<83>Je vais sur ce sujet vous conter une histoire.
Le sordide Intérêt et la superbe Gloire,
Voyageant par le monde, enrôlaient ici-bas
Tous ces fous qu'on voit naître en différents climats;
Pâtres, bourgeois, guerriers, prêtres, seigneurs, ministres,
Étaient bientôt séduits par leurs bienfaits sinistres.
Ils virent, en passant près d'un petit hameau,
Un berger peu connu qui guidait son troupeau;
Il se nommait Damon, et, malgré sa naissance,
Des plus rares talents il avait la semence,
De l'esprit, un cœur tendre, et, dans sa pauvreté,
Du goût pour le repos et pour la liberté;
Seul avec sa Philis, ses moutons, sa houlette,
Il vivait loin du monde, heureux dans sa retraite.
« Quel berger! dit la Gloire; ah! verrons-nous tous deux
Qu'il nous fasse l'affront d'être heureux à nos yeux?
Nous avons égaré dans nos routes scabreuses
Des plus sages humains les âmes vertueuses;
Que de mortels, sans nous, dans le sein de la paix,
Jouiraient d'un bonheur que nous n'avons jamais!
Aurons-nous vainement troublé toute la terre,
Allumé tant de fois le flambeau de la guerre,
Et nagé dans le sang de guerriers expirants?
Quoi! tandis qu'ici-bas nous sommes tout-puissants,
Mon frère, verrons-nous lâchement, sans rien dire,
Que cet heureux berger échappe à notre empire?
Ah! troublons son repos, égarons sa vertu;
Qu'il tombe dans le piége, à nos pieds abattu. »
Alors, pour mieux voiler leur funeste imposture,
Ils prennent d'un berger l'habit et la figure.
Ils abordent Damon d'un air doux et flatteur;