<5> la cavalerie de l'ennemi, il continua de longer l'Éger, et arriva le dixième jour de sa marche à la ville d'Éger. Quatre mille hommes périrent de misère et de froid par les marches forcées qu'on leur fit faire; et cette armée délabrée, réduite à huit mille combattants, fut partagée : ce qui était encore en état de servir, joignit M. de Maillebois en Bavière, et les corps entièrement ruinés furent envoyés en Alsace pour se recruter.
La Bohême fut ainsi conquise et perdue, sans qu'aucune victoire ni des Français ni des Autrichiens eût décidé entre eux du sort des empires. Dans tout autre pays que la France, une retraite comme celle de M. de Belle-Isle aurait causé une consternation générale : en France, où les petites choses se traitent avec dignité et les grandes légèrement, on ne fit qu'en rire, et M. de Belle-Isle fut chansonné. Des couplets ne mériteraient certainement pas d'entrer dans un ouvrage aussi grave que le nôtre; mais comme ces sortes de traits marquent le génie de la nation, nous croyons ne point devoir omettre ce couplet-ci :
Quand Belle-Isle partit une nuit
De Prague à petit bruit,
Il dit, voyant la lune :
Lumière de mes jours,
Astre de ma fortune,
Conduisez-moi toujours.
En pareille occasion, on aurait jeûné à Londres, exposé le sacrement à Rome, coupé des têtes à Vienne : il valait mieux se consoler par une épigramme.
La retraite du maréchal Belle-Isle eut le sort de toutes les actions des hommes : il y eut des fanatiques qui par zèle la comparèrent à la retraite des Dix mille de Xénophon; d'autres trouvaient que cette fuite honteuse ne pouvait se comparer qu'à la défaite de