuissants?
Les Muses, on le sait, choisissent leurs amants
Dans l'âge de la bagatelle;
Hélas! j'ai passé ce bon temps.
Si pourtant, m'honorant d'une faveur nouvelle,
Calliope daignait, en réchauffant mes sens,
M'inspirer par bonté des sons encor touchants,
Rempli des feux de l'immortelle,
Croyant mes beaux jours renaissants.
Je chanterais vos agréments,
Votre amitié tendre et fidèle,
Vos grâces, vos divers talents;
Par les accords de l'harmonie,
De l'émule de Polymnie
Je pourrais attirer les regards indulgents.
Trop promptement, hélas! de cet aimable songe

<449>

Se dissipe l'illusion;
Déjà le réveil me replonge
Dans la sombre réflexion.
Qu'importe qu'une muse folle
M'égare par sa légèreté?
Heureux quand l'erreur nous console
Des ennuis de la vérité!1_449-a

Je suis avec une parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

15. A LA MÊME.

Buttelstedt, 6 octobre 1757.

Hélas! ma chère sœur, le charme des vers ne me fait illusion que pendant un moment; la vérité me replonge bientôt dans l'accablement. Ce qui me désole, c'est que je ne puis rien faire. Quand j'avance, l'ennemi fuit; lorsque je me retire, il me suit, mais toujours hors de ma portée. Si je pars d'ici, et que j'aille chercher ce superbe Richelieu aux environs de Halberstadt, il fera la même chose, et ces ennemis-ci, à présent tranquilles comme la statue de pierre, s'animeront bientôt, et me recogneront aux environs de Magdebourg. Si je me tourne du côté de la Lusace, alors ils me prennent mes magasins de Leipzig et de Torgau, et vont droit à Berlin. Enfin, ma chère sœur, je suis au désespoir. Je ne vous expose pas la centième partie de mes peines; mais certainement, lorsque Didon se brûla, elle ne fut pas plus malheureuse, dans Virgile et dans la Fable, que je le suis réellement.

<450>

Hélas! croyez-vous que les Grâces
Favorisent les malheureux?
Les fleurs qui croissent sur leurs trace
Naissent au doux éclat des astres lumineux.
Ces Grâces, ainsi que les Muses,
Et le peuple, et les courtisans,
Ont mêmes maximes infuses;
Ils se détournent tous des grands,
Sitôt qu'une main importune
Leur arrache de la fortune
Les bienfaits pleins de faux brillants.

Mon cœur souffre d'affreux supplices;
Toujours entre des précipices
Où je suis près de m'abîmer,
Au lieu que du Parnasse une flamme céleste
Descende encor pour m'animer,
Hélas! chère sœur, il me reste,
Dans l'horreur de ce temps funeste,
Mes seules larmes pour rimer.

Nous en sommes à présent aux épreuves de la constance; les expériences ne pourront plus être longues, car cela doit finir dans peu, d'une ou d'autre manière. Enfin, ma chère sœur, je crains de vous ennuyer par une suite d'images fâcheuses que je ne saurais m'empêcher de vous présenter, si je continuais d'écrire; j'abandonne plutôt la plume, et je me resserre dans les assurances de la tendresse parfaite et constante avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<451>

16. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Oranienbourg. 12 juin 1758. à 31/2 heures du matin.



Mon très-cher frère,

d'en est fait, mon frère ne vit plus; la mort, l'affreuse mort vient de nous l'enlever. Un catarrhe suffocatif l'a arraché de ce monde. Je le pleure comme un frère, je le regrette comme un ami. La mort a été des plus douloureuses. Je ne l'ai pas quitté jusqu'au dernier moment. C'est tout ce que je puis vous dire dans un moment aussi cruel et sensible. J'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

17. DE LA MÊME.

Berlin, 27 juin 1758.



Mon très-cher frère,

Il paraît que rien n'intéresse autant que de savoir les dernières circonstances de la vie d'une personne que l'on a tendrement aimée, et de laquelle on pleure amèrement la perte. C'est pourquoi, mon cher frère, j'ai déjà eu l'honneur de vous prévenir dans une de mes lettres sur les détails que vous me demandez. Mais pour vous témoigner mon obéissance, je vous le redirai encore. Vingt-trois heures de souffrances ont mis mon frère au tombeau. Il a conservé toute sa présence d'esprit; il n'a perdu le sentiment qu'environ une demi-heure avant sa mort. Au plus fort de ses angoisses, prêt à suffoquer<452> à chaque instant, il ne fit pas la moindre plainte; son âme était tranquille au milieu de ses douleurs; résigné à la volonté de l'Être suprême, il invoquait ce Dieu qui seul pouvait le secourir. Le ministre, ayant fait la prière, lui fit plusieurs demandes auxquelles, ne pouvant déjà plus parler, il répondit par des signes et par des râlements affreux qui démontraient le contentement intérieur qu'il ressentait des consolations qu'il venait d'entendre. Enfin, ce frère à la place duquel j'aurais souhaité de mourir expira. Séparation cruelle! J'y fus présente, je le vis, et je l'ai perdu pour toujours. Peu avant de retomber malade, il avait ordonné qu'il voulait être ouvert, ce qui s'est fait le lendemain; les médecins1_452-a m'ont donné par écrit les raisons qu'ils supposent être la cause de sa mort. C'est le papier que j'ai l'honneur de vous envoyer. Je compte partir demain pour Schwedt, voir ma sœur, pleurer mes malheurs, et supplier le ciel d'arrêter sa colère. Oui, nous l'invoquons tous pour la conservation de vos jours; vivez, soyez heureux, mon cher frère, ne vous abandonnez pas trop à votre affliction, songez à votre santé, et. soyez persuadé du tendre attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

<453>

18. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Hermsdorf, près de Polkwitz, 14 août 1758.



Ma très-chère sœur,

Je viens de recevoir votre belle lettre du 11 et celle du 12. J'avoue que je n'ai pas été dans un petit embarras pour vous. Quoi! un morceau aussi friand, disais-je, est-il fait pour des Kalmouks? Je vous demande pardon, mais je suis bien aise de vous savoir à Neustadt. Je ne sais, ma chère sœur, si les prophètes de Schwedt valent mieux que ceux de Berlin; mais ce qu'il y a de certain, c'est que, vers le 20, je serai à portée de me montrer aux oursomanes,1_453-a résolu de vaincre ou de périr.1_453-b Je ne crains certainement pas cette racaille, mais les rivières et marais derrière lesquels ils se peuvent cacher. Je ne sais à quoi aboutira ma marche; mais si nous pouvons joindre les barbares, vous pouvez compter que personne ne les épargnera, et certainement tout le monde pense sur ce sujet comme moi.

J'en viens à présent à votre seconde lettre, ma chère sœur, et j'ose vous dire que, en philosophie, je n'ai pas l'honneur de penser comme vous. Je sais fort bien supporter un chagrin personnel, mais je succombe aux calamités publiques, et l'esprit des grands hommes n'est pas le mien. S'ils sont faits pour supporter les revers, et que la Providence prenne plaisir à les charger, cela ne me regarde pas. Le bon Dieu, selon vous, joue le rôle d'un habile muletier, qui donne le fardeau le plus pesant à porter au plus grand âne. Soit donc âne de la Providence qui voudra; pour moi, je ne demande que l'honneur d'être sa bourrique. Je vous jure que j'en ai tout mon soûl, et que s'il dépendait de moi de me confiner dans une retraite ignorée du monde, je m'y rendrais aujourd'hui. Pardonnez, chère sœur, si je ne vous<454> en dis pas davantage; je suis comme une femme grosse qui approche de son terme; je sens les premières douleurs de l'enfantement, et je suis obligé de préparer tout pour des couches heureuses. Je vous embrasse de tout mon cœur, et vous prie de vous souvenir, mort ou vif, d'un frère qui vous aime.

P. S. Dans ce moment, on m'écrit de l'armée que le pauvre Ferdinand a pris une fièvre chaude.

19. A LA MÊME.

Schönberg (Schönfeld), 19 (septembre 1758).



Ma très-chère sœur,

Pardon si je me moque un peu de vos prophètes; en vérité, c'est ce que l'on peut faire de mieux. Voici bien des choses qu'ils n'ont pas prévues, et qui cependant sont très-vraies. Les Turcs vont se déclarer; ils feront sûrement la guerre à la Reine et à la Russie. Les derniers se retirent de la Nouvelle-Marche, et Daun n'entreprendra rien, car les nouvelles de Constantinople opèrent déjà. Cette campagne finira ici doucement, et la prise de Pirna en fera la clôture.

Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.1_454-a

Quand les Suédois seront partis, je vous supplierai de me donner des nouvelles du café; en revanche, je vous envoie de mauvais vers pour vous amuser un moment. Je commence à me tranquilliser; ce n'est pas encore un repos bien assuré, mais je suis dans la situation<455> de la mer après une forte tempête : les vagues sont encore émues, quoique les grands mouvements se soient calmés. J'ai trouvé mon frère Henri très-bien; je n'ai parlé d'aucune matière fâcheuse. Vous me comprenez. La plaie est trop nouvelle pour qu'on n'en réveille pas la douleur en y touchant.1_455-a Nous avons battu ici un certain Loudon, au nez de Fabius Maximus, qui, pour bien mériter ce titre, l'a laissé battre sans s'en embarrasser.1_455-b Voilà, direz-vous, un bel exploit! Que voulez-vous, ma chère sœur? c'est la farce après la tragédie. Je ne puis vous parler que d'événements. L'on s'en occupe toute la journée, et les choses qui frappent les sens y laissent plus d'impression que les réflexions. Je crains de ne vous avoir déjà que trop ennuyée. Daignez me le pardonner, et que l'amitié que vous me témoignez vous fasse supporter mon radotage en faveur des sentiments et de la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

20. A LA MÊME.

Glogau, 3 novembre (1759).



Ma chère sœur,

Je me suis fait traîner ici pour reprendre quelque peu de forces.1_455-c La fièvre m'a abandonné, et je compte de me mettre le 7 en marche pour la Saxe. Ne craignez rien, ma chère sœur, pour ma personne. L'amour de la patrie et le zèle pour ses intérêts me feront tout soutenir. Je crois que la paix se fera cet hiver; il y a toute apparence, et ce sera un grand bien. J'espère, après tout ce que mon frère a fait,<456> que la paix sera bonne, et je lâcherai d'y contribuer de mon mieux. Vos prophètes soufflent le froid et le chaud; ils se tirent d'embarras par des estrapades, comme le font tous les imposteurs. Les barbares sont en Pologne, et Loudon me donne encore quelque occupation. Je lui oppose Fouqué, qui m'en tiendra compte. Enfin, après l'état désespéré où ont été nos affaires, nous revenons sur l'eau, et, malgré toute l'Europe liguée, nous nous retrouverons précisément dans l'état où nous avons été l'hiver passé; c'était tout ce que nous pouvions espérer. Ma faiblesse m'empêche de vous en dire davantage. J'ai encore peine à écrire, et il faut, malgré moi, me borner à vous assurer de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma chère sœur, etc.

21. A LA MÊME.

Strehlen, 3 mai (1761).



Ma chère sœur,

Votre lettre m'a servi de julep pour me fortifier contre les périls qui m'environnent. Je suis fâché de vous savoir la fièvre. Je me flatte que ce ne sera qu'une atteinte légère d'un mal passager, qui affermira votre santé. Demain nous passons l'Elbe et marchons pour Görlitz, où nous serons le 8, pour être le 13 vis-à-vis de Loudon, dans la Silésie. Veuille le ciel que notre âme exaltée ait découvert les événements futurs! Veuille le ciel que cette paix tant désirée arrive, quand ce ne serait qu'au beau milieu de l'été! Peut-être, ce mois, recevrai-je encore de vos nouvelles. Si les Russes s'en mêlent, notre correspondance sera interceptée dès le commencement de juillet. Dieu nous soit propice! J'ai pris congé de mon frère Henri; il<457> fait au delà de ce qu'il peut. Je puis dire que je l'aime véritablement, et que je lui sais gré de sa bonne volonté. Je me repose sur lui. Il a de l'esprit et de la capacité, deux choses bien rares à trouver, et très-recherchées dans les temps présents. Adieu, mon ange; pardonnez-moi si je ne vous écris pas mieux; mais je suis fatigué, et j'ai une grande besogne par devers moi. Recevez avec bonté les assurances de la tendresse avec laquelle je suis, ma chère sœur, etc.

22. A LA MÊME.

(Berlin, 19 décembre 1764.)



Ma chère sœur,

Voici une petite rosée pour une plante aride qui a toujours soif;1_457-a mais vous devez vous souvenir que votre divin époux fit plus de cas du sou de la veuve que des présents que d'autres offrirent avec ostentation. Je me flatte donc que vous vous contenterez de l'intention, de la bonne volonté du cœur qui vous est dévoué, et que vous accepterez bénévolement le sou de la veuve. Vous assurant, ma chère sœur, que je suis avec toute la tendresse imaginable, etc.

<458>

23. A LA MÊME.

(Berlin, 6 janvier 1765.)



Ma chère sœur,

J'accepte vos offres avec toute la reconnaissance possible. Je viens chez vous pour vous-même; vous prierez qui vous voudrez, et si vous voulez que je choisisse un jour, puisque cela vous est égal, vous voudrez bien que ce soit mardi. Vous assurant, ma chère sœur, de la tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.

24. A LA MÊME.

(Berlin, 19 janvier 1765.)



Ma chère sœur,

Un qualité de votre maître d'hôtel, je prends la liberté de vous envoyer votre billet de cuisine pour ce soir, afin de savoir si vous en êtes contente. Le dessert et le vin, tout est également arrangé selon vos ordres. Je me recommande à vos bonnes grâces jusqu'à ce soir, que j'aurai l'honneur de vous faire ma cour.1_458-a

<459>

25. A LA MÊME.

(Berlin) ce 24 (janvier 1765).



Ma chère sœur,

Je vous rends mille grâces de la part que vous prenez à l'existence de mon individu. Je souhaiterais qu'il pût vous être de quelque utilité; mais un vieux frère qui prélude sur le radotage ne doit pas s'en flatter. Il m'arrive, ma chère sœur, la même chose qu'à votre vieil attelage. Il vous traînait autrefois; à présent il mange dans votre écurie du foin que votre compassion lui donne. Je viendrai demain au soir, si vous le permettez, vous remercier de votre gracieux souvenir, d'où j'irai chez mon frère Ferdinand, où je suis invité, boire à votre santé. Vous assurant de toute la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

26. A LA MÊME.

(Berlin, 31 décembre 1765.)

Aujourd'hui, l'almanach l'enseigne,
Le beau sexe établit son règne
Par l'empire des agréments.
Nul mortel ne s'en formalise,
Car vous régnez depuis longtemps
Et sur mon cœur, et dans l'Église.1_459-a

<460>

27. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Berlin, 24 juin 1768.



Mon très-cher frère,

A peine de retour de votre voyage, vous daignez, mon cher frère, vous souvenir de moi en m'envoyant une caisse de fruits admirables. Agréez, je vous en supplie, mes très-humbles remercîments. Je fais mille vœux, mon cher frère, pour que les eaux minérales vous fassent tout le bien que vous en attendez. La joie de vous faire ma cour et de vous trouver bien portant, ce sera pour moi le comble du bonheur. Soyez-en convaincu, mon cher frère, ces sentiments partent d'un cœur qui vous est attaché jusqu'au trépas, et qui se fait gloire de vous être entièrement dévoué.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, mon très-cher frère, etc.

28. DE LA MÊME.

Berlin, 16 juin 1769.



Mon très-cher frère,

Je viens de recevoir encore, mon cher frère, des marques de vos bontés et de votre gracieux souvenir, par un envoi de fruits admirables pour lesquels j'ai l'honneur de vous faire mes très-humbles<461> remercîments. J'ai entendu ces jours passés une opérette allemande; cela vous paraîtra nouveau, mon cher frère, mais la musique en est très-jolie, très-expressive et bien ouvragée. Les acteurs l'ont fort bien exécutée, avec tout autant d'action que les Français, et point dans le bas comique, lequel est d'ordinaire le cheval de bataille des Allemands. L'orchestre joue avec beaucoup de précision; ils ont quelques violons, appartenant à la troupe, qui ne sont pas mauvais. Enfin le tout ensemble faisait un spectacle assez amusant. Cependant je crois qu'il y faut aller rarement, pour ne pas s'émousser le goût.

Je crois, mon cher frère, que vous prenez actuellement les eaux; je fais mille vœux pour que cette cure vous fasse du bien, et qu'elle contribue à prolonger vos jours et vos années. Tout cela se peut, mon cher frère, si vous daignez vous ménager. Pardonnez-moi un excès de zèle en faveur de l'attachement le plus sincère et le plus tendre avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

29. DE LA MÊME.

Sans-Souci, 26 juillet 1769.



Mon très-cher frère,

D'où me viennent tant de bontés? Je sens, mon cher frère, que je ne les ai pas méritées. L'honneur, le plaisir et la joie de vous faire ma cour me suffisent pour me rendre heureuse et contente; je le suis de toute façon, mon cher frère, et le serai toujours, tant que je serai avec vous. Ce n'est pas, mon cher frère, que je ne ressente avec la plus vive reconnaissance le prix de votre générosité; tant de bienfaits ont lieu de me surprendre; mais, quels que soient les dons que<462> vous me fassiez, soyez convaincu, mon cher frère, que mon cœur n'est uniquement attaché qu'à votre personne, et que, tant que je vivrai, ma principale étude sera toujours celle de vous plaire. Souffrez que je vous le répète encore, et que je vous fasse mes très-humbles remercîments pour les six mille écus desquels vous avez daigné me gratifier. Oui, mon cher frère, rien n'égale ma reconnaissance, mon respect, ma tendresse et ma soumission.

J'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

30. DE LA MÊME.

Berlin, 1er août 1769.



Mon très-cher frère,

Daignez agréer mes très-humbles remercîments pour toutes les grâces et toutes les bontés dont vous m'avez honorée pendant le séjour heureux où j'ai eu le bonheur de vous faire ma cour. Je ne sens pour le présent, mon cher frère, qu'un mélange de regrets, de reconnaissance et de sensibilité, un souvenir charmant et agréable d un temps qui s'est envolé comme un éclair. Je me rappelle et me rappellerai, mon cher frère, ces moments avec délices; ils feront journellement mon occupation. Vous plaire et vous témoigner mon attachement a toujours fait mon étude particulière, et tant que je vivrai, je travaillerai, mon cher frère, à vous convaincre que mon cœur vous est tendrement dévoué et respectueusement soumis.

J'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

<463>

31. DE LA MÊME.

(Berlin) 29 septembre 1774.



Mon très-cher frère,

Je vous supplie, mon cher frère, d'agréer mes très-humbles remercîments pour les fruits délicieux que vous avez eu la grâce de m'envoyer. Je crains que le froid précoce fera beaucoup de tort au vin, ce qui causerait un grand dommage. Le schisme qui a régné ici durant plusieurs années entre les partisans de Muzell et de Meckel vient de cesser par la mort du dernier. Toutes les vieilles femmes en ont pleuré à chaudes larmes; elles en ont été imbues comme s'il eût fait des miracles. C'est ainsi que le préjugé, quelque peine que l'on se donne pour le déraciner, renaît toujours dans l'occasion. Je suis charmée, mon cher frère, quand je pense que vous goûtez à présent quelque repos, et que vous avez plus de loisir à vous distraire avec vos amis les livres, car le temps n'est guère propre à la promenade. En un mot, mon cher frère, je voudrais que vous jouissiez de tous les agréments de la vie en tout et partout, sans exception; c'est avec ce sentiment que j'ai l'honneur d'être avec un tendre et respectueux attachement, mon très-cher frère, etc.

32. DE LA MÊME.

Le 15 avril 1775.



Mon très-cher frère,

Vous avez bien de la bonté, mon cher frère, de prendre tant d'intérêt à ma santé; elle est toute rétablie, mais le médecin et le temps ne<464> veulent pas que je sorte. Je ne me rappelle pas que nous ayons eu un printemps si malfaisant et si désagréable depuis bien des années; mais il n'y a rien à faire, il faut le prendre comme il vient. J'ai fait ici, après bien des recherches, une découverte magnifique d'ancienne musique qui date du quinzième siècle;1_464-a c'est tout ce que l'on peut voir de plus savant, de plus touchant, de plus correct et de mieux exprimé. Je fais mes délices avec ces vieux bouquins à moitié usés par le temps. Mes heures s'écoulent dans les douceurs d'une harmonie céleste. Vous vous moquerez, mon cher frère, de mon enthousiasme; mais la musique a fait de tout temps ma passion. J'implore votre indulgence, mon cher frère, vous suppliant très-humblement d'être persuadé du respect et du tendre et soumis attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

33. DE LA MÊME.

Le 9 août 1775.



Mon très-cher frère,

Je prends bien de la part, mon cher frère, au chagrin que vous avez de la mort tragique de la belle Thisbé.1_464-b L'attachement et la<465> fidélité qui faisaient son caractère feraient rougir bien des gens, si on pouvait lire au fond de leur cœur. Insinuante sans fausseté et dissimulation, assidue à ses devoirs sans intérêt ni ostentation, toujours occupée de vous plaire. ....1_465-a elle se fera regretter de tous ceux qui l'ont connue. Daignez, mon cher frère, agréer mes très-humbles remercîments pour les fruits, et soyez convaincu du tendre et respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.


1_10-a Celle du mariage de Frédéric. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 106 et suivantes, et Elisabeth Christine, par M. de Hahnke, p. 21. Voyez aussi notre t. XXVI, p. 11.

1_100-a Cette lettre est la dernière que la Margrave ait écrite avec ces formes cérémonieuses.

1_101-a Cette date a été mise par un secrétaire. La lettre est du reste en entier de la main de Frédéric, comme toutes celles que nous avons données jusqu'ici.

1_102-a Voyez t. XIV, p. XIII, art. XXXV, et p. 181-187; t. XXVI, p. 17.

1_102-b Le 17, le 18 et le 19 août. La Margrave parle de cette visite dans ses Mémoires, t. II, p. 298 et 299; mais la relation qu'elle en donne dans cet ouvrage ne s'accorde pas avec sa correspondance.

1_106-a La princesse Frédérique, fille de la Margrave et l'unique fruit de son mariage, était née le 30 août 1732. Voyez ci-dessus, p. 7-9, numéros 5 et 6.

1_106-b Voyez t. II, p. 60, et les Mémoires, t. II, p. 302.

1_106-c La Margrave était alors en route pour Berlin, où elle arriva le 17 octobre. Voyez ses Mémoires, t. II, p. 299 et suivantes. Quant à M. de Münchow, voyez notre t. XXV, p. 530.

1_107-a Frédéric, arrivé à Berlin le 15 octobre, en repartit le 19 pour Rheinsberg, où la Margrave le suivit, le 29, avec sa famille. Voyez les Mémoires de cette princesse, t. II, p. 300 et suivantes.

1_108-a Voyez ci-dessus, p. 60.

1_109-a Mémoires, t. II, p. 304.

1_11-a Voyez, t. XVI, p. XII et XIII, art. XII, et p. 208, 209 et 210; t. XXVI, p. 63. Voyez aussi les Mémoires de la Margrave, t. I, p. 327, et t. II, p. 90, 91, 102 et 103, et la traduction de cet ouvrage, intitulée : Denkwürdigkeiten aus dem Leben der Markgräfin von Baireuth (t. I), p. 195.

1_110-a Selon les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, la Margrave repartit pour Baireuth le 5 janvier 1741, et non le 12, comme elle le dit dans ses Mémoires, t. II, p. 305.

1_110-b Voyez t. II, p. 66.

1_112-a Auguste-Frédéric de Boden, ministre d'État. Voyez, quant au mauvais état des finances du Margrave, les Mémoires de sa femme, t. II, p. 302 et 303, et, ci-dessus, p. 103, la lettre de cette princesse au Roi, du 21 août 1740.

1_113-a Le 9 mars. Voyez t. II, p. 76 et 77, et t. XVII, p. 101 et 102.

1_113-b Le mot soldats manque dans l'autographe.

1_113-c La victoire de Mollwitz fut remportée le 10. Voyez t. II, p. 81 et suivantes.

1_114-a La Margrave parle dans ses Mémoires, t. II, p. 306, d'une autre lettre que l'Impératrice douairière lui avait écrite au mois de mars.

1_115-a La duchesse Charlotte de Brunswic, troisième sœur de Frédéric, nommée Lotte et Lottine par ses parents de Berlin. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 127 et 107. La Duchesse arriva à Berlin le 22 novembre, avec sa famille.

1_116-a Cette lettre est, de toutes celles que nous connaissons, la première qui ait été écrite par un secrétaire et simplement signée par Frédéric.

1_117-a 13 décembre.

1_117-b La princesse Anne-Charlotte-Sophie, veuve, depuis le 25 juillet 1741, de Guillaume-Henri, dernier duc de Saxe-Eisenach. Elle était fille du margrave Albert de Brandebourg, et par conséquent petite-fille du Grand Electeur.

1_118-a Les noces avaient eu lieu le 6 janvier.

1_119-a De la main du Roi.

1_12-a Mademoiselle de Sonsfeld, gouvernante de la Margrave depuis 1721, et appelée dès lors madame de Sonsfeld dans les Mémoires de cette princesse, t. I, p. 64, 66, 67 et suivantes. Voyez notre t. XVIII, p. 266 et 267. En 1731, elle fut nommée abbesse de Wolmirstedt, et suivit la Margrave à Baireuth.

1_120-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 309 et suivantes.

1_121-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 317 et suivantes, et p. 322-324. Quant à ce que cette princesse y dit, page 323, de « plusieurs lettres très-piquantes » que Frédéric lui aurait écrites au sujet du traité du Margrave avec l'Empereur, nous faisons observer que cette lettre (no 117) et le no 121 sont, de toutes les pièces que nous avons trouvées aux Archives, les seules où il soit parlé de ce traité.

1_122-a C'était alors le 5e régiment de dragons. Voyez t. III, p. 129.

1_123-a Brandenbourger, maison de plaisance située dans le faubourg Saint-George, à Baireuth. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 30, 189, 226, 245, 250; et, ci-dessous, la lettre de Frédéric, du 11 février 1753.

1_123-b La Margrave dit dans ses Mémoires, t. II, p. 324 et 325, en parlant de cette visite : « La duchesse de Würtemberg arriva dans ce temps. L'accord avait été réglé à Berlin pour le mariage de nos enfants. Cette alliance m'obligea malgré moi de me lier avec cette princesse. Je dis malgré moi, car cette femme était si décriée, qu'on n'en parlait que comme d'une Laïs. La Duchesse a du jargon et un esprit tourné à la bagatelle, qui amuse quelque temps, mais qui ennuie à la longue; elle se livre presque toujours à une gaîté immodérée; sa principale étude étant celle de plaire, tous ses soins ne tendent qu'à ce but; agaceries, façons enfantines, coups d'œil, enfin tout ce qui s'appelle coquetterie est mis en usage pour cet effet, etc. » Voyez notre t. XVII, p. 197.

1_125-a Mémoires de la Margrave, t. II, p. 326.

1_125-b Voyez t. XIX, p. 1 et suivantes.

1_130-a Le 20 février 1743, le comte Czernichew, envoyé de Russie à Berlin, remit au Roi, à Charlottenbourg, les insignes de l'ordre de Saint-André et la chaîne de l'ordre de Saint-Alexandre; et le 12 mars suivant, le baron de Mardefeld, envoyé de Prusse à Saint-Pétersbourg, présenta à l'impératrice Elisabeth les insignes de l'ordre de l'Aigle noir.

1_130-b Voyez t. III, p. 16, 17 et 21.

1_131-a Voyez t. XXII, p. 244.

1_132-a Voyez t. XVII, p. 180.

1_133-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 322.

1_134-a Voyez t. III, p. 27 et 34, où Frédéric expose les motifs du voyage qu'il fit à Baireuth et à Ansbach au mois de septembre 1743. Voyez aussi t. XXV, p. 578.

1_135-a Le mot jamais est omis dans l'autographe.

1_135-b Voyez t. XXII, p. 163.

1_137-a Voyez ci-dessus, p. 64.

1_138-a Lani. Voyez t. XIX, p. 32 et 33, et t. XXV, p. 581, 583 et 611.

1_138-b Voyez t. XXV, p. 581 et 582.

1_138-c Voyez t. III, p. 90.

1_139-a Voyez t. IX, p. I et II, art. I, et p. 1-8.

1_14-a Frédéric-Guillaume Ier avait commencé le 23 octobre 1733 à préparer l'acquisition de la terre de Rheinsberg, pour laquelle il fit présent à son fils de cinquante mille écus le 20 mars 1754. Voyez (C.-G. Hennert) Beschreibung des Lustschlosses und Gartens zu Rheinsberg, Berlin. 1778, p. 6. Dans une lettre du 2 novembre 1733, Frédéric remercie son père de l'achat de cette propriété.

1_14-b Voyez t. XVI, p. 88 et 93; t. XXV, p. 525 et 532.

1_140-a Voyez t. III, p. 27 et 28; t. IX, p. I et II, art. I, et p. 1-8. Voyez aussi les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 322 et suivantes.

1_140-b Voyez t. XX, p. 86.

1_142-a Voyez t. II, p. 93, et t. III, p. 87.

1_142-b Mémoires de la Margrave, t. II, p. 4, 227 et 228.

1_143-a Mademoiselle Caroline de Marwitz avait épousé le comte de Schönbourg, grand écuyer de la Margrave. Voyez les Mémoires, t. II, p. 228.

1_143-b Voyez t. XXVI, p. 216, no 52.

1_143-c De la main d'un secrétaire.

1_144-a La Margrave dit dans ses Mémoires, t. II, p. 4, année 1732 : « Le Roi m'accorda cette faveur (la permission d'emmener mademoiselle de Marwitz à Baireuth), à condition que je lui engageasse ma parole d'honneur de ne point marier cette fille hors de ses États; en quoi je le satisfis. »

1_145-a La Margrave parle dans ses Mémoires, t. II, p. 322-324, du traité conclu par son mari avec l'Empereur en 1742, et mentionné ci-dessus, p. 121 et 125; ensuite elle ajoute : « Depuis ce moment, la guerre fut déclarée. » Cette assertion est d'autant plus douteuse, que le traité fut immédiatement rompu par le Margrave, et que la mésintelligence n'apparaît dans la correspondance de Frédéric avec sa sœur qu'à partir du mariage clandestin du comte de Burghauss avec mademoiselle de Marwitz, la même qui avait causé tant de chagrins à la princesse Wilhelmine par ses amours avec le Margrave. En ce qui concerne le comte de Burghauss et sa première inclination pour mademoiselle de Marwitz, en 1735, voyez les Mémoires, t. II, p. 227 et 228. Les vraies causes de la brouillerie qui divisa la Margrave et le Roi sont nettement exposées dans la lettre de celui-ci à sa sœur, du 16 avril 1746, notre no 169, lettre qui fut écrite à l'époque de la réconciliation.

1_146-a De la main d'un secrétaire.

1_147-a Frédéric partit le 20 mai pour Pyrmont.

1_147-b Celle de l'Ost-Frise. Voyez t. IV, p. 5.

1_149-a Voyez t. III, p. 45.

1_150-a Voyez t. III, p. 69 et suivantes.

1_151-a De la main d'un secrétaire.

1_152-a De la main d'un secrétaire.

1_153-a Dans une lettre inédite, de la main d'un secrétaire, du camp de Rohnstock, 5 juin 1745, Frédéric avait fait à sa sœur une courte relation de la victoire de Hohenfriedeberg.

1_156-a Voyez t. III, p. 35 et suivantes.

1_16-a Les fiançailles de la princesse Sophie avec le margrave Frédéric de Schwedt furent célébrées à Potsdam, le 16 avril 1734; les noces eurent lieu le 10 novembre suivant. Quant au margrave Frédéric, voyez t. V, p. 73, et t. XXVI, p. 636.

1_160-a Mémoires, t. II, p. 313.

1_161-a Les deux demoiselles de Marwitz, dont l'aînée avait épousé le comte de Burghauss, et la cadette, Caroline, le comte de Schonbourg.

1_161-b Voyez t. III, p. 165-169.

1_162-a La Margrave suivit un tout autre principe. Dans le tome II de ses Mémoires, p. 276 et 277, elle reproduit avec complaisance le portrait fort peu avantageux que Superville lui avait tracé de Frédéric en 1738, et, p. 298, 299, 301, 302 et 303, elle s'exprime avec beaucoup d'aigreur sur le compte de son frère, à qui elle avait pourtant les plus grandes obligations dans ces mêmes années 1738, 1739 et 1740, où elle le critiquait si amèrement. Voyez ci-dessus, p. 73.

1_164-a Voyez t. XXVI, p. VI et 104.

1_165-a Voyez t. X, p. 195.

1_165-b Frédéric écrit à la Margrave dans une lettre inédite du 1er juillet : « La Reine a été à Charlottenbourg; le feu a pris aux chambres des domestiques, et nous avons été obligés de quitter ce lieu pour faire réparer la maison. »

1_167-a George-Frédéric Schmidt. Voyez t. XIX, p. 20.

1_167-b Voyez t. X, p. 193.

1_168-a Probablement la fabrique de velours de J.-E. Gotzkowski. Voyez Geschichte eines patriotischen Kaufmanns, p. 10 et suivantes, et notre t. IV, p. 4.

1_17-a Voyez t. VII, p. 37 et suivantes.

1_170-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 260.

1_173-a C'était une copie d'après van Dyck, faite par la Margrave elle-même.

1_173-b Voyez t. XI, p. 187, et t. XXII, p. 180, 187 et 190.

1_173-c Voyez ci-dessus, p. 138.

1_174-a Ces mots semblent être une réminiscence de l'Épître de Clément Marot au Roi, pour avoir été dérobé, vers 12 :

Au demeurant, le meilleur fils du monde.

1_174-b Voyez t. I, p. XLI; t. XXII, p. 186; t. XXIII, p. 403; et t. XXVI, p. 110.

1_175-a Voyez t. IX, p. 7.

1_176-a Odes, liv. II, ode 14, V. 1 et suivants.

1_177-a Voyez t. IX, p. 140 et 141.

1_178-a Ou plutôt le pélican.

1_179-a Voyez t. XVIII, p. 1, et p. 64, no 41.

1_179-b Satire contre Voltaire, intitulée : La Naissance de Clinquant et de sa fille Mérope, conte allégorique et critique (par Godard d'Aucourt). Paris, 1744, in-12.

1_179-c Le baron Reinhard van Reede de Ginkel, général hollandais, envoyé des Etats généraux à la cour de Berlin, mourut dans cette ville le 23 avril 1747, à l'âge de soixante-dix ans.

1_18-a Voyez, sur cette entrevue, les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 184-187.

1_180-a Elle est écrite sur une feuille de papier à lettre grand in-8, dont les quatre pages sont bordées d'une guirlande de petites fleurs bleues.

1_181-a Mademoiselle de Tettau. Voyez t. XVII, p. 240 et 271; t. XVIII, p. 170.

1_182-a Frédéric avait inauguré ce palais le 1er mai 1747, et il en a fait la description dans son Épître à d'Argens, t. XI, p. 49-55. Voyez aussi t. X, p. v et VI; t. XXII, p. 226; t. XXVI, p. 80 et 635.

1_183-a La Margrave surprit son frère en arrivant à Potsdam le 15 août.

1_185-a La Margrave y avait passé en retournant de Berlin à Baireuth. Voyez t. XXVI, p. 114, no 19.

1_187-a Chien favori de la Margrave, qui aimait beaucoup ces animaux, comme la Reine sa mère et comme Frédéric lui-même. Voyez les Mémoires, t. I, p. 91, et t. II, p. 243.

1_187-b Voyez t. XXVI, p. 371.

1_189-a Voyez t. XX, p. 31, et t. XXIV, p. 154.

1_19-a Voyez, sur la campagne de 1734, t. I, p. 192. Frédéric arriva le 7 juillet au camp du prince Eugène, à Wiesenthal.

1_190-a Christine-Louise, veuve depuis 1735 du duc Louis-Rodolphe de Brunswic-Blankenbourg, était née le 20 mars 1671, et mourut le 12 novembre 1747.

1_192-a Voyez t. XIX, p. 18 et suivantes.

1_192-b Voyez t. I. p. XXXV et suivantes. Frédéric écrivit à sa sœur, le 8 janvier 1748 : « Je vous rends mille grâces des étiquettes de vos archives que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Après les avoir bien examinées, je n'en ai trouvé aucune qui indiquât quelque pièce où il se trouvât les anecdotes que je désirais. » Il lui écrivit encore, le 14 février de la même année : « J'aurai l'honneur de vous envoyer notre volume de l'Académie, de l'année 1747, où vous verrez un essai sur l'histoire de Brandebourg jusqu'à Frédéric-Guillaume. Les autres pièces suivront successivement dans les volumes de 1748 et 1749. »

1_193-a Voyez t. XXIV, p. 491.

1_193-b La Princesse de Prusse accoucha, le 30, du prince Henri, qui mourut le 26 mai 1767. Voyez t. VII, p. 43-56.

1_199-a Voyez H. L. Manger's Baugeschichte von Potsdam, p. 87. Le plafond peint par Amédée Vanloo représentait Apollon avec les neuf Muses; la figure de Terpsichore était le portrait de la Barberina. Voyez L. Schneider, Geschichte der Oper und des Königlichen Opernhauses in Berlin. Berlin, 1852, in-8, p. 124 et 125.

1_20-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 139 et suivantes, 182 et suivantes, 190 et suivantes.

1_201-a Voyez t. XIII, p. 34; t. XIX, p. 38; t. XX, p. 137; et t. XXV, p. 611.

1_202-a Voyez ci-dessus, p. 187.

1_202-b Frédéric parle de cette chienne dans une lettre inédite au prince Guillaume, de l'année 1752 : « Nadasdy m'a pris, le 30 septembre 1745, ma levrette anglaise qui s'appelle Biche, que mon laquais Claus conduisait. »

1_203-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 243.

1_208-a Les eaux d'Éger. Voyez t. XXVI, p. 119.

1_209-a Voyez t. I, p. XIV, et ci-dessus, p. 57

1_209-b Vingt mille écus.

1_21-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 194, et (David Fassmann) Leben und Thaten des Königs Friderici Wilhelmi, t. I, p. 512 et suivantes.

1_210-a Voyez t. XVIII, p. 71, et ci-dessus, p. 127.

1_212-a Ifigenia in Aulide, opéra de Graun, paroles de Villati, d'après Racine.

1_212-b Voltaire assistait avec Maupertuis à la toilette du Roi, lorsque ce prince leur fît remarquer qu'il avait des cheveux blancs. Le poëte fit alors l'impromptu suivant, qu'il adressa à Maupertuis :

Ami, vois-tu ces cheveux blancs
Sur une tête que j'adore?
Ils ressemblent à ses talents :
Ils sont venus avant le temps,
Et comme eux ils croîtront encore.

Œuvres de Voltaire

, édit. Beuchot, t. XIV, p. 412, no CCI.

1_216-a Voyez t. XVII, p. IV et V, art. IV, et p. 333-345.

1_217-a Voyez, t. IX, p. 37, la fin de la Dissertation sur les raisons d'établir ou d'abroger les lois, du 1er décembre 1749.

1_218-a Frédéric-Guillaume, duc de Holstein-Beck, né le 18 juin 1687, mort à Königsberg le 11 novembre 1749. Voyez t. II, p. 78, 79, 86 et 87, et t. XXV, p. 576. Voyez aussi les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 6.

1_22-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 193 et 194.

1_221-a La Margrave arriva à Potsdam le 8 août, avec son mari.

1_222-a Frédéric partit de Berlin le 1er septembre pour faire sa tournée militaire à Cüstrin, Glogau, Breslau, Brieg, Neisse, Glatz, Schweidnitz et Liegnitz. Il était de retour le 21.

1_225-a Voyez t. XXII, p. 298.

1_225-b Voyez ci-dessus, p. 11.

1_225-c Le procès de Voltaire avec le juif Hirschel a été imprimé dans les Annalen der Gesetzgebung und Rechtsgelehrsamkeit in den Preussischen Staaten, publiées par E.-F. Klein, t. V, p. 215 à 276. Voyez, à ce sujet, la correspondance de Frédéric avec le célèbre poëte, t. XXII de notre édition, p. 294 et suiv., et la lettre de la margrave de Baireuth à Voltaire, du 18 février 1751, Œuvres de ce dernier, édit. Beuchot, t. LV, p. 565. Ce procès suivit immédiatement la querelle que Voltaire eut avec d'Arnaud, et qui fut le principe de l'aigreur dont on trouve tant de traces dans sa correspondance avec le Roi.

1_226-a Voyez t. IV, p. 1-3, et t. IX, p. 33 et 34.

1_226-b Mithridate, musique de Graun, paroles de Villati, d'après Racine.

1_226-c Cette demoiselle, dame d'atour de la Reine-mère depuis 1746, et fille du général-major Wolf-Adolphe de Pannwitz, mort le 30 avril 1750, était depuis longtemps l'objet d'attentions particulières de la part du prince Guillaume. (Voyez l'ouvrage de M. de Hahnke, Elisabeth Christine, p. 105.) Née à Berlin le 11 mars 1729, elle épousa, le 18 mars 1751, le conseiller intime de justice Jean-Ernest de Voss, ancien envoyé extraordinaire de Prusse à la cour de Dresde. Devenue veuve le 26 mai 1793, elle fut nommée, la même année, grande gouvernante de la Princesse royale (la reine Louise). La comtesse de Voss mourut à Berlin le 31 décembre 1814.

1_228-a II Samuel, chap. V, v. 11.

1_229-a M. de Superville. Voyez ci-dessus, p. 64.

1_230-a Voyez t. VII, p. 26-32.

1_230-b La réponse de la Margrave à cette lettre est datée du 17 janvier 1752.

1_231-a Frédéric aimait beaucoup les chiens. Voyez, au sujet de la mort de sa levrette Alcmène, sa lettre au prince Henri, du 9 octobre 1763, t. XXVI, p. 330; voyez aussi les Vers de la levrette Diane à la Princesse de Prusse, du 30 novembre 1767, t. XIII, p. 17.

1_231-b Voyez t. XXV, p. 48 et 49.

1_232-a La querelle de Voltaire avec Maupertuis avait commencé au mois de mars 1751. Voyez t. XV, p. 61 et suiv.; t. XVII, p. VIII et IX, art. VII, et p. 371 et suiv.; t. XXII, p. 344 et suiv.

1_232-b La réponse de la Margrave à cette lettre est datée du 6 janvier 1752.

1_232-c Léopold-Maximilien, prince régnant d'Anhalt-Dessau, nommé maréchal sur le champ de bataille de Chotusitz, était né le 25 décembre 1700, et mourut le 11 décembre 1751. Voyez ci-dessus, p. 28.

1_232-d Voyez t. XXII, p. 324; t. XXV, p. XIV, XV, et p. 567-618. Le général comte de Rottembourg mourut le 29 décembre, entre huit et neuf heures du matin.

1_234-a Voyez t. X, p. 226; t. XIX, p. 49, 75 et 267; t. XXV, p. 62.

1_237-a Christophe-Louis baron de Seckendorff, neveu du feld-maréchal comte de Seckendorff, avait résidé à Berlin, pour les affaires de l'Empereur, depuis 1729 jusqu'au mois de septembre 1737, époque où il était devenu conseiller intime au service du margrave d'Ansbach. Voyez Versuch einer Lebensbeschreibung des Feldmarschalls Grafen von Seckendorff (par le baron Theresius de Seckendorff), 1794, t. III, p. 77 et suivantes, 159, 160, 210 et 211. Le baron Christophe-Louis est l'auteur du Journal secret que nous avons souvent cité.

1_237-b Le tome Ier des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Voyez notre t. X, p. 1 et suivantes.

1_239-a Ces anciens pactes de famille, renouvelés le 24 juin 1752. sont connus sous le titre de Pactum Fridericianum. Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte. t. I, p. 406.

1_240-a Voyez t. VI, p. 245 et 250, no 9 et 10; t. XIV, p. 116-120; t. XXVI, p. XVI et 181.

1_242-a Sylla, traduit en italien par Tagliazucchi. Voyez t. XIV, p. XIX, article LIV, et p. 411 à 442.

1_242-b Mort le 19 octobre. L'Éloge de Stille, par Frédéric, se trouve dans notre t. VII, p. 33 à 36. Voyez aussi t. X, p. 93, 145-155; et t. XXVI, p. 170.

1_245-a Voyez I Rois, chap. IV, v. 33, et notre t. XVI, p. 164.

1_250-a Voyez t. XXVI, p. 125.

1_251-a Le temple de Jérusalem, brûlé par Nabuchodonosor (II Rois, chap. XXV, v. 9), fut rebâti par Zorobabel (Esdras, chap. III et suivants), et tellement embelli par Hérode le Grand, que les Juifs disaient : Qui templum Herodianum non vidit, nunquam vidit aedificium eximium.

1_252-a Voyez ci-dessus, p. 123.

1_252-b Le marquis de Montperni, chambellan de la margrave de Baireuth.

1_253-a Voyez t. VI, p. 244 et 245, nos 2 et 5.

1_254-a Evangile selon saint Marc, chap. XII, v. 41-43.

1_255-a Selon les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, du 7 avril 1753, Frédéric fit présent à liasse, maître de chapelle saxon, d'une superbe bague en brillants, et au signor Monticelli, premier chanteur de la chapelle de Dresde, d'une précieuse tabatière d'or. Voyez, quant à Hasse, t. III, p. 192; t. XVIII, p. 35, 40 et 41; t. XXIV, p. 324; et, quant à Monticelli, les Lettres familières et autres de M. le baron de Bielfeld, t. I, p. 127 et 128.

1_256-a Le 26 mars. Voyez t. XXII, p. 352, no 328.

1_257-a La correspondance du Roi avec Voltaire met dans tout son jour l'affaire dont il s'agit ici. Voyez t. XXII, p. 292-357.

1_26-a Mademoiselle Flore de Sonsfeld, sœur cadette de la gouvernante. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 148 et suivantes, et p. 210.

1_26-b Frédéric, arrivé à Baireuth le 5 octobre, en était reparti le 9. L. c., p. 200-203.

1_260-a Frédéric avait été à Ansbach le 17 septembre 1743. Voyez ci-dessus, p. 134 et suivantes.

1_263-a Le prince héréditaire d'Ansbach.

1_264-a Le duc de Würtemberg.

1_264-b Le prince Frédéric de Würtemberg épousa, le 29 novembre 1753, la princesse Frédérique-Dorothée-Sophie de Brandebourg-Schwedt. Voyez t. IV, p. 131, et t. VI, p. 251, nos 21 et 22.

1_264-c Second frère du duc de Würtemberg.

1_265-a Voyez t. XXII, p. 354-357.

1_266-a Voyez t. XXII, p. 355 et 356, no 330.

1_267-a Selon les journaux de Berlin, la Margrave arriva à Potsdam le jeudi 4 octobre 1753.

1_269-a Madame de Grapendorf mourut à Schwedt, pendant un séjour qu'elle y faisait pour assister au mariage du prince Frédéric de Würtemberg.

1_27-a Mademoiselle de Grumbkow, dame d'atour de la Margrave, et nièce du feld-maréchal du même nom, que Frédéric appelle souvent cher Cassubien dans les lettres qu'il lui a adressées à partir de l'année 1733. Voyez t. XVI, p. 92 et suivantes. Quant à mademoiselle de Grumbkow, voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 52 et 53, 250 et 251.

1_27-b Ces deux mots, que nous croyons être un jurement hongrois, se trouvent également en tête d'une lettre en allemand adressée par Frédéric à M. de Groben le 17 août 1734.

1_27-c Madame de Sonsfeld.

1_271-a Voyez t. XIV, p. 197, et t. XVIII, p. 106.

1_273-a Les Annales de l'Empire. Voyez notre t. XXIII, p. 3 et 4.

1_273-b L'abbé de Prades. Voyez t. XIX, p. 42, 51 et 55; t. XXIII, p. 50.

1_273-c L'opéra de Montézuma. Voyez t. XVIII, p. 102 et suivantes.

1_278-a Voyez ci-dessus, p. 43.

1_278-b Peut-être Frey-Chapelle. Voyez t. XX, p. 41.

1_28-a Frédéric avait déjà passé par Dessau en entrant en campagne. Il avait écrit à son ami le jeune prince Léopold d'Anhalt-Dessau, Berlin, 17 mai 1734 : « Ich werde gegen den 8. oder 9. künftigen Monats bei Ihnen sein, und mein Wort halten, und dem lieben Polten den Champagner aussaufen. Bis dahin
Friderich
. »

1_28-b C'est sous ce titre de la princesse que Frédéric fait quelquefois mention de sa femme dans les lettres qu'il a écrites à la margrave de Baireuth avant d'être roi. Voyez t. XXVI, p. 98.

1_280-a Voyez t. XX, p. 31 et 32, no 5.

1_280-b Voyez t. XII, p. t.114; t. XIII, p. 194; et t. XXV, p. 50.

1_281-a La princesse Wilhelmine avait écrit à Frédéric, le 13 septembre : « Le jeune Plotho, que le Margrave avait envoyé au camp de Prague, est de retour depuis deux jours; il est occupé à former une relation exacte de tout ce qu'il a vu et de l'état des troupes, que j'aurai l'honneur de vous envoyer avec le plan des manœuvres .... »

1_282-a Le prince Frédéric de Würtemberg, frère du duc régnant. Voyez ci-dessus, p. 264.

1_284-a A Colmar. Peu après, Voltaire rencontra de nouveau la Margrave à Lyon. Voyez t. XX, p. 62, et t. XXIII, p. 6, no 333.

1_284-b Voyez t. XXIII, p. 435 et suivantes.

1_284-c L'Avare, par Molière, acte IV, scène VII.

1_285-a Voyez t. III, p. 58 et suivantes.

1_286-a Voyez t. XXVI, p. 360 et 361.

1_288-a Satire X, vers 521 et suivants.

1_29-a Voyez le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 10 et 11.

1_29-b Mémoires de la Margrave, t. II, p. 207.

1_291-a La femme du prince Frédéric. Voyez ci-dessus, p. 264.

1_293-a Voyez (J.-H.-F. Ulrich) Ueber den Religionszustand in den preussischen Staaten seit der Regierung Friedrichs des Grossen, Leipzig, 1780, t. V, p. 258-260.

1_293-b Ou plutôt protestante.

1_294-a Voyez t. IV, p. 34; t. IX, p. 175; t. XIV, p. 253; t. XV, p. 20; et t. XXIII, p. 181.

1_295-a La Margrave avait écrit à Frédéric, le 28 février : « Je joins ici la copie d'une lettre de M. Camillo Padorni, apothicaire du roi de Naples, écrite à un de mes cavaliers. Vous y verrez, mon cher frère, un détail de la bibliothèque d'Herculanum et des autres antiquités qu'on a trouvées depuis un an. »

1_295-b Voyez t. XX, p. 48.

1_296-a Voyez t. XX, p. 48.

1_296-b L. c, p. 55, no 26.

1_297-a Voyez H. L. Manger's Baugeschichte von Potsdam, p. 221 et suivantes.

1_297-b Voyez ci-dessus, p. 264 et 282.

1_297-c Voyez t. IV, p. 242.

1_298-a D'après Racine.

1_299-a Voyez t. XXVI, p. 613-615, nos 2, 3 et 4.

1_299-b Dans le Roman comique de Scarron, seconde partie, chap. III, Histoire de la caverne, le page dit à son maître :

Monsieur, rentrons dedans, je crains que vous tombiez;
Vous n'êtes pas trop bien assuré sur vos pieds.

1_3-a Cette date a été mise à l'encre, par une main inconnue, au haut de cette lettre, que Frédéric a toute écrite au crayon. Quant au séjour du Prince royal à Cüstrin, voyez t. XXII, p. 279; t. XXV, p. 508; et J.-D.-E. Preuss, Friedrichs des Grossen Jugend und Thronbesteigung, p. 99-161.

1_3-b Voyez t. XXVI, p. 265.

1_30-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 207 et 208, et le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 9.

1_303-a La saquebute était un ancien instrument à vent analogue à celui que nous appelons trombone.

1_303-b Les mots du porphyre manquent dans l'autographe.

1_303-c Au lieu de j'ai, il faut probablement lire jade.

1_303-d Voyez t. XX, p. 66; t. XXIV, p. I et II; et t. XXVI, p. 357.

1_305-a Voyez t. XXIV, p. x et suivantes, article X.

1_307-a Voyez t. XVIII, p. 112, nos 95 et 96.

1_307-b Exactement copié sur l'autographe.

1_307-c Chargé d'affaires du Roi à Venise.

1_308-a Frédéric était tombé de cheval le 28 juillet. Voyez t. XXV, p. 303, et t. XXVI, p. 183 et 615.

1_309-a De Spandow.

1_310-a Voyez t. XXV, p. 195.

1_310-b Voyez ci-dessus, p. 251 et 309.

1_312-a Le Temple de l'Amour. Voyez t. XIV, p. XX, et 443-462.

1_314-a Le Palladion. Voyez t. XI, p. I-VII, et p. 177 et suivantes.

1_316-a Voyez t. XI, p. 182 et suivantes, et t. XIX, p. 397.

1_316-b Voyez ci-dessus, p. 201.

1_318-a Le colonel Bonin, mort à Baireuth le 19 novembre,

1_318-b Voyez t. X, p. 11, et t. XVIII, p. 101, no 86.

1_319-a Voyez t. XXV, p. 552.

1_319-b Le comte de Schaffgotsch. Voyez t. XIX, p. 430, et t. XXV, p. 597 et 598.

1_32-a Le mari de la princesse Wilhelmine était parvenu au gouvernement à la mort de son père, le 17 mai 1735. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 212 et suivantes.

1_32-b Le 29 juin. Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrichs des Grossen Jugend und Thronbesteigung, Berlin, 1840, p. 481-483.

1_320-a Celui du 1er novembre 1755. Voyez t. IV, p. 29 et 30.

1_321-a Voyez t. XIV, p. XX, et 465-507.

1_324-a Le passage qui finit ici rappelle les Vers qui accompagnaient une branche de laurier cueillie (le 30 mai 1755) sur le tombeau de Virgile :

Au tombeau de Virgile un immortel laurier
De l'outrage des temps seul a su se défendre,
Toujours vert et toujours entier.
Je voulais le cueillir, et n'osais l'entreprendre;
Prévenant mon effort, je l'ai vu se plier,
Et cette voix s'est fait entendre :
« Approche, auguste sœur du rival d'Alexandre;
Frédéric de ma lyre est le digne héritier;
J'y joins un nouveau don que lui seul peut prétendre.
Déjà son front par Mars fut cinq fois couronné;
Qu'aujourd'hui par ta main il soit encore orné
Du laurier qu'Apollon fit naître de ma cendre. »

Ces vers furent imprimés sans nom d'auteur dans le Mercure de France, en janvier 1756, t. II, p. 20, et réimprimés dans le même journal en septembre 1768, p. 5, comme étant de Voltaire; mais La Condamine les réclama par une lettre insérée dans le tome II, octobre 1768, p. 60-62. C'est pour cela que M. Beuchot n'a pas admis ces vers dans son édition des Œuvres de Voltaire. Voyez cette édition, t. XIV, p. 305. Quant à La Condamine, voyez t. II, p. 39, et ci-dessus, p. 305.

1_328-a La Margrave avait écrit à son frère, le 14 août : « Nous nous préparons pour aller dans trois semaines au Kaiserhammer, et nous irons passer l'hiver à Erlangen. Toutes les fatalités nous arrivent avec les bâtiments; le château a été brûlé, et celui-ci tombe. Il est si misérablement construit, qu'on tremble d'y brûler, et les murs sont si minces, qu'on ne peut y durer pendant l'hiver. »

1_33-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 224.

1_333-a Voyez t. XXVI, p. 202 et 208.

1_334-a Voyez t. IV, p. 118.

1_334-b Voyez t. XXVI, p. IV et 406.

1_336-a Voyez t. XIX, p. 177 et 178, et t. XXVI, p. 236.

1_336-b Voyez t. XIX, p. 252.

1_337-a Voyez t. XXIII, p. 16.

1_339-a L'Épître à ma sœur de Baireuth, t. XII, p. 40-47 Frédéric avait écrit à la Margrave, de Bernstadt, le 24 août 1757 : « Je prends la liberté de vous envoyer une pièce de vers que je vous adresse. Le style de l'élégie convient à ma fortune présente et aux calamités qui désoient la patrie. »

1_34-a Voyez le Cid de Corneille, acte II, scène II, et notre t. IV, p. 137.

1_341-a La Margrave fait surtout allusion aux deux derniers vers de cette Épître :

Ainsi mon seul asile et mon unique port
Se trouve, chère sœur, dans les bras de la mort.

1_341-b La Margrave écrit à Voltaire, le 19 août 1757 : « Je suis dans un état affreux, et ne survivrai pas à la destruction de ma maison et de ma famille. C'est l'unique consolation qui me reste. » Au même, le 12 septembre suivant, en parlant du Roi : « Il ne me reste qu'à suivre sa destinée, si elle est malheureuse. Je ne me suis jamais piquée d'être philosophe. J'ai fait mes efforts pour le devenir. Le peu de progrès que j'ai fait m'a appris à mépriser les grandeurs et les richesses; mais je n'ai rien trouvé dans la philosophie qui puisse guérir les plaies du cœur, que le moyen de s'affranchir de ses maux en cessant de vivre. L'état où je suis est pire que la mort. » Encore au même, le 16 octobre : « Notre situation est toujours la même; un tombeau fait notre point de vue. Quoique tout semble perdu, il nous reste des choses qu'on ne pourra nous enlever : c'est la fermeté et les sentiments du cœur. » Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LVII, p. 310, 332 et 353.

1_341-c Après la bataille du 6 mai 1757. Voyez t. IV, p. 137 et suivantes.

1_344-a Voyez t. XXVI, p. 248.

1_345-a Voyez t. XXVI, p. 185, 186, 217, 222, 227, 250, et ci-dessus, p. 337.

1_346-a Voyez t. XVIII, p. 190 et 191, no 2.

1_346-b L. c, p. 253.

1_348-a Voyez, t. XXIII, p. 12-15, la lettre de Voltaire, no 337, et, p. 15 et 16, l'Épître de Frédéric au poëte français, datée de Buttelstedt, 9 octobre. Voyez aussi t. XIV, p. x, art. XXVII, et p. 133 et 134.

1_35-a Hautbois de la chapelle du margrave Frédéric de Schwedt.

1_350-a Voyez t. XII, p. 80.

1_351-a Le Roi veut dire dangereusement blessé, schlimm blessirt, expression qu'il emploie entre autres dans sa lettre au prince Léopold d'Anhalt-Dessau, du 4 juin 1745.

1_351-b Voyez t. IV, p. 167, et t. XXVI, p. 140, 141 et 317.

1_352-a Voyez le Glorieux. par Destouches, acte III, scène VIII.

1_354-a Allusion à l'expédition que le prince Henri fit en Franconie et dans le pays de Bamberg, et dont Frédéric parle dans une lettre inédite à son frère, du 7 mai 1738, en ces termes : « Je pense d'ailleurs qu'à cette occasion vous ne ménagerez point du tout l'évêque de Bamberg avec les autres malintentionnés, et les ferez revenir à la neutralité. Quand vous aurez dispersé entièrement l'armée des cercles, ce qui, je pense, sera une expédition de huit jours de temps à peu près, et que vous aurez tiré de grosses contributions du Bamberg et des autres malintentionnés, vous saurez vous tourner d'abord vers la Bohème et marcher tout droit à Prague. » Voyez t. XXVI, p. 222.

1_357-a L'autographe de cette lettre, datée du 18 juillet, et la dernière de la main de la Margrave, est presque illisible.

1_359-a Cette lettre est de la main d'un secrétaire, excepté la date et la souscription. Frédéric en parle t. XXVI, p. 208.

1_36-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 224-226.

1_360-a Deux aides de camp de Frédéric, le comte de Schwerin (t. V, p. 177 et 178) et M. d'Oppen, furent faits prisonniers par les Russes à la bataille de Zorndorf; la relation prussienne de cette victoire les disait tués. C'est probablement du capitaine d'Oppen qu'il s'agit dans cette lettre, car le comte de Schwerin n'était devenu aide de camp du Roi qu'après la bataille de Prague. Quant au capitaine d'Oppen, il est probable qu'il mourut de ses blessures. Nos recherches sur ce brave officier sont demeurées sans résultat.

1_361-a Cette lettre est la réponse à celle de la Margrave, du 24 août, qui est perdue,

1_361-b Voyez t. XXVI, p. 213 et 214, nos 47, 48 et 49,.

1_362-a Il s'agit probablement de l'Épître à Phyllis. Faite pour l'usage d'un Suisse. Voyez t. XII, p. 95-97.

1_363-a Médecin ordinaire de la Margrave. Voyez les Mémoires, t. II, p. 286 et 287.

1_363-b Voyez t. XXVI, p. 212.

1_363-c Le corps de la lettre et le post- scriptum sont l'un et l'autre de la main d'un secrétaire et signés par la Margrave.

1_363-d Voyez t. XIII, p. 188-194.

1_364-a Voyez ci-dessus, p. 201.

1_364-b Voltaire dit dans son Micromégas : « Quand il faut rendre son corps aux éléments .... » Voyez ses Œuvres, édit. Beuchot, t. XXXIII, p. 173. Voyez aussi t. VI, p. 243, art. I, et t. X, p. 235 de notre édition.

1_365-a Cet Appendice, de l'année 1759, annoncé ci-dessus dans l'Avertissement, article 1, est tiré des Mémoires (inédits) de M. de Catt, conservés aux Archives royales du Cabinet (Caisse 397. C).

1_365-b Le roman original de. Pierre de Provence et de la belle Maguelone fut composé par Bernard de Treviez, chanoine de Maguelone, axant la fin du douzième siècle. La première édition de la traduction du provençal en français, dont l'auteur est inconnu, fut publiée à Lyon en 1457. Voyez C. Fauriel, Histoire de la poésie provençale, Paris, Duprat, 1846. t. III, p. 506 et 507.

1_370-a Voyez t. XVI, p. 44.

1_372-a Voyez ci-dessus, p. 105, 106, 107 et 108, nos 96, 97, 98 et 99.

1_374-a De la main d'un secrétaire.

1_374-b De la main du Roi.

1_375-a Voyez t. XVI, p. XII, art. XI, et p. 197-201; t. XXVI, p. 136; et ci-dessus, p. 201.

1_375-b Il s'agit ici des trente mille écus que Frédéric-Guillaume Ier avait légués à la margrave d'Ansbach, comme à chacune de ses cinq autres filles, par son testament du 1er septembre 1733. Frédéric, n'ayant ouvert ce testament qu'au mois de décembre 1741, ne pouvait payer les legs du feu roi pendant la guerre. Plus tard, il paya à ses sœurs les intérêts annuels du capital, c'est-à-dire, chaque année la somme de mille cinq cents écus, par exemple, à la margrave d'Ansbach le 10 mars 1752 et le 11 mars 1753; le 27 avril 1760, il lui paya trois mille écus pour deux ans. Voyez t. XXVI, p. 632.

1_377-a Voyez t. III, p. 164 et suivantes, et t. XXVI, p. 83-86.

1_381-a Voyez, J.-D.-E. Preuss, Friedrichs des Grossen Jugend und Thronbesteigung, p. 165 et 166; et notre t. XXVI, p XVII et 14.

1_382-a Voyez ci-dessus, p. 115.

1_383-a Voyez ci-dessus, p. 100.

1_385-a Lieutenant-général prussien. Voyez ci-dessus, p. 142.

1_386-a Le roi Charmant est le principal personnage du conte de l'Oiseau bleu, par la comtesse d'Aulnoy.

1_387-a Probablement le colonel de Hohnstedt, mentionné dans la lettre de Frédéric au duc Charles de Brunswic, du 28 novembre 1740.

1_387-b Par un ordre de Cabinet daté de Charlottenbourg, 26 juillet 1740, Frédéric avait chargé le ministre d'État de Brandt et le président de Reichenbach de faire faire, dans toutes les provinces, les prières publiques d'usage pour la grossesse de la duchesse de Brunswic-Wolfenbüttel, qui accoucha le 29 octobre du prince Frédéric-Auguste.

1_387-c La Duchesse parle de ses belles-sœurs, les sœurs de la reine Elisabeth, dont l'aînée, la princesse Louise, choisie pour être la femme du prince Guillaume, frère de Frédéric, arriva à Charlottenbourg, le 22 novembre 1741, comme fiancée de ce prince. Voyez ci-dessus, p. 116 et 118.

1_387-d Voyez t. XXII, p. 164 et 167.

1_388-a Petit poëme de l'an 1732.

1_388-b La Fontaine, Fables, liv. IV, fable 5.

1_389-a Frédéric était parti pour Loo le 1er juin 1768 (t. XXIV, p. 174), et il était de retour le 20. Dans ce voyage, il avait vu sa sœur à Brunswic et à Salzthal.

1_390-a Voyez t. XXVI, p. 27 et 61.

1_391-a La Duchesse parle de l'inconduite de sa fille, la princesse Elisabeth, femme du Prince de Prusse, et de l'arrêt de divorce prononcé le 21 avril 1769. Voyez t. VI, p. 24 et 25. Frédéric dit dans sa lettre inédite à son frère le prince Henri, du 26 mars 1760, :« .... D'ailleurs, nous faisons ici des séparations, et je suis occupé à trouver les fonds et faire les arrangements nécessaires pour l'établissement de madame Pietro. » Voyez t. XXVI, p. 45, 56 et 69, et J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. III, p. 213 et suivantes, et t. V, p. 248; voyez aussi Friedrich Ludwig Schröder. Beitrag zur Kunde des Menschen und des Künstlers, von F. L. W. Meyer. Hambourg, 1819, t. I, p. 108.

1_393-a La princesse Auguste, sœur de George III, roi d'Angleterre, et femme de Charles-Guillaume-Ferdinand, alors prince héréditaire de Brunswic, accoucha le 27 juin 1769 d'un prince qui fut nommé George-Guillaume-Chrétien.

1_394-a Voyez t. XXVI, p. 367 et 368.

1_394-b Frédérique-Charlotte-Henriette, fille de Matthieu-Conrad von der Osten, président de la chambre à Berlin, née en 1731, épousa, en 1748, François-Charles comte de Clary et Aldringen, et mourut à Vienne en 1798.

1_394-c III Rois, chap. X, v. 1 et suivants, d'après la Vulgate. La traduction de Luther, I Rois, chap. X, v. 1 et suivants, porte : Die Königin vom Reich Arabien. Voyez t. XXII, p. 8.

1_394-d Voyez t. XXV, p. XI, XII, et 431-434.

1_395-a Le prince Léopold de Brunswic, né le 10 octobre 1752, périt à Francfort-sur-l'Oder, le 27 avril 1780, lors de la grande inondation, en voulant sauver des hommes en danger.

1_4-a Cette lettre se trouve aussi dans les Mémoires de Frédérique-Sophie-Wilhelmine, margrave de Baireuth, Brunswic, 1810, t. I, p. 259 et 260. Au lieu des mots « se baiseront, » la Margrave a mis : « feront une douce harmonie, » et sous le texte la note suivante : « Mon frère avait donné ce titre à sa flûte, disant qu'il ne serait jamais véritablement amoureux que de cette princesse. Il en faisait souvent de jolis badinages qui nous faisaient rire. Pour y répondre, j'avais nommé mon luth prince, lui disant que c'était son rival. » Le texte de la lettre et de la note est tout à fait conforme, dans l'édition citée, à l'autographe des Mémoires de la Margrave, conservé à la Bibliothèque royale de Berlin.

1_401-a Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. III, p. 526 et 527, nos 1 et 2.

1_403-a Le Roi passa par Rheinsberg.

1_404-a Voyez t. V, p. 48.

1_406-a Voyez t. XXVI, p. 631, et ci-dessus, p. 375.

1_407-a Voyez t. XXVI, p. 426.

1_41-a Voyez, t. VII, p. 11-14; t. XVII, p. III et IV, art. III, et p. 297-330. Voyez aussi les Mémoires de la Margrave, t. I, p. 46, 47 et 251.

1_415-a Voyez t. XIV, p. VII et VIII, art. XIX, et p. 104 et 105.

1_415-b La marquise du Châtelet. Voyez t. XVII, p. I et II, art. I.

1_416-a II s'agit probablement ici d'un pique-nique analogue à celui qui avait eu lieu chez le prince Henri au mois d'août de la même année. Voyez t. XXVI, p. 78 et 79.

1_416-b Voyez t. III, p. 165 et 168; t. XXVI, p. 3.

1_416-c Adolphe-Frédéric, prince royal de Suède, fiancé de la princesse Ulrique.

1_417-a Voyez t. XIII, p. 130.

1_419-a Voyez t. XIV, p. VII, article XVIII.

1_42-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. I, p. 120 et 121. Quantz, Hanovrien, né en 1697, était au service de la Saxe, qu'il quitta en décembre 1741 pour entrer à celui de Frédéric.

1_420-a

Le corps, cette guenille, est-il d'une importance,
D'un prix à mériter seulement qu'on y pense?

Molière,

Les Femmes savantes

, acte II, scène VII.

1_422-a Voyez ci-dessus, p. 370, 405 et 406.

1_423-a Ce reste (seize mille sept cent quatre-vingt-sept écus treize gros) fut payé la même année.

1_423-b Cette pièce est le post-scriptum d'une lettre qui ne s'est pas retrouvée.

1_424-a Magnus de Schechta, qui était major dans le régiment de garnison de l'Hôpital, à Memel, lorsque le Roi lui accorda, le 10 août 1750, la démission qu'il avait demandée.

1_424-b Le traité d'alliance défensive entre la Prusse et la Suède fut conclu à Stockholm le 18 (29. nouv. st.) mai 1747, pour dix ans.

1_426-a La France.

1_426-b La Russie.

1_427-a Voyez t. VI, p. 53 et 54; t. XXVI, p. 409 et suivantes.

1_427-b Le mot que est omis dans l'ouvrage du baron Manderström, p. 10.

1_428-a Annexé à la lettre qui précède.

1_43-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 36, 43. 226, 227 et 202-258.

1_43-b Voyez t. XVI, p. XI, 273 et suivantes.

1_43-c Attilio Ariosti, né à Bologne, devint en 1698 maître de chapelle de l'électeur de Brandebourg, et fit représenter, en 1700, deux de ses opéras à Berlin. Il retourna en Italie en 1705.

1_43-d Voyez t. X, p. 198.

1_430-a Voyez t. VI, p. 54.

1_434-a Toute cette lettre, excepté la signature Anne-Amélie et le post-scriptum, est de la main de la princesse Ulrique.

1_438-a Voyez ci-dessus, p. 375.

1_440-a C'est probablement la lettre imprimée t. XXVI, p. 88 et 89, sous le no 15.

1_440-b Voyez t. IV, p. 130 et 136.

1_442-a Le colonel Jean de Mayr. Voyez t. IV, p. 138 et 130; t. XXVI, p. 225.

1_444-a Voyez t. XXV, p. 343, no 6, et t. XXVI, p. V-IX, et 75-89.

1_445-a Voyez t. XII, p. 48.

1_446-a Frédéric parle de son Épître à ma sœur de Baireuth, qui commence ainsi :

O doux et cher espoir du reste de mes jours!

et qui se trouve t. XII, p. 40-47. Une copie de cette Épître était jointe à celle de la lettre ci-dessus, que nous devons aux Archives de Darmstadt.

1_449-a Ces vers se trouvent déjà, avec quelques corrections de l'Auteur, t. XII, p. 48-51.

1_45-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 246-250.

1_45-b A dix ou douze milles. (Variante des Mémoires, édition de Brunswic, t. II, p. 249, et de l'autographe du même ouvrage.)

1_45-c Ce dernier point est omis dans les Mémoires.

1_45-d Possédant un trésor tel que vous. (Variante des Mémoires, t. II, p. 249.)

1_452-a MM. Meckel et Muzell. Leur rapport sur la maladie du prince Auguste-Guillaume est textuellement reproduit dans le journal allemand Aeskulap, par F.-L. Augustin. Berlin, 1803, in-8, t. I, p. 67-101.

1_453-a Voyez t. XIX, p. 163, 218, 224, 225, 253 et 257.

1_453-b Voyez t. IV, p. 228 et suivantes.

1_454-a Racine, Iphigénie, acte III, scène VII. Voyez, de plus, notre t. XXV, p. 100.

1_455-a Voyez t. XXVI, p. 199 et suivantes, et p. 203-205.

1_455-b Voyez t. IV, p. 236 et 237.

1_455-c Voyez t. V, p. 29.

1_457-a La princesse Amélie a mis de sa main au bas de cette lettre la note suivante : « Deux mille écus en argent blanc, dont il me fait présent. »

1_458-a On lit, au bas de l'autographe de ce billet, les mots suivants, de la main de la princesse Amélie : « Berlin, 19 de janvier 1765, jour de la tragédie que mes neveux de Brunswic et ma nièce représentèrent, Iphigénie, de Racine. » Voyez t. XXIV, p. 85.

1_459-a Ces vers rappellent l'invitation poétique adressée par Frédéric à sa sœur Amélie, le 31 décembre 1767. Voyez t. XIII, p. 22 et 23.
La princesse a écrit au bas de cette pièce : « Pour m'amuser je fis ce renvoi : »

« L'expérience nous l'enseigne,
Que tu écorches durant ton règne
Les sujets pour de l'argent.
Tout le public s'en formalise,
Car tu voles impunément
Tout ton peuple et mon Église. »

1_464-a La princesse parle de l'ouvrage principal de Hans-Leo Hassler (né à Nuremberg en 1564, mort à Francfort-sur-le-Main en 1612), dont un exemplaire, imprimé à Nuremberg en 1667, avait été retrouvé au collége du Cloître gris, à Berlin. Elle en fit faire, par Jean-Philippe Kirnberger, musicien de sa chapelle, une nouvelle édition, sous le titre de : Psalmen und Christliche Gesänge, mit vier Stimmen, auf die, Melodien fugenweis componirt : durch Hanns Leo Hassler, Römisch Kayserl. Majest. Hofdiener. Auf Befehl einer hohen Standesperson aufs neue ausgefertiget. Leipzig, aus Johann Gottlob Immanuel Breitkopfs Buchdruckerey, 1777, cent cinquante pages in-folio.

1_464-b Voyez ci-dessus, p. 231.

1_465-a Ces quatre points se trouvent dans l'autographe.

1_47-a Frédéric avait fait un voyage dans la province de Prusse.

1_48-a Frédéric parle des deux pièces suivantes : 1o Kurzer Abriss derjenigen Lehrsätze, welche in der Wolffischen Philosophie der natürlichen und geoffenbarten Religion nachtheilig sind, publié par ordre du Roi, par Joachim Lange; 2o Des Regierungsraths Wolffens vermuthliche Antwort auf Dr. Langens kurzen Abriss, aufgesetzt von Johann Gustav Reinbeck. Quant à Lange, voyez t. XVI, p. 343, et t. XXV, p. 507.

1_50-a Voyez t. XXV, p. 528 et 533, et le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 148 et 154.

1_50-b C'est ici que Frédéric écrit pour la première fois, dans celte correspondance, Remusberg au lieu de Rheinsberg. Dans sa lettre à sa sœur, du 7 juin 1736, il a mis Reinsberg, ainsi que dans celle du 23 septembre 1736; dans ses lettres à la même, du 28 juin, du 2, du 20, du 22 octobre et du 6 novembre 1736, il a très-distinctement écrit Remsberg; et dans celles du 29 octobre, du 4, du 21 et du 28 novembre, on trouve Remusberg, nom sous lequel il désigne ordinairement, dès lors, son séjour favori. Voyez t. XVI, p. 307 et suivantes; t. XVII, p. 302 et suivantes; et t. XXI, p. 19 et suivantes.

1_51-a Le meilleur violon de la chapelle de Rheinsberg, après Graun et Benda.

1_51-b Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 259 et 260.

1_53-a Voyez t. XXI, p. 34.

1_53-b L. c, p. 35.

1_54-a Mémoires de la Margrave, t. II, p. 158, 292 et 293.

1_56-a Cette lettre est encore signée Frederic; la première (inédite) de cette correspondance qui porte Federic est du 8 mai 1737; dans celle du 27 mai, on retrouve Frederic; mais dès lors, Federic est la signature constante. Voyez t. XVI, p. III, et t. XXVI, p. 169.

1_57-a Voyez t. XVI, p. 368.

1_59-a Voyez t. I, p. 196.

1_59-b Le capitaine de cavalerie Henri-Ernest de Natzmer, fils cadet du feld-maréchal de ce nom, faisait comme volontaire la campagne de Hongrie sous le comte de Seckendorff, lorsqu'il fut blessé à mort dans un duel qu'il eut avec le fils du général impérial Diemar.

1_59-c Madame de Sonsfeld. Voyez ci-dessus, p. 12.

1_6-a Voyez t. XXV, p. 483.

1_60-a Voyez t. XVI, p. 158.

1_60-b Anne-Elisabeth, fille aînée du général Adolphe-Frédéric comte de Schulenbourg (t. II, p. 83), née à Wolfsbourg le 16 décembre 1720, épousa, le 8 janvier 1738, Abraham-Guillaume d'Arnim, seigneur de Boytzenbourg; elle mourut le 10 novembre 1740.

1_62-a Comédie en cinq actes et en vers, par Voltaire, représentée sur le Théâtre français le 10 octobre 1736.

1_63-a Voyez t. XXI, p. 207 et 208.

1_64-a Daniel de Superville, né à Rotterdam en 1696, séjourna quelque temps à Berlin avant d'être nommé, en 1724, médecin de la colonie française de Stettin. Appelé à Baireuth, il fut créé, en 1743, curateur et chancelier de l'université qui y fut alors fondée. Il mourut à Brunswic en 1776. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. I, Avant-propos; t. II, p. 273 et suivantes; voyez aussi t. XIV, p. 178; t. XVI, p. 191; et t. XXI, p. 338 de notre édition.

1_64-b La Margrave dit dans ses Mémoires, t. II, p. 273 : « Mon frère me manda qu'il y avait un très-habile médecin à Stettin, qui avait beaucoup contribué à rétablir le Roi lorsqu'il avait eu l'hydropisie; que je devais prier ce prince de me l'envoyer. La lettre qu'il m'écrivit à ce sujet était des plus tendres. »

1_64-c L. c., p. 278.

1_64-d Voyez ci-dessus, p. 27.

1_66-a

Deux coqs vivaient en paix; une poule survint,
Et voilà la guerre allumée.

La Fontaine,

Fables

, liv. VII, fab. 13.

1_66-b Voyez t. XXVI, p. 606.

1_68-a Voyez t. VIII, p. 147 et 294; t. IX, p. 17; et t. X, p. 190 et 191.

1_69-a Voyez t. XXVI, p. x et XI, et le Journal secret au baron de Seckendorff, p. 145.

1_7-a La Margrave accoucha le 30 août, deux jours après avoir écrit cette lettre. C'est probablement par une méprise que, dans ses Mémoires, t. II, p. 57, elle indique le 31 comme le jour de la naissance de sa fille.

1_70-a Femme de chambre de la Reine. Voyez les Mémoires de la Margrave, t. I, p. 106 et suivantes, et p. 121.

1_70-b Frédéric avait écrit à sa sœur, de Ruppin, le 20 mars : « Quant aux soi-disant prétentions du Margrave sur les duchés de Juliers et Berg, il me semble qu'il s'avise bien tard d'en parler, et pour vous parler net, il fait fort mal; car, pour figurer en pareilles occasions, il faut avoir de l'argent et des troupes comme le Roi, sans quoi je vous avertis en frère et en ami que le Margrave sera bafoué, qu'il s'attirera le Roi à dos, et qu'il ne réussira assurément point. Ceux qui lui ont conseillé de faire valoir à présent ses prétentions ont assurément très-mal fait. Si vous pouvez lui faire entendre raison, vous ferez assurément une œuvre vraiment chrétienne; sinon, vous vous apercevrez que j'ai dit vrai. »

1_70-c Voyez les Mémoires de la Margrave, t. I, p. III.

1_71-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 278.

1_72-1 Prévôt du dôme de Brandebourg. (Note de Frédéric.)

1_72-a Voyez t. XIV, p. 194, et t. XVII, p. 58.

1_72-b Cette pièce n'est qu'un post-scriptum ajouté à l'Épître de Frédéric à la Margrave, dont l'autographe, envoyé à cette princesse, est daté de Ruppin, 29 avril 1739. Nous avons imprimé cette Épître t. XI, p. 39-44, en y ajoutant, d'après un autographe postérieur, la date probablement inexacte de l'année 1734.

1_73-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 276 et 277, où l'auteur rappelle un portrait fort désavantageux que M. de Superville lui avait tracé du caractère de Frédéric.

1_74-a Voyez t. XXI, p. 253.

1_74-b Mémoires de la Margrave, t. II, p. 282-284.

1_76-a Frédéric était parti le 7 juillet de Berlin pour la province de Prusse, et il était de retour le 18 août.

1_76-b Voyez t. XVI, p. 180, 260, 261 et 410; t. XVII, p. 60 et 61; et t. XXVI, p. 9.

1_77-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 284, 289 et 290.

1_78-a Voyez ci-dessus, p. 28.

1_79-a La Margrave, citant cette lettre de son frère dans ses Mémoires, t. II, p. 290, y ajoute la phrase suivante : « Au bout du compte, le Roi n'a plus rien à vous ordonner, » phrase qui ne se trouve ni dans l'autographe du 30 septembre, ni dans aucune autre lettre de Frédéric.

1_79-b Mémoires, t. II, p. 282-285.

1_82-a Voyez t. XVI, p. 160; t. XXV, p. 531; et le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 152.

1_83-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. I, p. 50, 53, 62, 64 et suivantes.

1_84-a La Margrave passe sous silence la véritable raison qui lui avait fait désirer son prompt retour à Baireuth; c'était le chagrin que lui causait l'amour de son mari pour l'aînée des demoiselles de Marwitz. Voyez ses Mémoires, t. II, p. 288-291, p. 4, 41 et suivantes.

1_84-b Blessé mortellement à la bataille de la Lohe, le 22 novembre 1757. Voyez t. IV, p. 182.

1_85-a Voyez t. XIV, p. 36; t. XVIII, p. 58; t. XIX, p. 223; et t. XXV, p. 584 et suiv. M. Darget avait écrit à Frédéric : « Je connais le goût de Votre Majesté pour les ouvrages de Lancret. » Le Roi lui répondit, le 14 décembre 1754 : « Quant aux tableaux dont vous me parlez, je vous dirai que je ne suis plus dans ce goût-là, ou plutôt j'en ai assez dans ce genre. J'achète à présent volontiers des Rubens, des van Dyck, etc. » Voyez t. XX, p. 60 et 61.

1_89-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 76, 77, 78, 79 et suivantes.

1_89-b Ce passage ne se trouve pas littéralement dans l'Écriture; mais il est dans l'esprit du livre de l'Ecclésiaste, que Frédéric cite souvent, ou auquel il fait de fréquentes allusions. Le passage qui se rapporte le plus à celui de notre texte se lit dans l'Ecclésiaste, chap. IV, v. 2 et 3.

1_89-c Osée, chap. X, v. 8.

1_9-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 25 et 26.

1_9-b Voyez t. XXVI, p. 406.

1_9-c La Margrave arriva à Berlin le 16 novembre. Voyez ses Mémoires, t. II, p. 76, 80, 81 et suivantes, 135 et 136.

1_90-a Les Mémoires de la Margrave renferment, t. II, p. 294 et 295, une lettre de cette princesse, qui ne se trouve pas parmi les autographes, avec une prétendue réponse de Frédéric, qui n'est au fond que notre no 77 fortement altéré.

1_90-b La ville de Rheinsberg avait été presque entièrement réduite en cendres le 14 avril; on n'avait pu sauver que le château et une rue.

1_91-a Voyez t. XXVI, p. 13.

1_92-a Le mot grâces est omis dans l'autographe.

1_93-a Après s'être exprimée peu favorablement sur le compte de ses parents dans ses Mémoires, la Margrave dit, t. II, p. 135, en parlant de son départ de Berlin au mois d'août 1733 : « Ce fut la dernière fois que je vis ce cher père, dont la mémoire me sera à jamais en vénération. »

1_94-a Les Mémoires de la Margrave renferment, t. II, p. 297, les passages suivants : « Un courrier que le Roi me dépêcha m'apporta cette triste nouvelle .... Je continuai d'en agir avec le Roi comme de coutume. Je lui écrivais toutes les postes, et toujours avec effusion de cœur. Six semaines se passèrent sans que je reçusse de réponse. La première lettre qui me parvint, au bout de ce temps-là, n'était que signée du Roi, et fort froide. Il commença son règne par faire une tournée dans la Poméranie et la Prusse. Son silence continuait toujours avec moi; je ne savais qu'en penser, et mon amitié pour lui ne me permettait pas d'être sans inquiétude d'une indifférence si marquée. Enfin, au bout de trois mois, je fus secrètement avertie de Berlin que le Roi en était parti incognito pour venir me surprendre à l'Ermitage, où j'étais alors. » Il vaut la peine de comparer avec ces lignes nos numéros 83 et suivants, tous exactement imprimés sur les autographes de Frédéric.

1_97-a La Margrave dit dans ses Mémoires, t. II, p. 295-297, « un mot de la fin singulière et héroïque » du Roi son père. Nous ne savons si son récit est tiré de la relation envoyée par Frédéric.

1_99-a Voyez t. XXII, p. 14.

1_I-a Frédéric écrit à Voltaire, le 22 avril 1759 : « Je fus battu à Hochkirch, le moment que ma digne sœur expirait. » Voyez t. XXIII, p. 43.

1_II-a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. I, p. 22, 186 et suivantes, 225 et suivantes, 243, 347 et 348; t. II, p. 26 et 79.

1_II-b Ce tableau a été gravé en 1789 par Dominicus Cunego, et, en 1846, par Édouard Eichens, le même artiste qui avait déjà gravé en 1843 le portrait de Frédéric seul, aussi d'après Pesne. On trouve l'histoire du tableau de celui-ci dans M. de Hahnke, Elisabeth Christine, p. 444 et 445, no 9.

1_II-c Voyez l'Appendice de cette correspondance, p. 365.

1_II-d Voyez ci-dessous, p. 8.

1_III-a En 1734, en 1740, en 1743 et en 1754. Voyez ci-dessous, p. 14 et suiv., 102, 134 et 276.

1_III-b Voyez ci-dessous, p. 105-110, nos 96-102.

1_III-c Voyez t. XXVI, p. 114, no 19, et ci-dessous, p. 183 et 185.

1_III-d Voyez le Journal historique des fêtes que le Roi a données à Potsdam, à Charlottenbourg et à Berlin à l'occasion de l'arrivée de Leurs Altesses Royale et Sérénissime de Brandebourg-Baireuth, au mois d'août 1750 (par le baron de Pöllnitz), imprimé chez Chrétien-Frédéric Henning, quarante-quatre pages in-4. Voyez aussi notre t. XX, p. 109, no 35, et ci-dessous, p. 221.

1_III-e Voyez ci-dessous, p. 267 et 268.

1_III-f Voyez les lettres de la margrave de Baireuth à Voltaire, du 19 août, du 12 septembre, du 16 et du 8 (28) octobre, du 23 et du 30 novembre, du 27 décembre 1767, et du 2 janvier 1758, dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LVII, p. 310, 332, 353, 349, 378, 382, 416 et 424, ainsi que dans les Œuvres complètes du même auteur, édit. de Kehl, 1785, t. LXVI, p. 348-367.

1_III-g Le médecin Cothenius (ci-dessous, p. 364) dit dans sa lettre inédite au Roi, Baireuth, 13 octobre 1758 : « Die wenigen Worte, die Ihro Kônigliche Hoheit hervorbringen kônnen, das sind heisse Wünsche für Ew. Kôniglichen Majestät langen und glücklichen Leben. »

1_III-h Voyez t. XXVI, p. 204, 205 et 216.

1_III-i Voyez ci-dessous, p. 274-277, nos 273, 274 et 275.

1_III-k Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 36, 226, 227, 252 et suivantes. Voyez aussi les Lettres et Mémoires du baron de Pöllnitz, troisième édition, A Amsterdam, 1737, t. I, p. 223 et 224, et t. V, p. 356-359.

1_IV-a Voyez t. XV, p. II.

1_IV-b Voyez t. XIII, p. 194.

1_IV-c Voyez XIX, p. 61 et 217; t. XX, p. 304, no 20; et ci-dessous, p. 334.

1_IV-d Voyez t. XII, p. 206 et 207.

1_IX-a Voyez t. XXVI, p. XVIII et XIX.

1_IX-b Voyez t. XXV, p. 511 et 512, et G.-H. Pertz, Ueber die Denkwürdigkeiten der Markgräfin von Bayreuth. Berlin, 1851, dix-neuf pages in-4, et deux planches présentant divers fac-similé.

1_V-a Voyez t. XII, p. 214.

1_V-b Voyez t. XXIII, p. 24-30, 37, 38, 42-45; t. XIX, p. 72.

1_V-c Il y a dans ce temple une statue en marbre qui représente la Margrave assise. Cette statue est l'ouvrage des frères Jean-David et Laurent-Guillaume Ränz, de Baireuth; ces mêmes artistes ont également exécuté, en 1777, celle du général Winterfeldt, une des six qui ornent la place Guillaume, à Berlin. Voyez H.-L. Manger, Baugeschichte von Potsdam, p. 315 et 316. On trouve ci-dessous, p. 364, une vignette représentant le temple de l'Amitié.

1_VI-a « Je vous supplie, mon cher frère, dit la Margrave dans ce post-scriptum, de me pardonner si je n'écris que ce grimoire (voyez t. XXVI, 202 et 208); le temps presse. »

1_VII-a Voyez ci-dessous, p. 58, no 50.

1_VII-b Voyez le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 146.

1_VII-c Voyez t. XXI, p. 101, 102, 108 et suivantes, 142 et suivantes; t. XXIII, p. 227, 229 et 282; t. XXIV, p. 79 et 568.

1_VIII-a Voyez t. XIII, p. 193.

1_VIII-b Voyez t. XVI, p. 273 et suivantes, et t. XXV, p. 507.

1_VIII-c Voyez t. XXV, p. 521 et 522, et ci-dessous, p. 52.

1_X-a Crohn?

1_X-b Edition de Brunswic, t. I, p. 15 et suivantes; t. II, p. 228.

1_X-c Voyez les Mémoires, édition de Brunswic, Avant-propos, p. m.

1_X-d Voyez ci-dessous, p. 64.

1_X-e Denkwürdigkeiten aus dem Leben der Königl. Preussischen Prinzessin Friederike Sophie Wilhelmine, Markgräfin von Baireuth, vom Jahre 1709 bis 1733.

1_X-f « Ma passion dominante a toujours été l'étude, la musique, et surtout les charmes de la société. »Mémoires, t. II, p. 224, et ci-dessous, p. 316.

1_XI-a Mémoires, t. I, p. 153, 154 et 285; t. II, p. 258.

1_XI-b Voyez ci-dessous, p. 78 et 81.

1_XI-c Mémoires, t. II, p. 288 et suivantes, 303, 304, 307-309, 310-312, 314, 315, 325 et 326.

1_XI-d Voyez ci-dessous, p. 142-64, nos 143-171.

1_XI-e Mémoires, t. II, p. 139.

1_XI-f En 1732 et 1733. Voyez les Mémoires, t. II, p. 76-136. Dans la traduction allemande de cet ouvrage, Tubingue, 1810, (t. I) p. 199, la Margrave dit que, depuis qu'elle avait été retenue prisonnière à Berlin, en 1730, sa santé était si altérée, qu'elle ne s'était jamais rétablie. Elle ne parle pas de cela dans l'édition originale de Brunswic.

1_XII-a Mémoires, t. II, p. 139, 182 et suivantes, 190 et suivantes.

1_XII-b Voyez ci-dessous, p. 41; t. XXVII. II, p. 39; Mémoires, t. 1, 251.

1_XII-c Voyez t. XVII, p. m et IV, art. III, et p. 297-332; t. XXV, p. 557; et ci-dessous, p. 383.

1_XII-d Voyez les Mémoires, t. I, p. 5.

1_XII-e Mémoires du baron de Pöllnitz, contenant les observations qu'il a faites dans ses voyages, et les caractères des personnes qui composent les principales cours de l'Europe. Liège, 1734, trois vo+ lumes in-8; seconde édition, Londres, 1735, quatre tomes en deux volumes in-12. Voyez notre t. XX, p. V, VI et 91.

1_XIII-a Voyez ci-dessous, p. 32, 138 et 140.

1_XIII-b Dans la traduction des Mémoires, Tubingue, 1810, (t. I) p. 4 et 5, la Margrave dit en parlant de la naissance de Frédéric : « Dieses ist der Bruder, der mit mir erzogen ward, den mir tausend Ursachen theuer machen, und den ich den Trost habe, von ganz Europa bewundert zu sehen » Ce passage ne se trouve pas dans l'édition de Brunswic.

1_XIII-c Voyez les Mémoires, t. I, p. 46, 47, 103 et suivantes, 111, 112, 131; t. II, p. 192-194, 198, 200, 201, 202, 203, 207, 213, 276, 277, 294, 297, 298, 299 et suivantes; voyez aussi la traduction des Mémoires (t. I), p. 352, I.5 à 15, lignes omises dans l'édition de Brunswic; voyez enfin nos notes sous le texte de la correspondance.

1_XIV-a Lettre à Frédéric, du 21 février 1748 : « J'ai fait le fatal mariage de la Burghauss, cause de tant de regrets. »

1_XIV-b Voyez ci-dessous, p. 142, et les Mémoires, t. II, p. 4, 227 et 228. Quant au régiment impérial de Baireuth, voyez 1. c, t. II, p. 156, 157 et 227.

1_XIV-c Voyez ci-dessous, p. 155, 157, 158, 161 et 162, nos 162, 165, 166 et 169.

1_XIV-d L. c, p. 149 et 150, no 152.

1_XIV-e L. c., p. 151 et suivantes. Pendant la guerre de sept ans, la Gazette d'Erlangen agit de même à l'égard de la Prusse, et l'éditeur en fut puni en 1769.

1_XIV-f En racontant à Frédéric l'incendie du château de Baireuth, la Margrave dit (ci-dessous, p. 248) : « Ce qui nous a été le plus sensible a été la mauvaise volonté des gens d'ici, qui n'ont point voulu donner de secours, et se sont cachés ou sauvés pour n'avoir point besoin de travailler. »

1_XIV-g Voyez les Mémoires, t. II, p. 72, 76, 80, 187, 322; voyez aussi, dans la traduction allemande des Mémoires (t. I) p. 354 et 355. un alinéa omis dans l'édition de Brunswic.

1_XIV-h Mémoires, t. II, p. 258.

1_XIX-a Ce fut le 6 août 1758 que la Margrave fit son testament.

1_XV-a Voyez les Mémoires, t. I, p. 153, 154, 105, 231 et 232. Voyez aussi l'ouvrage de Büsching, Character Friedrichs des Zweiten, p. 273.

1_XV-b Mémoires, t. I, p. 89 et 90; t. II, p. 135, 136, 202, 203, 299 et 300. Voyez aussi la correspondance, par exemple ci-dessous, p. 92 et 93.

1_XV-c Mémoires, t. II, p. 301.

1_XV-d L. c, t. I, p. 15 et suivantes, 143 et suivantes; t. II, p. 144 et 145.

1_XV-e L. c., t. I, p. 102 et suivantes, 350 et 351.

1_XV-f L. c., t. 1, p. 97; t. II, p. 71, 72 et 298. S

1_XV-g L. c, t. I, p. 318, 319 et 330; t. II, p. 78, 79, 81 et 87.

1_XV-h L. c., t. II, p. 12, 13, 14-16, 85 et suivantes.

1_XV-i L. c., t. II, p. 324 et 325.

1_XV-k L. c, t. I, p. 337 et 338; t. II, p. 74 et 75.

1_XVI-a Mémoires, 1. I, p. 178 et 179; t. II, p. 3 et 104.

1_XVI-b L. c., t. II, p. 54, 55, 111, 121, 188 et 189.

1_XVI-c L. c., t. I, p. 242 et 243.

1_XVI-d L. c., t. 1, p. 12, 13, 30, 31, 58-60, 76, 77, 87 et suivantes, 108-110, 128, 129, 131, 132, 154, 157, 161, 251, 303, 304, 305, 306, 309 et suivantes, 320, 321 et suivantes, 333 et suivantes; t. II, p. 4, 5, 6, 77 et suivantes, 94, 116 et suivantes; voyez, enfin, la traduction des Mémoires (t. I), p. 356, 358 et 359, passages qui ne se trouvent pas dans l'édition de Brunswic.

1_XVI-e Mémoires, t. I, p. 284 et 303; t. II, p. 299 et 300.

1_XVI-f L. c., t. II, p. 273. 276 et 277; ci-dessous, p. 64, 71 et 73.

1_XVII-a Mémoires, t. II, p. 317 et suivantes (1742).

1_XVII-b L. c., p. 324.

1_XVII-c L. c., p. 4, 227, 228 et 278.

1_XVII-d Voyez ci-dessous, p. 119-142, nos 155-142.

1_XVIII-a Voyez ci-dessous, p. 194-196.

1_XX-a Voyez ci-dessous, p. 229.

1_XX-b L. c, p. 341, 345 et 348.

1_XX-c Voyez t. XXVI, p. 216, no52, et ci-dessous, p. 335; voyez aussi t. XII, p. 112, et t. XXV, p. 49.

1_XXII-a Voyez ci-dessous, p. 260, 263, 264, 274 et 277.

1_XXII-b Voyez t. XXVI, p. 570 et 571.

1_XXIII-a Voyez t. XXII, p. 167.

1_XXIII-b Voyez t. XX, p. 158; t. XXVI, p. 316; et ci-dessous, p. 115, 164, 229 et 389.

1_XXIII-c Voyez t. XXIII, p. 193 et 195; t. XXIV, p. 575. Le prince Guillaume fut nommé général-major le 20 mai 1770, et il mourut le 24 août suivant.

1_XXIII-d Voyez ci-dessous, p. 395.

1_XXIII-e Voyez t. VI, p. 24 et 25; t. XXVI, p. 45 et 46, nos 67 et 69; et ci-dessous, p. 391.

1_XXV-a Voyez t. III, p. 31 et 32.

1_XXV-b Voyez t. XXV, p. XVII, art. VIII, et p. 637 et suivantes.