<278> pour vertueux. Ainsi il n'est pas possible de se travestir; ainsi un prince, quelque habile qu'il soit, ne peut, quand même il suivrait toutes les maximes de Machiavel, donner le caractère de la vertu qu'il n'a pas aux crimes qui lui sont propres.
Machiavel, ce corrupteur de la vertu, ne raisonne pas mieux sur les raisons qui doivent porter les princes à la fourbe et à l'hypocrisie; l'application ingénieuse et fausse de la fable du centaure ne conclut rien; car, que ce centaure ait eu moitié la figure humaine et moitié celle d'un cheval, s'ensuit-il que les princes doivent être rusés et féroces? Il faut avoir bien envie de dogmatiser le crime, lorsqu'on emploie des arguments aussi faibles, et qu'on les cherche de si loin.
Mais voici un raisonnement plus pitoyable que tout ce que nous avons vu. Le politique dit qu'un prince doit avoir les qualités du lion et du renard; du lion pour se défaire des loups, du renard pour être rusé; et il conclut : « Ce qui fait voir qu'un prince n'est pas obligé de garder sa parole. » Voilà une conclusion sans prémisses; un écolier en seconde serait châtié à la rigueur par son régent, s'il argumentait ainsi, et le docteur du crime n'a-t-il pas honte de bégayer ainsi ses leçons d'impiété?
Si l'on voulait prêter la probité et le bon sens aux pensées embrouillées de Machiavel, voici à peu près comme on pourrait les tourner. Le monde est comme une partie de jeu où il se trouve des joueurs honnêtes, mais aussi des fourbes qui trichent; pour qu'un prince, donc, qui doit jouer à cette partie, n'y soit pas trompé, il faut qu'il sache de quelle manière l'on triche au jeu, non pas pour qu'il pratique jamais de pareilles leçons, mais pour qu'il ne soit pas la dupe des autres.
Retournons aux chutes de notre politique. « Parce que tous les hommes, dit-il, sont des scélérats, et qu'ils vous manquent atout moment de parole, vous n'êtes point obligé non plus de leur garder la vôtre. » Voici premièrement une contradiction en termes; car