<106>La vérité régna, les charlatans se turent,
La critique éclairée étourdit les docteurs,
Et partout la raison poursuivit les erreurs.
- Non, non, dit mon cafard, c'est par libertinage
Que l'incrédulité prévalut en cet âge.
- Eh quoi donc! grand docteur, connais-tu Spinoza?
Qui jamais de débauche en son temps l'accusa?
Et Bayle, plus profond, qu'un faquin méprisable
Persécuta longtemps d'un zèle charitable,
Nul penchant sensuel ne put le détourner
Du plaisir de penser et de bien raisonner.
Et ce bon empereur, de tous rois le modèle,
Cet homme en tout parfait, le divin Marc-Aurèle,
Penses-tu que ce fût un gros voluptueux,
Un pourceau d'Épicure, un prince crapuleux?
Peux-tu d'un Antonin faire un Sardanapale?
O fureur de parti! rage théologale!
C'est toi qui corrompis la probité, les mœurs
De ces fourbes tondus et de leurs sectateurs.
Pour maintenir la foi chancelante et douteuse,
Tout cagot sans rougir aima fraude pieuse;
L'audace osa forger les livres sibyllins,
La légende s'enfla de faux martyrs chrétiens,
On supposa, depuis, de fausses décrétales,
Et la religion n'offrit que des scandales.
Faut-il, pour appuyer la simple vérité,
Qu'un mensonge odieux souille sa pureté?
Jamais Newton ni Locke, en leur philosophie,
N'ont mêlé des poisons aux sucs de l'ambroisie;
L'expérience en main, ils surent se guider,
Ils prouvent; c'est ainsi qu'il faut persuader.
Mais si l'on en croyait la troupe consacrée,
En soutane, en rabat, à tête tonsurée,
Dieu, qu'ils nous ont dépeint tout aussi méchant qu'eux,
Deviendrait un objet indigne de nos vœux.
Ils l'ont fait le tyran le plus inexorable,
Pour assouvir sa rage, il rend l'homme coupable;