<83>Fut respecté de tous et se maintint tranquille,
Tandis que, dans le trouble, et Pompée et César
Abandonnaient l'empire et leur sort au hasard.
Quand l'âme est fortement et longtemps agitée,
Par un essor si vif hors d'elle transportée,
Sa gaîté disparaît, et laisse dans l'esprit
Un funeste levain qui le ronge et l'aigrit;
De ses noires vapeurs l'ambition l'enivre.
Ah! pour si peu de jours que nous avons à vivre,
Dans d'aussi vains projets faut-il se consumer?
Ce roi, ce souverain que l'on vient d'inhumer,
Voilà ses monuments qu'aussitôt on renverse :
Tout s'élève, s'accroît, enfin se bouleverse.
Alexandre conquit les plus vastes États;
Il meurt : tout aussitôt des courtisans ingrats
Partagent à leur gré les dépouilles du maître.
Ses enfants sont exclus; un capitaine, un traître
A ses souverains nés fait souffrir le trépas.
Ainsi ce conquérant a livré cent combats,
Pour qu'un Démétrius et pour qu'un Ptolémée
Jouît de ses travaux, hors de sa renommée.
Voilà, ma sœur, à quoi mènent ces grands desseins.
Les politiques sont pareils aux Quinze-Vingts,
Ils agissent sans voir, le destin les attrape;
Il fit que Romulus travailla pour le pape,
Que David éleva Sion pour Mahomet.
Enfin aucun de nous ne sait trop ce qu'il fait,
De projets en projets notre espoir nous engage;
Il est, vous le savez, des hochets pour tout âge.a
Rejetant de ces jeux la folle illusion,
Vous détournez vos pas du bruyant tourbillon
De ce gouvernement tant agité d'intrigues,


a Voyez t. VI, p. 80. Frédéric écrit à d'Alembert, dans sa lettre du 24 mars 1765 : « Je vous dirai, comme Fontenelle, qu'il faut des hochets pour tout âge. » Il dit aussi dans une lettre à Voltaire, du 5 décembre 1775, et dans celle à d'Alembert, du 17 septembre 1772 : « Ce sont là les hochets de ma vieillesse. » Voyez encore ci-dessus, p. 11.