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10198. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

Grüssau, 10 août 1758.1

Mon très cher Frère. Je vous prie de me garder le secret le plus absolu sur tout ce que cette lettre comprend, qui n'est que pour votre direction seule.

Je marche demain contre les Russes. Comme les évènements de la guerre peuvent produire toutes sortes d'accidents, et qu'il peut m'arriver facilement d'être tué, j'ai cru de mon devoir de vous mettre au fait de mes mesures, d'autant plus que vous êtes le tuteur de notre neveu avec une autorité illimitée.

1° Si je suis tué, il faut sur-le-champ que toutes les armées prêtent le serment de fidélité à mon neveu.

2° Il faut continuer d'agir avec tant d'activité que l'ennemi ne s'aperçoive d'aucun changement dans le commandement. 3° Voici le plan que j'ai actuellement : de battre les Russes à plate couture, s'il est possible; de renvoyer sur-le-champ Dohna contre les Suédois et, pour moi, de retourner avec mon corps, soit contre la Lusace, si l'ennemi voulait pénétrer de ce côté-là, soit de rejoindre l'armée et de détacher 6 ou 7000 hommes en Haute-Silésie, pour rechasser de Ville qui l'infeste; pour vous, de vous laisser agir, selon que l'occasion se présente, votre plus grande attention devant se porter sur les projets de l'ennemi qu'il faut toujours déranger, avant qu'il parvienne à les mettre à maturité.

Pour ce qui regarde les finances, je crois devoir vous informer que tous ces dérangements qui viennent d'arriver en dernier lieu, surtout ceux que je prévois encore, m'ont obligé d'accepter les subsides anglais,2 qui ne seront payables que dans le mois d'octobre.

Pour la politique, il est certain que, si nous soutenons bien cette campagne, l'ennemi, las, fatigué et épuisé parla guerre, sera le premier à désirer la paix; je me flatte que l'on y parviendra pendant le cours de cet hiver.

Voilà tout ce que je puis vous dire des affaires en gros; quant au détail, ce sera à vous à vous mettre incessamment au fait de tout; mais si, incontinent après ma mort, l'on montre de l'impatience et un désir trop violent pour la paix, ce sera le moyen de l'avoir mauvaise et d'être obligé de recevoir la loi de ceux que nous aurons vaincus.3

Je dois ajouter à tout ceci mon itinéraire, pour que vous sachiez où je serai et en quel lieu vous pouvez me trouver. Le 13 je serai à



1 Ein Schreiben an Argens, Grüssau 10 août 1758, in den „Œuvres de Frédéric“ Bd. 19, S. 52.

2 Vergl. S. 93.

3 Der Inhalt des obigen Schreibens an Prinz Heinrich (ausgenommen der Schluss von „je dois ajouter“ an) wird, Grüssau 10. August, dem Minister Finckenstein mitgetheilt. Ihm wird befohlen, das strengste Geheimniss zu bewahren; nur wenn der Tod des Königs erfolgen sollte, soll auch der Graf Podewils von der Verfügung unterrichtet werden.