174. DU MÊME.

Rheinsberg, 30 octobre 1763.

J'ai eu l'honneur de vous mander que j'avais remis mon voyage pour Schwedt jusqu'à un autre temps. Les incommodités que je ressens m'empêchent à cette heure de penser à ce voyage. Je veux employer tous mes soins pour fortifier ma santé, afin que, si vous passez la fin de décembre à Berlin, je puisse profiter sans interruption du bonheur de vous faire ma cour.

Si le baron avait toujours eu un grand maître de sa garde-robe comme vous daignez vouloir l'être en ce cas, il aurait été très-bien vêtu pendant sa vie. Je crois pourtant que pour satisfaire à tous ses goûts il faudrait des étoffes de tout pays, et un très-grand fonds pour rendre la garde-robe aussi riche qu'il la voudrait.

Il est bien juste que je vous présente le fruit le plus rare de mon jardin; je n'ose espérer que le goût vous paraîtra assez bon, mais c'est uniquement pour sa singularité que je me donne l'honneur de vous l'offrir. Feu le comte Neale335-a m'en a donné la plante; <293>c'est une nèfle de l'Amérique; les fruits ont un goût, quoique imparfait, des nazarelles.335-b

Daignez être assuré que rien n'approche du sentiment rempli d'attachement avec lequel je suis, etc.


335-a Stephanus-Laurentius Neale, né à Surinam en 1688, et négociant à Amsterdam, vint s'établir à Berlin en 1750. Il était immensément riche. Frédéric le nomma chambellan et comte. Il mourut à la Haye en 1762.

335-b Le mot nazarelles, comme le prince l'a écrit, nous est inconnu; il s'agit probablement des azarelles ou azaroles, fruit du Crataegus Azarolus L., que Frédéric aimait fort. La nèfle d'Amérique est une espèce du genre Crataegus.