<58> soixante-dix mille Français fit le siège de Fribourg, prit cette place à la fin de la campagne, et en fit raser les fortifications.
Ce furent les avantages du prince de Lorraine en Alsace qui engagèrent le roi de Prusse à se déclarer plus tôt qu'il ne l'avait projeté. Il y avait tout à craindre que l'ascendant des troupes autrichiennes ne forçât les Français à en passer par les conditions que l'arrogance de ces derniers leur voudrait prescrire; et, dans ce cas, il n'était pas douteux que la Reine n'eût employé toutes ses forces pour reprendre la Silésie. Cependant les arrangements politiques que la cour de Berlin s'était proposé de prendre, étaient encore bien éloignés d'être réalisés. Le comte Bestusheff, qui se crut affermi depuis qu'il avait fait chasser de Russie M. de La Chétardie, engagea l'impératrice Élisabeth à faire le voyage de Moscou pour s'y faire couronner, et ensuite à entreprendre le pèlerinage de Kiowie en faveur de je ne sais quel saint. L'Impératrice avait des favoris; Bestusheff voulut leur susciter des rivaux. Il y avait à Troizkoi un archimandrite dont la réputation était étonnante en fait de vigueur. Bestusheff trouva le moyen de lier ce moine avec une femme de chambre d'Élisabeth. Cette femme fit part à sa maîtresse de la découverte admirable qu'elle venait de faire, et des preuves miraculeuses que cet archimandrite savait donner de son amour. L'Impératrice voulut s'assurer de telles merveilles par sa propre expérience. L'archimandrite lui fut présenté. Ni sa barbe longue et dégoûtante, ni ses cheveux crépus, ni les exhalaisons puantes qui sortaient de son corps ne lui firent de tort : il fut aimé et trouvé supérieur à sa réputation. Cette nouvelle flamme rendit l'Impératrice invisible à sa cour : les affaires languirent; elle ne respira, elle ne vécut que pour adorer ce nouvel Hercule. C'était le triomphe du ministre : bientôt les ordres furent donnés, que ceux qui avaient à négocier avec la Russie, au lieu de s'adresser à l'Impératrice, devaient dorénavant s'adresser à son ministre. Ce nouvel arrangement valut de grosses sommes au comte de Bestusheff; et